Archive dans 2024

Plongée dans la foule anonyme des dépôts de bilan : « Le plus dur est d’avouer notre échec »

Dans la brasserie du restaurant gastronomique Marius, en procédure de sauvegarde, à Pornic (Loire-Atlantique), le 11 septembre 2024.

« Je n’ai plus rien pour vivre, j’y ai investi beaucoup d’argent personnel », se tourmente Virgile Mulac. Pour l’entrepreneur de 44 ans, le couperet est tombé le 31 juillet : sa start-up, Sysalp, spécialisée dans la construction de distributeurs de vrac et vieille de deux ans, a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Grenoble. Depuis, le fondateur vit « sur [ses] économies » et doit « trouver un travail en urgence ».

Ses machines de vrac censées être installées dans les magasins de la grande distribution n’ont pas eu le succès escompté. « L’inflation a tout ruiné, les consommateurs ont délaissé le bio et le vrac. Forcément, les grandes enseignes ne nous commandaient pas de produits », explique M. Mulac. Alors qu’il a réalisé 115 000 euros de chiffre d’affaires en 2023, grâce à ses premiers essais en magasin, la start-up n’a généré « quasiment aucun revenu en 2024 ».

En juin, il tente de faire appel à des investisseurs, sans succès, la période estivale étant peu propice aux levées de fonds. S’il a fait le « deuil de ce qu’aurait pu devenir l’entreprise », il espère que Sysalp trouvera un repreneur rapidement.

Une « conjoncture ralentie »

Comme cette start-up, ce sont 5 800 sociétés qui ont été déclarées en cessation de paiements en juillet, c’est-à-dire dans l’incapacité de rembourser leurs dettes. Les défaillances ont augmenté de 25,2 % sur un an, d’après les données de la Banque de France. « C’est le mois de juillet le plus lourd de notre histoire », affirme Thierry Millon, directeur des études du cabinet Altares.

Et la vague ne fait qu’enfler depuis des mois. En août, le nombre de défaillances était encore en hausse de 23,8 % sur un an et de 6 % par rapport à la moyenne enregistrée entre 2010 et 2019, selon de la Banque de France. Et, sur un an, le nombre grimpe à 62 893 entreprises.

Selon Altares, « trois quarts des défauts » concernent des structures de moins de trois salariés, mais le phénomène s’accélère dans les entreprises de l’échelon supérieur. Les défaillances « augmentent deux fois plus vite que la moyenne » pour les petites et moyennes entreprises (PME) de 50 à 99 employés. En cause, selon le cabinet, une « conjoncture ralentie » et un « rattrapage d’une partie des défauts évités pendant la crise sanitaire ». L’accumulation des confinements et des crises inflationniste et immobilière ont fragilisé les plus petites sociétés, laissant plusieurs milliers de salariés sur le carreau.

Lire aussi le décryptage | Article réservé à nos abonnés Les entreprises françaises en difficulté, des emplois menacés

Le bâtiment et l’immobilier sont les secteurs les plus touchés par les défaillances. Au deuxième trimestre, 4 350 entreprises de construction ont été placées en redressement judiciaire (poursuite d’une activité possible) ou en liquidation judiciaire (fin totale de l’activité). Au 30 juin, 30 000 salariés ont perdu leur travail depuis le début de l’année. « Le nombre de permis de construire a chuté de 30 % en trois ans, c’est dramatique », se désole Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB). La hausse des « prix de l’énergie » et des « taux des crédits » ont fortement « handicapé » le secteur, notamment dans la construction de logements neufs.

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Entreprises : les délais de paiement s’allongent, les trésoreries se tendent

Dans une entreprise de textile française, à Rupt-sur-Moselle (Vosges), le 12 mars 2024.

La crise inflationniste à peine estompée, de nouveaux motifs d’inquiétude émergent pour les patrons de TPE-PME. L’affaiblissement de la demande est désormais leur première préoccupation, indique l’enquête trimestrielle réalisée auprès d’un millier d’entreprises par Bpifrance et Rexecode, publiée lundi 16 septembre. Les incertitudes politiques, qui persistent depuis maintenant près de trois mois, conduisent les chefs d’entreprise à une grande prudence dans leurs décisions : un dirigeant sur deux a annulé ou reporté des projets d’investissement ou d’embauche, selon cette enquête. Et seulement une petite moitié (46 %) dit avoir investi ou envisage de le faire d’ici à la fin de l’année : c’est onze points de moins qu’il y a un an.

