Archive dans janvier 2024

Sortir les Français de la « smicardisation »

Parmi les réalités qui plombent le moral de nombreux Français et alimentent le vote protestataire, il en est une qui s’impose à la fin de chaque mois : leur bulletin de paie. La moitié des salariés français perçoivent moins de 2 091 euros mensuels net – le salaire médian en 2022 – et une proportion croissante d’entre eux se trouve reléguée au niveau du salaire minimum, fixé à 1 398,69 euros net. Alors que ces smicards ne constituaient que 12 % des salariés voici tout juste trois ans, ils sont aujourd’hui plus de 17 %, soit 3,1 millions.

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Le phénomène, déjà observé au début des années 2000, au moment de la généralisation des 35 heures, n’est pas nouveau. Le mouvement des « gilets jaunes » de 2018-2019, déclenché par la hausse des taxes sur les carburants, a mis en lumière la colère des travailleurs aux fins de mois impossibles. Mais le retour de l’inflation, depuis 2022, précipite plus de salariés encore dans la « trappe à bas salaires » par un mécanisme pernicieux.

Tandis que le smic, seul à être légalement indexé sur la hausse des prix, a été augmenté à plusieurs reprises (+ 12,6 % au total depuis 2021), le salaire de base des employés et ouvriers (+ 9 %) n’a pas suivi. Conséquence : le bataillon des personnes payées jusque-là un peu plus du smic, et aspirées vers le niveau minimum, grossit. Le sentiment de déclassement qui saisit les victimes de cette « smicardisation » est pain bénit pour les démagogues, en particulier l’extrême droite. Cette érosion du pouvoir d’achat sape l’engagement dans le travail et pèse sur la consommation, principal moteur de l’économie française.

Le maintien dans les bas salaires est également renforcé par un système d’exonération de charges sur le seul smic qui incite les employeurs à y maintenir les salariés, tant le surcoût à payer pour les en sortir est élevé. De façon perverse, un salarié « rattrapé » par le smic est une aubaine pour le patron en matière d’exonération de charges.

Passer aux actes

Il est urgent de corriger les conséquences délétères de pareils mécanismes, sans attendre le lent rééquilibrage attendu du ralentissement de l’inflation. Emmanuel Macron, en promettant de « tout faire pour que le travail paie mieux », lors de sa conférence de presse du 16 janvier, a semblé l’avoir compris. Il reste à passer aux actes pour sortir d’une situation qui, si elle dépend principalement du rapport de force et des négociations entre syndicats et patronat, est aussi sensible à l’action de l’Etat.

Si un retour à l’indexation générale des salaires, abandonnée en 1983, ne saurait constituer une réponse pérenne en raison de son caractère inflationniste, il appartient au gouvernement d’inciter fortement les partenaires sociaux à relever les minima conventionnels dans les branches professionnelles où ils sont inférieurs au smic. L’Etat doit favoriser les employeurs qui partagent plus équitablement leurs profits avec leurs salariés et qui motivent ces derniers en leur offrant des possibilités de formation pour favoriser la montée en compétences et la mobilité d’une entreprise à l’autre, facteurs importants de promotion.

Mais le principal levier dont dispose l’exécutif passe par une remise à plat du système d’allégement de charges sur les bas salaires. Alléger les cotisations sur les salaires légèrement supérieurs au smic, conditionner les exonérations à des actions de promotion… Toutes les incitations à mieux rémunérer les salariés doivent être explorées. Il y va de la justice sociale, de la dignité des travailleurs et de la cohésion du pays.

Le Monde

« Que sait-on du travail ? » : La France peine à développer les organisations apprenantes

43 % des salariés français des entreprises d’au moins dix personnes travaillent dans une organisation du travail dite « apprenante », qui permet un développement continu des capacités d’apprentissage, l’autonomie et la participation des travailleurs aux décisions. C’est moins qu’en Allemagne, un peu plus qu’en Italie et beaucoup moins qu’en Suède. Et la tendance en France est à la baisse depuis une dizaine d’années.

