Conditions de travail : bilan mitigé du dialogue social chez les livreurs à vélo et les chauffeurs VTC

Un accord destiné à « lutter contre les formes de discrimination » envers les livreurs de repas : c’est ce qu’ont signé, le 13 mai, l’organisation représentative des plates-formes de livraison et trois des quatre organisations représentatives des travailleurs indépendants.

Cette signature, dans le cadre de l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (ARPE), ne pouvait pas mieux tomber pour mettre en avant son utilité : du 22 au 30 mai, 71 000 livreurs et 51 000 chauffeurs VTC « actifs » (ils doivent avoir réalisé cinq courses par mois pendant trois mois entre juillet et décembre 2023) sont appelés à voter pour élire leurs représentants. Le premier scrutin, en 2022, avait été un échec, seuls 3,9 % des chauffeurs et 1,8 % des livreurs s’étaient prononcés.

L’ARPE est née en 2021 pour entériner la troisième voie souhaitée par le gouvernement concernant les travailleurs des plates-formes : des autoentrepreneurs, mais qui peuvent acquérir des droits supplémentaires par le dialogue social.

Dialogue difficile sur la rémunération

Selon la direction de l’instance et les entreprises, le bilan est positif : onze accords ont été signés en un an et demi. « Même s’il faut veiller à l’application des accords par les plates-formes, ce qui n’a pas toujours été le cas, c’est une affaire qui marche », résume Michel Yahiel, directeur général de l’ARPE. Les syndicats reconnaissent, eux, des progrès dans la lutte contre les discriminations et les « désactivations » abusives de travailleurs.

En revanche, le dialogue a été beaucoup plus difficile sur la rémunération, notamment chez les livreurs. « Aujourd’hui, pour gagner autant qu’il y a un an, un livreur doit travailler deux heures de plus par jour », indique Fabian Tosolini, délégué national d’Union-Indépendants (CFDT). Face à la dégradation récente du prix des courses sur Uber Eats notamment, les syndicats ont demandé une expertise, avant de reprendre les négociations sur ce sujet.

Pierre Delalande, représentant de l’Association des plates-formes d’indépendants, seule organisation patronale côté livraison (Uber Eats, Deliveroo), et majoritaire côté VTC (Uber, Caocao), n’est pas de cet avis : « Sur les VTC, il y a maintenant un revenu minimal par course à 9 euros et un revenu minimal par kilomètre, deux éléments structurants qui n’existaient pas avant. Idem avec une garantie minimale de 11,75 euros de l’heure chez les livreurs, que nous avons proposé de revaloriser à 14 euros. »

Un outil incontournable

Insuffisant pour Ludovic Rioux, secrétaire de la CGT-Livreurs, qui n’a signé aucun accord. « L’ARPE sert juste à entériner un tiers statut entre indépendant et salarié, sous le code du travail. » Selon lui, la rémunération, la transparence des algorithmes ou la question des sans-papiers − très nombreux dans le secteur − pourraient être bien mieux traités.

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L’impact du travail de nuit sur les salariés et les entreprises encore peu pris en compte

Cela a été une grande victoire pour Martine. En 2023, cette ancienne infirmière de l’hôpital de Sarreguemines a appris que son cancer du sein, détecté en 2009, était reconnu comme maladie professionnelle par le conseil médical de Moselle. La fin d’un long combat pour la retraitée, qui a mis en lumière la dangerosité du travail de nuit : Martine avait effectué des gardes durant vingt-huit ans.

Cette reconnaissance est venue confirmer le lien entre rythme de travail et apparition de tumeurs, évoqué par de nombreuses études. « Le Centre international de recherche sur le cancer estime que le travail de nuit a un effet cancérigène probable », confirme Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers.

En cause notamment, le bouleversement des horaires de sommeil et d’activité, qui vont perturber les rythmes circadiens – l’horloge interne. « Notre profession est sérieusement touchée par cette problématique », poursuit M. Amouroux. La décision en Moselle pourrait faire boule de neige. De nombreuses salariées touchées par la même pathologie prennent aujourd’hui contact avec la CFDT Mineurs de Lorraine, qui a accompagné Martine dans son combat.

