Archive dans décembre 2023

Le grand décrochage de la productivité en France

Des jeunes en apprentissage au lycée Airbus de Toulouse pratiquent une séance de bien-être au travail, le 21 septembre 2023.

Depuis son atelier au bord du lac d’Annecy, avec vue panoramique sur les montagnes, Eric Roussel, à la tête de Neo, fabricant de produits techniques pour les sports de plein air, cherche à comprendre. « En 2022, nous avons connu parmi notre équipe de vingt-sept salariés une augmentation importante des arrêts maladie et des absences, ce qui a entraîné une baisse globale de 10 % de la production : autrement dit, sans cet absentéisme, nous aurions pu augmenter notre chiffre d’affaires d’autant. » Derrière le témoignage de ce chef d’entreprise, le constat d’un phénomène assez généralisé en France depuis la crise sanitaire : le décrochage de la productivité.

A l’échelle du pays, entre 2019 et mi-2023, la valeur ajoutée – la richesse produite – a augmenté de 2 %, mais les effectifs salariés, eux, ont progressé de 6,5 %. Depuis la crise sanitaire, les entreprises ont en effet massivement recruté : selon les derniers chiffres publiés, mercredi 29 novembre, par l’Insee, l’économie française comptait à cette date près de 1,2 million d’emplois salariés de plus que fin 2019.

Or, quand le nombre de travailleurs augmente plus vite que la production, cela se traduit mathématiquement par une baisse de la productivité. « Compte tenu du ralentissement de la croissance enregistrée depuis 2019, si la productivité n’avait pas baissé, l’économie française aurait dû non pas créer 1,2 million d’emplois, mais en détruire 180 000, explique l’économiste Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). C’est comme si on avait désormais environ 1,3 million de salariés “de trop”. »

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Exprimé en productivité horaire (c’est-à-dire la valeur ajoutée créée sur une heure travaillée), le décrochage atteint 4,6 % sur la période 2019-mi 2023. Et si l’on rappelle que, avant la pandémie, la productivité horaire progressait bon an mal an d’environ 0,9 % par an depuis la décennie 2010, le décrochage est donc encore plus net. Environ 7 points de pourcentage par rapport à cette trajectoire entamée avant la crise liée au Covid-19.

Faut-il s’inquiéter ?

La productivité du travail a fortement ralenti au cours des quatre dernières décennies dans la plupart des économies avancées, passant d’une croissance annuelle de 3 % à 5 % dans les années 1970 à environ 1 %, indique le rapport du Conseil national de productivité publié en octobre. La crise liée au Covid-19, qui a mis les économies à l’arrêt, à fait naturellement plonger la productivité. Mais depuis, et c’est là sa spécificité, la France peine à redresser la barre. « Elle connaît la moins bonne performance de toute l’Union européenne [UE] », s’inquiète Eric Dor, directeur des études de l’Iéseg School of Management.

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« Que sait-on du travail ? » : associer les salariés au management est profitable à l’entreprise

25 %. C’est la part d’intérimaires constatée dans les entreprises aéronautiques françaises de 100 à 500 salariés lors d’une étude comparative de Jérôme Gautié et Roland Ahlstrand sur la différence d’application du lean management en France et en Suède et ses conséquences sur la vie des salariés.  En Suède, dans des entreprises comparables, la part de personnel temporaire est négligeable note Jérôme Gautié. L’économiste du travail y voit l’« indice d’un investissement plus important dans le capital humain », confirmé par des politiques de formation en interne plus développées en Suède qu’en France.

Cette différence d’approche est déterminante pour que l’introduction du lean management dans une usine produise soit une amélioration de la qualité du travail et de la productivité, soit au contraire du stress et une perte de reconnaissance. C’est ce que développe Jérôme Gautié dans une analyse réalisée dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ?  » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

Le lean management introduit en France il y a une trentaine d’années vise à produire au plus près des stocks en responsabilisant l’ensemble de la chaîne de production par l’autonomisation des opérateurs et en faisant remonter les informations de la base vers le haut quasiment en temps réel afin de réagir immédiatement au moindre défaut, incident ou variation de stock imprévue. Ce procédé venue du Japon permet de développer ce qu’on appelle « l’entreprise apprenante » : chaque salarié étant amené à monter en compétences et à transmettre ses pistes d’innovation.

