Archive dans 2024

Egalité femmes-hommes : les leçons des pays les plus avancés

« A partir du 8 novembre à 16 h 48, les femmes travailleront encore gratuitement cette année. Et ce jusqu’à fin décembre », alerte Rebecca Amsellem, fondatrice du collectif Les Glorieuses. Le constat se répète chaque année en novembre. En 2024, c’est un peu moins qu’en 2023, mais il reste encore près de deux mois de travail gratuit à résorber pour compenser les inégalités salariales entre les femmes et les hommes.

Ce calcul élaboré par l’économiste féministe Rebecca Amsellem est certes perfectible, mais incarne symboliquement le retard ou les avancées des politiques de réduction des inégalités. Pour obtenir la parité totale sans avoir à attendre cent trente quatre ans, comme le prédit le Forum économique mondial (« Global Gender Gap Index 2024 »), les femmes devraient-elles claquer la porte des DRH ou « se rouler par terre » ? « J’ai vu certains hommes le faire », confie le directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres, Gilles Gateau.

L’efficacité de la méthode, c’est le sujet d’un rapport publié jeudi 7 novembre par Les Glorieuses pour mettre en lumière les actions qui ont permis des avancées significatives de réduction des inégalités, dans quelques pays de l’Union européenne (UE) et au-delà. Leur objectif ? « Que tous les expert·e·s, les femmes et hommes politiques et les dirigeant·e·s puissent répondre à cette question récurrente : “Qu’est-ce qui a réellement fonctionné pour réduire l’écart salarial ?” avec des enseignements pratiques », explique Mme Amsellem.

L’Espagne et la Suède

Ce rapport, qui est entre les mains de la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Salima Saa, depuis peu, n’est pas un recueil de recettes, mais plutôt un retour sur les expérimentations, les mobilisations collectives et les politiques publiques qui ont permis aux entreprises d’aboutir à des résultats au Rwanda, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, en Islande, dans l’Union européenne, en Suède et en Espagne.

Les bons élèves de l’Union européenne que sont l’Espagne et la Suède se sont fortement appuyés sur les politiques publiques.

En Espagne, l’amélioration est à la fois récente et fulgurante. L’écart salarial a été réduit de 10 points en dix ans, en passant à 8,7 % en 2022 contre 18,7 % en 2012, indique le rapport qui reprend les chiffres de Funcas. Le centre d’analyse espagnol spécialiste de la recherche économique et sociale explique cette performance par « un niveau d’éducation plus élevé » des jeunes générations. « Parmi les moins de 25 ans, les femmes gagnent en moyenne plus par heure que les hommes du même âge », illustre le think tank.

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Emploi des seniors : les négociations butent sur l’idée d’un CDI réservé aux chômeurs âgés

Le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin (à gauche), et le vice-président de l’organisation syndicale, Eric Chevée, arrivent à Matignon, à Paris, le 5 avril 2023.

Comme un air de déjà-vu. Lundi 4 novembre, les syndicats et le patronat ont, encore, étalé leurs divergences sur les solutions à appliquer pour réduire le chômage des salariés en fin de carrière. Réunis pour la troisième fois dans le cadre des négociations consacrées à l’emploi des seniors, les protagonistes ont consacré une bonne partie de leurs échanges au contrat dit de « valorisation de l’expérience ». Ce projet, qui déroge au droit commun afin de faciliter le recrutement des demandeurs d’emplois proches de l’âge de la retraite, est défendu par les mouvements représentant les chefs d’entreprise. Mais les organisations de salariés se montrent très réservées, comme au début de l’année, lorsque les acteurs sociaux avaient examiné une telle idée durant le cycle de pourparlers sur un « nouveau pacte de la vie au travail », qui s’étaient soldés par un échec, le 10 avril.

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Le dispositif mis en avant aujourd’hui est très proche de celui que le patronat avait proposé il y a un peu plus de six mois. Il s’agit d’une expérimentation, sous la forme d’un contrat à durée indéterminée qui est ouvert aux chômeurs ayant au moins 60 ans – 57 ans si un accord de branche le stipule.