Le cancer du sein fait partie de la longue liste des « risques santé » avérés ou probables, liés aux horaires de travail atypiques. Problèmes cardiovasculaires, diabète, perturbations hormonales, prise de poids, troubles psychiques… Le travail de nuit, posté, du soir ou encore d’astreinte, a des effets délétères sur l’organisme. En désynchronisant notre horloge biologique, en accumulant dans le même temps une dette chronique de sommeil, les salariés exposent leur santé.

Stress et irritabilité

En parallèle, leur efficacité est réduite durant leur activité. La fatigue affecte la concentration, la vigilance, tout comme elle peut favoriser stress et irritabilité. « Au sein des entreprises, on note, en conséquence, un risque d’accident plus élevé, mais aussi une augmentation de l’absentéisme, indique Philippe Cabon, enseignant-chercheur à l’université Paris Cité. Autre problématique : le présentéisme. Des salariés se rendent au travail dans un état de santé dégradé, ce qui va entraîner une baisse de la productivité et davantage d’erreurs dans l’exécution des tâches. »

Ces phénomènes sont observés avec d’autant plus d’attention que le recours aux horaires atypiques augmente. « Nous sommes entrés dans une société “24/7” qui met à distance l’alternance jour-nuit, résume M. Cabon. Cela concernait auparavant essentiellement le secteur des transports et l’industrie. Les services sont désormais de plus en plus touchés : l’amplitude horaire des magasins augmente, des astreintes se mettent en place la nuit, dans l’informatique par exemple… »

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L’open access, un risque pour les recruteurs

Carnet de bureau. Les recruteurs doivent être très prudents dans leurs recherches en ligne. S’ils réfléchissent aujourd’hui aux moyens d’optimiser leur quête de la « perle rare », voire du « mouton à cinq pattes », grâce aux nouvelles possibilités offertes par l’intelligence artificielle (IA), une récente décision de la Cour de cassation leur rappelle que tous les moyens ne sont pas bons et, en premier lieu, que les données personnelles n’appartiennent qu’à leur propriétaire.

Un arrêt de la Cour de cassation du 30 avril vient en effet de casser l’appel de la condamnation d’un détective à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende pour avoir collecté des données à caractère personnel libres d’accès sur Internet, mais de manière déloyale.

Cet arrêt est le dernier épisode de l’affaire dite d’« espionnage des salariés d’Ikea », qui avait abouti, en 2021, à une condamnation de 1 million d’euros d’amende pour la filiale française de l’entreprise de meubles suédoise et à des peines d’emprisonnement pour treize de ses dirigeants. L’enseigne avait alors mis en place, dans plusieurs de ses magasins, un système d’enquête de ses salariés et des candidats à l’embauche dans les années 2000 puis dans les années 2010.

Dans sa procédure d’appel, le détective incriminé se défendait du caractère « déloyal » de la collecte de données personnelles, puisqu’en réponse à la demande de la société commanditaire, il avait recensé « des informations rendues publiques par voie de presse ou des informations diffusées publiquement par une personne sur un réseau social (données en open source) ».

« A l’insu des personnes concernées »

Ses recherches concernaient des informations telles que des antécédents judiciaires, des renseignements bancaires et téléphoniques, des véhicules, des propriétés, la qualité de locataire ou de propriétaire, la situation matrimoniale, la santé, le déplacement à l’étranger. Un profilage qui allait bien au-delà des informations échangées habituellement lors d’un entretien d’embauche.

Googliser une future recrue n’est toutefois pas interdit, mais la transmission de ses informations au responsable des ressources humaines est précisément encadrée et les données doivent être « collectées et traitées de manière loyale et licite », précise la loi informatique et libertés. C’est sur ce point que s’est prononcé la Cour de cassation, qui a qualifié le moyen de collecte de « déloyal dans les rapports employeur-employé ».

