Le long de l’avenue Patton, à l’ouest d’Angers, ce n’est pas la tempête financière qui fait trembler Atos, mais plutôt les engins de chantier et leur bruyant ballet. Ici se construit « l’usine du futur », celle qui doit permettre au site angevin du géant informatique de confirmer sa position de leader européen en 2027. C’est là que se pensent et s’assemblent les supercalculateurs d’Eviden, la branche spécialisée dans le numérique, le cloud, le big data et la cybersécurité. Des machines qui comptent désormais en exaflops, exécutant un milliard de milliards de calculs à la seconde. Ces calculateurs haute performancemoulinent partout dans le monde pour résoudre des équations extrêmement complexes dans des domaines aussi variés que la météorologie, la recherche nucléaire, la santé, la finance ou la défense. Des bêtes de calcul vendues entre 10 et 50 millions d’euros pièces.
Un saut technologique vertigineux sur ce site où a été fabriqué le premier ordinateur de la marque tricolore Bull – le Level 64 –, en 1973. La société informatique a employé plus de 3 000 salariés à Angers, avant de s’effondrer et d’atterrir dans l’escarcelle d’Atos, en 2014. En 2019, le groupe et son PDG d’alors, Thierry Breton, y ont inauguré le centre d’essais « mondial » des supercalculateurs.
Dominique Rouger, 52 ans, a été embauché comme « développeur Java » en 2000. Depuis 2008, il est représentant du personnel (CFDT) et porte un regard circonstancié sur la situation de l’entreprise qui l’emploie : « Bien sûr, ça préoccupe les gens, mais on continue d’avoir des commandes. On travaille en essayant d’occulter un peu ce qui se passe autour de nous. » Derrière la façade en dentelle de métal qui évoque l’arborescence des machines fabriquées ici, les rumeurs courent depuis des mois parmi les 250 salariés. « Récemment, le directeur a pris la parole pour apaiser le climat et rasséréner les gens », confirme le délégué syndical. Le renoncement d’Airbus, qui a étudié la possibilité de racheter Eviden, a tout de même ébranlé le personnel. « On est un peu refroidis, il y avait un côté rassurant à rester dans un grand groupe. On attend vraiment du concret maintenant », ajoute-t-il.
« Absence de solution »
De l’autre côté de l’agglomération angevine, dans l’ex-cité ardoisière de Trélazé, l’autre usine Atos vit dans la même attente. Les quelque 180 salariés y assurent des services d’infogérance pour le compte de grandes entreprises et nul ne veut, ou ne peut, imaginer un effondrement brutal du géant informatique. « A court terme, il n’y a pas d’inquiétude, dit Thierry Pouplin, chef de projet de 50 ans et délégué syndical CFDT. On reste tout de même très prudents parce que ça fait deux ans que ça change tous les quinze jours. On ressent plutôt de l’agacement par rapport à l’absence de solution. »
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Voilà des résultats qui vont sans nul doute réjouir les employeurs : l’absentéisme et le turnover, qui avaient nettement augmenté à la sortie de la crise sanitaire, régressent en 2023. Ce double constat provient d’une étude statistique menée de 2020 à 2023 sur plus de 1 million de salariés en CDI ou en CDD par le courtier en assurances Diot-Siaci, et de l’IFOP, qui a effectué une enquête conjointe avec le cabinet sur un échantillon représentatif de 3 000 salariés.
Le taux d’absentéisme au sein des entreprises françaises (qui correspond au temps d’absence dans le total des heures ou jours qui auraient dû être travaillés) est ainsi revenu à 5,06 % en 2023, contre 5,64 % en 2022. La proportion de salariés absents au moins une fois au cours de l’année tombe à 38 % en 2023 contre 45 % l’année précédente, grâce notamment au recul du Covid-19, source d’absences de courte durée.