Pour l’entreprise, le système imaginé recèle plusieurs avantages. D’abord, elle a la possibilité de mettre fin à la relation de travail si son collaborateur a le droit de partir à la retraite et s’il a atteint l’âge qui lui permet de toucher une pension à taux plein. Dans ce cas de figure, la société n’a pas à payer la « contribution patronale spécifique » de 30 % sur le montant de l’indemnité de mise à la retraite. En outre, elle bénéficie d’une « exonération progressive de cotisations d’assurance-chômage » (qui augmentent à mesure que son salarié prend de l’âge).

« Incompréhension »

Quant au titulaire du contrat, une règle en sa faveur est prévue : si sa rémunération est inférieure de 30 % à celle qu’il percevait dans son précédent poste, une compensation lui est versée, en tenant compte des droits à l’assurance-chômage qui lui restent.

A l’issue de la rencontre, les représentants des syndicats ont fait part, face à la presse, de leurs réticences à l’égard d’un tel mécanisme, notamment à cause des allègements de cotisations qu’il instaure au profit des patrons. Olivier Guivarch, secrétaire national de la CFDT, y a vu « une brèche » dans le régime d’indemnisation des demandeurs d’emploi, qui est censé être « solidaire et mutualisé ». Au nom de la CGT, Sandrine Mourey a exprimé son « incompréhension » : pourquoi faudrait-il des dispositions particulières pour une catégorie de travailleurs, « alors qu’on ne veut pas stigmatiser [les seniors] » ? Secrétaire confédérale de FO, Patricia Drevon a déclaré que son organisation restait défavorable à cette option, tout comme au moment des tractations en vue d’un « nouveau pacte de la vie au travail ». Pour sa part, le chef de file de la CFTC, Frédéric Belouze, a manié l’euphémisme : « Ça nous pose une vraie question », a-t-il dit, en relevant que la mesure n’était « pas chiffrée ».

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Les subtilités juridiques des transferts de savoir-faire

Droit social. « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouve bon. » Le décret d’Allarde du 17 mars 1791 voulait lutter contre les puissantes corporations et (déjà) fluidifier le marché du travail.

Décret aujourd’hui encore évoqué par la Cour de cassation, censurant des clauses de non-concurrence portant une atteinte excessive au « principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle ». A la liberté du travail pour un salarié, à la liberté d’entreprendre pour celui voulant se mettre à son compte : en interdisant ces clauses, la Californie a ainsi facilité la création de start-up par d’anciens salariés des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Hier destinées à interdire un transfert de « savoir-faire » manuel ou technique, ces clauses ne doivent pas être confondues avec les secrets de fabrication, soit « tout procédé offrant un intérêt pratique ou commercial mis en usage par un industriel, et tenu caché ».

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Ils bénéficient toujours d’une protection pénale : « Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros » (L. 1227-1 du code du travail), y compris de la part des prestataires.

Hier un peu naïve

Ils sont l’objet d’un intérêt renouvelé dans la guerre économique qui est la nôtre, du fait de services étrangers s’intéressant de près aux entreprises sensibles (« Les débauchages, vecteur de déstabilisation pour les entreprises », DGSI, décembre 2023, Flash n° 98).

Hier un peu naïve, la Cour de cassation ne s’en laisse plus conter.

Côté chambre sociale, l’arrêt du 25 septembre 2024 met en scène une collaboratrice senior ayant recopié sur cinq clés USB personnelles des données sur des processus de fabrication auxquelles elle n’avait pas accès. Une telle copie de données, même non divulguées à des tiers (du moins pas encore) « constitue en elle-même une faute grave ».

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Côté chambre commerciale et donc concurrence déloyale, selon un arrêt du 7 décembre 2022 : « Le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail constitue un acte de concurrence déloyale. »

« Obligation » et « clause »

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L’équilibre entre distanciel et présentiel, clé de l’avenir du télétravail

Qu’y a-t-il de commun entre Amazon, Ubisoft, Publicis, Black Tiger et Wopilo ? A peu près rien, hormis le télétravail, sur lequel le géant américain de l’e-commerce a jeté l’opprobre en annonçant, en septembre, le retour à 100 % en présentiel des 300 000 employés administratifs du groupe à partir de 2025. De quoi inquiéter tous les salariés français qui, depuis la pandémie de 2020, ont intégré le télétravail dans leur mode d’organisation. « Les salariés ne se sont pas vraiment battus pour. Le Covid a forcé le patronat sur le sujet, mais c’est un acquis social », pointe Marc Rutschlé, le délégué syndical de Solidaires informatique d’Ubisoft.

