Archive dans février 2024

La directive européenne sur les travailleurs des plates-formes définitivement bloquée, notamment par la France

« Améliorer les conditions de travail et les droits sociaux des personnes travaillant pour les plates-formes numériques » : tel était le souhait de la Commission européenne, en décembre 2021, lorsqu’elle a lancé une proposition de directive sur les travailleurs indépendants que sont les livreurs de repas, les conducteurs de voiture de transport avec chauffeur (VTC), mais aussi certains traducteurs ou aides à domicile. Après plus de deux ans de discussions animées, cette directive a sans doute vu s’envoler sa dernière chance de se concrétiser.

Vendredi 16 février, lors du Comité des représentants permanents du Conseil de l’Union européenne (UE), les gouvernements allemand, grec, et estonien – la nation des VTC Bolt – se sont abstenus de voter la dernière version de la directive, négociée en trilogue avec la Commission et le Parlement européens le 8 février. La France, de son côté, a déclaré qu’elle n’était « pas en mesure de soutenir le texte », ce qui vaut abstention. Ces quatre Etats formant une minorité de blocage selon les règles communautaires, le texte n’a pu être voté en l’état.

Le trilogue du 8 février avait abouti sur une version allégée de la présomption de salariat, censée permettre aux travailleurs qui le souhaitent d’obtenir le statut de salariés et les droits y afférant (congés payés, arrêts maladie indemnisés, chômage), à condition de prouver le lien de subordination avec la plate-forme qui les emploie. Sur 28 millions de travailleurs concernés en 2022 (un chiffre qui pourrait atteindre 43 millions en 2025), Bruxelles estime à 5,5 millions le nombre de « faux » indépendants.

Alors que les eurodéputés – de l’extrême gauche à la droite – souhaitaient depuis deux ans une présomption inconditionnelle, les gouvernements européens ont poussé pour définir des critères stricts de requalification applicables à tous les Etats, aboutissant en décembre 2023 à un premier accord en trilogue sur une liste de cinq critères pour déclencher la présomption. Ces critères ne convenant pas à la France, cette dernière s’était déjà positionnée contre ce premier accord.

« Position dogmatique »

La version actualisée de février ne lui convient pas non plus. Elle devait obliger les Etats membres à créer une présomption légale et réfutable de salariat dans leurs droits respectifs, leur laissant cette fois-ci une marge de manœuvre pour la définir au niveau national. C’est l’absence de critères qui pose désormais problème à la France. Il y a deux difficultés, justifie au Monde une source diplomatique tricolore : le caractère très flou de ce que les Etats doivent mettre en place, ce qui engendrerait des difficultés de transposition, et l’absence d’harmonisation dans l’application de la présomption à l’échelle européenne, « potentiellement génératrice de nombreux contentieux ».

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La piste d’un « CDI seniors » suscite la méfiance des syndicats

Hubert Mongon, membre du Medef, au ministère du travail, à Paris, le 21 novembre 2022.

Pour aider les chômeurs vieillissants, le patronat défend une solution choc : le « CDI seniors ». Jeudi 15 février, deux organisations d’employeurs – le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) – ont, chacun de leur côté, plaidé en faveur d’un dispositif de ce type qui vise à remettre en selle des demandeurs d’emploi s’approchant ou ayant franchi la barre des 60 ans. Cette proposition, formulée dans le cadre de la négociation pour un « nouveau pacte de la vie au travail », qui a débuté le 22 décembre 2023, est accueillie avec beaucoup de circonspection par les syndicats.

S’adressant aux journalistes à l’issue de la séance de discussions de jeudi, Hubert Mongon, le représentant du Medef, a expliqué que l’idée portée par son mouvement cherche à « éviter la case désinsertion professionnelle » pour les inscrits à France Travail (ex-Pôle emploi) qui sont au crépuscule de leur carrière. A partir d’un certain âge, a-t-il rappelé, il est « extrêmement compliqué » de retrouver un poste.

