Ascoval : plus qu’une sidérurgie, une famille
Un ouvrier de l’aciérie Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), le 29 novembre. PIERRE ROUANET / PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP
Tout est chargé, sale, bruyant. La poussière pénètre dans les narines. Les bouchons d’oreille suffisent presque à couvrir le vacarme assourdissant créé par les coupures d’arcs électriques. La hauteur sous plafond – 40 mètres – donne l’impression d’être dans le ventre d’un monstre, dont le cœur ne bat pas mais bouillonne. Des gerbes de feu sortent d’un four géant chauffé à 1 700 oC, semblable aux entrailles d’un volcan. Ce chaudron immense est capable d’avaler 90 tonnes de ferraille et de les recracher, une trentaine de minutes plus tard, en acier de qualité – lequel fait la fierté des 281 salariés d’Ascoval.
Cette fierté est aujourd’hui menacée par la peur, car l’aciérie d’Ascoval risque de fermer ses portes. En redressement judiciaire depuis le 10 janvier, l’usine de Saint-Saulve (Nord), dans le Valenciennois, compétitive et considérée parmi les usines sidérurgiques les plus modernes d’Europe, attend de connaître son avenir. Mercredi 12 décembre, le tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg examinera une nouvelle fois le dossier déposé par le repreneur Altifort, un groupe franco-belge.
« Si l’on annonce une fermeture, ce sera une déchirure », prévient Thomas Libanet. A 29 ans, ce technicien « méthodes et process » ne fait pas partie des plus anciens employés de l’usine, mais, à ses yeux, l’aciérie représente plus qu’une entreprise. Jamais il n’avait connu autant de solidarité qu’à Saint-Saulve, là où le groupe Vallourec a créé, en 1975, son aciérie connectée au réseau ferré et au canal de l’Escaut.
« Le métier très dur d’aciériste contribue à cette ambiance particulière », explique celui que l’on surnomme avec humour le « chat noir », parce qu’il a déjà connu trois plans de sauvegarde de l’emploi durant sa courte carrière. « Avec tout ce qui se passe, certains m’ont demandé pourquoi je ne partais pas. Je suis jeune, diplômé. Mais j’ai envie d’y croire et pas question d’abandonner les autres. »
Dans cette noire cathédrale, où le danger est présent, chaque ouvrier sait qu’il a la vie de ses collègues entre les mains
Ses collègues sont devenus ses frères. « Ça va gros ? Ça va mon lapin ? » Ici, tout le monde se connaît, les hommes se font la bise le matin et on se serre les coudes. « Avant, j’étais dans l’agroalimentaire, poursuit M. Libanet, qui était peu habitué à ces usines dont on ressort les joues couvertes de suie. Après mon premier jour à l’aciérie, j’ai dit : “J’y retourne pas.” J’avais le vertige en haut des passerelles. En m’accrochant à une rampe, un pigeon m’a chié sur la main ! J’avais l’impression d’être un bon à rien. Mais personne ne m’en a voulu. Tous m’ont tendu la main. Aujourd’hui, six ans après, je suis encore là. »
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