Toutes les informations des salariés étaient certes issues de sites publics, tels que des sites Web, des annuaires, des forums de discussion, des réseaux sociaux, des sites de presse régionale, comme le prévenu l’a lui-même exposé lors de ses interrogatoires, mais elles « ont fait l’objet d’une utilisation sans rapport avec l’objet de leur mise en ligne et ont été recueillies à l’insu des personnes concernées, ainsi privées du droit d’opposition institué par la loi informatique et libertés », précise l’arrêt du 30 avril.

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Les studios d’animation Pixar licencient 14 % de leur personnel pour se concentrer sur les films

Le licenciement de 175 personnes – soit 14 % des effectifs – des studios d’animation Pixar, filiale de Disney, a débuté mardi 21 mai. Le nombre de ces limogeages est inférieur à ce qui avait été initialement anticipé lorsque le géant du divertissement, au début 2024, avait expliqué vouloir réduire les coûts de Pixar.

Dans un courrier interne consulté par The New York Times, le président de Pixar, Jim Morris, a expliqué aux employés que le studio souhaitait « se concentrer de nouveau sur les films ». Pixar, longtemps intouchable dans la galaxie Disney, s’est retrouvé en difficulté après l’échec de Buzz l’Eclair, un film sorti en 2022, qui se concentrait sur l’un des personnages principaux des films Toy Story. Il n’avait généré finalement que 226 millions de dollars (208 millions d’euros) au box-office, pour un budget de 200 millions de dollars.

L’année suivante, Elementaire avait également déçu, avec un peu moins de 500 millions de dollars de revenus au box-office, pour un budget sensiblement identique. Dans le même temps, Pixar a produit plusieurs séries animées afin de renforcer l’offre de Disney+, lors du lancement de la plate-forme, telles que Cars : sur la route, issue de la trilogie éponyme, ou Bienvenue chez Doug, qui met en scène le chien du film Là-haut.

L’enquête (2015) | Pixar, une compagnie monstre

Le streaming enfin bénéficiaire

Le studio espère retrouver le succès avec la sortie de Vice-versa 2, qui permettra au spectateur de suivre de nouveau les tribulations des émotions de Riley, devenue adolescente, puis Elio, l’histoire d’un petit garçon en mal d’intégration dans son école qui se retrouve ambassadeur de la Terre auprès de civilisations extraterrestres, prévu pour 2025.

Disney s’est lancé dans une chasse aux coûts tous azimuts en 2023, avec le retour aux commandes de son ancien patron, Bob Iger, entraînant le licenciement de plus de 8 000 personnes – principalement dans ses branches médias, dont Disney+.

Sur le deuxième trimestre de son exercice décalé, le groupe a annoncé que, pour la première fois, son service de streaming générait des bénéfices, après n’avoir connu que des pertes depuis son lancement en 2019.

Le bénéfice net de Disney est cependant tombé à 216 millions de dollars, contre 1,5 milliard sur la même période en 2023, principalement du fait de la dépréciation d’actifs et malgré une production de son chiffre d’affaires.

Le Monde avec AFP

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Réforme de l’assurance-chômage : le groupe LIOT contre-attaque par une proposition de loi

Bertrand Pancher, le président du groupe parlementaire Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, à Paris, le 19 décembre 2023.

La riposte contre la réforme de l’assurance-chômage se met en place sous une forme inédite. Mardi 21 mai, des députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) devaient tenir une conférence de presse avec les dirigeants des cinq principaux syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) pour présenter une proposition de loi « visant à protéger le modèle » d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Le texte cherche clairement à entraver le projet de l’exécutif qui veut rendre plus sévères les conditions dans lesquelles les allocataires seront pris en charge, à partir du 1er juillet.