C’est la raison pour laquelle le Medef milite en faveur d’un nouveau contrat – le CDI seniors, donc –, qui pourrait être signé par des chômeurs, à partir de 60 ans, voire moins si un accord de branche est conclu en ce sens « pour tenir compte des réalités sectorielles ». Pour l’employeur, un tel système présenterait plusieurs intérêts. D’abord, il aurait la faculté de rompre la relation de travail une fois que son collaborateur a cotisé suffisamment longtemps pour prendre sa retraite à taux plein. En d’autres termes, la mise à la retraite d’office deviendrait possible dès que ces conditions de durée d’affiliation seraient remplies, sans attendre 70 ans « comme aujourd’hui », a souligné M. Mongon. En outre, « le régime social de l’indemnité de mise à la retraite » serait revu, « en supprimant la contribution spécifique employeur de 30 % ». Quant au salarié, il serait « accompagné jusqu’à la retraite, éventuellement en cumulant l’allocation-chômage différentielle, s’il est moins bien rémunéré par rapport à [sa] précédente activité ».

« Fausse bonne idée »

La CPME, de son côté, préconise un mécanisme comparable, mais que son vice-président, Eric Chevée, juge plus « ambitieux » que celui du Medef. Cette version du CDI seniors serait assortie d’une « réduction » de cotisations patronales pour l’assurance-chômage. La mesure d’allègement serait financée en réalisant des économies sur l’indemnisation des demandeurs d’emploi les plus âgés. A l’heure actuelle, les inscrits à France Travail d’au moins 53 ans ont la possibilité – sous certaines conditions – de toucher une allocation plus longtemps que les autres. Cet avantage disparaîtrait et le droit commun serait appliqué à tous, dans le schéma recommandé par la CPME. Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, s’est déclaré partisan de cette piste à plusieurs reprises, depuis l’automne 2023.

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Seuls 3 % des dirigeants jugent leur organisation « extrêmement efficace » pour gérer la performance de leurs salariés

Après le développement et la finance durable, les dirigeants prennent conscience de la nécessité de se soucier des ressources humaines « durables » pour améliorer la performance. Telle est la principale conclusion de l’étude « Global Human Capital Trends » réalisée par le cabinet Deloitte, qui a révélé le 12 février que 3 % seulement des dirigeants jugent leur organisation « extrêmement efficace » pour capter la valeur créée par les collaborateurs.

L’étude analyse les tendances-clés du management et de la performance au sein des organisations sur la base d’une enquête menée auprès de plus de quatorze mille dirigeants et responsables des ressources humaines à travers quatre-vingt-quinze pays différents, dont la France, où soixante-cinq personnes ont été interrogées.

La plupart des dirigeants disent avoir conscience qu’il faut rompre avec les méthodes traditionnelles au profit de nouveaux modèles plus agiles. Il s’agit là de tenir compte de l’émergence du télétravail, du freelancing [travail indépendant], de l’aspiration des collaborateurs à plus d’autonomie. Mais seulement 33 % d’entre eux évoquent une insuffisante compréhension de ces enjeux comme raison de l’incapacité de leur organisation à progresser.

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D’autres y voient un problème de données. Seuls 19 % estiment disposer de critères suffisamment fiables pour mesurer la manière dont leur organisation peut bénéficier aux collaborateurs. « Les entreprises disposent d’une quantité croissante de données, mais pas toujours pertinentes. Elles peinent à en tirer des conclusions pour orienter finement leurs actions », explique Franck Chéron, associé spécialiste du capital humain au cabinet Deloitte. Par exemple, les référentiels de compétences reposant sur du déclaratif peuvent être en partie erronés.

Pour une écoute et un management plus participatif

Même souci avec la mesure de la productivité : 74 % des dirigeants interrogés estiment qu’il est « très » ou « extrêmement » important de rechercher de meilleurs moyens de mesurer la performance des collaborateurs. Les critères traditionnels comme les heures travaillées et le temps passé sur les tâches perdent ainsi de leur pertinence. Pourtant, seulement 40 % déclarent faire quelque chose pour mettre en place de nouveaux outils.

Pour développer les ressources humaines de manière durable, mieux vaut miser sur l’autonomie que sur un contrôle tatillon. Quatre-vingt-dix pour cent des dirigeants interrogés considèrent que la transparence accroît la confiance et l’engagement, mais leurs homologues français ne sont que 52 % à le penser. Faut-il y voir un trait culturel d’un pays où la défiance prévaut ? Pas forcément, nuance Franck Chéron : « La France s’est déjà dotée d’une forte régulation en matière de transparence à travers l’index de l’égalité professionnelle, et les sondés hexagonaux peuvent considérer que l’essentiel est déjà fait.».

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Vague de faillites d’entreprises à travers l’Europe

La boutique Camaïeu du centre commercial Italie-2, à Paris, en 2013.