Le 15 octobre, 700 salariés du numéro un français du jeu vidéo se sont mis en grève à Paris, Lyon, Montpellier et Annecy pour s’opposer à la nouvelle obligation de revenir au bureau au moins trois jours par semaine. D’un point de vue purement juridique, « il n’y a pas de droit acquis au télétravail. Il s’agit d’une organisation collective qui n’est pas irréversible », précise Anne Vincent, avocate associée du cabinet Voltaire Avocats. Mais pour le syndicaliste, comme pour les télétravailleurs qui l’ont clamé en 2023, « les salariés doivent avoir le choix ».

Il y a un an déjà, la question du retour au bureau s’était posée, lorsque s’est amorcé un vaste mouvement de régulation du télétravail à l’occasion du renouvellement des accords signés pendant la pandémie. C’était alors Publicis et Google qui avaient restreint le travail à distance. Et même – quel paradoxe ! – Zoom, le chef d’orchestre des visioconférences, leur avait emboîté le pas. Le mouvement se poursuit aujourd’hui. Ceux qui s’étaient contentés d’une charte unilatérale, comme Ubisoft, en profitent pour ouvrir des négociations afin de graver la nouvelle donne dans un accord.

Pas de réaction du marché financier

Mais pourquoi restreindre à nouveau ce mode d’organisation, toujours plébiscité par les salariés ? La dernière édition du Global Survey of Working Arrangements, publiée en octobre, estime que le télétravail concernerait entre 30 % et 40 % des actifs en France en 2023, précisément 33,5 % selon Eurostat. Et que certains seraient prêts à échanger 5 % de leur salaire contre deux ou trois jours de télétravail par semaine.

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L’impact sur la productivité n’est ni évident ni uniforme. Si des études américaines, présentées lors de la conférence sur le télétravail qui s’est tenue à l’université Stanford du 9 au 11 octobre, estiment entre 10 % et 20 % la perte de productivité des salariés qui sont à 100 % en télétravail, elles démontrent aussi que le retour au bureau n’est pas indolore. « Une politique de retour au bureau trop stricte peut entraîner une baisse de la rétention des employés [c’est-à-dire des départs] ou nécessiter des salaires plus élevés, une politique trop souple pourrait nuire à la productivité », notent les chercheurs. Pour leur étude « Déterminants et conséquences des politiques de retour au bureau », Sean Flynn (université Cornell), Andra Ghent et Vasudha Nair (université de l’Utah) ont analysé plus de 900 groupes cotés en Bourse : le marché financier ne réagit pas aux annonces de fin du télétravail. « Ce qui peut indiquer qu’il n’y a pas de consensus parmi les investisseurs sur le sujet », concluent les universitaires.

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« La triple cotation issue de Vivendi placerait les actionnaires minoritaires dans des juridictions moins protectrices de leurs droits »

L’annonce par le conseil de surveillance de Vivendi, mardi 29 octobre, du projet de scission visant à « libérer pleinement le potentiel de développement des différentes activités de Vivendi » n’est pas sans poser plusieurs questions, notamment sur le capitalisme que nous voulons et sur l’avenir de la place financière de Paris.

Si la séparation des trois entités du groupe est censée permettre de réduire la décote de holding dont elles pâtiraient, on voit mal en quoi le choix des trois places de cotation que sont Londres pour Canal+, Amsterdam (avec une fondation) pour Havas et Euronext Growth pour Hachette contribuerait à cet objectif.

Pour Canal+, on conçoit les bénéfices d’accès au marché anglo-saxon, alors même que les deux tiers des abonnés se trouvent hors de France. On comprend également les mérites de l’opération au regard d’une réorganisation de l’empire Bolloré dans une perspective successorale, cette scission permettant de dégager quatre entités nouvelles.