« L’idée de cette proposition de loi a émergé quand nous avons découvert que le gouvernement voulait, de nouveau, toucher à l’assurance-chômage, alors que nous avons voté des dispositions sur le sujet en décembre 2022 », explique Bertrand Pancher. Le président du groupe LIOT et député de la Meuse fait allusion à la loi pour le plein-emploi, qui a introduit, il y a presque un an et demi, la notion de « contracyclicité » de l’assurance-chômage : quand la conjoncture est bonne, les modalités d’octroi d’une prestation deviennent plus strictes, et elles sont, à l’inverse, assouplies lorsque l’activité se dégrade.

« Aujourd’hui, on apprend qu’il est question de durcir encore les choses, par voie de décret, alors que le chômage, après avoir un peu remonté en 2023, ne baisse plus », fustige M. Pancher, en mettant en exergue l’incohérence du pouvoir en place. C’est pourquoi la proposition de loi prévoit de supprimer le principe de contracyclicité, « dont la logique est déjà remise en cause » par l’exécutif.

« Faire œuvre utile »

Le texte du groupe LIOT entend aussi mettre fin au « document de cadrage » gouvernemental, créé en 2018 pour baliser les négociations que le patronat et les syndicats engagent, périodiquement, afin de redéfinir les normes du régime d’indemnisation. Ce système de feuille de route imposée par l’Etat aux partenaires sociaux est trop directif aux yeux de M. Pancher. Il suggère donc de le remplacer par un « document d’orientation, moins contraignant », dans l’objectif de « renouer avec le paritarisme originellement au cœur de notre modèle ».

Pour le député de la Meuse, c’est l’occasion de rappeler « le fil conducteur » de son groupe : « Le respect des corps intermédiaires et du dialogue social. » « Le gouvernement doit comprendre qu’il ne peut pas tout décider tout seul », considère Martine Froger, rapporteuse de la proposition de loi et députée (LIOT) de l’Ariège. Elle rappelle que les organisations d’employeurs et de salariés avaient trouvé un accord pour de nouvelles règles en novembre 2023 : « La logique voudrait qu’on le respecte. »

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« Dans l’aide à domicile, deux histoires s’entremêlent : la domesticité et le médico-social »

Enseignant-chercheur en économie à l’université de Lille, et auteur, avec Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant du livre Aide à domicile, un métier en souffrance (Editions de L’Atelier, 2023), François-Xavier Devetter revient sur la construction du secteur et les logiques opposées qu’elle a mises en concurrence.

Dans votre ouvrage, vous parlez d’un secteur qui ressemble à un « château de cartes » et ne tient que sur l’engagement des professionnelles. D’où cette structuration complexe et fragile vient-elle ?

La définition même du secteur de l’aide à domicile est très ambiguë, car deux histoires s’y entremêlent, celle de la domesticité et celle du médico-social. Cela remonte aux années 2000. D’un côté, l’allocation personnalisée d’autonomie (2001) va permettre à toute personne âgée qui en a besoin d’avoir accès à un accompagnement. De l’autre, la loi de modernisation de l’action sociale (2002) situe l’aide à domicile dans le champ médico-social. Les associations sont soumises à autorisation et à tarification. Ce sont deux vraies avancées dans la structuration du secteur, avec une volonté de professionnaliser les salariées, par la création du diplôme d’auxiliaire de vie. C’était à peu près cohérent.

Mais cette politique est complètement balayée par la loi Borloo sur les services à la personne en 2005, qui a ouvert ce champ du médico-social aux entreprises et à la concurrence. La Belgique ou la Suède ont au contraire fait très attention à écarter les services pour les seniors des services à la personne.

Quelles ont été les conséquences de cette ouverture au secteur commercial ?

On est face à deux logiques opposées. L’objectif du plan Borloo, c’est, dans un contexte de chômage fort, de créer de l’emploi non qualifié rapidement. Il faut répondre à une demande solvable, réaliser des tâches domestiques à la place de clients qui ont les moyens. Ce qui définit l’activité, c’est le lieu. Les aides à domicile s’y retrouvent mêlées aux femmes de ménage, aux jardiniers, aux baby-sitters, au soutien scolaire.