Mais à y regarder de plus près, tout n’est pas si rose : le taux d’absentéisme lié aux arrêts longs (plus de quatre-vingt-dix jours) atteint un niveau record en 2023 (2,70 %). En clair, moins de salariés sont absents mais ceux qui le sont le demeurent plus longtemps. Autre point noir, le nombre de jours perdus pour cause de maladie professionnelle, qui s’établit en 2023 à 154,2 jours par arrêt, a nettement augmenté depuis 2020.
Le secteur de la santé plus concerné que le bâtiment
La réduction de l’absentéisme en 2023 concerne davantage les CDD que les CDI. Cet écart tient semble-t-il à la différence de statut : plus précaires, les premiers préfèrent souvent venir travailler quand bien même ils sont malades, plutôt que de prendre le risque de ne pas être reconduits. L’absentéisme recule en 2023 pour les deux sexes, mais l’écart entre hommes (4,26 %) et femmes (6,27 %) se creuse. Pourquoi ? « Celles-ci sont surreprésentées dans les métiers pénibles et plus souvent en charge des enfants en cas de problème »,rappelle Sabeiha Bouchakour, directrice conseil en prévention du courtier Diot-Siaci.
Par secteurs, le taux d’absentéisme descend à 2,52 % dans l’information et la communication, où prédominent les cols blancs, et monte à 9,70 % dans la santé, qui pâtit de sous-effectifs, d’horaires atypiques et d’un stress physique et psychologique inhérent aux métiers en contact avec le public. On s’étonne davantage du taux d’absentéisme relativement bas dans le secteur BTP-construction (4,50 %), pourtant riche en emplois peu qualifiés et éprouvants. « Mais des progrès importants y ont été accomplis dans la prévention des accidents du travail et la sécurité », explique Sabeiha Bouchakour, ce qui a fait chuter l’absentéisme.
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L’Etat veut mettre un frein au financement du permis moto par le compte personnel de formation (CPF), en limitant le recours à ce dispositif à un seul permis léger, ont déclaré à l’Agence France-Presse (AFP), jeudi 11 avril, des sources syndicales. L’Etat a communiqué ses intentions lors d’une réunion jeudi avec les syndicats sur le CPF, au ministère du travail.
Si l’Etat mène à bien ce projet, les titulaires d’un permis B (voiture) ne pourront plus financer leur permis moto avec le CPF, comme ils ont été nombreux à le faire depuis que le permis moto a été ouvert à ce type de financement, à la suite d’une proposition de loi adoptée en juin 2023.
Selon les représentants de deux organisations syndicales participant à la réunion, le gouvernement veut également que le reste à charge de 100 euros pour le salarié qui utilise son CPF soit réévalué chaque année en fonction de l’inflation. « La CFDT n’est pas favorable à cette décision, elle va empêcher les salariés aux revenus modestes de continuer de se servir de leur CPF », a déclaré le représentant de la CFDT Yvan Ricordeau.
Sollicité, le ministère du travail n’avait pas répondu en début de soirée aux questions de l’AFP.
Une loi proposée par le député de la Vienne Sacha Houlié (Renaissance) a ouvert à compter du 1er janvier le financement par le CPF à tous les types de permis, y compris les permis motos et voiturettes. Jusqu’alors, seuls les permis B, poids lourds et autobus étaient concernés. La mesure a provoqué depuis janvier un engouement pour le permis moto.
Selon une estimation circulant au ministère, le permis moto finira, si rien n’est fait, par coûter à la fin de l’année autant que rapportera le reste à charge de 100 euros imposé par le gouvernement, soit 300 millions d’euros.