Dans sa contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ?  » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr, l’économiste du travail du département travail-emploi-compétences de France Stratégie, Salima Benhamou, analyse le retard de la France dans la diffusion des organisations apprenantes au sein des entreprises et ses conséquences sur la qualité de l’emploi.

L’économiste compare quatre types d’organisation du travail en place dans les entreprises qu’elle qualifie d’« apprenante », de « taylorienne », de « lean production » (un modèle axé sur l’amélioration de la qualité et sur une rationalisation maximale des coûts de production), et de « simple ».

Après les avoir décrites en précisant, par exemple, la plus forte autonomie des salariés dans les organisations apprenantes, Salima Benhamou constate que « l’organisation du travail apprenante apparaît comme la plus favorable aux salariés sur une grande majorité d’indicateurs liés à la qualité du travail et de l’emploi ».

Deux freins majeurs

Concernant la stabilité de l’emploi : dans une organisation apprenante, une personne a plus de chances d’obtenir un CDI.

Concernant la reconnaissance : les salariés se déclarent plus souvent reconnus comme il se doit pour leur travail ; ils participent davantage à la prise de décision ; ils sont plus nombreux à se sentir traités avec équité : 84 %, contre respectivement 69 % et 64 % des salariés des organisations « lean » et « taylorienne ».

Enfin, ce sont les moins nombreux à déclarer leur santé menacée par leurs conditions de travail : 29 %, contre 47 % en « lean production ».

Alors, pourquoi tarder à développer ce modèle d’organisation ? Sa diffusion en France est, certes, en avance par rapport à quelques pays du sud de l’Europe, comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, mais très en retard par rapport à l’Europe du Nord. Pour Salima Benhamou, les deux freins majeurs sont le système éducatif et le management vertical.

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La transformation des organisations du travail en France, un défi qui reste à relever

[Pourquoi les organisations du travail apprenantes ont-elles du mal à se diffuser en France ? C’est la question à laquelle répond l’économiste Salima Benhamou dans sa contribution au projet « Que sait-on du travail ? ». Ses domaines d’expertise portent sur les mutations du travail, en lien avec l’évolution des organisations du travail et des technologies telles que l’intelligence artificielle, leur impact sur la qualité du travail (conditions de travail, développement des compétences, qualité du management, bien-être, etc.) et sur la performance économique.]

L’organisation du travail est souvent ignorée dans les débats et les politiques publiques visant à améliorer la qualité du travail et des emplois, soit parce que ses modalités de mise en œuvre sont difficiles à identifier, soit parce qu’elle est considérée comme la « boîte noire » de l’entreprise. Pourtant, elle a un impact déterminant sur la qualité du travail et des emplois (conditions de travail, développement des compétences, qualité du management, statut de l’emploi…).

Parmi la pluralité des formes d’organisation du travail (taylorienne, simple, lean management et apprenante), certaines sont plus favorables que d’autres aux salariés. C’est le cas notamment de l’apprenante, une organisation du travail qui repose fondamentalement sur le développement en continu des capacités d’apprentissage des travailleurs, sur leur autonomie et sur leur participation aux décisions. En donnant une plus grande maîtrise aux salariés, elle permet aussi aux entreprises d’être plus innovantes, plus performantes et plus soutenables.

En Europe du Nord, plusieurs pays (Suède, Norvège, Finlande, Pays-Bas…) ont mis en place des programmes pour moderniser en ce sens leurs organisations du travail. Ils visent à orienter les stratégies des entreprises vers une stratégie globale en matière de qualité : qualité du travail et des emplois, qualité des produits et innovation.

A l’origine de ces initiatives européennes, on trouve toujours la même prise de conscience des gouvernements, des entreprises et des syndicats : le travail n’est pas un coût, mais un investissement à valoriser en tant que tel pour soutenir un développement économique équilibré, c’est-à-dire qui soutient la croissance économique et le bien-être social. Ce « partenariat social » reposait également sur un principe fondateur, celui de la démocratie participative sur le lieu de travail. Ce « modèle » s’est, depuis, largement diffusé en Europe du Nord, mais qu’en est-il précisément en France ?

