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Yannick Alléno, un chef insatiable

Ici, tous les goûts et tous les coûts sont permis. A l’Alléno Paris, restaurant trois-étoiles installé dans le Pavillon Ledoyen, sur les Champs-Elysées, le client n’est pas roi mais demi-dieu. Vous aimez le turbot ? Le voici sur un lit d’ail, avec une sauce italienne qui rappellera votre voyage à Florence. Avec des cèpes ? On ira les cueillir pour vous en forêt de Fontainebleau et on les servira devant un bouquet d’orchidées jaunes, dont on sait que vous raffolez. Votre vin préféré, un chambertin de 1961 à 3 500 euros la bouteille, aura été ouvert la veille.

Le chef Yannick Alléno, dix-sept restaurants et quinze étoiles Michelin disséminés sur la planète, assure que le client doit rester marqué d’« une empreinte mémorable » en se levant de table. Pas une simple « expérience », mot galvaudé par la concurrence, mais « une trace émotionnelle, affective, qui s’apparente à un spectacle vivant ».

Chaque repas est ajusté sur mesure selon « la conciergerie de table », une liturgie qu’il a inventée et théorisée dans Tout doit changer. Quel ­service pour le grand restaurant ?, publié en janvier 2021 à compte d’auteur. Yannick Alléno annonçait, avec ce concept qui inverse la loi de l’offre et de la demande, rien moins qu’une révolution.

« Dès qu’une table est réservée, j’appelle les gens et j’ai avec eux une conversation très psychologique, explique Fanny Perrot, directrice de salle de l’Alléno. Qui sont-ils ? Est-ce un repas d’affaires, en amoureux, en famille ? Qu’aiment-ils en particulier ? Ont-ils des fleurs préférées ? Puis nous composons le menu en conséquence, sans le dévoiler à l’avance. Cela plaît beaucoup. Les gens se croient uniques, ils sont enchantés. Et pour nous, en cuisine comme au service, tout devient simple puisque tout est prévu à l’avance. »

Plus de gaspillage, de turbots invendus et de plats renvoyés en cuisine. Plus de coups de feu de 21 heures, quand les troupes sont déjà fatiguées. Fini aussi les commentaires rageurs qui démotivent la brigade. Sur le site TripAdvisor, les clients se félicitent de leur goût original. Le Pavillon Ledoyen, avec trois restaurants (Alléno Paris, L’Abysse, un restaurant de sushis, et Pavyllon, un « comptoir gastronomique ») et cinq étoiles cumulées, est le fief de Yannick Alléno, ce grand brun de 54 ans aux cheveux drus, à la mâchoire carrée et au regard noir, le cœur du réacteur d’une ambition : sauver et rénover la gastronomie française.

La conversion au luxe

Yannick Alléno est en ébullition permanente, « en avance de dix ans sur tout le monde, admire Gérard Bardin, son chef exécutif depuis une quinzaine d’années. Il invente sans arrêt, c’est mon guide spirituel. » Innover, avancer, investir… « Sans cela, la gastronomie française disparaîtra », prévient Yannick Alléno, un millier d’employés à travers le monde sous sa bannière étoilée. Le quinquagénaire porte beau dans sa veste de cuisine brodée, tout droit tombée de « Top Chef », l’émission de M6 où il a son rond de serviette depuis 2011.

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« L’assurance-chômage est une ressource budgétaire trop précieuse pour être supprimée »

Vouloir réformer l’assurance-chômage est toujours un exercice difficile. Tailler dans les droits se révèle en revanche une tâche beaucoup plus facile à justifier avec quelques fausses évidences, et toujours payante. Mais pourquoi, dans ces conditions, ne pas aller au bout de cette « logique » et supprimer l’assurance-chômage : le plein-emploi ne serait-il pas atteint plus vite ?

Pour le moment, il n’y a pas de refonte générale du système, mais plutôt une politique de grignotage des droits qui concerne les modalités d’indemnisation des seniors. Le ministre de l’économie veut en effet réduire à dix-huit mois la durée potentielle d’indemnisation des seniors, soit une coupe de 30 % qui s’ajouterait à la baisse de 25 % décidée il y a moins d’un an. Peu importe que 40 % des allocataires de l’assurance-chômage aient moins de 35 ans, et 85 % moins de 55 ans.