Mais si cette approche a bien été réalisée en Suède, en France le lean a été passé à la moulinette du management vertical, dans « l’ombre du taylorisme », écrit Jérôme Gautié. Ce qui signifie que les salariés ont été peu consultés, la gestion par indicateurs a été renforcée, alourdissant la charge de travail et augmentant le stress. Et la réunion quotidienne, caractéristique du lean management pour avoir un échange qualitatif régulier, s’est réduite « à la vérification de listes d’indicateurs et à la transmission d’informations de la direction », écrit Jérôme Gautié. Le lean à la française, centralisé par une organisation hiérarchique, s’est ainsi traduit par une intensification du travail, source de nouvelles pénibilités.

Le propos de l’auteur n’est pas de jeter l’opprobre sur le management des entreprises françaises mais d’inciter à écouter les « manageurs éclairés » qui veulent réserver l’usage des nouveaux outils numériques au partage d’informations pour une meilleure coordination plutôt qu’au contrôle des opérateurs, et insistent sur « la nécessaire autonomie et participation des salariés pour développer leurs capacités d’initiative ». Autant de pistes à méditer en vue des négociations prochaines sur la qualité de vie au travail.

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Le lean à la française dans l’aéronautique : management technocratique et faiblesse du dialogue social

[Comment le lean management peut produire de nouvelles contraintes pour les salariés : c’est ce que développe Jérôme Gautié, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, chercheur au centre d’économie de la Sorbonne et chercheur associé au Cepremap, dans une comparaison franco-suédoise du lean appliqué au secteur aéronautique. Ses recherches portent sur les transformations du travail et de l’emploi. Il a notamment coordonné (avec John Schmitt) Low-Wage Work in the Wealthy World (New York, Russell Sage, 2010), issu d’une recherche internationale comparative sur l’Europe et les États-Unis, et publié Salaire minimum et emploi (Paris, Presses de Sciences Po, 2020). Il préside le conseil scientifique de Pôle emploi depuis 2013.]

Quand on les compare à leurs homologues des pays européens, il est frappant de constater que les Français expriment une bien moindre satisfaction générale quant à leurs conditions de travail et d’emploi, et une forte interrogation sur le sens de leur travail (voir notamment les contributions au projet « Que sait-on du travail ? » de Maëlezig Bigi et Dominique Méda ; de Christine Erhel, Mathilde Guergoat-Larivière, et Malo Mofakhami ; ainsi que celle de Thomas Coutrot et Coralie Perez).

Les Français sont même les champions de l’insatisfaction salariale : parmi les travailleurs interrogés en 2015 dans l’enquête européenne sur les conditions de travail, environ 46 % des Français se déclarent en désaccord avec l’affirmation : « Je trouve que je suis bien payé pour les efforts que je fournis et le travail que je fais », le taux le plus élevé parmi les trente-quatre pays couverts par l’enquête, loin devant le Royaume-Uni (30 %, ce qui correspond à la moyenne européenne), les Pays-Bas (29 %), la Suède (28 %), l’Italie (27 %), l’Allemagne (23 %), ou le Danemark (22 %).

Des éléments laissent penser que ce n’est pas tant la faiblesse des salaires – en termes absolus ou relatifs (par rapport aux plus qualifiés) – qui est ici dénoncée, que le fait que le salaire n’est pas perçu comme compensant les mauvaises conditions de travail et d’emploi telles qu’elles sont ressenties. Ceci permet notamment d’expliquer le paradoxe français apparent concernant les salariés à bas salaires : malgré le smic qui leur assure un salaire absolu et relatif relativement élevé (par rapport aux salariés plus qualifiés), quand on compare aux autres pays européens et aux États-Unis, leur insatisfaction salariale est particulièrement forte (Caroli et Gautié (dir), 2010).