Cela n’a rien à voir avec la logique médico-sociale, définie d’abord par le public auquel on s’adresse – des personnes vulnérables – et par la réponse à un besoin, ce qui rapprochait davantage ce secteur du monde de la santé.

Dans une logique de rentabilité, ce qui compte c’est de faire des tâches précises en peu de temps. Dans une logique de réponse aux besoins, bien s’occuper d’une personne vulnérable c’est, au contraire, prendre le temps de ne pas la brusquer, d’être à son écoute. Les pouvoirs publics n’ont jamais tranché entre ces deux modèles.

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Aides à domicile : à Boulogne-Billancourt, un espace partagé pour « souffler un peu », manger chaud, se rencontrer

Parquet, grandes baies vitrées, tables en pin clair, fauteuils en osier, canapés confortables en velours de couleur… L’endroit ressemble à l’un de ces espaces de coworking à la mode. Sauf qu’ici, on ne partage pas le lieu de travail, mais le temps de repos : Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) a aménagé ces 300 mètres carrés pour les salariés qui travaillent dans la ville en « horaires discontinus », avec de larges plages de temps libre, non rémunéré, entre deux vacations.

Lors de la visite du Monde, une dizaine de personnes s’y côtoient dans une ambiance chaleureuse. Des femmes, aides à domicile pour la plupart, qui ont fini leur tournée du matin, et ont deux ou trois heures à attendre avant celle du soir. Moureen (les intervenantes n’ont pas donné leur nom de famille), 37 ans, retire ses chaussures avant de s’allonger faire une sieste – il y a plusieurs transats pour cela. Dans la cuisine comme neuve, Mimi réchauffe les restes de riz et de poulet de son dîner de la veille : « Ça me permet d’économiser le prix d’un sandwich ou d’un plat à emporter. » Installée à une table, Marceline (le prénom a été changé), 63 ans, feuillette Le Nouveau Détective et Ici Paris. Colette, 56 ans, est en longue conversation téléphonique, connectée au Wi-Fi.

Elles travaillent pour un ou plusieurs employeurs auprès d’une dizaine de personnes âgées dépendantes qu’elles doivent lever, laver, nourrir, emmener en promenade ou faire leurs courses, et, le soir, faire dîner et « mettre au lit ». Des interventions qui demandent une disponibilité aux deux extrémités de la journée.

Louise Bot Ba Njock est auxiliaire de vie et garde d’enfant. Elle vit en Seine-et-Marne et n’a donc pas le temps de rentrer chez elle entre deux services à la personne. A Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), le 17 mai 2024.

« Ça te prend toute la journée »

Leurs plannings témoignent d’une énorme amplitude horaire : elles commencent parfois à 7 ou 8 heures pour finir après 19 ou 20 heures. Avec, au milieu, une coupure plus ou moins longue. « Certains jours, je travaille jusqu’à 14 heures, mais je n’ai plus rien avant 18 heures », raconte l’une d’entre elles. « Moi, ce matin, j’avais une heure, de 8 h 30 à 9 h 30, puis je reprends de 15 heures à 19 heures, explique une autre. Parfois, tu as trois heures de travail payées, mais ça te prend toute la journée ! »

Selon les chiffres de la direction des statistiques et de la recherche du ministère du travail, relevés dans le livre Aide à domicile, un métier en souffrance (François-Xavier Devetter, Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant, Ed. de l’Atelier, 2023), « lorsqu’on rapporte le temps décompté comme travail effectif à l’amplitude de leur journée de travail, on s’aperçoit qu’il représente moins de 57 %, contre 84 % pour l’ensemble des salariés. Autrement dit, la journée d’une aide à domicile n’est payée qu’à hauteur de deux tiers de sa durée ».

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Sous-financement structurel, précarité des emplois et pénuries de personnel : le secteur de l’aide à domicile est à bout

Anne Lyse, aide à domicile, chez sa cliente, à Arras, le 16 mars 2023.