Sur les bureaux de S&P Global Ratings, les dossiers de défaut de paiement d’entreprises s’accumulent. Sur le seul mois de janvier, et uniquement pour la France, trois entreprises ont été classées dans cette catégorie : Labeyrie (gastronomie), Biscuits holding (marque blanche de biscuits pour grandes surfaces) et Atalian (services aux bâtiments). Alors que l’agence de notation ne couvre que les grandes entreprises, un tel rythme est inhabituel.

Ces difficultés ne sont pas limitées à la France. A travers l’Europe, le nombre de défauts que S&P a comptabilisé en 2023 a doublé par rapport à 2022, à trente. « En novembre, on anticipait qu’on atteindrait un taux de défaut de 3,75 % [du nombre d’entreprises classées « spéculatives »] cette année en Europe. Au rythme actuel, on sera au-dessus », explique Paul Watters, qui dirige la recherche crédit pour l’Europe à S&P.

Pas d’alarmisme pour autant : le taux de défauts en Europe reste moitié moindre que lors de la grande crise financière de 2008-2009, quand il avait frôlé 10 %. « Ce n’est pas un tsunami mais dans de nombreux pays, on est désormais au-dessus du taux de défaut d’avant la pandémie », poursuit M. Watters.

Jeudi 15 février, les statistiques des faillites dans l’Union européenne sont venues confirmer cette analyse. Leur nombre au quatrième trimestre 2023 a progressé de 60 % par rapport à leur point bas de mi-2020, pendant la pandémie de Covid-19, quand les aides publiques avaient maintenu à flot toute l’économie. Plus inquiétant, il y en a désormais plus que la moyenne de 2016-2019. Il faut remonter à 2015, pendant la crise de la monnaie unique, pour retrouver un tel niveau.

« On va rentrer dans le dur maintenant »

Au Royaume-Uni, la situation est pire : en 2023, le nombre de faillites était au plus haut depuis trente ans, avec 25 000 entreprises liquidées. En France, le nombre de défaillances l’an passé a atteint 55 500, en hausse de 34 % par rapport à 2022, mais encore légèrement au niveau de la moyenne de 2010-2019.

« On a une très forte remontée des faillites à travers le monde, et pas seulement en Europe, confirme Maxime Lemerle, d’Allianz Trade, une société qui répertorie les défaillances à travers le monde. Ce n’est pas une grosse surprise. » Avec le choc de l’inflation et la forte remontée des taux d’intérêt, la zone euro stagne depuis fin 2022. « Or, il s’écoule généralement dix-huit mois entre le ralentissement économique et les difficultés financières des entreprises », rappelle Douglas McWilliams, vice-président du Centre for Economics and Business Research, un cabinet britannique. Le gros des problèmes doit donc arriver dans les prochains mois. « On va rentrer dans le dur maintenant, confirme M. Lemerle. On n’a plus les mesures de soutien, la croissance ne reprend pas, en tout cas pas tout de suite, les taux d’intérêt ne vont pas redescendre très rapidement… »

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Existe-t-il un « devoir de travailler », comme l’a suggéré Gabriel Attal ?

Le premier ministre, Gabriel Attal, en déplacement à Villejuif, dans la banlieue sud de Paris, le 14 février 2024.

Quarante-huit heures avant le mouvement de grève des contrôleurs de la SNCF prévu ce week-end, le premier ministre Gabriel Attal a opposé mercredi 14 février le droit de grève à un devoir de travailler. « Les Français (…) savent que la grève est un droit, mais je crois qu’ils savent aussi que travailler est un devoir », a lancé le premier ministre, interrogé sur le mouvement qui devrait perturber la circulation des trains en plein week-end de vacances scolaires.

Les deux principes que M. Attal semble opposer sont extraits du Préambule de la Constitution de 1946. L’alinéa 5 affirme que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » tandis que le septième précise que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Quelle est la portée juridique de ces deux principes ? Sont-ils vraiment opposables ? Pour Bérénice Bauduin, maître de conférences en droit social à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, il serait « hypocrite » de mettre ainsi en regard deux principes qui n’ont pas la même valeur dans la jurisprudence constitutionnelle, où le « devoir de travailler » ne figure pas.

Sommes-nous tous soumis à un « devoir de travailler » ?

