Horaires décalés, sommeil atrophié : « Je suis perpétuellement fatiguée et désespérément attirée par le sucre »

Il est 8 heures du matin, et Juliette (des témoins ont requis l’anonymat) enfile son pyjama. La trentenaire vient d’achever sa garde dans le service de réanimation d’un hôpital parisien. D’un geste, l’infirmière tire les rideaux de sa chambre à coucher pour garantir l’obscurité la plus totale. Sous la couette, elle s’équipe de bouchons d’oreille, met son téléphone en mode avion et attend que le sommeil l’emporte. Mais le marchand de sable a fermé boutique. « Il me faut parfois 45 minutes pour m’assoupir, se désole-t-elle. Ça me rend dingue car je pique du nez dans le RER, mais, une fois dans mon lit, ça ne vient pas. »

Pendant cette attente agaçante, la jeune femme se retient de penser aux rayons du soleil qui chauffent les vitres de son appartement. Se coucher quand il fait beau a des allures de punition. Elle a beau être essorée par les douze heures passées à arpenter les couloirs de l’hôpital, cette mise au lit en plein jour la « déprime infiniment ».

Quand elle parvient à sombrer, Juliette se réveille toujours au bout de deux heures, à l’approche du déjeuner. Elle n’est pas reposée, mais pas capable de somnoler davantage. Alors elle se lève et reprend le fil de son existence, la fatigue accrochée au corps, compagne invisible et envahissante. « Je me sens cassée, gonflée, sans énergie, mais il est impossible pour moi de sacrifier mes journées, sinon mon moral descend en flèche », assure-t-elle.

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Grève à Air Canada : le mouvement massif tourne à l’affrontement avec le gouvernement fédéral

Des personnels navigants d’Air Canada brandissent des pancartes lors de la grève générale pour réclamer de meilleures rémunérations, à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal le 16 août 2025.

Quelques heures après le déclenchement de la grève des quelque 10 000 hôtesses et stewards d’Air Canada, qui a bloqué des centaines de vols depuis vendredi 15 août, le gouvernement fédéral a ordonné samedi 16 août la reprise du travail au nom de la « paix industrielle » et pour « protéger les intérêts du Canada ». La ministre de l’emploi, Patty Hajdu, a déclenché l’utilisation de l’article 107 du code canadien du travail pour forcer un retour au service et éviter un blocage durable du trafic au cœur de l’été. « Ce n’est pas le moment de prendre des risques avec l’économie », a-t-elle martelé en conférence de presse.

Concrètement, elle saisit le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), qui va encadrer la reprise des opérations. Le litige est confié à un arbitre indépendant. Sa décision finale sera contraignante pour Air Canada comme pour le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente le personnel de cabine.

Mme Hajdu présente cette voie comme « la plus stable » pour clore un conflit aux lourdes retombées pour les passagers et les chaînes logistiques. Selon la ministre, plus de 40 % des envois de biens critiques — produits pharmaceutiques et tissus humains, notamment — transitent par Air Canada. D’après les chiffres de la société spécialisée Cirium, citée par l’agence Associated Press, Air Canada a annulé, du fait de la grève, 199 vols vendredi, 671 samedi et prévoyait encore de suspendre 96 vols dimanche 17 août. Cette vague d’annulations a affecté entre 100 000 et 130 000 passagers affectés, dont quelque 25 000 bloqués à l’étranger.

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Télétravail : « Pour le patronat français, la vie personnelle doit être assujettie aux exigences de l’entreprise »

Une petite musique venue des Etats-Unis s’est glissée dans les couloirs des entreprises françaises : « Fin du télétravail, cohésion de groupe, productivité. » Mais ce refrain ne convainc pas les télétravailleurs, qui y opposent leur droit de veto. En octobre 2024, Ubisoft, éditeur de jeux vidéo, a connu la première grève de sa jeune histoire. Près d’un quart des effectifs [entre 700 et 1 000 salariés sur les 4 000 que compte l’entreprise en France] s’est mobilisé pour protester contre le retour forcé au bureau.