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Qui est vraiment Laurent Blois, syndicaliste défenseur des techniciens de l’audiovisuel

Laurent Blois, délégué général du Syndicat des Professionnel·les des Industries de l’Audiovisuel et du Cinéma (SPIAC CGT).

La voix des professionnels de l’audiovisuel et du cinéma

Depuis 23 ans, Laurent Blois, 61 ans, est le délégué général du Syndicat des Professionnel·les des Industries de l’Audiovisuel et du Cinéma (SPIAC CGT) qui regroupe plusieurs métiers de l’ombre – ingénieurs du son, monteurs, costumiers, scripts, directeurs de la photographie etc. Depuis 2001, son nom surgit dans les médias dès que le cinéma et l’audiovisuel français traversent une crise. Depuis le 15 novembre, date du début du mouvement de grève des techniciens de l’audiovisuel, il est en première ligne pour faire entendre leurs revendications. La principale : 20 % d’augmentation de leurs salaires. Ce 5 décembre, les principaux patrons de l’audiovisuel et du cinéma français doivent faire une proposition aux grévistes.

Un militant politique

« Je ne suis pas du tout issu du milieu du cinéma », explique-t-il. Après une formation littéraire et juridique, il passe une dizaine d’années au Sénat – administrateur au groupe communiste, collaborateur parlementaire – où il s’intéresse notamment aux affaires culturelles. En 1999, il quitte son job par envie de faire quelque chose de plus « dynamique » et il postule au poste de délégué général du syndicat. « Le combat politique est une passion. » Salarié du SPIAC CGT, il ne prend pas part aux votes de son organisation, il n’en est que la voix.

Un négociateur tenace

En arrivant, il découvre une profession où règne une « profonde méconnaissance » du Code du travail. Il observe que dans ce « métier passion », il n’existe que peu ou pas de normes. La réalité, ce sont de longues heures impayées, des tournages qui rincent et des salaires modestes. Mais « quand on est employeur, on a des obligations sociales », répète-t-il. Entre 2005 et 2013, des négociations tendues (« on nous a accusés de vouloir tuer le cinéma français ») aboutissent à améliorer une convention collective qui datait des années 50. « J’ai animé ce combat avec des camarades, des bénévoles, des adhérents, dit-il. Je n’ai aucun mérite – je suis salarié, je fais mon boulot. »

Un intermédiaire optimiste

Il n’est pas porté sur les opérations coup-de-poing – un technicien qui froisse publiquement des producteurs sur la scène des Césars « prend des risques professionnels » – mais il n’hésite pas à parler « clairement ». Il dénonçait ainsi en 2013, en plein festival de Cannes, les conditions de travail sur le tournage de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche : « Le fait que Vincent Maraval se félicite de l’avoir coproduit avec si peu d’argent pose problème. » Il observe que les choses changent et que la jeune génération tient à faire respecter ses droits. Le mouvement de grève actuel est très suivi – 86 tournages et postproductions ont été perturbés dont les séries HPI, Déter, Terminal et les émissions Top chef, Pékin Express ou encore Koh-Lanta. Il pense que la grève des scénaristes à Hollywood « joue » dans ce qui se passe en France mais pas seulement. « Ça raconte un désir très fort des salariés de vivre dignement de leur métier. Ça raconte une sortie du silence. On enregistre entre 30 et 35 adhérents par jour ! », s’enthousiasme-t-il.

« Il n’existe aucune preuve de l’impact d’une formation de sensibilisation aux enjeux climatiques sur les comportements »

Les engagements politiques pour le climat sont en grande partie le fruit d’une prise de conscience collective. Les résultats d’une enquête réalisée dans 20 pays et sur plus de 40 000 répondants montrent qu’il existe une reconnaissance quasi unanime (plus de 75 % des répondants dans chaque pays) de la menace majeure que représente le changement climatique.

Les Français sont particulièrement conscients de l’origine humaine du changement climatique. Une enquête sur près de 3 000 résidents français montre que plus de 90 % des personnes interrogées reconnaissent que le changement climatique est en cours, et 35 % le qualifient de « catastrophique ».