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L’argot de bureau : au commencement était le « brainstorming »

Deux jours de travail intenses pour quatorze penseurs, une présélection des meilleures idées par un jury, et le vote de 41 000 personnes. Résultat des courses ? Des points colorés, de toutes tailles, qui dessinent un hexagone. Voilà le nouveau logo de France Travail (ex-Pôle emploi), censé « illustrer le maillage et l’ancrage territorial » d’un « service public de l’emploi rénové ».

Pour impliquer ces équipes, outre le fait que les votants étaient exclusivement des agents de France Travail, les quatorze « graphistes » étaient en réalité des volontaires, choisis parmi les équipes. Ce « processus participatif sans précédent » ressemble bien à un bon vieux « brainstorming ».

Ce terme incontournable nous vient du publicitaire américain Alex Osborn (1888-1966) et date des années 1940. A l’époque, il s’agit d’une technique de résolution collective de problèmes, qui veut rationaliser la collecte d’un maximum d’idées au sein d’une entreprise. Etymologiquement, elle prend d’assaut (storming, un terme militaire) le cerveau (brain).

Big bang créatif

Il n’est pas question d’une tempête, comme on le croit souvent : les traductions en langue française sont donc toutes des faux-sens, que l’on parle de « tempêtage cérébral », de « remue-méninges », de l’original « cervorage », ou du titre d’un chapitre des Misérables de Victor Hugo, « Une tempête sous un crâne ».

Le brainstorming fait souvent office d’acte originel du jargon d’entreprise. S’il s’agit du big bang de l’argot de bureau, il est aussi censé s’agir d’un big bang créatif, où chacun dit tout ce qui lui passe par la tête sans réfléchir, même si 95 % des idées ont déjà été dites ou mises en œuvre ailleurs. Le but est de combiner, sans les juger, les demi-réponses des uns avec celles des autres, pour voir si l’on tient une idée complète. Un animateur doit veiller à ce que la bienveillance empêche l’autocensure. Pas de soupirs ni de levers de sourcils comme dans une réunion classique, donc.

Mais l’orage a perturbé la clarté du concept. Peu à peu, le terme « brainstorming » a permis de désigner toute réunion informelle, avec l’idée qu’elle doit être ludique. Au fil du XXe siècle, de nombreux chercheurs en sciences de gestion ont mis en évidence qu’une somme d’individus réfléchissant de leur côté peut produire plus de résultats qu’un brainstorming, et que les idées prononcées devant tout le monde témoignent parfois d’une volonté d’être bien vu… Ce qui tend à multiplier les poncifs.

La version ludique a perduré, puisqu’elle offre un bénéfice collatéral en termes d’ambiance, et de sentiment d’implication des salariés. En politique, il s’agit par exemple de l’invention du concept d’« université d’été ».

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En France, la grande « smicardisation »

La France est-elle en train de se « smicardiser » ? Plus d’une personne sur cinq (17,3 %) dans le secteur privé non agricole est aujourd’hui payée au salaire minimum, contre 12 % seulement début 2021. En deux ans, entre le 1er janvier 2021 et le 1er janvier 2023 (selon les derniers chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, Dares), leur nombre s’est accru d’un million de personnes. Sur les près de 17,6 millions de salariés, 3,1 millions gagnent ainsi 1 398,69 euros net par mois.

Une évolution dénoncée par les organisations syndicales, qui demandent des revalorisations salariales, voire la réindexation de l’ensemble des rémunérations sur l’inflation. Le Parti communiste français a lancé une opération « vérité sur les salaires », appelant les salariés modestes à envoyer leur feuille de paie au siège du PCF. Le 3 février, une délégation ira déposer ces courriers à Matignon pour « montrer au premier ministre [Gabriel Attal] la réalité des salaires dans notre pays ».