Le 3 juillet, c’est la Société générale qui a dû faire face à l’opération « Tous sur site ! », menée par l’intersyndicale CFDT-CFTC-CGT. Initiative qui a conduit à la saturation des locaux. Illustration par l’absurde des contradictions patronales. Les télétravailleurs étaient invités à rejoindre, en nombre, le site de la Défense, dans les Hauts-Seine, incapable d’accueillir 100 % des effectifs. En cause : la réduction des espaces de travail et du loyer, obtenue… grâce au télétravail. De fait, depuis la crise sanitaire, les salariés ont adopté le télétravail pour mieux articuler temps de vie professionnelle et personnelle. Plus exactement : adapter le temps de vie professionnelle au profit de la vie personnelle. Une logique que les directions d’entreprise n’avaient pas prévue et qu’elles rejettent largement.

Le patronat français reste fidèle à une culture d’entreprise dans laquelle la vie personnelle doit être assujettie aux exigences de l’entreprise, et non l’inverse. En novembre 2023, malgré presque quatorze mois de négociations, le Medef, via Business Europe [un lobby qui représente les associations patronales], a ruiné l’espoir d’obtenir une directive européenne sur le télétravail et le droit à la déconnexion. Le texte européen, pourtant soutenu par les employeurs du secteur public, contenait plusieurs avancées majeures, dont la négociation collective avec les syndicats, la garantie du droit à la déconnexion et l’évaluation des risques liés au télétravail.

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Le taux de chômage stable à 7,5 % au deuxième trimestre, selon l’Insee

Dans une agence France Travail de Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne), en avril 2024.

Le taux de chômage en France s’établit à 7,5 % au deuxième trimestre 2025, a rapporté, vendredi 8 août, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui a aussi révisé, de 7,4 % à 7,5 %, le taux du premier trimestre.

Le taux de chômage reste donc « stable », selon l’Insee, qui précise que le nombre de chômeurs – au sens du Bureau international du travail (BIT) – augmente de 29 000 sur le trimestre, à 2,4 millions de personnes. Le taux de chômage de la population active française demeure ainsi « légèrement supérieur » à son point le plus bas depuis 1982, de 7,1 %, et inférieur de 3 points à son pic de la mi-2015.

Ce taux ne prend en compte que les chômeurs qui recherchent du travail et sont immédiatement disponibles sur le marché du travail. Il est calculé sur la base d’une enquête et ses résultats diffèrent des statistiques sur les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail.

Le taux de chômage des jeunes à 19 %

Au deuxième trimestre, le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans diminue de 0,2 point par rapport au premier trimestre, mais reste élevé, à 19 %, et en augmentation de 1,2 point sur un an. Le taux de chômage des seniors de 50 ans et plus reste stable sur le trimestre à 4,8 % et inférieur de 0,2 point par rapport au deuxième trimestre 2024. Celui des 25-49 ans augmente de 0,2 point sur le trimestre et de 0,3 point sur un an à 6,9 %.

Le taux de chômage des femmes est « quasi stable » (− 0,1 point), à 7,3 %, tandis que celui des hommes augmente de 0,2 point, à 7,7 %.

Le halo autour du chômage, constitué des personnes qui souhaitent un emploi mais n’en recherchent pas ou ne sont pas immédiatement disponibles, atteint 1,9 million de personnes, soit 4,4 % de la population des 15-64 ans. Il augmente légèrement sur le trimestre, de 21 000 personnes, mais diminue de 51 000 personnes sur un an.

Enfin, le taux d’emploi continue de progresser, quoique très légèrement, au deuxième trimestre, atteignant 69,6 %, son plus haut historique depuis que l’Insee a commencé à le mesurer en 1975. Il est 0,5 point au-dessus de son niveau du deuxième trimestre 2024.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les ruptures conventionnelles dans le viseur du gouvernement

Le Monde avec AFP

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« Comment puis-je aller mieux au travail si je ne sais pas que je vais mal ? »

« Ça va ? »

– « Ça va. »

Cette question/réponse ponctue les journées de travail, codifiées, où le paraître et le prétendre s’étirent en sourires au passage de la ou du « Chief Happiness Officer », manageur du bonheur dans les organisations. Car oui, la vie organisationnelle est un écosystème social où chacun joue sa partition, incarne un rôle, son rôle.

Au jeu des convenances sociales, il faut montrer son enthousiasme et sa fiabilité, sa loyauté et son engagement au travail. Faire bonne figure, cacher sa triste mine. Montrer qu’on est un sujet équilibré qui ne se laisse jamais déborder par ses émotions, suggérer un état d’ataraxie, cette « absence de troubles » décrite dès l’Antiquité grecque où les émotions et passions s’effacent derrière la quiétude, la sérénité.

