Alexandra Roulet : « Les femmes valorisent les aspects non-salariaux de l’emploi »
Alexandra Roulet est parmi les trois économistes, hors le lauréat, qui ont été retenus par le jury associant les représentants du Cercle des économistes et du Monde, pour leurs travaux relevant de l’économie appliquée et permettant de promouvoir le débat public.
Spécialiste du marché du travail, vous avez mené des recherches sur l’origine des écarts salariaux entre les femmes et les hommes. En quoi vos travaux sont-ils novateurs ?
Au début des années 1990, en revenu annuel, les femmes gagnaient 40 % de moins que les hommes. Aujourd’hui, on est plutôt à 20 %. Et, en tenant compte des différences de temps de travail, en salaire horaire, l’écart est passé de 25 % à environ 15 %. Les inégalités salariales femmes-hommes se réduisent, ce qui est une bonne chose. Mais il reste un écart résiduel, dont j’ai cherché à comprendre les causes, en changeant d’angle.
Avec deux coauteurs, Thomas Le Barbanchon et Roland Rathelot, nous avons considéré qu’un emploi, ce n’est pas seulement un salaire. La rémunération n’est pas le seul critère pour choisir un emploi. Et il s’avère que les femmes accordent plus d’importance que les hommes aux aspects non salariaux. Par exemple, elles sont davantage réticentes à avoir de longs temps de trajets. Quand elles cherchent un emploi, le temps de transport qu’elles déclarent être prêtes à accepter est inférieur à celui des hommes. Et quand on regarde les emplois acceptés, leur temps de trajet est effectivement inférieur à celui des hommes. La contrepartie, c’est parfois un salaire moindre.
En avez-vous chiffré l’impact ?
Toutes choses égales par ailleurs, cette différence de valorisation du temps de trajet expliquerait 10 % à 15 % de l’écart salarial résiduel entre les femmes et les hommes. Nos recherches ne permettent pas de dire si ces choix sont libres ou subis en fonction des normes sociales, des contraintes familiales, etc., mais ce n’est pas le résultat du comportement des employeurs.
Par ailleurs, il y a un autre aspect des inégalités sur lesquelles j’ai travaillé avec Marco Palladino et Mark Stabile, c’est le type d’entreprise où les hommes et les femmes travaillent. A mêmes compétences, mêmes métiers et à secteur donné, les femmes sont sous-représentées dans les entreprises qui paient très bien. Le phénomène s’accentue entre les âges de 30 et 40 ans, probablement en lien avec les contraintes familiales. Il est notable que les progrès en matière de réduction des inégalités n’ont pas touché cette dimension. Mon hypothèse est, à nouveau, que les femmes valorisent davantage que les hommes les aspects non salariaux dans leurs choix d’entreprise : flexibilité des horaires, culture et taille de l’entreprise, etc.
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