L’exécutif est conscient de l’enjeu, alors que le chiffon rouge de la smicardisation devient de plus en plus un slogan politique. « Nous devons recréer une dynamique des salaires en France, pour recréer un espoir par le travail », déclarait le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lors de la présentation des vœux aux forces économiques, début janvier. A l’occasion de sa conférence de presse du 16 janvier, Emmanuel Macron a enfoncé le clou, en demandant à son gouvernement des mesures permettant de « mieux gagner sa vie par le travail », et appelant la négociation de branche « pour que la dynamique salariale soit au rendez-vous des efforts ».

Si la proportion de salariés au salaire minimum de croissance (smic) a fortement augmenté en France depuis deux ans, c’est pour une raison assez simple : le smic est automatiquement indexé sur l’inflation, ce qui n’est pas le cas des autres rémunérations. En raison de la forte hausse des prix enregistrée ces deux dernières années, sa progression a donc été nettement plus rapide que l’ensemble des salaires.

Depuis le 1er janvier 2021, le salaire minimum a ainsi été revalorisé à huit reprises, son montant brut horaire passant de 10,25 euros à 11,65 euros (+ 13,6 %). Sur la même période, le salaire de base des employés et des ouvriers n’a augmenté que de 9 %, celui des cadres et des professions intermédiaires de 7 % environ.

En allant plus vite que l’ensemble des salaires, le smic a donc rattrapé des millions de salariés dont la paie était légèrement au-dessus, et qui sont devenus ou redevenus smicards. Ce phénomène a aussi produit un resserrement de l’éventail des rémunérations. L’écart entre le smic et le salaire médian (2 091 euros net en 2022) n’est plus que de 600 euros, ce qui gomme les hiérarchies visibles et invisibles à l’intérieur des entreprises.

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« Pour que le “plein et le bon emploi” devienne une réalité avant 2027 »

La nouvelle organisation gouvernementale dit beaucoup des intentions du président de la République et du premier ministre sur les enjeux sociaux. En effet, a été annoncé jeudi 11 décembre un très large périmètre ministériel regroupant à la fois les portefeuilles du travail, de la santé et des solidarités. Il s’agit d’un tournant intéressant et nécessaire dans la manière d’envisager la question sociale en France.

On pourrait voir dans ce regroupement le risque d’embrasser trop large sur des sujets qui sont précis et concrets pour nos compatriotes, comme le salaire, l’accès aux professionnels de santé ou les aides sociales. Mais c’est exactement l’inverse que le terrain nous apprend.

En effet, pour qu’une politique publique produise ses effets, il faut raisonner à partir de l’expérience globale du citoyen. La plupart des entreprises développent une approche identique, à partir de ce qu’elles nomment l’« expérience client », méthode visant à offrir un parcours simple, efficace et cohérent pour chacun. Il n’y a aucune raison pour que cette logique ne s’applique pas à la puissance publique et aux questions sociales.

Une meilleure compréhension collective

Ainsi, lors des discussions houleuses sur le projet de loi immigration ou sur la réforme des retraites, cette approche aurait permis d’éviter bien des écueils et suspicions.

Par exemple, si en amont du projet de loi retraite, chacun avait pu faire le lien entre l’allongement de la durée de cotisation, l’impact de celui-ci sur la qualité de vie au travail des salariés seniors, les conséquences sur la santé des travailleurs âgés et l’accompagnement social qui en résulte, cela aurait permis une meilleure compréhension collective des véritables enjeux. Et, éventuellement, des débats plus apaisés à l’Assemblée.

Dans cette nouvelle configuration, quelle peut être la feuille de route du nouveau gouvernement sur le travail et l’emploi ?

La recherche du plein-emploi guide l’action des ministres du travail depuis 2017, avec pour méthode principale de créer un cadre juridique favorable à la création d’emplois. Sans nul doute, l’action du ministère du travail s’inscrira dans la continuité de cette quête.

Une quête plus complexe aujourd’hui

Cette dernière est néanmoins plus complexe aujourd’hui, du fait d’une plus grande versatilité des acteurs économiques provoquée par la situation internationale, du fait également des pénuries de ressources humaines dans certains secteurs comme la restauration, le BTP ou les services à la personne.