Dans le même temps, les trésoreries, sans décrocher véritablement, se tendent. Les difficultés proviennent notamment de l’allongement des délais de paiement. En l’espace d’un an, ils sont passés à 12,9 jours, soit quasiment une journée de plus qu’il y a un an, selon les données publiées, mercredi 18 septembre, par le cabinet Altares. Ce délai est un peu réduit dans le secteur privé (12,5 jours) mais dépasse 13 jours dans le public, les plus mauvais payeurs se trouvant parmi les hôpitaux et les services déconcentrés de l’Etat.

Au total, moins d’une entreprise sur deux en France paie ses fournisseurs à l’heure. Ces retards, commente Thierry Millon, directeur des études Altares, « privent fournisseurs et sous-traitants de l’indispensable cash pour investir, et parfois pour simplement tenir », comme en témoigne la hausse des défaillances.

« Un certain attentisme »

« Les perspectives négatives concernant le comportement de paiement des clients s’inscrivent dans un contexte d’anticipations économiques relativement pessimistes », analyse l’assureur-crédit Coface, qui publiait également, mercredi, sa propre enquête sur les comportements de paiement en France. « Quelle que soit leur taille, les entreprises interrogées s’attendent largement à une dégradation ou, au mieux, à un maintien de l’activité en France et dans le monde. »

Dans ses projections macroéconomiques publiées mardi 17 septembre, la Banque de France, en effet, ne voit guère venir de sursaut de l’activité. « L’économie française résiste avec une croissance un peu supérieure à 1 %, mais nous ne voyons pas encore une reprise nette, résume le gouverneur François Villeroy de Galhau, dans un entretien au journal Le Parisien. Il y a un certain attentisme aussi bien des ménages que des entreprises qui tient à l’incertitude autour du contexte politique et international. »

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Les emplois verts sont-ils les « sales boulots » de demain ?

« Les métiers de l’économie verte sont souvent vendus comme étant des métiers vertueux, bons pour la protection de l’environnement, pour la croissance économique et offrant de meilleures conditions de travail à ceux qui les exercent, explique Nathalie Havet, professeure d’économie à l’Ecole nationale des travaux publics d’Etat. Or, nous avons été surpris par des écarts importants sur les conditions de travail entre les professions de ce secteur et celles d’autres pans de l’économie, notamment en ce qui concerne la manutention ou l’exposition aux vibrations mécaniques », poursuit celle qui est aussi coautrice de l’étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) « La pénibilité au travail dans les professions de l’économie verte » de juillet 2023.

Les salariés de l’économie verte sont ainsi davantage exposés à des facteurs de pénibilité : ils sont 67 % dans ce cas, contre 60 % de l’ensemble des salariés français. Ils souffrent plus de contraintes physiques marquées (57 % contre 47 %), en particulier de postures pénibles (52 % contre 43 %) et d’exposition à un environnement physique agressif, notamment à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (23 % contre 7,5 %) et aux nuisances sonores (16 % contre 8 %). En revanche, ils subissent moins de rythmes de travail atypiques (travail posté, travail répétitif).

« Le métier est très physique », témoigne Laurent C., 33 ans, chargé de projet sites et sols pollués au sein d’une société spécialisée dans la réhabilitation de sites. Il travaille en particulier sur le diagnostic de sites appartenant à la catégorie « installation classée pour la protection de l’environnement ». « Les deux principaux facteurs de pénibilité sont les postures, puisque nous travaillons au niveau du sol, et le port de charges, notamment pour le forage, où le matériel nécessaire est très lourd, explique-t-il. Des conditions qui s’ajoutent à des salaires faibles et qui font que le secteur a beaucoup de mal à recruter. De plus, l’évolution de carrière reste compliquée. »

Des différences importantes

Le Commissariat général au développement durable regroupe en « emplois verts » les métiers de l’assainissement et du traitement des déchets, du traitement de la pollution, de la production et de la distribution d’énergie et d’eau ainsi que de la protection de la nature. Tandis que les métiers dits « verdissants » n’ont pas une finalité directement environnementale. Ils sont amenés à prendre en compte les enjeux de l’environnement : transports, construction, tourisme…

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Que fait-on du travail ? : « Il est essentiel d’associer les salariés aux décisions sur le travail, y compris sa finalité, mais on n’est pas dans la cogestion »

Dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po (Liepp), des chercheurs ont analysé les maux du travail et leurs origines dans une série de textes publiés par Le Monde tout au long de l’année. Pour « travailler mieux », ces mêmes chercheurs ont avancé quelques pistes d’actions. Dans une deuxième série « Que fait-on du travail ? », qui décryptera sur plusieurs mois ce qui est fait du travail, nous avons interrogé des dirigeants d’entreprise sur ce qu’ils pensent des propositions des chercheurs et s’ils les appliqueraient. Cet entretien ouvre le premier épisode de la série.