Considéré comme trop généreux par Bercy, le régime d’assurance-chômage est rendu responsable du faible taux d’emploi des seniors. Las ! c’est prendre le problème par le mauvais bout. Aujourd’hui, les seniors sont victimes d’une double discrimination, à l’emploi et à l’embauche. Si les seniors conservaient leur emploi, ou en retrouvaient un facilement, ou bien si, licenciés, ils recevaient des offres d’emploi « raisonnables », ils n’utiliseraient pas ou pas longtemps leurs droits à l’assurance-chômage, et n’auraient pas parmi tous les chômeurs la plus faible probabilité de retour à l’emploi. Or, bien que ces discriminations soient clairement établies, aucune politique publique n’est mise en œuvre pour les combattre.

Une épargne de précaution

Il faut ensuite rappeler que l’assurance-chômage est une épargne de précaution. Mutualisée, elle est très redistributive et très efficace économiquement, pour les individus et les entreprises. Comme les autres chômeurs, les seniors n’y sont éligibles qu’après avoir cotisé et perdu involontairement leur emploi. Le risque de chômage est à la fois pour eux moins fréquent mais plus grave, car bien souvent sans rémission. Ses conséquences sont d’autant plus sensibles que les seniors ont en général contribué pendant de nombreuses années, donc payé cher cette assurance.

A 60 ans, un senior qui n’a jamais connu le chômage a contribué environ quarante ans, donc environ quarante mois de salaire net, soit l’équivalent de plus de soixante mois d’allocations. Réduire les droits potentiels à dix-huit mois, moins 50 % en un an, revient à taxer de 50 % l’épargne de précaution des chômeurs : qui oserait un tel impôt sur les Livrets d’épargne populaire (LEP) ou les Livrets A sous prétexte d’incitation à l’emploi ? La logique n’est pourtant pas différente.

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Est-ce que l’algorithme des CAF pénalise les plus vulnérables ? Comprendre en trois minutes

La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), l’organisme qui coiffe toutes les CAF, dispose de 700 agents assermentés pour vérifier la situation des 13,8 millions de foyers français bénéficiaires d’aides. Avec un ratio d’un contrôleur pour 20 000 foyers environ, sa marge d’action est limitée. Elle a donc conçu un algorithme censé déterminer les profils d’allocataires risquant le plus de commettre des erreurs ou de frauder, dont elle a généralisé l’utilisation à partir de 2010.

Une enquête du Monde en partenariat avec le collectif de journalistes Lighthouse Reports révèle que ce programme pénalise les allocataires les plus vulnérables, comme les mères célibataires, les personnes en situation de handicap ou encore les étudiants en alternance. La CNAF, dont la mission est d’apporter un soutien aux familles dans leur vie quotidienne, semble aujourd’hui contribuer à la discrimination de ces foyers. Nos explications dans cette vidéo de trois minutes.

Pour une analyse plus approfondie du sujet, nous vous invitons à consulter l’enquête ci-dessous.

« Comprendre en trois minutes »

Les vidéos explicatives qui composent la série « Comprendre en trois minutes » sont produites par le service Vidéos verticales du Monde. Diffusées en premier lieu sur les plates-formes telles que TikTok, Snapchat, Instagram ou Facebook, elles ont pour objectif de remettre en contexte les grands événements dans un format court et de rendre l’actualité accessible à tous.

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Salaires : dans les grandes entreprises, les jeunes diplômés ont la cote

Oublié, la peur du chômage, les lettres de candidature demeurées sans réponse, les stages à rallonge payés au lance-pierre… Du moins, pour les jeunes les plus favorisés. Du fait de la pénurie de personnel qualifié, les nouveaux diplômés peuvent élever leurs exigences, et cela vaut notamment pour les rémunérations. En atteste l’enquête 2023 de la division capital humain du groupe WTW, menée auprès de 12 300 jeunes diplômés bac + 2 à bac + 5 depuis moins de deux ans et travaillant dans un panel de soixante-trois grandes entreprises.

Le salaire annuel brut médian des plus favorisés, à savoir les bac + 5 toutes filières confondues, progresse de 7 %, à 42 000 euros cette année. « C’est plus que l’inflation prévue (+ 5,8 %, selon l’Insee) et que ce qu’ont perçu l’ensemble des cadres (+ 4,1 %). Les jeunes diplômés voient donc leur pouvoir d’achat réel augmenter en dépit de l’inflation », relève Radia Rafil, consultante senior en rémunération et avantages sociaux chez WTW.

Certains secteurs offrent même des progressions supérieures à cette moyenne de 7 %. Recrutée par un géant américain de l’informatique sur un poste commercial en 2021 à l’issue de sa période d’alternance, Louise (tous les prénoms ont été modifiés) ne regrette en rien son choix : cette jeune diplômée d’une école de commerce a vu en deux ans son salaire fixe brut augmenter de 20 %, pour approcher les 60 000 euros, sans compter le variable. « On est autonomes et bien payés, mais il faut fournir des résultats », résume la jeune femme, par ailleurs régulièrement sollicitée par des cabinets de recrutement.