Sans se superposer parfaitement avec l’équanimité (l’égalité d’âme, le détachement et l’affectivité calme) et l’euthymie (l’équilibre de l’humeur), elle en partage certains aspects, comme la constance ou encore le fait de ne pas se laisser submerger par les émotions. Dans la mythologie, d’ailleurs, Poséidon, le dieu de la mer, personnifie le monde des émotions. Métaphoriquement, l’ataraxie suppose dès lors de garder la tête hors de l’eau, hors du flot des émotions. De façon anecdotique, l’antihistaminique sédatif Atarax, aux propriétés anxiolytiques modérées et prescrit dans certains cas d’anxiété légère, tire justement son nom de l’ataraxie.

Un contrat social défaillant

Le documentaire The Happy Worker or How Work was Sabotaged (Le fabuleux monde de l’entreprise, ou quand le travail perd son sens, John Webster, 2022) expose certains rouages de la mécanique organisationnelle. Il soulève plusieurs points, notamment celui d’un contrat social défaillant (« tu restes assis ici et racontes des absurdités et je reste ici en silence sans t’écouter en vérifiant ma messagerie électronique ») et d’une perception sociale biaisée (« si tout le monde est heureux, souriant, va bien… pourquoi ne suis-je pas suffisamment capable ? »). Celui du non-sens aussi, émergeant des injonctions et disjonctions quotidiennes, où même en l’absence d’une culture activement toxique, le mal-être guette.

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Chômage : une dégradation limitée derrière une baisse en trompe-l’œil

Une agence France Travail, à Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne), le 23 avril 2024.

Derrière la baisse, il y a, en réalité, un mouvement à la hausse qui se prolonge, à un rythme limité. D’infinies précautions doivent être prises pour analyser l’évolution des effectifs de demandeurs d’emploi : ceux qui n’exercent aucune activité ont vu leur nombre diminuer de 5,7 % au deuxième trimestre par rapport aux trois premiers mois de l’année, se situant désormais à 3,21 millions sur l’ensemble du territoire, selon une publication diffusée, mardi 29 juillet, par le ministère du travail et par l’opérateur France Travail. Mais des changements de règles intervenus depuis début janvier perturbent la construction des chiffres. Si on neutralise leurs effets, la courbe continue son ascension : + 0,2 % de début avril à fin juin, après + 0,8 % au premier trimestre.

Les statistiques sur le marché du travail n’ont jamais été simples à commenter. Elles le sont encore moins avec l’entrée en vigueur (en plusieurs étapes) de la loi pour le plein-emploi de décembre 2023. Le texte apporte plusieurs modifications. D’abord, trois catégories supplémentaires sont systématiquement enregistrées, depuis le 1er janvier, à France Travail : les bénéficiaires du revenu de solidarité active, les jeunes en quête d’un poste qui sont suivis par les missions locales, les personnes handicapées bénéficiant d’un accompagnement du service public de l’emploi.

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Une plateforme pour dénoncer les mauvaises conditions de travail des saisonniers

Dans un restaurant de Carantec (Finistère), le 24 mai 2022.

« Cinquante-quatre heures de travail en huit jours (hors saison), aucun relevé d’heures, une gérante constamment sur mon dos » dans un restaurant corse ; « Le patron m’a remercié pour embaucher son neveu et son copain à ma place sans m’avoir déclaré » dans un restaurant dans l’Hérault ; « Des propos sexistes et misogynes » dans une exploitation de champagne…

Voici les avis que l’on peut lire sur le site Staff-Advisor. Au nom inspiré de l’application touristique TripAdvisor, cette jeune plateforme s’est donné une ambitieuse mission : briser le silence sur les conditions de travail des saisonniers, et donner aux travailleurs et aux employeurs des repères concrets.

« En 2019, j’ai vécu une saison catastrophique dans le Var, tant sur le plan du logement, que de la nourriture… J’ai décidé de partir, et je me suis mis à la place d’un jeune qui viendrait de l’autre bout de la France et serait coincé dans un job comme ça, raconte Christophe Coconas, maître d’hôtel depuis vingt-cinq ans et cofondateur de Staff-Advisor. Ce n’est pas normal que les patrons se passent nos CV, mais que nous ne puissions pas savoir quel patron éviter. » Après avoir connu un succès avec 10 000 utilisateurs et 700 avis, la plateforme s’est arrêtée au moment de la pandémie de Covid-19, avant de renaître en 2025. Pour le moment, on y découvre seulement une soixantaine d’avis, illustration de la difficulté à s’exprimer sur ces sujets.

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