En revanche, le groupe est peu disert sur les conséquences pour les actionnaires d’une cotation éclatée sur trois marchés financiers. Il ne justifie pas ce triple exode de cotation conjoint, sauf la volonté de préserver la future entité Havas NV contre une offre publique d’achat (OPA) hostile. L’objectif a le mérite d’être assumé, mais il n’est pas sans susciter des réserves. N’évoquons même pas l’objet d’Euronext Growth, qui est, selon la place elle-même, une plateforme consacrée aux PME de croissance et dont la capitalisation moyenne des entités cotées dépasse à peine 80 millions d’euros, sans rapport avec les 2 milliards d’Hachette.

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De façon plus fondamentale, cette opération soulève quelques interrogations cardinales que les actionnaires devront bien avoir à l’esprit, le 9 décembre, lors de la prochaine assemblée générale de Vivendi.

Des conséquences négatives

En effet, cette scission consistant à coter trois futures entités sur trois marchés réglementés, selon une ingénierie juridique complexe, aura pour conséquence de soustraire Vivendi à l’obligation de lancer une OPA résultant du franchissement de seuil de 30 % du capital ou des droits de vote. L’essence même de la réglementation imposant le lancement d’une telle offre est de garantir l’égalité de traitement entre actionnaires, notamment entre les actionnaires dits « de contrôle » et les autres. Cette triple cotation place donc les actionnaires minoritaires dans des juridictions moins protectrices de leurs droits.

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« C’est un métier ! » : la cybersécurité, tantôt ingénieur, tantôt juriste, une fonction multifacettes

NIS2, REC et DORA : ces directives et ces règlements européens, visant à harmoniser le niveau de cybersécurité des entreprises à l’échelle du continent, sont très attendus par le secteur numérique, et font l’objet d’un projet de loi du gouvernement présenté le 15 octobre. NIS2, qui s’applique depuis le 17 octobre, doit en effet être transposée en droit français.

« Ces nouvelles législations vont poser une nouvelle feuille de route avec une notion d’amende et un risque pénal pour les dirigeants, ce qui va obliger notamment près de 15 000 PME et collectivités à monter en compétences sur le sujet et recruter pour s’y conformer », explique Benoît Fuzeau, président du Clusif, une association qui promeut la sécurité numérique.

C’est peu de dire que les entreprises manquent cruellement de compétences pour analyser les risques et répondre aux attaques de leurs systèmes d’information. « Environ 15 000 professionnels manquent en cybersécurité, alors que c’est un secteur avec 30 000 à 35 000 professionnels en poste aujourd’hui », illustre Nolwenn le Ster, présidente de la commission cybersécurité de Numeum, syndicat patronal du numérique.

Diversification très rapide

Ces difficultés s’expliquent notamment par la diversification très rapide des métiers du secteur. La plupart des formations peinent à suivre les besoins des entreprises. « On pense trop ingénieur, technique, mais ce n’est pas toujours le cas. Il n’y a pas besoin d’être un expert pour piloter la politique cyber d’une entreprise, pour faire de la conformité », décrit Benoît Fuzeau.

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A titre d’exemple, les métiers techniques de pentester – qui consistent à contrôler la sécurité d’une application ou d’un système – ou de « hacker éthique », qui font l’image du métier auprès du grand public, ne concernent que « 2 % ou 3 % de l’activité », selon Guillaume Collard, cofondateur de la CSB School. Ils sont, pour la plupart d’entre eux, en voie d’automatisation.

Cette école s’est spécialisée sur la gouvernance pour répondre à ce besoin croissant de profils moins « experts ». Comme il est devenu difficile d’éviter toute attaque, il faut dorénavant des profils pour réagir une fois que l’incident a eu lieu : « 50 % de nos diplômés ont une posture de management et sont proches des autres métiers, explique M. Collard. Il y a des anciens juristes qui viennent se former, se spécialisent dans nos métiers. Ça devient une nouvelle fonction support obligatoire pour les boîtes, une sorte de médecin généraliste qui a une vue d’ensemble. »

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« Avoir les moyens de faire un travail de qualité est un facteur démontré de bien-être psychologique »

Michel Barnier a annoncé de nouvelles négociations pour « améliorer » la réforme des retraites de 2023. Mais, alors que les conditions de travail concrètes des salariés sont un élément déterminant de leur acceptation ou de leur refus de continuer à travailler après la soixantaine, ce sujet crucial semble hors champ.