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L’âge du capitaine, un enjeu au cœur des prochaines assemblées générales des entreprises françaises

Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, Philippe Petitcolin, alors directeur général de Safran, et Bruno Le Maire, ministre de l’économie, lors d’une conférence de presse sur le plan de soutien du gouvernement à l’industrie aéronautique, à Paris, le 9 juin 2020.

La cure de jouvence qui secoue les palais de la République – avec un président de 46 ans et un premier ministre de 34 ans – n’a guère éclaboussé les grandes entreprises. « L’âge moyen des patrons exécutifs du CAC 40 atteint 58,1 ans. Le benjamin est Aditya Mittal, directeur général d’ArcelorMittal, 48 ans, et l’aîné est Bernard Arnault, le PDG de LVMH, qui approche 75 ans », précise Olivia Flahault, cofondatrice d’OFG, un cabinet spécialisé dans l’analyse et l’évaluation de la gouvernance des sociétés cotées.

Le groupe de luxe se caractérise par la moyenne d’âge la plus élevée du CAC 40, à la fois dans son comité exécutif et son conseil d’administration (censeurs compris). Tandis que Vivendi présente le « board » le plus jeune, avec, autour de la table, notamment la nouvelle génération des Bolloré, dont Yannick, 43 ans, plus jeune président de l’indice phare.

Le rajeunissement des instances dirigeantes constitue l’un des enjeux importants des assemblées générales qui se tiendront dans les prochains mois. « Parmi les quarante-huit présidents et vice-présidents [du SBF 120, un indice boursier qui regroupe 120 grandes entreprises françaises] dont le mandat arrive à échéance en 2024, dix-neuf d’entre eux, soit 40 %, ont plus de 70 ans », pointe une étude, publiée vendredi 19 janvier, par OFG. Ainsi, quelques figures emblématiques des affaires n’ont pas encore fait savoir si elles souhaitaient ou non jouer les prolongations.

Statuts amendés pour contourner le limite d’âge

Dans les prochaines semaines, les résolutions publiées au Bulletin des annonces légales (BALO) devraient lever le voile sur les intentions du bâtisseur et président de Sopra Steria, Pierre Pasquier, 88 ans, dont le mandat arrive à échéance en 2024. Sauf à changer les statuts, il devra quitter la présidence du groupe familial en août 2024, à l’anniversaire de ses 89 ans, mais il peut encore rester administrateur.

Lire aussi l’analyse : Article réservé à nos abonnés Au sein du CAC 40, la gouvernance se mondialise

De son côté, Daniel Julien, 71 ans, le PDG de Teleperformance, leader mondial des centres d’appels, avait fait monter en grade ces derniers mois l’Indien Bhupender Singh, directeur général délégué. Cela laissait présager une dissociation des fonctions, permettant au bras droit de prendre la direction générale, qui pourrait intervenir dès 2024 : à moins que le récent rachat du luxembourgeois Majorel ne donne au fondateur l’occasion de rempiler comme PDG, afin d’assurer l’intégration de ce concurrent.

Régulièrement, les grandes entreprises amendent leurs statuts pour conserver un dirigeant atteint par la limite d’âge. Chez Safran, si le directeur général, Philippe Petitcolin, avait un temps espéré refaire un tour de piste grâce à un tel changement, il avait dû abandonner le manche en janvier 2021 à Olivier Andriès. Cette modification des statuts finira bien par arriver, mais chez Alstom, lors de la prochaine assemblée générale, afin d’accueillir l’industriel de 71 ans comme président, appelé au secours par les grands actionnaires de l’équipementier ferroviaire.

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Près d’un salarié sur deux est soumis à un niveau de stress élevé, selon la dernière enquête Qualisocial

Alors même que la conjoncture s’assombrit, le cabinet de conseil en ressources humaines Qualisocial a pris la mesure de l’état d’esprit des salariés. Pour ce faire, du 23 au 29 novembre 2023, Ipsos a interrogé un échantillon représentatif de 3 002 personnes travaillant pour des employeurs privés et publics, administrations incluses.