Pourtant, il existe un fossé entre la gravité perçue du changement climatique et les comportements effectifs : la voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances, une douche moyenne dure neuf minutes (contre cinq recommandées), la diminution du volume des déchets ménagers est loin des objectifs fixés ; les Français prennent l’avion cinq fois plus que la moyenne mondiale.

Manque de conscience

Les citoyens ne semblent donc pas pleinement disposés à faire tous les efforts nécessaires pour lutter efficacement contre le changement climatique. Une hypothèse pour expliquer ce différentiel entre attitudes déclarées et comportements effectifs est le manque de conscience de la part des citoyens du degré de transformation profonde qui serait nécessaire pour éviter une catastrophe collective.

Une montée en compétences sur les enjeux climatiques pourrait contribuer à cette prise de conscience. De nombreuses initiatives affichent aujourd’hui l’objectif de former à ces enjeux. Axa a lancé en avril 2021 la Climate School, une formation en ligne consacrée aux enjeux environnementaux, s’adressant aux salariés d’entreprises de tous les secteurs. EDF multiplie les formations destinées à l’ensemble de ses salariés, notamment sur l’environnement et le développement durable.

Ainsi, trente-deux mille de ses collaborateurs ont participé à la fresque du climat, un atelier de sensibilisation au changement climatique. Selon les chiffres de l’association prestataire de cet atelier, un million de personnes ont participé à une fresque du climat depuis sa création en 2018, essentiellement dans les universités, les entreprises et les collectivités territoriales.

Toutes ces initiatives de formation mobilisent des ressources importantes en temps (et en argent pour les formations payantes), avec la promesse que ceux qui y participent seront « motivés et outillés pour agir à leur niveau ».

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Philippe Moati, économiste : « La crise de l’habillement pourrait bien s’étendre à d’autres secteurs du commerce »

Economiste, cofondateur de l’Observatoire Société & Consommation et professeur à l’université Paris Cité, Philippe Moati analyse la crise structurelle du modèle traditionnel du prêt-à-porter et la place, de plus en plus importante, de la maison pour les Français.

Comment décryptez-vous la situation dramatique du secteur du prêt-à-porter ?

C’est un secteur qui souffre d’une dynamique structurelle défavorable. Répondant à un besoin saturé, il a vécu sous perfusion à coups d’accélération des collections et de surenchère promotionnelle. Il est aujourd’hui victime des arbitrages des consommateurs face à l’inflation et de la prise de conscience de son impact environnemental. L’« ultrafast fashion » et la seconde main créent une nouvelle concurrence par le bas, alors que d’autres misent sur la montée en gamme. C’est le milieu de gamme peu différencié, et désormais relativement cher, qui souffre le plus. Cette crise de l’habillement pourrait bien s’étendre à d’autres secteurs du commerce. Nous vivons une mutation du modèle de consommation et de la structuration des filières d’offre. Nous passons d’une logique descendante, centrée sur le produit, à une logique ascendante, centrée sur le client.

Quels sont les résultats immédiats de cette évolution ?

Dans l’habillement, de grandes enseignes ont évolué du vêtement à « l’équipement de la personne » en complétant leur offre d’accessoires, de bijoux, ou de cosmétiques avec une certaine unité de style dans laquelle est censée se retrouver la clientèle ciblée qui vient y chercher un look. La diversification vers l’univers de la maison est d’abord une manière de prendre position sur un marché porteur. On pourrait aller beaucoup plus loin, par exemple en concevant des offres qui proposent d’accompagner le client dans la satisfaction de son besoin, sans nécessairement lui vendre les produits. Il y a des expérimentations dans ce sens, notamment dans l’habillement, mais qui restent pour l’instant très embryonnaires.