Dans le projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement propose d’ailleurs d’amputer de 25 % le budget de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail sans susciter de réactions particulières.

Est-ce à dire que le travail est globalement devenu plus facile que dans les années 1970, quand les luttes contre le travail « aliénant », contre les « cadences infernales », mobilisaient syndicats et intellectuels ?

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Nos recherches de terrain dans des secteurs d’activité diversifiés montrent au contraire que les conditions de travail se détériorent plutôt, notamment en raison d’un contrôle et d’une surveillance du travail accrus par l’intermédiaire des nouvelles technologies. Une situation qui influe sur l’état psychique et physique des salariés. Avoir les moyens de faire un travail de qualité est en effet un facteur démontré de bien-être psychologique ; les travailleurs disposant d’une autonomie importante ont par ailleurs globalement une meilleure santé.

Un mal nécessaire

Or, nous constatons que le taylorisme est sorti des seules usines, se généralisant au secteur des services et que le « lean management » qui le remplace parfois, a des conséquences encore plus désastreuses.

Dans les centres d’appels, les manageurs enregistrent et contrôlent en temps réel la durée de chaque appel.

Dans les entrepôts logistiques, les opérateurs scannent tous les produits et sont en communication permanente avec des robots vocaux à qui ils signalent chacun de leurs gestes. Certains d’entre eux continuent ce dialogue mécanique même la nuit, parlant en dormant.

Bien d’autres activités – certaines qualifiées et dans le secteur public – sont affectées. Beaucoup de télétravailleurs voient leur activité surveillée à distance, avec des outils qui comptabilisent par exemple le nombre de clics de leurs souris.

Les développeurs informatiques sont de plus en plus tenus de planifier à l’avance leurs activités dans les moindres détails, inventant parfois de fausses tâches pour se donner le temps de souffler et de réfléchir, conditions indispensables pour innover. Les enseignants-chercheurs ne sont pas épargnés et doivent leurs carrières au nombre de leurs publications dans des revues « étoilées », seul élément valorisé par les classements internationaux.

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Pourquoi il est difficile de recenser les morts de la chaleur au travail

Des travaux sur les voies d’un tramway à Bordeaux, lors d’une vague de chaleur, le 29 juillet 2024.

Pour 48 accidents mortels du travail liés à la chaleur officiellement recensés par Santé publique France depuis 2018, combien passent sous les radars ? « Le nombre de décès est clairement sous-estimé, admet Guillaume Boulanger, responsable de l’unité qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations au sein de l’agence. Les cas identifiés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. »

Pour établir ce décompte annuel, l’agence est, en effet, entièrement dépendante des chiffres transmis par la direction générale du travail du ministère du travail, qui s’appuie elle-même sur les remontées de l’inspection médicale du travail (IMT). Après chaque accident mortel, quelle qu’en soit la cause, un inspecteur du travail est dépêché sur le terrain pour une enquête. C’est à ce moment-là que les agents peuvent noter un lien avec la chaleur, en fonction de leurs observations : températures élevées, symptômes médicaux chez la victime, manquements évidents à la sécurité de la part de l’employeur (tels que l’absence d’eau à proximité), etc.

Ces relevés sont transmis à l’IMT, qui les analyse et les complète pour déterminer quels accidents peuvent être attribués aux conditions climatiques. Sont pris en compte l’âge de la victime, la nature des tâches et leur pénibilité, le lieu de travail, son niveau d’ensoleillement et de température, ainsi que le moment de la journée et de la saison.

« Qu’un sentiment subjectif »

Or, selon Guillaume Boulanger, les inspecteurs du travail ne font pas toujours le lien entre la chaleur et les décès. Dans les fiches de signalement, que Le Monde a pu obtenir, plusieurs agents de contrôle avouent leurs limites : « Concernant le lien avec les fortes chaleurs, il reste en suspens mais ne peut en l’état être écarté, écrit l’un d’eux, saisi du décès d’une femme de ménage, en août 2020. Lorsque j’ai pu entrer dans le bungalow (…) l’atmosphère à l’intérieur était très confinée, mais cela n’est qu’un sentiment subjectif. » L’inspection du travail pâtit, de plus, de sous-effectifs chroniques, avec un taux de vacances de 18 % sur les 2 048 sections du territoire, en 2022, d’après la Cour des comptes.