« Anticiper la canicule, on sait faire. Trouver comment gérer les congés des professionnelles qui accompagnent les personnes âgées, c’est ça notre vrai problème ! », lance Vincent Vincentelli, de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), pour résumer la pénurie de personnel à laquelle sont confrontées les 630 structures de cette fédération associative. « Il manque 60 000 salariés à l’ensemble du secteur », calcule Franck Nataf, président de la Fédération française de services à la personne et de proximité (Fedesap).

« Dramatique », « en détresse », « en souffrance », « au bout du bout » : voilà comment employeurs, salariés et chercheurs décrivent la situation de l’aide à domicile. Et ce, alors que, les Français souhaitant vieillir chez eux, les besoins d’accompagnement au domicile devraient augmenter de 20 % d’ici à dix ans et de 60 % d’ici à trente ans.

L’alerte a pourtant été donnée par tous les rapports consacrés au secteur depuis dix ans, et ils sont nombreux. Celui publié le 29 mars par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) évoque des « situations de grande tension » pouvant conduire « à maintenir des personnes chez elles dans des conditions dégradées, et à reporter la charge sur le système hospitalier et les familles ». Nous faisons face, écrit l’IGAS, à « un enjeu capacitaire et RH majeur ».

Conséquences de cette pénurie, les personnes dépendantes ne peuvent mettre en place leur plan d’aide, et les prestataires sont économiquement fragilisés. En 2022 (derniers chiffres disponibles), 22 % des adhérents de l’UNA avaient des fonds propres négatifs et « 70 % des autres, des trajectoires déficitaires ».

Mais peut-on encore s’étonner que les aides à domicile (95 % sont des femmes) se détournent d’un métier classé par France Stratégie parmi « les moins favorisés de l’ensemble des familles professionnelles », avec « un revenu salarial annuel net de 11 233 euros, soit près de 9 000 euros de moins que la moyenne », une proportion importante de CDD et de temps partiel, et « de fortes contraintes horaires »… ?

Car le métier demande une disponibilité aux extrémités de la journée pour lever, laver, nourrir et/ou coucher les personnes dépendantes. Entre les deux, les heures jugées « improductives » ne sont pas rémunérées. « Un peu comme si on ne payait un vendeur que lorsqu’un client est présent dans la boutique », souligne François-Xavier Devetter, enseignant-chercheur en économie à l’université de Lille, auteur, avec Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant, d’Aide à domicile, un métier en souffrance (Editions de L’Atelier, 2023).

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Ces prêts immobiliers aidés dont vous pouvez peut-être bénéficier

Prêt sans intérêts, ou à taux bonifié : plusieurs solutions existent pour emprunter à des conditions plus avantageuses. Des dispositifs qui permettent de faire baisser le coût total du crédit.

« La banque octroyant le prêt principal tient compte de l’ensemble des prêts aidés complémentaires dont bénéficie le client pour calculer le taux d’endettement, qui doit généralement rester inférieur à 35 % », souligne Roselyne Conan, directrice générale de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL), dont la mission est d’informer le grand public sur les questions du logement à travers ses antennes départementales, les ADIL.

Le prêt à taux zéro (PTZ)

Réservé aux ménages modestes et intermédiaires achetant leur première résidence principale, le PTZ a été réformé en avril 2024. Il a été recentré sur le financement des appartements neufs en zone tendue ou de logements anciens avec travaux en zone détendue. Il ne permet donc plus de financer une maison individuelle neuve.

Financé par l’Etat, le PTZ est sans intérêts pour l’emprunteur, et doit être remboursé sur dix à vingt-cinq ans, après une période de différé de remboursement de dix ans maximum. « Il peut financer entre 20 % et 50 % du montant total de l’opération », détaille Aurane Sérot, chargée d’études juridiques principale de l’ANIL.

En pratique | Article réservé à nos abonnés Qui peut bénéficier du nouveau prêt à taux zéro ?