Le premier sujet abordé est celui de la perte de sens au travail, ses liens avec le management, en particulier avec la non-participation des salariés aux décisions qui concernent leur travail, analysé par les économistes Thomas Coutrot et Coralie Perez. Leurs recommandations ? Redonner aux salariés le pouvoir d’agir sur leur travail en faisant de leur parole un levier de transformation.

En tant que directeur général de la MAIF et coprésident du Mouvement Impact France, Pascal Demurger, qu’en pensez-vous ?

Sur la question du sens au travail, je suis 100 % d’accord avec ces chercheurs. Redonner la parole aux salariés comme levier de transformation pour redonner du sens au travail est essentiel. Le sujet du travail est un angle mort du débat public. On parle rarement des modalités du travail. Or, il y a vraiment du sens autour de l’objet même du travail et ça peut aller au-delà si l’entreprise propose une mission plus large de nature plutôt sociétale.

Ce premier sujet, le sens du travail, est fondamental sur la valorisation, y compris la valorisation par le salarié lui-même de la fonction qu’il exerce. Ça passe par la compréhension de sa contribution personnelle dans l’atteinte de l’objectif global de l’entreprise, au-delà de la simple création de bénéfices. Le second point consiste à montrer à chaque collaborateur que l’entreprise lui fait confiance dans l’exécution de son travail, et donc à ne pas l’enfermer dans un process établi par le haut, comme un script de téléconseiller par exemple, mais lui laisser une marge de manœuvre relativement importante, une capacité de jugement et d’adaptation en fonction des circonstances.

Avec la considération des salariés, ce sont les trois conditions pour que le travail soit épanouissant. Les collaborateurs donnent alors le meilleur d’eux-mêmes et on crée de la performance pour l’entreprise. L’employeur a une obligation morale au-delà de sa responsabilité légale de préserver la santé physique et mentale des salariés. Quand on a la responsabilité du bien-être des personnes qui nous entourent, on ne peut pas ne rien en faire.

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Thales Alenia Space veut supprimer 980 postes en France, les salariés mobilisés

Rassemblement des salariés de Thales Alenia Space sur le site de Toulouse, mardi 17 septembre 2024.

Entré chez Thales Alenia Space (TAS) en 1996, Guilhem Ganivet, syndicaliste Force ouvrière, n’a pas souvenir d’avoir connu un plan de restructuration d’une telle ampleur. « C’est inédit et l’heure est grave », se navre ce technicien, micro à la main, devant 700 salariés rassemblés à l’appel d’une intersyndicale FO, CFE-CGC, CFDT, CGT, sur le terre-plein à l’entrée de l’usine toulousaine, mardi 17 septembre. « Ce plan est débile et incohérent car notre charge de travail est établie jusqu’à la fin 2025. On réclame son arrêt pur et simple et on ne lâchera rien. »

Le secrétaire FO du conseil social et économique (CSE) à Toulouse ne manie pas la langue de bois pour qualifier le « plan d’adaptation » de la coentreprise détenue par Thales (67 %) et Leonardo (33 %), spécialisée dans la fabrication de satellites et de segments sol. Elle prévoit, sur une période allant de 2023 à 2025, de supprimer 1 237 emplois en Europe, dont 980 postes en France.

Le site de Toulouse, siège social de la branche française spécialisé dans la fabrication de charges utiles de télécommunication, est particulièrement concerné, avec la perte de 650 emplois sur un total de 2 700 personnes.