D’abord, renseigner ses données personnelles, en téléchargeant l’application du supermarché, entrer son adresse et ses coordonnées bancaires. Puis, s’aventurer à l’intérieur de la supérette Tesco, un des géants de la distribution britannique. Dans ce coin dominé par les bureaux, à Chancery Lane, au centre de Londres, le magasin est parfaitement banal : les sandwichs à emporter, les fruits découpés sous plastique et les plats préparés dominent. Il faut regarder au plafond pour voir la différence : des nuées de caméras clignotantes surveillent les moindres faits et gestes des clients, plus encore que les habituelles et déjà omniprésentes caméras de surveillance. Le client peut se servir et mettre directement les produits dans son sac. Chaque mouvement est suivi par les détecteurs et l’algorithme sait automatiquement ce qu’il a pris. A la sortie, pas besoin de passer par une caisse. Il suffit de scanner l’application de son téléphone pour débloquer le portillon. Un courriel arrive dans les minutes qui suivent, avec le ticket de caisse, et la somme directement débitée de son compte en banque.
Temps gagné par rapport à des courses normales ? Quelques secondes ? Quelques minutes peut-être s’il s’agit d’un gros volume, ce qui est improbable dans cette petite supérette ? Il s’agit pour l’instant de l’un des cinq magasins sans caisses de Tesco, qui s’est lancé dans cette expérience en 2021. Les clients ne sont pas encore habitués, et la grande majorité d’entre eux passe par les caisses « traditionnelles » (sans caissier, mais en scannant les produits un à un). Preuve de cette ambivalence, Tesco promeut en énormes lettres sur sa devanture le « get go », le nom attribué à cette nouvelle expérience, mais précise immédiatement que le magasin accepte aussi les paiements par carte ou en espèces.
Délocalisation des caissiers
Le Royaume-Uni semble faire de la résistance face à la tentative des boutiques sans caisses. L’initiative a été lancée à l’origine par Amazon, dans ses magasins Amazon Fresh. Mais après trois années infructueuses, le géant américain a annoncé y renoncer aux Etats-Unis. Plus amusant, le site américain The Information a dévoilé que des Indiens avaient été embauchés pour vérifier les vidéos des clients et s’assurer que la détection automatique par les caméras fonctionnait convenablement. Au lieu d’inventer un nouveau système technologique, Amazon n’aurait-il finalement que délocalisé les caissiers à l’autre bout du monde ?
Néanmoins, la firme américaine a décidé de continuer l’expérience au Royaume-Uni, où elle possède vingt magasins. Depuis trois ans, la plupart des grandes enseignes l’ont suivie dans cette expérience. Outre Tesco et ses cinq magasins, la chaîne de hard-discount Aldi a lancé son propre « shop & go ». L’enseigne Sainsbury’s a aussi acheté la technologie d’Amazon et ouvert ses magasins sans caisses. Ou du moins l’a-t-elle annoncé en grande pompe en 2021. Aujourd’hui, il est devenu impossible de trouver un de ses supermarchés qui continue ce système, tandis que son service de communication refuse de confirmer si celle-ci a été arrêtée. Amazon précise enfin que cent trente magasins partenaires à travers le monde (aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et au Canada) utilisent encore sa technologie sans caisses.
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Le patronat n’en sort pas indemne. Mercredi 10 avril, quelques heures après la fin des négociations « pour un nouveau pacte de la vie au travail » qui se sont soldées par un échec, la plus petite organisation d’employeurs a copieusement sermonné sa « grande sœur ». Dans un communiqué au ton amer, l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui défend les commerçants, les artisans et les professions libérales, a reproché au Medef d’avoir balayé « l’essentiel » de ses propositions, y voyant une preuve d’« archaïsme ».
Il est temps, a-t-elle ajouté, de revenir à des pratiques « loyales et équilibrées », en confirmant sa volonté de rouvrir très rapidement des discussions avec les acteurs sociaux sur un thème-clé : le compte épargne-temps universel (CETU).