Dans cette configuration, le vêtement cesserait d’être un élément d’identification…

Ça me paraît être un raccourci un peu rapide. Le vêtement que vous choisissez de porter, c’est l’image que vous donnez de vous. C’est d’autant plus important dans une société qui accorde à chacun un espace croissant pour construire son identité. Mais la maison est devenue primordiale. Lorsqu’on interroge les gens sur ce qui compte le plus pour eux, il n’y a aucune ambiguïté : c’est la famille, les amis les plus proches, tous ceux que l’on invite à la maison… Il est vrai que la consommation a sans doute perdu un peu son rôle d’affirmation de son statut social. Désormais, elle est davantage un vecteur d’expression de sa singularité. D’où l’importance de la décoration et de l’aménagement du foyer.

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En grève, des livreurs Uber Eats manifestent samedi et dimanche pour une meilleure rémunération

L’appel à la grève a été lancé par Union-Indépendants, les fédérations CGT Transports et SUD-Commerces pour réclamer une meilleure rémunération. Des rassemblements de livreurs Uber Eats grévistes sont prévus samedi 2 et dimanche 3 décembre, entre autres à Paris, à Bordeaux, à Nice, à Strasbourg, à Lyon, à Toulouse, à Marseille et à Armentières, après un changement dans l’algorithme du groupe qu’ils estiment désavantageux.

Malgré le froid, ils étaient quelques dizaines à s’être rassemblés sur la place Stalingrad à Paris, chasubles de syndicats sur le dos et pour certains vélo à la main. Depuis le 10 octobre, un nouveau système a été mis en place par Uber Eats dans les agglomérations de Lille, Rouen et Valence, pour « valoriser le temps passé à réaliser la course », a justifié la plate-forme.

De précédents mouvements en novembre

Généralisée depuis le 1er novembre, cette nouvelle tarification « peut faire varier certaines courses à la hausse et d’autres à la baisse, mais ne vise pas à diminuer la rémunération moyenne par course », avait assuré vendredi Uber Eats, qui dit avoir même noté « une légère augmentation du revenu moyen par course de 1,4 % » dans les villes pilotes.

Des livreurs évoquent eux une autre réalité : « J’ai constaté que les courses à 1 ou 2 kilomètres sont payées 2,85 euros sur Uber, alors qu’avant elles étaient à 3,30 euros », a affirmé Adrien, livreur de 37 ans interrogé par l’Agence France-Presse, qui travaille pour Uber depuis 2020 et récemment, aussi, pour Deliveroo.

« Avec l’inflation, les salaires augmentent partout, on est les seuls à voir notre rémunération baisser. Ça sera quoi, la prochaine étape ? 0,50 euro la course ? Devoir payer pour livrer ? », proteste celui qui a l’impression d’être la « variable d’ajustement » du système. Des mouvements de protestation de livreurs indépendants, qui sont en France quelque 65 000 à passer par Uber Eats, avaient déjà eu lieu en novembre.

« Tâcherons du XXIᵉ siècle »

A Bordeaux, une vingtaine de livreurs, accompagnés d’une dizaine de militants de la CGT et du porte-parole du NPA Philippe Poutou, se sont réunis place de la Victoire en fin de matinée pour réclamer l’amélioration de leur rémunération et de leurs conditions de travail.

Selon la députée Danielle Simonnet (LFI), présente au rassemblement parisien, les plates-formes brandissent leur promesse de rémunérer au minimum horaire de 11,75 euros pour « faire baisser le prix des courses » pour les livreurs, ces « tâcherons du XXIe siècle ». « C’est 11,75 euros de l’heure effective de course », sans compter le temps d’attente. Donc « vous cumulez des courses pendant une heure pour qu’elles soient rémunérées au total à 11,75 euros, ça veut dire que vous faites fortement chuter le prix de chaque course individuelle ».

« Ça crée une situation d’esclavage moderne », selon David Belliard, élu à la Mairie de Paris, ville où les « livraisons de repas ont explosé ces dernières années ». M. Belliard demande à ces plates-formes, qui « exploitent ces gens », de requalifier leurs contrats en salariat. Il regrette que ce système de rémunération pousse les livreurs « à prendre évidemment des risques inconsidérés pour eux et ceux qui sont autour ».