Qualisocial entend ainsi évaluer l’impact de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) sur la santé, l’engagement et le bien-être, afin de « donner les moyens aux organisations publiques et privées d’agir là où les employés en ont le plus besoin ». « Les difficultés économiques représentent toujours un risque important pour la santé mentale : de mauvaises perspectives d’avenir et des tensions au travail augmentent les troubles psychosociaux », explique Camy Puech, le président du cabinet de conseil.

49 % des répondants affirment éprouver dans leur vie un niveau élevé de stress. Près d’un salarié interrogé sur deux (48 %) se satisfait de sa charge de travail, mais 23 % la jugent problématique, généralement parce qu’ils l’estiment excessive. Cette proportion grimpe à 34 % dans la fonction publique hospitalière.

Le poids des facteurs professionnels

L’enquête ne permet pas de distinguer précisément la part des variables professionnelles qui contribuent au stress des salariés, dans la mesure où des aspects personnels (état civil, âge) interviennent aussi et pèsent notamment sur la santé des salariés. Cela dit, « les entreprises où la charge de travail est problématique comptent trois fois plus de salariés s’estimant en mauvaise santé que celles où la charge de travail est perçue comme équilibrée », observe Camy Puech.

Plus généralement, 53 % des sondés se disent en bonne santé physique ou mentale, mais seulement 39 % les deux. 19 % estiment, en revanche, être en mauvaise santé mentale. Et cette proportion atteint 56 % parmi ceux qui ressentent un déséquilibre entre leur vie professionnelle et personnelle, un item qui recoupe partiellement la charge de travail.

37 % des salariés se disent « plutôt ou très épanouis » dans leur vie, 21 % « peu ou pas épanouis ». Les autres se positionnent entre les deux. Les facteurs professionnels pèsent lourd dans cette répartition, puisque les moins épanouis se concentrent sur les catégories défavorisées. La proportion d’insatisfaits atteint ainsi 26 % chez les ouvriers (contre 15 % parmi les cadres supérieurs), 23 % parmi les salariés non encadrants (contre 13 % pour le « top management »), 28 % chez les salariés disposant dans leur foyer d’un revenu annuel inférieur à 15 000 euros (contre 13 % chez ceux qui gagnent plus de 60 000 euros).

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Comment les bas salaires de nombreuses branches professionnelles se sont fait rattraper par le smic

Comment mieux rémunérer les travailleurs ? Pour Emmanuel Macron, une des solutions est d’encourager « des négociations dans certaines branches pour que la dynamique salariale soit au rendez-vous ». Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, le président a déploré l’existence de branches professionnelles qui « continuent de payer sous le smic ». En réalité, il est illégal de rémunérer un salarié à un montant inférieur à celui du smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance), qui a grimpé de 212,34 euros brut en trois ans pour tenir compte de l’inflation et s’élève désormais à 1 766,92 euros brut mensuel pour 35 heures hebdomadaires de travail.

Cette revalorisation entraîne de fait une hausse de la rémunération perçue par les travailleurs payés au salaire minimum, qui représentaient 17 % des salariés au 1er janvier 2023, contre 12 % il y a trois ans). Mais comme le mécanisme d’indexation des salaires sur l’inflation a été abandonné en 1983, de nombreux salariés, même expérimentés, qui étaient payés un peu plus que le smic, voient leur salaire de base bloqué et « rattrapé » par le niveau du salaire minimum. Cette situation résulte du tassement des grilles salariales prévues par les conventions collectives, ces accords établis par les syndicats et les organisations d’employeurs exerçant dans le même secteur.