Les syndicats auraient pu reprendre à leur compte les critiques formulées par l’U2P. Michel Picon, le président du mouvement, trouve, en effet, que le Medef s’est montré très peu ouvert au compromis durant le cycle de pourparlers, qui s’est achevé dans la nuit de mardi à mercredi. « C’est à se demander s’il voulait conclure positivement les échanges », confie M. Picon. Et de poursuivre : « Ce n’est pas ma conception de la négociation collective. Il y a des sujets sur lesquels nous pouvions faire un pas vers les confédérations de salariés. »
Une usine à gaz
Le numéro un de l’U2P cite, en particulier, le CETU. Ce dispositif, réclamé de longue date par la CFDT, vise à accorder des temps de pause aux travailleurs au cours de leur carrière. Il peut jouer en faveur de l’attractivité des sociétés de petite taille, d’après M. Picon. L’idée d’introduire un tel mécanisme figurait à l’ordre du jour des tractations « pour un nouveau pacte de la vie au travail », mais elle a été écartée en cours de route, car le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) n’en voulaient pas, estimant qu’il s’agit d’une usine à gaz.
L’U2P, elle, défend le point de vue inverse. C’est pour cette raison qu’elle a invité, mercredi, l’ensemble des organisations d’employeurs et de salariés à participer, le 16 avril, à une négociation consacrée au CETU.Une seule séance de discussions pourrait suffire pour mener à bien les travaux, des projets de texte ayant déjà été rédigés. L’objectif est de poser un « socle », selon la formule de M. Picon, en veillant à ne pas créer de « charge » nouvelle pour les patrons et en confiant le pilotage du système à un organisme extérieur aux entreprises – par exemple, la Caisse des dépôts et consignations.
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En augmentation de 30 % en sept ans, ils sont désormais majoritaires au sein des personnels enseignants dans les universités, révèle, jeudi, une note du collectif Nos services publics.
Comment gérer la complexité et l’incertitude ? C’est aujourd’hui l’une des préoccupations majeures des entreprises, face aux multiples crises et bouleversements. C’est aussi la problématique centrale d’un ouvrage collectif de Dauphine recherches en management, L’Etat du management 2024, réalisé sous la direction des universitaires Sarah Lasri, Céline Marie Michaïlesco et Sébastien Damart.
Le centre de recherche en sciences de gestion fait le point sur les travaux menés en son sein. Il offre ainsi un regard sur les points d’intérêt des chercheurs et, par ricochet, sur les questionnements qui traversent aujourd’hui les organisations. Comment s’assurent-elles de leur légitimité dans une « société de la défiance » ? De quelle manière prennent-elles en compte les enjeux sociaux ?
L’ouvrage aborde à ce sujet les difficultés à « intégrer l’humain dans la comptabilité » et à « dépasser la logique financière ». Les enjeux environnementaux – la prise en compte de « l’impact sur le vivant » – sont aussi évoqués. « Quels que soient les défis à relever, les entreprises doivent être capables de résilience », constatent les auteurs.
Dans les organisations, les acteurs doivent démontrer, en conséquence, une réelle agilité. C’est notamment le cas lorsqu’ils intègrent, dans leur travail quotidien, « les évolutions techniques et technologiques du digital », qui « participent elles aussi à la complexification de l’écosystème [des entreprises] ». Un focus est réalisé à ce propos par trois chercheurs, Hayk Hovhannisyan, Béatrice Bon Michel et Nicolas Gasnier-Duparc, sur « l’influence de l’intelligence artificielle sur la démarche d’audit interne ». Il donne une intéressante illustration de l’ampleur des mutations promises par cette « force transformative inégalée », mais aussi des multiples défis qu’elle pose aux organisations.
« Source potentielle de risque »
Si l’intégration de l’IA reste aujourd’hui encore limitée (25 % des auditeurs disent en avoir un usage fréquent), son potentiel est bien identifié par la profession. Réduction du temps de traitement (notamment pour l’analyse des textes et de leur conformité), élargissement du périmètre audité pour gagner en performance, augmentation de la fiabilité des résultats, vision prédictive… Les possibilités sont nombreuses.
Mais si l’arrivée de l’IA vise à améliorer l’analyse des risques, elle peut être elle-même une « source potentielle de risque », soulignent les auteurs. Ils citent ainsi de possibles erreurs de paramétrage, des biais dans la sélection des données, une surcharge informationnelle, une remise en cause du jugement de l’auditeur… Une donne que les entreprises doivent prendre en compte avant d’intégrer une solution d’IA.