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Le Monde avec AFP

Les syndicats tournent la page de l’union, sept mois après la réforme des retraites

Pendant au moins plusieurs mois, l’intersyndicale ne défilera plus au grand complet dans la rue. Lors d’une rencontre, vendredi 1er décembre, au siège national de la CFDT à Paris, les dirigeants des huit principales organisations de salariés ont tenté de redéfinir les règles de fonctionnement de leur alliance, traversée par des tensions depuis quelque temps après le long combat, en rangs serrés, contre la réforme des retraites.

Il ne s’agit pas d’un divorce, mais les parties en présence tournent une page : elles cessent – au moins provisoirement – de lancer toutes ensemble des appels à manifester, tout en maintenant leurs échanges, à un rythme moins soutenu qu’avant et avec un nombre variable de participants suivant les circonstances ou les dossiers à traiter. Les manœuvres communes dans l’espace public sont mises en sommeil mais pourraient redémarrer à la fin de l’hiver.

« On ne passe pas de tout à rien »

Au cours de leur conclave de vendredi, les numéros un se sont dit leurs quatre vérités et en ont tiré les conséquences pour la suite. « Quand elle sert à organiser des mobilisations contre des réformes régressives comme celle sur les retraites, l’intersyndicale est un bel outil », confie Frédéric Souillot. Mais selon le leader de FO, l’heure est venue de « ranger cet outil dans une boîte », ce qui n’exclut pas, tient-il à préciser, « que nous le ressortions si d’autres lois de grande ampleur, contraires à l’intérêt des travailleurs, sont présentées par le gouvernement ». Plusieurs responsables confédéraux abondent dans ce sens : « Le fait est que l’intersyndicale ne peut pas être la même que lors de la réforme des retraites », estime Cyril Chabanier, le président de la CFTC. Une telle union « est toujours circonscrite à un moment particulier et à un thème précis », renchérit François Hommeril, le patron de la CFE-CGC.

La fin d’une aventure commune ? Non, à ce stade, car M. Souillot affirme que lui et ses homologues vont « continuer de [se] voir et de [se] parler, comme avant la réforme des retraites ». « On ne sait pas encore comment on va organiser les choses, mais on va se rencontrer régulièrement, confirme Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT. Est-ce que cela doit être deux, trois, quatre fois par an ? Je ne sais pas, mais l’important sera de ritualiser ça. » C’est une « nouvelle phase » qui s’ouvre, assure Sophie Binet, la dirigeante de la CGT. « L’existence de l’intersyndicale était liée à la lutte contre la réforme des retraites, mais nous allons prolonger sous une autre forme le travail unitaire qui avait été engagé depuis l’été 2022, ajoute-t-elle. Cela s’inscrira dans un cadre souple, fluctuant suivant les sujets, le but étant de l’installer dans le temps long. » M. Chabanier le résume en quelques mots : « On ne passe pas de tout à rien. »

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Les syndicats des livreurs des plates-formes comme UberEats ou Deliveroo lancent un appel à la grève

« Chaque secteur de la ville est balisé. On aura un gréviste devant chaque grande chaîne de restaurant – McDonald’s, KFC… – pour bloquer les commandes tout le week-end. On a monté ça très vite, en trois semaines, avec l’aide de la CGT, s’enthousiasme Karim (qui n’a pas donné son nom de famille), livreur à Marseille. Nos blocages sont pacifiques. On essaie d’expliquer aux autres livreurs que le but c’est de faire mal à Uber et Deliveroo. On ne veut pas faire de manifestation : l’objectif, c’est zéro commande livrée. »

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L’initiative phocéenne répond à un appel national à la grève des livreurs, samedi 2 et dimanche 3 décembre, lancé par la CGT et Union-Indépendants (affilié à la CFDT), auxquels s’est jointe la fédération SUD-Commerces. Des actions sont attendues dans une cinquantaine de villes françaises, sous la forme de blocages ou de rassemblements, comme samedi midi à Paris, place Stalingrad.

