A 30 ou 40 ans, reprendre des études pour « élargir le champ des possibles »
Le jour où Thibault Ponthier va se marier, il sait que les invités viendront des quatre coins de la planète et que des camarades de la promotion 2020 du Master of Business Administration (MBA) de Harvard feront le déplacement. L’heureux événement n’est pas d’actualité, mais le jeune homme de 32 ans utilise cette formule pour prouver que son récent diplôme dans la prestigieuse business school américaine lui a apporté beaucoup plus que des connaissances. Son MBA, c’est aussi de « solides amitiés ». Un réseau international.
Malgré un retour en France précipité par la pandémie de Covid-19 et un projet de création d’entreprise contrarié, le Corrézien garde de son séjour outre-Atlantique un souvenir enchanté. Après six années passées la tête dans le guidon à la direction de la PME familiale spécialisée dans la transformation de fruits, Thibault et ses proches ont revendu l’affaire. De quoi lui donner le temps et les finances (frais de scolarité : 130 000 euros les deux ans) pour s’envoler vers l’un des masters les plus réputés au monde. « Je voyais ça comme un passeport magnifique pour l’international, explique-t-il avec enthousiasme. Sur le plan humain, c’était une opportunité hors norme de pouvoir mener une réflexion sur moi et sur mon parcours pendant deux ans. Combien de fois a-t-on l’occasion de faire ça dans sa vie ? » Depuis son retour, il a renoué avec les études en suivant un cursus en œnologie et viticulture pour réaliser son rêve : acheter un domaine viticole dans le sud de la France. « Sans le MBA, je ne me le serais pas autorisé. Mais la confiance en soi, c’est contagieux. »
Epanouissement intérieur
Thibault n’est pas le seul ancien étudiant de MBA à tenir un discours où les bienfaits personnels et professionnels d’une reprise d’études se confondent. Les témoignages de ses homologues ont des accents de récits de voyages. « J’ai eu la sensation d’apprendre des choses sur mon fonctionnement que je n’aurais jamais pu saisir en restant dans mon quotidien de boulot », confie Carolina Schmollgruber, responsable communication de la marque Lancôme au sein du groupe L’Oréal, qui vient d’achever une année et demie – presque deux à cause de la pandémie – d’Executive Master of Business Administration (EMBA) sur le campus de HEC dans les Yvelines. La quadragénaire s’est lancée dans ce projet pour se défier elle-même. « Je voulais élargir mon champ des possibles », raconte-t-elle. Elle convainc son employeur de lui financer cette formation, qu’elle mène en parallèle de son poste et de sa vie de famille. Des mois aussi intenses qu’enrichissants. « On quitte l’opérationnel pour de la connaissance, on cherche à faire plus, à exceller. On ouvre à nouveau des ouvrages d’économie et ça fait du bien », raconte Carolina, qui ressent aussi qu’elle ne « dégage plus la même chose dans [sa] boîte ».
« Désormais, on entend parler de vision de l’existence, d’engagement. » Andrea Masini, directeur délégué du MBA de HEC
Les programmes de ces MBA et EMBA ont beau prévoir des études de cas, de mises en situations concrètes, du coaching et des notions à apprendre – sans le moindre passage sur le divan d’un analyste –, l’épanouissement des participants et participantes semble tout aussi intérieur que professionnel. Andrea Masini, directeur délégué du MBA de HEC, a vu passer des centaines de profils comme celui de Carolina. De son bureau, il mesure l’évolution des attentes et des parcours des cadres qui retrouvent temporairement les bancs de l’école. « Il y a dix ans, l’enjeu d’un master en management était de doubler son salaire. Désormais, on entend parler de vision de l’existence, d’engagement. Le MBA permet de changer de fonction ou de secteur d’activité, mais aussi de s’enrichir humainement et de se transformer. »
Matthieu Pouget-Abadie repense souvent à ce que sa scolarité à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), en 2014, a modifié dans le cours de son existence. Première chose, et non des moindres : il y a rencontré son épouse. L’histoire ne dit pas s’il y avait beaucoup d’ex-camarades de promo à la noce, mais c’est probable. Avant de reprendre ses études, ce diplômé de Sciences Po Paris travaillait dans le conseil et ne s’y plaisait pas vraiment. Aujourd’hui à la tête du marketing de la plate-forme de formation en ligne OpenClassrooms, il se sent solide sur ses appuis.