Le devoir de travailler est une notion très large ; on peut y mettre un peu ce qu’on veut car elle n’a pas été réellement définie juridiquement. Surtout, elle n’a jamais fait l’objet d’une décision de jurisprudence par le Conseil constitutionnel. C’est-à-dire que ses membres n’ont jamais eu à se prononcer sur une loi qui viendrait se confronter à ce principe. L’idée même d’un devoir de travailler est gênante car, dans le droit français, on ne peut pas obliger quelqu’un à travailler. On ne peut pas empêcher un salarié de démissionner, c’est un droit protégé. Même le principe de réquisition, qui peut s’appliquer dans certaines circonstances, est très encadré. Cela va aussi à l’encontre de certains principes internationaux, comme le travail forcé qui est interdit par l’organisation internationale du travail.

Si le « devoir de travailler » a pu être opposé au droit de grève dans certains discours politiques, d’un point de vue juridique, le Conseil constitutionnel refuse de se saisir de notions qui sont trop floues, et pour lesquelles il n’est pas en mesure de déterminer ce qu’a été la volonté du constituant. Le devoir de travailler a peut-être été pensé en 1946 comme un devoir moral. Mais il est difficile d’établir que la volonté des constituants était d’en faire une obligation imposable aux citoyens.

Un principe qui figure dans le Préambule de la Constitution peut donc ne pas avoir de réelle valeur juridique ?

Le Préambule de la Constitution de 1946, dont sont issus le principe du « droit de grève » comme celui du « devoir de travailler » a été écrit sous la IVe République, au sortir de la seconde guerre mondiale. A l’époque, c’est un texte principalement symbolique qui vise à garantir une République avec plus de droits sociaux, pour compléter la Déclaration des droits de l’homme qui se concentre plutôt sur les droits civils, et éviter une nouvelle exploitation politique de la misère, comme celle qui avait conduit le nazisme au pouvoir. Mais le texte n’avait pas été pensé par ses rédacteurs comme pouvant avoir une valeur juridique contraignante.

Ce n’est que depuis une décision de juillet 1971 que le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour contrôler la conformité des lois aux droits et libertés fondamentales garantis par la Constitution. Tous les principes qui figurent dans le préambule de 1946 n’ont toutefois pas été activés de la même manière dans la jurisprudence.

Peut-on dans ce cas opposer droit de grève et devoir de travailler, comme semble le faire Gabriel Attal ?

On peut être tentés de les opposer dans certains discours, mais cette opposition est de l’ordre du sophisme. Sur le droit de grève, le Conseil constitutionnel a été amené à plusieurs reprises à se prononcer sur des lois qui avaient pour objectif d’encadrer ce droit, comme l’instauration d’un préavis obligatoire, ou la loi relative à la continuité du service public. Pour limiter le droit de grève, il faut justifier d’un objectif proportionné, de même valeur constitutionnelle.

Ce n’est pas le cas pour le devoir de travailler. Même dans une décision comme celle de décembre 2022 sur l’application de la loi relative à l’assurance-chômage, le Conseil constitutionnel ne s’appuie pas sur le « devoir de travailler » mais y invoque plutôt un « objectif d’intérêt public » ou une incitation des travailleurs à retourner à l’emploi.

Il y a donc quelque chose d’assez hypocrite à utiliser, comme s’ils avaient la même valeur, le droit de grève, protégé en tant que tel par des décisions du Conseil constitutionnel, et le devoir de travailler qui, juridiquement, est inexistant. Par ailleurs, la grève n’est pas une méconnaissance du devoir de travailler. On ne fait pas grève dans le but de ne pas travailler, mais bien pour obtenir la satisfaction de revendications professionnelles.

Travail à distance : comment le téléprésentéiste donne l’illusion d’être actif alors qu’il fait ses courses

Malgré une incontestable évolution des mœurs, le management à la française n’a pas totalement rompu avec ses démons présentéistes. L’équation absurde consistant à supposer une équivalence entre présence et implication professionnelle continue à être valable, même à distance. A tel point qu’un nouvel archétype a vu le jour, enfant monstrueux du télétravail et de la surveillance corporate : le téléprésentéiste. A la fois absent et omniprésent.