Cette mobilisation des coursiers, qui promet d’être la plus suivie depuis l’émergence des plates-formes de livraison de repas en 2016, fait suite à une baisse des rémunérations des 65 000 travailleurs de l’application UberEats, le leader du secteur. « C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère des livreurs, après des années de baisse continuelle, alors que l’inflation flambe », résume Ludovic Rioux, secrétaire de la CGT-Livreurs. « En prenant l’échantillon de 50 livreurs qui nous ont fait remonter les chiffres de près de 3 110 courses avant et après la mise à jour, on observe que 42 gagnent moins qu’avant, constate Fabian Tosolini, délégué national d’Union-Indépendants. La baisse par livreur va jusqu’à 20 %. Le prix d’une course a parfois chuté jusqu’à 40 %. »

« Inquiétudes sur la nouvelle tarification »

Les syndicats imputent cette baisse à un accord signé en avril entre les trois principales plates-formes (UberEats, Deliveroo, Stuart) et la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), qui fixe un revenu minimal horaire de 11,75 euros brut… uniquement sur les temps de course, et sans compter le temps d’attente entre deux prestations.

Les propositions formulées, le 21 novembre, par UberEats n’ont pas donné satisfaction. « Après avoir entendu les inquiétudes sur la nouvelle tarification exprimées par certains livreurs, nous avons mis en œuvre des garanties renforcées, explique au Monde un porte-parole d’UberEats. Nous portons temporairement la garantie minimale de revenu horaire de 11,75 euros à 14 euros et nous prenons nos responsabilités pour nous assurer que le niveau moyen de tarification des courses demeure identique. » Les syndicats exigent un retour au modèle de rémunération en vigueur jusqu’en octobre, et davantage de transparence sur les règles de l’algorithme.

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Emploi : la lutte contre la discrimination des seniors s’intensifie

Avec le décalage de l’âge légal de la retraite, les seniors vont devoir jouer les prolongations sur le marché du travail. Or, celui-ci continue de les discriminer. C’est du moins le sentiment des 1 500 salariés représentatifs du secteur privé sondés dans le cadre du dernier baromètre de perception de l’égalité des chances en entreprise du Medef, publié en octobre 2023.

La moitié des sondés craignent d’être un jour victimes de discrimination au travail, la première crainte étant liée à l’âge – 41 % le mentionnent – devant l’apparence physique (19 %). La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) pourrait combler cette faille. Le député Renaissance Marc Ferracci a en effet déposé un amendement au projet de loi de finances 2024 pour élargir les missions de cette instance, et lui donner les moyens de lancer des « testings » sur toutes les catégories, dont les seniors.

Ces opérations consistent à envoyer à des employeurs des CV factices de candidats au profil similaire, en faisant varier un seul critère, et permettent d’évaluer l’ampleur de ce type de discrimination. Mais ils font souvent l’impasse sur la variable de l’âge. « Nous prenons ce sujet à bras-le-corps et allons effectuer en 2024 un premier testing consacré à cette classe d’âge, affirme Marc Ferracci. Notre objectif est de faire évoluer les comportement des entreprises par des amendes ou par le “name and shame” en publiant les noms de celles qui discriminent. »

Persistance de la discrimination par l’âge

Au-delà des perceptions des salariés, la discrimination par l’âge renvoie en effet à une réalité, explique Jean-François Amadieu, professeur de sociologie du travail à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne : « Le rejet des seniors lors des embauches est souvent lié à une apparence moins avantageuse. Un poids excessif, un visage fatigué renvoient à des préjugés sur une supposée moindre performance au travail. »

Un testing, réalisé en novembre 2021 par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, qui dépend du ministère du travail, permet de prendre conscience de l’ampleur du problème. Focalisé sur les discriminations à l’encontre des Maghrébins, il avait consisté à envoyer 9 600 candidatures à des employeurs. Résultat ? Un candidat au « nom à consonnance française » ayant entre 48 et 55 ans a presque trois fois moins de chance d’être rappelé pour un entretien (14 %) qu’un candidat de la tranche 23-30 ans (39 %), toutes choses égales par ailleurs. Et encore, ce testing excluait les plus de 55 ans, qui sont davantage pénalisés…

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