Etonnamment, en 2021, alors que l’été avait été annoncé comme le plus chaud jamais constaté en Europe, aucune victime d’accident mortel du travail lié à la chaleur n’a été identifiée, contre huit à douze par an les autres années. Certains décès font aussi l’objet de débats au sein de l’inspection médicale du travail, et il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui amène à les inclure ou à les exclure du recensement. En juin 2019, un ébarbeur de 56 ans meurt d’un malaise dans une fonderie d’acier des Hauts-de-France. « En lien possible avec la chaleur liée au poste de travail, mais probablement pas avec la chaleur extérieure », note l’inspecteur. L’IMT décide de le retirer du décompte, en estimant que la chaleur de l’environnement de travail de la victime n’était pas inhabituelle, et notant que le département n’était alors pas visé par une alerte canicule.

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Fortes chaleurs : vers une prise de conscience par les employeurs d’un nouveau risque au travail

Une vendangeuse fait une pause pour se rafraîchir, pendant une canicule, dans un vignoble de champagne, à Ludes (Marne), le 8 septembre 2023.

Décalage des horaires, chômage technique, équipements rafraîchissants… La récente succession d’étés très chauds a obligé les secteurs les plus exposés à réfléchir à leur adaptation. Si le code du travail n’indique pas une température précise au-delà de laquelle il conviendrait de suspendre l’activité, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) estime qu’une vigilance est nécessaire à partir de 28 °C pour un travail physique, et de 30 °C pour un travail de bureau. Dans ce cas, comme dans la prévention des risques de chute de hauteur ou de blessure par machine, c’est à l’employeur d’assurer la sécurité du salarié.

Si des quatre décès survenus pendant les vendanges de 2023 en Champagne un seul a été officiellement causé par la chaleur – il n’y a pas eu d’enquête approfondie pour les trois autres –, ces drames concomitants et leur forte médiatisation ont tout de même entraîné localement une « prise de conscience générale », selon les mots de Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de l’intersyndicat CGT des salariés du champagne.

Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne indique ainsi avoir déployé, en 2024, un plan d’action pour « renforcer les conditions d’emploi des travailleurs saisonniers ». Il n’en décrit que succinctement les mesures dans sa réponse écrite au Monde : la mise en place d’une fonctionnalité « météo » sur son application pour l’envoi d’alertes en temps réel, afin d’« adapter le planning de travail des vendangeurs si besoin », et le rappel aux employeurs de leurs obligations – temps de pause allongés, mise à disposition d’eau fraîche… Des réunions se sont par ailleurs tenues dès janvier, sous l’égide du préfet de la Marne, pour préparer les vendanges de 2024, durant lesquelles une cellule de suivi s’est réunie quotidiennement, week-end compris, pour l’« identification immédiate de situations indésirables ».

Droit au chômage technique

Aucune victime n’est à déplorer cette année. La météo, cependant, a été particulièrement clémente. « Il y a eu du mieux, mais cela reste de petites améliorations, souligne Philippe Cothenet. Plutôt que des formations aux gestes qui sauvent, on voudrait éviter d’avoir à réanimer quelqu’un ! Or aucune de nos propositions n’a été retenue. »

La principale : cesser le paiement du travail à la tâche, au kilo. « Pour les travailleurs, c’est plus rentable que le paiement au taux horaire, qui malheureusement reste au smic. Le problème, c’est que cela les incite à ne pas s’accorder de pause, même pour se désaltérer », déplore le syndicaliste. Dans un secteur où une bonne part de la main-d’œuvre est étrangère, employée par des prestataires, un système en « poupées russes » qui, pour la CGT, déresponsabilise les donneurs d’ordre, c’est aussi d’une lutte contre la précarité qu’il est question. Ainsi des conditions d’hébergement. M. Cothenet affirme avoir encore constaté, lors des vendanges en septembre, des campements sous tente : « En cas de canicule, si vous n’avez pas un endroit correct où dormir et prendre une douche fraîche, cela dégrade votre état pour le reste de la journée. » Dans ce contexte, interroge-t-il, comment comprendre que le gouvernement ait pu autoriser cet été, par décret, la suppression du repos hebdomadaire pendant les vendanges ?

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