Pour qualifier ce nouvel état, où l’on n’est pas physiquement là mais où l’on se manifeste au travers des outils numériques, le chercheur Christian Licoppe parle de « présence connectée ». « Ce qui donne ici consistance à la présence, ce n’est pas la coprésence des corps et la concentration (hypothétique) de l’attention, c’est la fréquence des contacts et la continuité temporelle qu’ils instaurent », écrit-il dans son texte « Les formes de la présence » (Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2012). A la présence comme état (physique et psychique) s’est substituée une présence signalétique, détachée de l’« être ici et maintenant ».

Comme jadis la bonne vieille martingale de la veste laissée sur le dos de la chaise de bureau pour faire croire qu’on est aux toilettes alors qu’on est parti faire ses courses, les signaux envoyés par un usage frénétique de Slack, de Teams et autre Hangout sont parmi les nombreuses astuces que le téléprésentéiste mettra en œuvre pour avoir l’air de se consacrer à fond à son travail.

Se manifester très tôt le matin par un simple « hello » vous fera passer pour un type qui démarre sa journée de travail aux aurores, même si, en vrai, vous êtes en train d’accueillir le chauffagiste en pyjama. Idem si un message vous surprend au rayon charcuterie de Monoprix pendant vos heures de travail : « Je te réponds tout à l’heure, je suis en rendez-vous extérieur », balancera alors, dans la demi-seconde, le téléprésentéiste, qui aime à faire savoir qu’il ne ménage pas sa peine, il est également du genre à poster sur les réseaux sociaux des photos de lui en train d’avaler un sandwich devant son laptop, assorties des hashtags #workfromhome et #viededingue.

Superviser l’activité des salariés à distance

S’insérer dans les boucles de mails, faire coucou à ses supérieurs en leur posant une question « super importante » par texto, intervenir de manière marquante dans une visio avant de couper discrètement la caméra et le son (au passage, choisir un fond d’écran qui évoquera le labeur et non un décor de Riviera mexicaine) sont de bons moyens de se montrer téléimpliqué.

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Galeries Lafayette : pas de décision sur l’avenir de 26 magasins

« Il nous enfume ! » Mercredi 14 février, la tension est palpable à la sortie de l’audience qui devait étudier le plan de sauvegarde d’Hermione Retail, filiale de la Financière immobilière bordelaise, créée par l’homme d’affaires Michel Ohayon, qui exploite sous licence des grands magasins à l’enseigne Galeries Lafayette dans vingt-six villes de province. Dans la salle des pas perdus du tribunal de commerce de Bordeaux, la dizaine de salariées venues des magasins de Tarbes, Dax et même du nord de la France est vent debout.

Ces magasins, qui regroupent 1 100 salariés, situés à Belfort, La Rochelle, Bayonne, Amiens ou encore Libourne, sont, depuis février 2023, placés en procédure de sauvegarde, à la demande de son actionnaire, auprès du tribunal de commerce de Bordeaux. La dette d’Hermione Retail – en cessation de paiement depuis fin 2022 – auprès de ses fournisseurs s’élève à 38 millions d’euros.

Pourtant, le dénouement attendu n’a pas eu lieu. « Il y a une nouvelle proposition de la direction d’Hermione pour poursuivre leur relation contractuelle », explique Stéphane Kadri, avocat des représentants du personnel. Une nouvelle audience aura lieu le 21 février. « Les discussions se poursuivent avec les Galeries Lafayette, parce que les créanciers ont un délai pour se prononcer jusqu’au 22 février », précise MKadri. Selon nos informations, les Galeries Lafayette refuseraient de cautionner ce plan de sauvegarde en l’état.

« Une seule piste »

A la sortie de l’audience, les échanges sont vifs entre Michel Maire, directeur d’Hermione Retail, et les salariées des Galeries Lafayette. « On a qu’une seule piste, c’est celle-ci, utilisons-la », se défend-il, arguant qu’« il n’y a pas eu de licenciements depuis la reprise ».

« C’est normal, ils sont en sous-effectif ! », s’agace Me Kadri. Pour Michel Maire, la proposition formulée par Michel Ohayon est la meilleure pour l’avenir des Galeries Lafayette menacées. « On est contraints aujourd’hui, il n’y a personne d’autre. Je n’ai jamais eu un dossier où ça n’intéresse personne. » Reconnaissant que « ce n’est pas le meilleur des plans », Michel Maire explique : « Vous avez un fonds de commerce qui est là, les clients sont toujours là. »

Lire le décryptage | Article réservé à nos abonnés Le commerce de l’habillement perd des milliers d’emplois dans l’indifférence