À des kilomètres de la ville rose, 600 salariés se sont réunis sur l’autre site français de TAS, à Cannes (Alpes-Maritimes). Dédié à l’assemblage, l’intégration et aux tests des satellites de télécommunication et d’observation, l’usine perd 330 postes sur 1 800. « Les personnes concernées par la suppression des postes seront redéployées dans le groupe Thales. Et il n’y a donc pas de perte d’emploi », affirme la direction au Monde. « L’objectif est que l’entreprise soit profitable et compétitive à moyen terme dans le domaine des télécommunications. »

Tassement des commandes mondiales

Cécile Larue n’est pas convaincue. « L’entreprise liquide les compétences », déplore cette ingénieure système venue au rassemblement « pour constater les dégâts ». « Sauf que dans le spatial, les métiers, en grande partie, sont spécifiques sur des cycles longs. On ne forme pas les gens en quinze jours. »

Sur le marché très concurrentiel des satellites de communication géostationnaires civils, les commandes mondiales se tassent. « Avant il y avait une vingtaine d’appels d’offres par an. Or, depuis trois ans, il n’y en a que dix, pas plus », explique l’entreprise pour justifier le plan. Conséquence : en 2022, elle a remporté six appels d’offres, en 2023, aucun et en 2024, un seul.

A cette raison s’en ajoutent deux autres, selon le groupe : les satellites nouvelle génération − numériques −, reconfigurables en orbite, nécessitent moins de ​main-d’œuvre et des difficultés technologiques ont retardé leur développement. Les syndicats, eux, relativisent. « Il ne faut pas mélanger les aspects mais les traiter de façon disjointes », préconise Fabrice Rialet, délégué central CFE-CGC. « Et, avant tout, il faut établir une stratégie et une vision sur un marché en pleine croissance », propose ce responsable d’appels d’offres et de projet.

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De la salle des machines de l’Etat jusqu’au manageur

Droit social. Quand un ancien directeur général du travail pendant treize ans, devenu président de la section du contentieux au Conseil d’Etat et enfin directeur de cabinet du garde des sceaux puis d’une première ministre, prend la plume pour évoquer, sans termes savants ni impressionnant salto juridique arrière, Les Normes à l’assaut de la démocratie (Odile Jacob, 208 pages, 22,90 euros), on écoute Jean-Denis Combrexelle. A fortiori à l’aube de la XVIIe législature de la Ve République, dans notre pays fracturé où un changement politique doit nécessairement se traduire par un bouleversement législatif.

Si la règle de droit est la base de « l’Etat de droit », ses filets de plus en plus nombreux (nationaux et internationaux), avec des mailles de plus en plus serrées, ne risquent-ils pas d’étouffer nos démocraties ? Car « le droit a pris une importance démesurée dans l’action administrative, masquant souvent une forme de conformisme et de refus culturel de la réforme, et du changement », écrit M. Combrexelle.

Sujet concernant directement les entreprises, mais aussi le manageur de proximité, cet usager du dernier kilomètre de la norme. Ou plutôt de normes proliférantes, car si nul n’est censé ignorer la loi, nul n’est désormais censé ignorer la jurisprudence, française et communautaire. Sans oublier certaines autorités administratives devenues tellement « indépendantes » qu’elles édictent leurs propres règles.

Un problème chronique

Mais l’auteur s’intéresse heureusement moins au vieux marronnier de l’inflation des normes (commune à tous les pays développés) qu’aux spécificités françaises dans la conception de celles-ci. Evitant clichés, puis « yaka » et autres « faukon », il nous invite dans la salle des machines. Pour suivre, par exemple, l’itinéraire d’un projet de loi avec ses huit étapes, dont les réunions interministérielles (RIM), où chaque ministère fait état de ses graves préoccupations, puis l’avis de multiples instances consultatives, où chaque lobby veut tout préciser.

Enfin, le Parlement, qui, « tel Janus, a deux faces : tout en contestant l’afflux de normes au nom de la protection de cité civile qu’il est censé représenter, il amoncelle en réalité les lois et les normes », écrit-il. Car les parlementaires ont « une vision normative et législative de l’action publique ». Une loi nouvelle étant aussi plus médiatique que le dernier paragraphe du même article 24 de la Constitution (« Le Parlement évalue les politiques publiques »). Ce qui pourrait l’amener à réfléchir sur sa soif de légiférer.

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« La visio m’a tuer » : Avec l’essor du télétravail, « on ne se voit plus, on se visionne »

Livre. « Ce jeudi va être un enfer. » Sébastien, consultant dans le secteur du numérique, commence sa journée en télétravail. Pas moins de douze réunions au programme, avec certains rendez-vous sur le même créneau. De 9 heures à 19 h 30, c’est un véritable marathon face caméra.