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S’il y a bien un truc qui signe notre passage dans le fameux « monde d’après », c’est l’incroyable inflation du nombre de points d’exclamation dans les e-mails de boulot et les échanges sur messageries pros. Jadis – dans le « monde d’avant », si vous préférez –, la communication professionnelle avait des allures réfrigérées d’acte notarié, et il ne serait venu à l’idée de personne de ponctuer des annonces aussi banales que « réunion à 11 heures » comme si l’on hurlait à la face du monde ses gains mirobolants à l’EuroMillions. Pourtant, jetez un œil à votre boîte e-mail et vous verrez : « Super, je t’envoie le mémo !! », « L’agrafeuse est dans le 4e tiroir en partant du bas !!! » Si banal soit-il, le moindre échange donne désormais lieu à un feu d’artifice exclamatif.
Ce signe typographique, qui venait souligner l’exceptionnalité du message ou la force de l’émotion lui étant associée (on parlait, jusqu’au XVIIIe siècle, du point d’admiration), est désormais utilisé pour ponctuer tout et n’importe quoi, passant en quelques années d’un emploi parcimonieux à un envahissement que les Anglo-Saxons qualifient de « bangorrhée » (répétition destinée à donner plus de « bang », de punch). Si bien qu’un nouveau standard s’est subrepticement imposé dans le cœur effusif de la communication corporate : si vous n’employez pas de point d’exclamation à tout-va, vous serez vite jugé comme quelqu’un de froid, distant, limite de mauvaise humeur.
Cette épidémie traduit une contamination des messages professionnels par le langage SMS et celui des réseaux sociaux. Sur ces supports se pratique ce que l’on nomme le « parlécrit », un registre hybride où les courriers ont beau être rédigés sur un clavier, ils n’en relèvent pas moins de la stylistique et des codes paraverbaux de l’oralité. En conséquence, le sourire au moyen duquel vous avez l’habitude de souligner la dimension enthousiasmante de votre assertion en face-à-face est remplacé, en distanciel, par un point d’exclamation et/ou des émojis.
Valeurs sociales évolutives
Autour de cette habitude se dessine une fracture typographique entre les générations : alors que le baby-boomeur jugera négativement l’excès de « ! », témoignant selon lui d’un surenthousiasme feint, les plus jeunes y verront au contraire un moyen de donner du peps à leurs messages et d’en appuyer la sincérité. Dans le langage SMS, en effet, un simple point laisserait à penser aux plus jeunes que l’échange qu’il ponctue n’est pas très franc du collier, comme l’a mis en lumière une étude publiée en 2016 dans la revue Computers in Human Behavior. La ponctuation charrie de nos jours un ensemble de valeurs sociales évolutives qu’il faudra donc prendre en compte si l’on ne veut pas passer pour le dernier des faux jetons.
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Hôtesse en caisse dans l’hypermarché Auchan de Perpignan, Nathalie Prieur n’oubliera pas le 16 mars 2023. Ce jour-là, la direction annonce aux équipes que leur magasin est sélectionné comme l’un des pilotes de l’enseigne pour expérimenter un « outil de planification » censé « mettre la bonne personne, avec la bonne compétence, au bon endroit et au bon moment ». « Un logiciel d’intelligence artificielle [IA] chargé de fabriquer nos horaires de boulot à partir du code du travail, des accords d’entreprise et des prévisions de vente qui a été mis en place au début de l’année », résume cette déléguée CFDT. Depuis, son quotidien, et celui de ses collègues, n’est plus le même.
Jusque-là, les manageurs construisaient les plannings des 450 salariés de cette grande surface, située dans le centre commercial Aushopping Porte D’Espagne, et ils les affichaient quinze jours à l’avance. Désormais, pour les quatre-vingts personnes du « secteur des caisses » en phase de test, c’est « le logiciel qui, avec ses paramètres, va répartir la charge de travail à couvrir ».