Pour éclairer ce mécanisme, nous avons pris l’exemple fictif d’Hélène, employée comme hôtesse d’accueil. Elle arpente les salons d’Ile-de-France et peut être envoyée dans une entreprise pour accueillir les clients en anglais et en français. Pour fixer son salaire de base (qui peut différer de son salaire brut, car il n’inclut pas un certain nombre d’avantages et de primes), son employeur s’est appuyé sur sa convention collective, celle des prestataires de services, dans le domaine du secteur tertiaire. A son entrée dans l’entreprise, en 2020, elle est embauchée à un niveau sur la grille, le coefficient 160, qui lui permet de gagner 28 euros brut de plus que le smic. Au fil des mois, ce salaire minimal conventionnel est dépassé à plusieurs reprises par les revalorisations automatiques du smic.

Le graphique ci-dessous détaille la « course » entre les augmentations de sa branche et du smic.

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Le secteur des prestataires de services n’est pas une exception : depuis 2020, les minima de nombreuses conventions collectives ont été rattrapés par les hausses du smic. Si bien que le rythme des négociations s’est accéléré : « la durée entre deux accords était d’un peu plus de cinq trimestres entre 2014 et 2021 ; cette durée n’était plus que deux à trois trimestres en 2022 et 2023 », peut-on lire dans le dernier rapport du groupe d’experts sur le smic, paru fin 2023.

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« La loi “asile et immigration” réduit les personnes étrangères au statut d’une force de travail »

Mars 2020, 20 heures, les applaudissements aux balcons saluent l’engagement professionnel de femmes et d’hommes qui œuvrent pour que perdure la vie : soin, ravitaillement, hygiène, parfois même éducation… Le pays découvrait ces personnes indispensables à la solidité et au fonctionnement de notre société, à nos communs. Mais l’applaudimètre n’a pas signifié une reconnaissance sociale, et encore moins financière. Une fois cette parenthèse passée, le monde n’a pas changé : les invisibles ont été ramenés à leur ancienne invisibilité.

Ces femmes et ces hommes nettoient les rues, les bureaux ou livrent des repas. Leur réalité est marquée par des horaires de travail fragmentés, rendant leur temps libre pratiquement inutilisable. Pour la plupart, ils appartiennent à ces minorités visibles, indépendamment de leur nationalité. En 2021, selon l’Insee, 14 % des immigrés en emploi ont le statut d’indépendant. Les jeunes hommes qui livrent des repas à domicile sont dans des conditions de travail extrêmement précaires. La contractualisation à travers des plates-formes électroniques et les discriminations à l’embauche les rendent particulièrement vulnérables.

Les dangers de la circulation, les conditions météorologiques difficiles et la baisse de revenus de 10 % à 30 % actuellement constatée par les livreurs des plates-formes accentuent encore leur vulnérabilité. Les livreurs doivent couvrir des distances de plus en plus grandes pour tenter de maintenir leurs revenus. Dans ce contexte, le faible coût de livraison imposé par les plates-formes place les personnes consommatrices dans la position d’être servies presque instantanément, leur permettant d’employer de fait une domesticité systématiquement « invisibilisée ».

Plancher collant

Quant aux femmes, elles occupent une part significative des emplois liés au secteur des soins à la personne, le « care » : d’après une étude de la Dares, en 2021, 13 % des femmes immigrées en emploi travaillent comme agentes d’entretien. Ce chiffre est plus élevé que celui des femmes non immigrées en emploi, qui est de 6 %. Les femmes immigrées représentent par ailleurs 6 % des aides à domicile et aides ménagères et 9 % des aides-soignantes et assistantes maternelles.

En utilisant comme base de l’octroi aux sans-papiers du titre de séjour « métiers en tension » la liste de ces métiers par région publiée au Journal officiel, la loi « asile et immigration » votée le 20 décembre 2023 réduit les personnes étrangères au statut d’une force de travail. Anonymes et réinvisibilisés, déchus de cette fugace reconnaissance nationale, ces femmes et ces hommes ne sont considérés que comme des bras et des corps dévolus à l’économie. Ils vivent de plus en plus souvent l’injonction à rejoindre un auto-entrepreneuriat aux allures de salariat déguisé pour les hommes, ou les métiers de service à la personne mal considérés et mal rémunérés pour les femmes immigrées, qui, au lieu de connaître le plafond de verre, butent sur un plancher collant.

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