Pénurie de compétences

Même scénario pour Violette, une ingénieure qui a commencé sa carrière en 2022 dans le conseil : les missions « pas assez techniques » ne l’enthousiasmaient guère, ce qui l’a amenée à demander, au grand étonnement de son employeur, la prolongation de sa période d’essai. Ceci afin de pouvoir partir sans préavis : « J’ai vite trouvé le poste qui me correspondait à la Société générale. La banque m’a proposé + 30 % par rapport à mon emploi précédent, soit davantage que ce que j’avais demandé lors de l’entretien d’embauche. »

Outre le secteur d’activité et le métier, le classement de l’école continue d’influer sur la rémunération. L’enquête WTW constate 13 % d’écart, soit 5 000 euros par an, entre un jeune diplômé issu d’une école de commerce de premier rang (43 000 euros) ou de troisième rang (38 000 euros). Mais les différences tendent à s’écraser vers le bas du classement, qu’il s’agisse d’écoles d’ingénieurs ou de commerce, « car il est plus facile de justifier un écart entre les formations de tête et le reste du peloton », explique Radia Rafil.

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« Que les normes européennes soient présentes dans un référentiel mondial transformant le fonctionnement des marchés financiers, et vice versa, est un succès commun »

Deux facteurs sont nécessaires pour réussir l’indispensable transition écologique et sociale. D’une part, des politiques publiques ambitieuses, aussi globales que possible, aux objectifs clairs et reposant sur des mécanismes incitatifs. D’autre part, la transformation des marchés financiers, par essence mondiaux, intégrant désormais dans leur langage comptable les risques et les opportunités liés à ces transitions, de sorte qu’ils puissent exercer leur fonction de financement de la transformation de l’économie en y allouant les capitaux par le mécanisme des prix. Si ces deux conditions sont réunies, marchés financiers et politiques publiques formeront une alliance puissante au service de la transition.

La directive européenne sur le reporting de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD) propose une vision politique de cette transition. Lancée dans l’enthousiasme du Pacte vert de la Commisssion européenne, elle a résisté à la crise de la pandémie, à des conflits géopolitiques, au retour de l’inflation. Il aura fallu pour ses artisans de la vision, de la détermination et du leadership. La fenêtre d’opportunité dans laquelle la CSRD a pu devenir une réalité était étroite.

La tribune que j’ai publiée dans ces colonnes le 10 octobre a suscité beaucoup de réactions et de questionnements. J’y évoquais ce que les spécialistes savent : les effets systémiques du reporting à l’ensemble des parties prenantes mettront beaucoup de temps à se faire sentir et la transition ne peut attendre. La matérialité économique, sur laquelle l’International Sustainability Standards Board (ISSB) se focalise, et qui est présente dans la CSRD, est donc une fondation indispensable. Son ancrage dans l’ADN même du marché financier est le véritable gage de pérennité de la CSRD face aux aléas politiques. Mon propos n’est pas de mettre en cause l’ambition de la « double matérialité », mais de la remettre en perspective.

Nous gagnerions donc à cesser d’opposer ces approches car l’une est le socle de l’autre, d’autant plus que la norme fondamentale de l’ISSB a entre-temps fait bouger des frontières et ouvert la voie à une vision régénératrice de l’économie au niveau global : « L’entreprise et ses ressources et relations tout au long de sa chaîne de valeur forment ensemble un système interdépendant (…), ce qui contribue à leur préservation, leur régénération et leur développement, ou à leur dégradation et leur épuisement. (…) Sa capacité à créer de la valeur pour elle-même est inextricablement liée à la valeur qu’elle crée, protège ou érode pour les autres. »

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« Alors que nos modèles économiques mettent en péril l’habitabilité de la planète, de quoi l’entreprise doit-elle être comptable ? »

Loin d’être un enjeu strictement technique, la nouvelle directive européenne de reporting extrafinancier CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) pose avant tout une question politique. Alors que nos modèles économiques mettent en péril l’habitabilité de la planète, de quoi l’entreprise doit-elle être comptable ? Au-delà du pilotage financier de l’entreprise, la comptabilité révèle ce que la société s’accorde à valoriser. La définition de ces règles est un enjeu politique majeur.

Le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », rendu au gouvernement en 2018, le pointait déjà : pour tenir effectivement compte des enjeux sociaux et environnementaux en économie, une évolution des normes comptables est indispensable. En installant de nouvelles normes de reporting, la CSRD va justement obliger les entreprises à rendre compte de leur contribution au bien commun dans leurs publications annuelles.