Difficile de discuter avec « la machine » autour d’un café dans l’espoir d’adapter son planning. « Elle ne regarde pas si une employée, âgée de 57 ans et opérée des épaules, est en bout de course, fatiguée, pour lui aménager ses plages horaires », souligne Mme Prieur. L’un de ses collègues qui avait l’habitude de travailler six heures par jour pendant trois jours s’est ainsi retrouvé subitement avec un emploi du temps de sept heures et trente minutes pendant deux jours, complété d’une journée de trois heures.
« Le logiciel intègre qu’il faut faire un certain nombre de week-ends par an, mais il peut donner quatre samedis en nocturne d’affilée, poursuit la syndicaliste. Pour des mères isolées, avec des enfants en bas âge, qui pouvaient jusque-là trouver des arrangements avec leur manageur, c’est devenu très compliqué. » Et pour cause : à la moindre modification de l’emploi du temps d’un salarié, « le logiciel refait tourner les horaires de toute l’équipe, car il est calé sur la charge de travail du magasin ».
Des modes de gestion moins coûteux en capital
L’irruption de l’IA pour gérer le planning des équipes de cet hyper est le dernier bouleversement touchant un secteur recensant 678 573 salariés (au troisième trimestre 2023, selon la plate-forme Horizons Commerce), ce qui en fait l’un des premiers employeurs en France. Un chiffre globalement stable depuis une dizaine d’années, derrière lequel de nombreux phénomènes percutent l’emploi et les conditions de travail.
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A part le vrombissement du ventilateur, pas un bruit ne vient troubler ce cours de troisième année consacré au diabète. Stylo et cahier en main, sur leur petit bureau individuel, une cinquantaine d’étudiants écoutent religieusement le formateur malgré la touffeur qui enveloppe ce jour-là Dakar. Ces futurs infirmiers font partie des 800 élèves de l’Institut santé service (ISS), une école privée installée dans une maison à plusieurs étages de la capitale sénégalaise, qui forme aussi sages-femmes, biologistes et techniciens de laboratoire. Une fois obtenu leur diplôme de licence, bon nombre iront se spécialiser ou directement travailler loin du Sénégal.
« Ces trois dernières années, nous avons eu beaucoup d’étudiants qui sont partis », affirme Badiane Kowry Sow, la directrice générale, depuis son bureau situé une volée de marches plus bas. « Il y a un très grand exode, surtout des infirmiers », ajoute-t-elle, soulignant que, pour ces derniers, la durée de la formation est la même que dans les pays développés, soit trois ans (quand il faut cinq années d’études pour être sage-femme). Sitôt diplômés, ses élèves − des Sénégalais mais aussi de nombreux ressortissants de pays voisins − sont donc immédiatement « recrutables » à l’étranger.
En Afrique subsaharienne, le départ des soignants, notamment des infirmiers, est un phénomène connu. Vers le Royaume-Uni et l’Amérique du Nord, pour les anglophones (Nigérians, Ghanéens, Zimbabwéens notamment) ; vers la France et le Canada, pour les francophones (Sénégalais, Béninois entre autres).
Des spécialisations meilleures et plus nombreuses
Et ce, alors que car le taux de soignants par habitant est déjà très faible en Afrique. La situation n’est certes pas uniforme (largement meilleure en Afrique australe, moins bonne en Afrique centrale) mais très éloignée des ratios, par exemple, européens. Pour rester sur les mêmes exemples, la densité d’infirmiers et de sages-femmes était en 2020 de 2,9 pour 10 000 habitants au Bénin et de 3,5 au Sénégal, loin des 122 enregistrés en France, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette inégalité se retrouve aussi chez les médecins (31,7 pour 10 000 habitants au Royaume-Uni contre 3,9 au Nigeria, toujours selon l’OMS).
L’exode se nourrit de plusieurs facteurs. Pour les soignants, il y a l’appel de meilleurs salaires (les infirmiers et sages-femmes de l’ISS peuvent espérer 200 000 à 300 000 francs CFA à leur sortie, soit environ 300 à 450 euros), mais aussi les spécialisations, meilleures et plus nombreuses, ou encore les conditions de travail.