« J’y ai gagné un sentiment de légitimité, raconte-t-il d’une voix tranquille. Je n’ai plus peur de décrocher mon téléphone pour appeler un CEO [directeur général]. » Il se souvient avec amusement de ce jour où lui, frais trentenaire et néoétudiant, avait eu la possibilité de déjeuner avec Yves Carcelle, ex-PDG de Louis Vuitton et ancien de l’Insead, décédé peu après. Une rencontre marquante que seule la fréquentation d’une école renommée permet. « Avec un tel label sur le CV, les gens sont plus disposés à vous accorder du temps ou à vous ajouter sur LinkedIn », résume Carole-Anne Bassignot, consultante au sein du cabinet RH Partners. Sur les comptes LinkedIn et Facebook de Matthieu Pouget-Abadie, les anciens et anciennes de l’Insead sont présents et actifs. « Je peux appeler une vingtaine de personnes si j’ai un problème très concret de management à résoudre, expose-t-il. Et j’ai gardé des liens proches avec une dizaine d’autres que je vois une fois par an, et avec qui on parle projets et perspectives de carrière. C’est plus utile que les anciens de Sciences Po qui ont tous pris des chemins différents. »
Un sésame très onéreux
Se rencontrer soi-même et rencontrer ses semblables : serait-ce donc ça, la recette du MBA réussi ? La création d’un réseau constitue l’un des atouts majeurs de la reprise d’études. « Je fais un métier de connexions, avance Anne-Claire Bootz, ancienne de l’EMBA de l’Essec (promo 2015). A l’époque, je travaillais dans un cabinet qui réfléchissait aux opportunités de construction d’hôtels. Mon passage à l’Essec m’a permis de mieux comprendre mon secteur professionnel et de renforcer ma connaissance des acteurs-clés. » Quelques mois après l’obtention de son EMBA, elle décroche un poste au sein d’un groupe hôtelier où elle s’occupe du développement de nouveaux lieux. Une évolution professionnelle doublée d’un gain de salaire de 30 %. La progression salariale ne fait peut-être plus partie des motivations affichées, mais elle reste, malgré tout, un horizon souhaité par de nombreux candidats.
« A la sortie, ce n’est pas forcément la voie royale. On est perçus comme chers et on a souvent un prêt à rembourser. » Matthieu Pouget-Abadie, ancien du MBA de l’Insead
Mais gare aux espoirs décorrélés de la réalité. « Si vous vous mettez en tête de faire un MBA pour gagner plus ou parce que ça fait joli dans votre palmarès, ça ne sert à rien », prévient Anne-Charlotte Caudy, associée senior au sein de la division RH du cabinet Michael Page. D’autant que l’obtention du sésame coûte très cher : 76 000 euros pour un MBA de HEC. Un investissement sur soi qui, en plus, ne rapporte pas systématiquement. « A la sortie, ce n’est pas forcément la voie royale, on est perçus comme chers par les employeurs. Et, en plus, on a souvent un emprunt à rembourser », analyse Matthieu Pouget-Abadie. Anne-Charlotte Caudy poursuit : « L’obtention d’un master n’a pas vocation à faire monter la valeur d’un candidat de façon mécanique. Mais comme il apporte une meilleure connaissance de soi et de ce qu’on vaut, il peut avoir des retombées bénéfiques. »
Regain d’optimisme
Florian Faucher, 31 ans, a fini son MBA à HEC en décembre 2020. Il ne s’attend pas à faire fortune dans l’année à venir. « Je gagne bien ma vie comme consultant, mais je sais que, de toute façon, aucun retour sur investissement ne se fera dans l’immédiat. On verra dans dix ans. » Il mûrit sa trajectoire sur le long terme. « Je veux travailler dans le luxe ou le monde des spiritueux, et je manque d’expérience. Grâce au MBA, j’ai pu affiner ma stratégie et mon aisance », se félicite-t-il, en précisant tout de même que, s’il avait fait une école de commerce et non pas un master d’informatique, il ne serait pas passé par la case MBA.
Elisa Dierickx a, elle aussi, choisi de reprendre ses études pour ajouter des cordes à son arc, pourtant bien fourni. Après des études de biologie, un doctorat en zoologie et la création d’une ONG de défense de l’environnement, la jeune femme de 32 ans souhaitait agir encore plus pour la planète. « Je voulais être à l’interface entre la protection de la nature et le business, au cœur des décisions. Et pour cela, il me fallait des connaissances poussées en la matière et une meilleure vision des postes possibles », détaille la nouvelle diplômée du MBA de l’Insead.
Deux camarades lui parlent d’un cabinet de conseil, Systemiq, qui aide les grandes entreprises et les Etats à améliorer leurs actions pour devenir pleinement durables. Elle envoie une candidature spontanée et obtient un poste, qu’elle occupe depuis mi-octobre. « Ce MBA m’a apporté beaucoup d’espoir et de motivation, explique-t-elle. Je pense pouvoir faire changer les choses concrètement, alors qu’avant j’étais plus pessimiste. » Un regain d’optimisme ressenti aussi par Carolina Schmollgruber, toujours chez L’Oréal. « Cette expérience m’a donné un nouvel élan pour les dix prochaines années. »
« Le Monde » organise, samedi 27 novembre 2021, son salon des MBA et des masters pour les cadres souhaitant se réorienter ou progresser dans leur carrière. L’accès est gratuit, sur inscription en ligne.