« Et c’est grâce à nous ! », s’emportent les salariées. Véronique Guichenary, représentante du personnel au tribunal, employée administrative de l’enseigne de Dax pour laquelle elle œuvre depuis trente ans, s’inquiète, elle aussi : « Dès qu’on va sortir de la sauvegarde, des marques vont partir. Comment on va faire le chiffre d’affaires ? C’est le chien qui se mord la queue : le commerce perd du chiffre d’affaires tous les jours. »

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Le grand malentendu sur « la valeur travail »

« Le premier combat de mon gouvernement, c’est le travail. » La formule du premier ministre dans sa déclaration de politique générale, le 30 janvier, ouvrait un champ des possibles. Vite réduit. « C’est veiller à ce que ceux qui se lèvent tôt, qui travaillent, gagnent toujours plus que ceux qui ne travaillent pas », a expliqué Gabriel Attal.

« La France qui se lève tôt », mantra de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, centrée sur la « valeur travail ». La recherche de l’expression sur Google exhume directement un article du site du quotidien 20 Minutes sur un déplacement du candidat au marché de Rungis avec « ceux qui se lèvent tôt ». Que constate le journaliste ? Déjà, un décalage entre le discours et la réalité : « Accueilli plutôt chaleureusement, le candidat de l’UMP en est ressorti conforté dans ses convictions de “vouloir libérer le travail, qu’il soit enfin récompensé”, même si les employés du marché lui ont surtout parlé de pénibilité et de retraite à 55 ans pour les travailleurs de nuit. »

Dix-sept ans ont passé, mais la rhétorique de Gabriel Attal est la même, classique à droite de l’échiquier politique : il faut « déverrouiller le travail », « inciter à l’activité », en obligeant les bénéficiaires du RSA à travailler, en supprimant l’allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droits, en réduisant les droits au chômage des seniors. Et que le travail paie plus, au-dessus du smic en tout cas.

Crises en série

Les « défis » que constituent « l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle, la question des horaires, des méthodes de management ou du télétravail » ne sont effleurés qu’en une phrase. Le mot « travail » est scandé près de trente fois, mais il n’est, au fond, jamais question du travail concret, vécu, qui fait le quotidien des Français.

Ces dernières années, plusieurs crises ont pourtant profondément interrogé cette « valeur travail » tant de fois rebattue. Qui étaient les « gilets jaunes » qui revendiquaient en 2018 de pouvoir vivre dignement de leur travail et ont manifesté si vivement leur mal-être démocratique ? Des auxiliaires de vie, des aides-soignantes, des agents logistiques, métiers aux rythmes intenses, mal payés, aux collectifs de travail atomisés.

La pandémie de Covid-19 et ses confinements ont posé la question de la reconnaissance, du sens du travail et de l’utilité sociale, en démontrant combien les métiers peu considérés se révélaient « essentiels ».

En 2023, des Français usés ont nourri les denses cortèges contre la réforme des retraites, abasourdis de devoir travailler deux ans de plus sans meilleure prise en compte de la pénibilité. Tous décrivaient la dégradation de leurs conditions de travail, la réduction des équipes et des délais, dans une course à la rentabilité, génératrice d’accidents du travail.

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Cumuler emploi et retraite est-il toujours intéressant ?

Une fois leur pension calculée et versée, les retraités ont la possibilité de reprendre, de poursuivre ou de commencer une nouvelle activité professionnelle rémunérée. C’est ce qu’on appelle le « cumul emploi-retraite ». Les règles régissant ce dispositif – notamment la possibilité de cumuler ses revenus d’activité avec ses pensions de retraite – dépendent des conditions dans lesquelles la nouvelle activité professionnelle est exercée.

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Lorsqu’un retraité démarre une activité relevant d’un autre régime que celui qui lui verse sa pension − par exemple, s’il démarre une activité non salariée alors qu’il était salarié du privé ou du public −, il peut continuer à percevoir sa retraite en totalité, quels que soient le montant de ses revenus professionnels, son âge et les conditions dans lesquelles il a obtenu sa retraite : à taux plein ou à taux minoré. Seul inconvénient de cette formule à laquelle la réforme de 2023 ne remédie pas : ses cotisations sont versées à fonds perdus et ne lui rapportent aucun droit supplémentaire.