Les débats sur la manière de s’y prendre se cristallisent autour d’un thème : la double matérialité. Issue du secteur de l’audit, la notion de matérialité représente le seuil au-delà duquel des erreurs comptables peuvent avoir un impact significatif sur la vérité des comptes audités. En comptabilité, dire d’une information qu’elle est matérielle, c’est donc tout simplement dire qu’elle est importante.

Changer de paradigme

Voilà tout le sujet du débat : qu’est-ce qui est important ? Jusqu’ici, cette matérialité portait exclusivement sur les aspects financiers. La nouvelle directive européenne y ajoute une dimension extrafinancière : une double matérialité, qui intégrera les impacts négatifs ou positifs significatifs de l’entreprise sur l’environnement social et environnemental. Sans surprise, c’est bien là que ça coince : il s’agit de changer de paradigme pour réguler l’économie.

Les tenants de la matérialité simple revendiquent l’autorégulation du marché basée sur la bonne volonté des acteurs, à condition qu’ils intègrent dans leurs risques et opportunités les facteurs climatiques. Ils doutent de la faisabilité et de la pertinence de la double matérialité. Selon eux, un monde à + 5 °C serait devenu suffisamment mauvais pour les affaires pour que les acteurs transfèrent sans contrainte leurs investissements vers des activités durables…

Certes, ces nouvelles normes demandent un temps d’adaptation, mais elles sont tout simplement indispensables. La communauté scientifique le rappelle très bien, à l’image de la réponse de la Chaire de comptabilité écologique à la consultation de l’International Sustainability Standards Board : sans cette double matérialité, nous n’atteindrons pas nos objectifs et continuerons de mettre en péril la vie sur Terre.

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« Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la transition écologique et doivent disposer des informations les plus complètes possibles pour faire les bons choix »

Avec la mise en œuvre progressive, à partir de janvier 2024, de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD), transposée en droit français mercredi 6 décembre, nous nous apprêtons à écrire une nouvelle page de notre grammaire économique.

Le XXe siècle a été celui d’une puissante normalisation de la comptabilité internationale pour accompagner l’essor d’une économie mondialisée et financiarisée, particulièrement efficace pour se développer, mais aveugle quant à l’impact de ses activités sur les humains et la nature. A l’heure de l’urgence environnementale, des textes tels que CSRD permettront à notre siècle d’être celui de la définition de normes « extra-financières » pour mieux guider nos économies sur les rails de l’indispensable transition.

Concrètement, la directive va amener dès 2025 les entreprises européennes de plus de 250 salariés à publier des informations sur leurs impacts environnementaux, sociaux ou encore sur leur gouvernance. De la même manière que les informations financières, ces données devront s’appuyer sur des normes internationales, être contrôlées par un tiers indépendant et publiées chaque année par les entreprises.

A la veille de sa mise en œuvre, le 1er janvier 2024, ce texte européen a fait l’objet de critiques par les tenants d’une approche anglo-saxonne des données extrafinancières. Alors que ces derniers souhaitent que ces normes se limitent à mesurer les impacts écologiques et sociaux du monde extérieur sur la performance de l’entreprise (matérialité « simple » ou matérialité financière), l’approche européenne retient, elle, une logique de « double matérialité » et vise à mesurer – également – les impacts écologiques et sociaux de l’entreprise sur le monde extérieur (« matérialité d’impact »).

Mesurer le chemin à parcourir

Cette double matérialité, c’est-à-dire cette préoccupation des conséquences de l’activité des entreprises sur le vaste monde, constitue à nos yeux un pas en avant considérable. Bien sûr, cette approche représente un défi technique majeur. La méthodologie d’évaluation des impacts n’est pas encore stabilisée, et il serait utopique d’assurer que la double matérialité permettrait la comptabilisation exhaustive des impacts d’une entreprise.

Il est, par exemple, encore difficile de mesurer aussi précisément l’impact d’une entreprise sur la biodiversité que sur le climat. Bien sûr aussi, ce reporting extrafinancier n’impose pas directement aux entreprises de changer leurs comportements puisqu’il n’est qu’un outil de transparence.

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« L’Europe doit faire preuve de fermeté et rehausser les normes mondiales en matière de durabilité »

L’Europe est sur le point d’adopter un plan audacieux en deux parties pour réglementer les relations entre entreprises et droits humains. La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD), adoptée il y a un an, transposée mercredi 6 décembre dans le droit français et qui entrera progressivement en vigueur à partir du 1er janvier 2024, oblige les entreprises à rendre compte publiquement des risques sociaux et environnementaux. La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDD), qui sera bientôt finalisée, obligera les entreprises à prévenir activement ces risques ou à les atténuer. Ce nouveau régime juridique pourrait être révolutionnaire, à condition que l’Union européenne (UE) résiste aux tentatives d’affaiblissement de chacune de ces deux parties.