Il doit s’accommoder du « management infantilisant » d’une supérieure (« quelle est votre météo du jour ? »), régler en temps réel des problèmes de connexion, garder tant bien que mal son « self-control », apporter son expertise à un client tout en lisant les consignes de son supérieur dans un tchat, faire face à la défection soudaine d’un collègue… et trouver quelques instants pour déjeuner.

Tout s’enchaîne à vive allure. Sébastien semble parfois en apnée dans sa chambre. Il termine la journée « nerveusement à bout », « regrett[ant] presque le cahotement du RER pour se vider la tête ». Le récit de la journée de ce consultant s’intègre à une suite de saynètes directement inspirées de faits réels, proposées par Alexandre des Isnards dans son dernier ouvrage, La visio m’a tuer (Allary Editions).

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Des salariés un peu moins absents, même le vendredi

Après L’Open space m’a tuer (Le Livre de Poche, 2009) et Facebook m’a tuer (NiL, 2011), l’auteur entraîne son lecteur dans le monde du travail post-Covid-19, où le télétravail a progressé de façon exponentielle et où la visioconférence s’est imposée comme le mode de réunion par défaut. Le travail à domicile est-il la panacée ? M. des Isnards modère l’enthousiasme de ses promoteurs. Si ses protagonistes se satisfont de l’augmentation de leur temps de sommeil, ils voient s’entremêler à leur domicile vies professionnelle et personnelle.

Les multiples failles du travail en visioconférence

Les conjoints deviennent des « coworkers », dont on découvre parfois avec une certaine déception la façon d’être au travail. De même, la pression est toujours là, plus insidieuse. « Travailler hors bureau suscite la suspicion », résume l’auteur. Il faut mettre en scène son investissement et s’accommoder de la « pastille verte », cette « pointeuse des cadres » qui, sur les applications collaboratives, témoignent de votre présence.

M. des Isnards met en lumière les multiples failles du travail en visioconférence, une version désincarnée des réunions. « Les brainstormings ne sont plus, comme en présentiel, des orages de pensées. Les idées ne fusent plus (…). Les débats, eux, sont policés. » La capacité de persuasion, parfois, s’étiole. L’absence de debriefs de visu, après la réunion, apparaît également dommageable.

On devine, au fil des pages, que l’inconfort des équipes est également partagé par nombre d’entreprises. Elles peinent à trouver une organisation pertinente, adaptée à l’univers numérique et au travail à distance. Comment maintenir une cohésion entre des salariés ne se parlant plus que par écrans interposés, alors que certains sièges sont désertés ? Comme dans l’entreprise de ce jeune alternant qui, arrivant au travail, cherche désespérément un membre de son équipe pour l’épauler.

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Surtravail : « les risques d’erreurs augmentent de manière démontrée lorsqu’on ne compte pas ses heures »

Comment éviter l’épuisement, le burn-out, lorsqu’on évolue dans un milieu où le surtravail est la norme ? Pas facile de quitter le bureau à 18 heures, ni même à 21 ou 22 heures, lorsqu’on travaille dans le conseil, une banque d’affaires, une start-up… ou simplement quand on a un patron accro au travail et qui considère que chacun doit s’aligner.

Cela arrive malheureusement de plus en plus, y compris dans des administrations, voire des associations qui « œuvrent pour le bien de l’humanité ». Sans compter les indépendants, agriculteurs, médecins, artisans, dont certains ne mettent pas de limites à leur engagement. « Merci, mais non »… Qui ose faire comme Bartleby, le héros de Herman Melville, refusant, imperturbable, toute nouvelle tâche ?

L’idée n’est pas de compter ses heures en permanence au risque de renoncer à toute réussite, mais, avant le rush de la rentrée, de repérer les mécanismes intimes et les idées fausses qui peuvent pousser à accepter un rythme dangereux, voire à se l’infliger soi-même, au risque d’un burn-out dont souffrent de 5 à 10 % des actifs chaque année.

Affecte autant l’efficacité que le moral et la santé

Travailler beaucoup procure de l’adrénaline et certains ont du mal à s’en passer. Mais les risques d’erreurs, de fautes professionnelles, voire d’accidents, augmentent de manière démontrée lorsqu’on ne compte pas ses heures. La qualité du travail des cadres comme des médecins ou d’autres professionnels se trouve compromise, même s’ils croient bien faire en empiétant sur leur temps de repos.