« Si j’avais le choix, je choisirais l’Occident », explique Boukar Léonard Robndoh, un médecin tchadien exerçant au Sénégal, qui dit passer 80 % de son temps « à gérer des aspects qui n’ont rien à voir avec la médecine », comme trouver une ambulance. Retourner au Tchad ? Encore moins, dit-il, évoquant « les journées sans électricité » et « le climat sociopolitique ». Les Etats, même s’ils portent le coût social mais aussi financier de ce phénomène, sont quant à eux bien en peine d’offrir suffisamment de postes.
Le Covid a aggravé la tendance, en gonflant considérablement la demande des pays développés. L’OMS relève pas moins de 115 000 soignants décédés du virus entre janvier 2020 et mai 2021 dans le monde, et beaucoup plus encore ont quitté le secteur après des burn-out ou des dépressions. Ces derniers sont donc devenus une main-d’œuvre hautement prisée, pour laquelle les pays riches ont assoupli leur politique migratoire. Fin janvier, dans le cadre de la loi « immigration », la France par exemple a créé une nouvelle carte de séjour dédiée aux professions médicales. Selon la presse locale, l’immigration zimbabwéenne au Royaume-Uni, principalement des soignants, a progressé de 1 500 % entre 2019 et 2022.
« Opportunités »
L’OMS, dirigée par l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’est alarmée de cette situation en établissant une liste rouge de 55 pays, principalement africains, en situation de déficit critique. Elle alerte, sans grand succès, les pays riches sur l’impact de leurs recrutements dans les régions listées, et promet d’aider ces derniers à améliorer leur système de santé. Un défi face au manque de moyens.
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Face au flux, certains Etats tentent quand même de trouver une parade. Soit par l’offre, comme au Sénégal, où des efforts ont été faits ces deux dernières années pour ouvrir des masters spécialisés, ce qui permettra peut-être de « freiner » certaines velléités, note la directrice de l’ISS, Mme Sow. Soit par la contrainte, en adoptant des réglementations plus sévères. Début 2024, le Nigeria, qui selon son association des infirmières et sages-femmes a perdu 75 000 de ses actifs en cinq ans, a annoncé entre autres mesures un moratoire de deux ans entre le diplôme et un possible départ à l’étranger − provoquant la colère dans le secteur.
Mais il serait erroné de considérer que tous les Etats africains voient ce phénomène d’un mauvais œil. Le Kenya, par exemple, a signé des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni pour y envoyer des infirmières. Une façon pour les autorités de répondre à leur incapacité à « absorber » les quelque 7 500 personnes diplômées chaque année, estime Lina Mwita, formatrice dans cette discipline à l’université de l’ONG médicale Amref, à Nairobi.
Certes, les hôpitaux manquent d’infirmières, mais en raison des créations limitées de nouveaux postes, beaucoup sont aussi sans emploi. « Elles ne vont pas juste rester là parce qu’elles sont kényanes et patriotes, elles cherchent des opportunités pour faire progresser leur carrière », souligne la professeure, qui réfute dans ce contexte l’expression de « fuite des cerveaux ».
A Dakar, pendant que se poursuit le studieux cours sur le diabète, la soutenance de mémoire de deux étudiants s’achève à un autre étage, sous le regard plein de fierté de leurs familles endimanchées. En longue robe bleu nuit et toque de rigueur, Mamadou Lamine Tamba se voit, avec sa camarade, présenter les félicitations du jury. Ce jeune Sénégalais s’étonne qu’on le questionne sur son envie d’aller à l’étranger. « Il faut découvrir, il faut voyager, s’agace-t-il quelque peu. Moi, je veux voir comment fonctionnent les infirmiers en Europe, aux Etats-Unis, partout. Vous, vous voyagez bien non ? Pourquoi pas nous ? »