La première directive exige des entreprises qu’elles signalent tout risque social ou environnemental qui peut affecter soit les propriétaires de l’entreprise, soit la société dans son ensemble. Cette approche judicieuse et novatrice, qui porte le nom technique de « double matérialité », s’oppose à celle de l’International Sustainability Standards Board, organisme international de standardisation des critères de durabilité, dite « de simple matérialité financière », selon laquelle les entreprises n’auraient à signaler ces risques que lorsqu’ils menacent la seule valeur financière de l’entreprise pour ses propriétaires.

Or, cette vision étroite de la matérialité est précisément ce qui entrave le développement de l’investissement « socialement responsable », c’est-à-dire prenant en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), comme le montre une étude récente du Stern Center for Business and Human Rights de la New York University (« Making ESG Real », Michael Goldhaber, novembre 2023).

Coûts imposés

La plupart des mécanismes et procédures ESG actuels évaluent la manière dont les risques environnementaux ou sociaux pourraient nuire à l’entreprise et à ses actionnaires. Or, les entreprises peuvent souvent nuire à l’environnement ou à la société sans pour autant nuire aux actionnaires, si cela s’avère rentable et si les conséquences juridiques ou réputationnelles sont minimes ou inexistantes. L’immoralité dans les affaires peut être parfaitement rentable, légale et à l’abri du scandale ! Il peut être financièrement rationnel pour certaines entreprises d’assumer scandales et responsabilités juridiques.

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A Romorantin, un des principaux employeurs privés prépare une vague de licenciements : « C’est un vrai coup dur »

Dans l’usine de recyclage automobile d’Indra à Romorantin (Loir-et-Cher), le 9 septembre 2021.

Patricia Maligne, 45 ans et Romorantinaise (Loir-et-Cher) de naissance, est entrée chez le courtier en assurances Colonna en 2005. « J’ai donc eu la chance d’être là quand on a remporté l’appel d’offres de mutuelles pour les aider à gérer leurs adhérents issus de la branche hôtels, cafés et restaurants. J’étais employée de gestion pour la partie prévoyance. Répondre aux appels de 8 heures à 17 heures, ouvrir des dossiers d’arrêt de travail, d’invalidité ou de décès, s’assurer que toutes les pièces soient présentes pour que les versements aient lieu très rapidement… C’était mon quotidien jusqu’à ce que j’évolue récemment comme cheffe de projet. »

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés A Romorantin, les PME de l’usinage au bord du précipice

Le 18 octobre, Colonna a annoncé publiquement la fin imminente de son mandat de délégation de gestion des frais de santé et prévoyance pour le secteur hôtels, cafés et restaurants, sur décision de ses clients Malakoff Humanis et Klesia. Ces derniers avaient informé la direction de Colonna de leur désengagement dès le 29 juin 2022. « Sauf meilleur accord entre nous, nos relations s’éteindront le 31 décembre 2023. » Colonna n’a cessé, depuis, de contester cette décision. « Notre travail a toujours été plébiscité et n’a jamais été critiqué, ni par les partenaires sociaux, ni par les salariés, ni par les entreprises de la branche », martelait l’entreprise.

Mi-janvier les salariés de Colonna connaîtront tous les détails d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui prévoit de supprimer au moins 99 CDI et 20 CDD à Romorantin. « On veillait à ne rien sous-traiter, on numérisait nous-mêmes tous les courriers papier des adhérents, on imprimait et envoyait d’ici toutes les cartes de tiers payant. La garantie que tous nos employés vivent en France était également notre argument. Toute cette chaîne de valeur patiemment bâtie va disparaître. Quel gâchis… », déplore Mathieu Naquin, directeur du site de Romorantin.

« Poignardé au cœur »

En vingt ans, Colonna aura prospéré, racheté et rénové cinq bâtiments pittoresques du centre-ville de Romorantin. Ainsi, la salle d’impression jouxte l’école catholique Notre-Dame et fait face au centre des finances publiques. Chaque midi, des salariées fréquentent les restaurants autour de la place de la Paix puis font halte à la célèbre boucherie Véron et au Monoprix, en fin de journée. Pour le maire, Jeanny Lorgeoux, « Colonna a fortement contribué à réhabiliter et maintenir la vitalité du centre-ville » : « Je connais toutes les familles qui y travaillent, depuis trente-huit ans que je suis maire. C’est un vrai coup dur… On est poignardés au cœur. »

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