Lire aussi la chronique : Article réservé à nos abonnés Sortir du « surtravail » dès la rentrée

Un rythme effréné génère sur le long terme un épuisement chronique qui affecte autant l’efficacité que le moral et la santé. Les « bons élèves » apprennent à être performants, pas à poser des limites. Mais cette aspiration à bien faire entraîne parfois trop loin, et tout particulièrement ceux qui souffrent du « syndrome de l’imposteur » et qui, malgré leurs compétences, n’ont pas confiance en eux.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’argot de bureau : qui n’est pas « charrette » ?

Rien de plus facile pour un manageur habile que de profiter d’un sentiment d’insécurité en faisant des comparaisons désavantageuses, en mettant au défi de faire plus ceux qui sont fragilisés par une faille narcissique… En cas de doute, vigilance ! De nombreux salariés ont incorporé une norme du surtravail héritée de leur entourage familial et de leur scolarisation.

Elon Musk, un modèle à suivre ?

Socialisés dans un milieu où la vie professionnelle tient une place centrale, passés par des études très contraignantes, ils sont habitués à « ne pas s’écouter » et à considérer le surtravail comme normal. Avec de telles prémices, négocier leurs charges de travail ne leur vient pas à l’idée, leur vie privée peut leur sembler fade, et certains en arrivent à craindre les temps morts qui les confrontent à leur anxiété. Encore une fois, avec une telle histoire scolaire et familiale, vigilance ! Croire qu’on peut acheter en quelque sorte le droit à travailler moins par la suite en appuyant sur l’accélérateur à l’orée de sa carrière est un pari rarement gagnant.

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Dans les petites entreprises, le vieillissement des patrons joue sur la compétitivité

Au sein du technopole Sophia Antipolis, à Antibes (Alpes- Maritimes), le 20 août 2023.

Lorsque Antoine Frérot a laissé son fauteuil de directeur général de Veolia, en juillet 2022, il avait 64 ans, dont treize passés à la tête du géant de l’eau et des déchets. Auréolé du récent succès de l’OPA menée de haute lutte sur Suez, il aurait pu rester quelques années de plus. Mais il a préféré confier les commandes à son bras droit, Estelle Brachlianoff, tout en gardant la présidence.

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« C’était le bon moment. Estelle était prête, elle avait 50 ans, c’est le bon âge pour démarrer une direction générale et se projeter dans le temps long, explique-t-il. Avec le rachat de Suez, Veolia entamait une nouvelle ère et c’était important de la commencer avec à sa tête un dirigeant qui pouvait faire plusieurs mandats. Pour conduire une entreprise, il faut avoir du temps devant soi. » Mais pas trop non plus. « Au bout d’une longue période, on se renouvelle moins dans les idées à mettre en œuvre et cela peut peser sur l’entreprise si l’on n’apporte pas du sang neuf », concède-t-il.

Entre un vieux sage ou un jeune loup, finalement, qui est le meilleur patron ? La recherche académique s’est penchée sur cette question de l’âge du capitaine sans trouver vraiment de réponse définitive. Si les chercheurs démontrent que l’appétit au risque diminue à mesure que le PDG vieillit, cela présente des avantages et des inconvénients : les jeunes loups auront tendance à investir davantage, à être plus innovants, à conduire des acquisitions, ce qui leur permet d’afficher globalement une meilleure performance financière que leurs aînés, mais, en sens inverse, la probabilité qu’ils « plantent » l’entreprise est plus élevée…

« La prime à l’expérience joue à plein »

Cet arbitrage entre la performance et la sécurité, c’est le rôle du conseil d’administration, dont la mission principale est de choisir le meilleur dirigeant pour une entreprise. Et, selon les périodes, le balancier oscille dans un sens ou dans l’autre. « Depuis le Covid, la prime à l’expérience joue à plein, analyse Hervé Borensztejn, associé du cabinet de chasseurs de têtes Heidrick & Struggles. L’âge moyen des dirigeants des grandes entreprises françaises, qui avait tendance à baisser régulièrement, est remonté. Il est passé de 55 ans il y a deux ans à 57 ans. »

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« Cela peut paraître étonnant, au moment où l’arrivée de l’intelligence artificielle ou la prise en compte du réchauffement climatique pourraient favoriser l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de patrons, mais l’environnement est d’une telle complexité, sur le plan géopolitique, sociétal ou économique, que les conseils d’administration arbitrent en faveur de l’expérience et les dirigeants en place restent plus longtemps », poursuit Sylvain Dhenin, associé du cabinet.

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