Le prêt accession d’Action Logement

Pour acheter leur première résidence principale, les salariés d’une entreprise du secteur privé non agricole de dix salariés et plus peuvent bénéficier du prêt accession d’Action Logement à 1 %. Il est plafonné à 30 000 euros et doit être remboursé sur vingt-cinq ans maximum. Ce dispositif est soumis à des conditions de ressources.

Par exemple, pour en bénéficier en zone A, une des zones les plus tendues, un couple sans enfants doit avoir un revenu fiscal de référence (indiqué sur l’avis d’imposition) de 64 976 euros maximum. On peut bénéficier du prêt accession pour financer l’achat d’un logement ancien vendu par un organisme de logement social.

A savoir : certaines entreprises proposent par ailleurs à leurs salariés de prendre en charge tout ou partie des intérêts de leur crédit, sous conditions, en passant par Sofiap, une banque filiale de La Banque postale et de la SNCF.

Les offres des collectivités territoriales

Certaines collectivités locales accordent des prêts ou des subventions de quelques milliers d’euros pour aider les emprunteurs de leur territoire à devenir propriétaires. Mais les banques locales ne sont pas toujours bien informées sur ces offres. « Pour connaître ces aides et leurs modalités d’attribution, il faut se renseigner auprès de l’ADIL », conseille Mme Conan.

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Comment le système scolaire est devenu dépendant des heures supplémentaires

Les 29 et 30 avril, un début de panique a traversé les collèges et les lycées. Le temps de quarante-huit heures, avant que le ministère de l’éducation nationale ne fasse volte-face, plusieurs rectorats ont gelé des enveloppes d’heures supplémentaires dont disposent les établissements en vue de les réduire. « Catastrophe », « amputation », « paralysie »… Derrière les mots alors employés par les chefs d’établissement pour évoquer les conséquences de cette décision – prise dans le cadre du plan d’économies budgétaires de 10 milliards d’euros dont 683 millions pour la Rue de Grenelle – transparaît l’importance qu’ont prise les heures additionnelles demandées aux enseignants dans le fonctionnement de l’éducation nationale.

Le volume des heures supplémentaires dans le second degré – dont il existe différents types, et dont seule une petite partie était concernée par les coupes budgétaires – va croissant depuis des années sous les effets conjugués du manque d’enseignants et de choix gouvernementaux dans la mise en œuvre des politiques éducatives. Jusqu’à atteindre des niveaux inégalés. Jamais, depuis au moins quarante ans sur lesquels les chiffres sont disponibles, les professeurs n’en ont fait autant qu’en 2023.

« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas des heures en bonus. Sans elles, aucun établissement ne peut assurer tous ses cours ni faire vivre les dispositifs d’accompagnement », résume Julien Giovacchini, principal d’un collège dans le Pas-de-Calais et secrétaire général adjoint du syndicat ID-FO.

A rebours de la démographie des élèves

La courbe doit, avant tout, sa pente ascendante au principal contingent d’heures supplémentaires : les « heures supplémentaires année » (HSA), ces heures de cours faites chaque semaine par un enseignant du secondaire en sus de ses obligations de service hebdomadaires (dix-huit heures de cours pour les certifiés, quinze pour les agrégés). En 2023, les enseignants du public en ont assuré 620 000 par semaine, un niveau jamais atteint. C’est 38 % de plus qu’en 2002, 17 % de plus qu’en 2018.

Les HSA ont toujours été indispensables au système éducatif pour répondre aux besoins des établissements, qui ne concordent pas à l’heure près avec les obligations de service des professeurs. Mais leur poids grandissant montre qu’elles ne sont plus une simple variable d’ajustement. « Les HSA peuvent aussi compenser un déficit d’enseignants, lié à un décalage entre les recrutements et l’évolution des effectifs d’élèves, ou aux pénuries aux concours de recrutement », explique Clémence Cardon-Quint, professeure des universités en histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III, autrice d’un ouvrage à paraître sur la fabrique du budget de l’éducation nationale dans la seconde moitié du XXe siècle.

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