« Alerte éthique dans l’action sociale » : le simulacre des chartes
C’est un subtil mélange d’envolées philosophiques et d’engagements énumérés avec grandiloquence. Un discours qui met en avant des valeurs (bienveillance, respect, solidarité, responsabilité…) avec, en appui, des références à des penseurs, de Platon à Descartes. Le monde de l’entreprise s’est paré depuis les années 1990 d’un voile éthique, notamment à travers des chartes, devant démontrer son implication dans les enjeux sociétaux tout en répondant à la quête de sens des salariés.
Une avancée pour le corps social ? C’est bien davantage une « ruse », un « simulacre », tranche la sociologue Anne Salmon dans son dernier ouvrage, Alerte éthique dans l’action sociale. A ses yeux, la démarche permet surtout aux sociétés d’étouffer la critique pour mieux imposer, en sous-main, des transformations toujours plus dures et opprimantes pour les collectifs de travail.
L’essai de Mme Salmon ne se limite pas à ce constat. Il est avant tout « un appel à la vigilance » teinté d’inquiétude. Car, selon l’autrice, après l’entreprise puis les services publics, le déploiement d’une éthique qualifiée de « managériale » atteint aujourd’hui l’action sociale et ses associations. Elle en veut pour preuve la « publicisation [de] valeurs par le biais des sites Internet » d’un nombre croissant d’organismes, notamment dans le secteur des maisons de retraite et des crèches. Là encore, c’est un leurre : les chartes éthiques détourneraient des problèmes de fond qui touchent le social et le médico-social.
Un danger pour les travailleurs
Le secteur est entré dans une logique libérale de marchandisation, où « les interventions finissent par être identifiées à des prestations de services, chaque tâche effectuée correspondant à une tarification ». D’aucuns jugent que leur métier se déshumanise et que le travail « vite fait » prime désormais sur le travail « bien fait ». En découle un malaise parmi les professionnels et, par suite, une « crise de motivation », des « démissions », des « difficultés inédites de recrutement ».
L’éthique managériale qui se diffuse aujourd’hui dans l’action sociale doit permettre aux travailleurs de retrouver ce sens perdu. Les grands principes énoncés dans les chartes seraient « la panacée » : « encadré par des normes, le travail deviendrait plus attractif, plus motivant, plus impliquant ». Mme Salmon souligne l’illusion d’une telle entreprise, rappelant que « la triste actualité des scandales dans les crèches et dans les Ehpad privés montre que “l‘éthique professionnelle exemplaire” affichée a du mal à résister à l’épreuve des faits ».
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