A la tour Eiffel, pendant des années, les travailleurs précaires pointaient à tous les étages
« Il y a beaucoup de choses qui n’allaient pas dans cette entreprise. Le fonctionnement était opaque, on ne savait pas comment les CDI étaient donnés. La fin de la collaboration a été brutale pour beaucoup d’entre nous. » C’est ainsi qu’une ancienne agente d’accueil résume son expérience à la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE). Comme elle, une quinzaine d’anciens salariés de la tour en CDD et intérim témoignent au Monde de l’existence de nombreuses irrégularités dans la gestion du personnel ; des anomalies que la direction de l’entreprise reconnaît, mais assure avoir fait disparaître récemment.
Le monument, qui accueille chaque année près de six millions de visiteurs, dont 80 % d’étrangers, et emploie près de 360 salariés, est géré par la SETE, une société publique locale détenue à 99 % par la Ville de Paris (qui perçoit chaque année une redevance de plus de 10 millions d’euros). L’entreprise a particulièrement souffert du Covid-19, avec des pertes de 43 millions d’euros en 2021 et 52 millions en 2020, se sauvant grâce au recours à l’activité partielle, à des prêts et à une recapitalisation. La découverte de forts taux de plomb aux abords du monument a également entraîné des retards sur la dernière campagne de peinture et des surcoûts importants. La SETE est aujourd’hui endettée à hauteur de 110 millions d’euros.
Avant même que la pandémie ne fragilise l’édifice, les comptes et la gestion financière de la société étaient pointés du doigt. La chambre régionale des comptes (CRC) d’Ile-de-France a mis en évidence, dans un rapport publié en 2020, l’augmentation du recours aux emplois précaires (CDD et intérimaires) dans les années 2010, de même que l’augmentation des rémunérations des personnels. La tour embauche des saisonniers lors des périodes de forte affluence ou pour compenser les congés maladie ou de maternité. C’est historiquement la seule porte d’entrée pour travailler à la tour Eiffel, particulièrement en tant qu’agent d’accueil.
« C’était comme être d’astreinte »
« Nous avions des emplois saisonniers, mais on travaillait toute l’année. On enchaînait CDD à la SETE et missions d’intérim pour l’agence Synergie, raconte Elena Riboust, qui a travaillé à la SETE entre 2018 et 2020. En intérim, c’étaient des missions d’une seule journée, on était avertis le matin et le premier qui décrochait obtenait la mission. » Au fil des ans, un vivier de plusieurs dizaines de précaires s’est constitué, pour remplacer les agents en CDI dans les trois équipes qui se succèdent en permanence (une le matin, une le soir, une au repos), rendant de plus en plus incertaine la perspective d’obtenir suffisamment de missions. Parfois, les missions durent seulement trois heures, pour remplacer une pause déjeuner.
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