Les changements apportés par la réforme de 2023 ne concernent que le cumul intra-régime. C’est-à-dire la situation des retraités qui reprennent ou poursuivent une activité relevant du même régime que celui qui leur verse leur allocation. Dans cette hypothèse, ces derniers ne peuvent cumuler leurs revenus d’activité avec l’intégralité de leur pension qu’à partir de l’âge minimum de la retraite − soit 64 ans au terme de la réforme − et à condition qu’ils aient la durée d’assurance correspondant à leur génération ou, à défaut, à partir de 67 ans.

Cotiser à fonds perdus

A moins de respecter ces règles dites du « cumul intégral », ils entrent dans le cadre du « cumul limité » qui ne leur permet d’additionner leurs revenus d’activité et leurs pensions de retraite que dans une certaine limite. Pour simplifier les choses, celle-ci n’est pas la même d’un régime à l’autre. Par exemple, pour un ancien salarié qui reprend une activité salariée, la somme de ses retraites (base et complémentaire) et de son nouveau salaire ne doit pas dépasser son dernier salaire ou 1,6 smic si cela est plus favorable. S’il dépasse la limite prévue, sa retraite de base est réduite à concurrence du dépassement, tandis que le versement de sa retraite complémentaire est suspendu.

La réforme de 2023 ne modifie pas les règles du cumul intégral et du cumul limité. Mais elle prévoit que les cotisations versées par les retraités en condition de cumul intégral ne le sont plus à fonds perdus : elles leur permettront d’obtenir une deuxième pension auprès de leur régime de base après un délai de carence de six mois pour les salariés qui reprennent une activité chez leur dernier employeur (aucun délai de carence n’est appliqué pour les non-salariés). En revanche, la réforme ne change rien pour les retraités en situation de cumul limité, qui continuent à cotiser à fonds perdus, sans s’ouvrir de nouveaux droits.

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Congé menstruel : une proposition de loi examinée par le Sénat

En 2020, Aurélie, qui n’a pas souhaité communiquer son nom, se réveille aveugle d’une nuit d’été. Cela lui arrive de temps en temps, quand elle a ses règles. Elle perd la vue pendant quelques heures, puis finit par la retrouver. C’est l’un des symptômes de sa « dysménorrhée invalidante », ou syndrome des règles douloureuses. A cette époque, Aurélie est vacataire et travaille à l’accueil d’un musée, en pleine période estivale. De peur d’être renvoyée, elle n’ose pas s’absenter et demande à son mari de l’accompagner jusqu’à son lieu de travail. « J’avais peur de me faire écraser par une voiture en chemin », confie-t-elle. Vomissements, maux de ventre, diarrhées… Les symptômes liés à la dysménorrhée sont très variés.

« L’égalité des chances ne peut exister à moins qu’on ne mette en place des aménagements particuliers pour les femmes souffrant de dysménorrhée », affirme Hélène Conway-Mouret. En avril 2023, la sénatrice socialiste représentant les Français établis hors de France a déposé une proposition de loi visant à « améliorer et garantir la santé et le bien-être au travail ». Examiné en séance plénière jeudi 15 février au Sénat, à l’occasion de la niche parlementaire du groupe Socialiste, écologiste et républicain, le texte prévoit des modalités d’organisation en télétravail pour les femmes souffrant de « dysménorrhée, dont l’endométriose » et la création d’un arrêt de travail spécifique, d’une durée ne pouvant excéder deux jours par mois et valable un an. Il s’appliquerait sans jour de carence et pourrait être mobilisé par toute personne bénéficiant d’une « prescription d’arrêt de travail » délivrée par un médecin ou une sage-femme.

« C’est un grand pas dans la reconnaissance de la souffrance de certaines femmes pendant leurs règles, salue Maud Leblon, de l’association Règles élémentaires. Surtout pour celles, les plus défavorisées socialement, qui ne peuvent pas se permettre de prendre des arrêts avec jours de carence. » Pour les concepteurs du texte, la mise en place de ce dispositif est aussi une manière d’encourager les salariées du public comme du privé à commencer un suivi médical.

« Souvent, les femmes ont renoncé aux soins depuis longtemps », assure Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil national de l’ordre des sages-femmes. A toutes celles qui se sont vu répondre « c’est normal, ce sont tes règles », alors qu’elles se plaignaient d’avoir mal au ventre, Isabelle Derrendinger le rappelle : « Non, ce n’est pas normal. Les femmes ne doivent pas vivre leurs douleurs comme une implacable fatalité. »

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