« L’enfer, c’est les autres au travail » : l’anxiété sociale en entreprise, un phénomène de moins en moins marginal

« Mes collègues n’ont pas conscience que, pour moi, arriver au travail, c’est comme entrer dans une pièce pleine d’araignées. » En une comparaison saisissante, cette patiente avait évoqué voici quelques années avec son thérapeute, le psychiatre Patrick Légeron, les troubles dont elle était victime. Atteinte d’anxiété sociale, elle abordait avec douleur la confrontation quotidienne avec les autres salariés, la peur permanente du regard et du jugement d’autrui.
Un phénomène marginal ? Les professionnels de santé assurent le contraire. La phobie sociale, forme grave de l’anxiété sociale, est bien sûr minoritaire, mais toucherait tout de même 2 % à 7 % de la population adulte en France, selon les différentes études. Quant aux manifestations plus légères, entre trac et timidité, elles sont fréquentes et perturbent le quotidien de nombreux salariés, voire influent sur leurs choix de carrière : « Cinquante-huit pour cent des employés disent appréhender d’occuper un poste de direction par peur de devoir s’exprimer en public », notent ainsi les coauteurs, parmi lesquels M. Légeron, de La Nouvelle Peur des autres (Odile Jacob, 416 pages, 23,90 euros).
Au fil de ses années de consultations, le psychiatre a constaté la diversité des difficultés rencontrées par ces salariés en souffrance dans le collectif de travail. Il garde en mémoire les angoisses de ce cadre, qui perdait le sommeil plusieurs jours avant une présentation en public. Ou celles de cette dirigeante, qui fuyait systématiquement les moments de convivialité organisés par son entreprise. Elle préférait « expliquer qu’elle n’était pas intéressée et passer pour une personne hautaine plutôt qu’apparaître mal à l’aise en société ».
« Faux self », un masque social
Si elles sont multiples, les difficultés rencontrées ont aussi eu tendance à s’intensifier ces dernières années. En cause, principalement, l’évolution des attendus dans l’entreprise. La valorisation des compétences comportementales ou « soft skills » (capacité d’adaptation, esprit d’équipe, etc.) a complexifié le quotidien de certains collaborateurs.
Tel ce salarié rencontré par M. Légeron qui avait choisi un secteur, l’informatique, où il espérait limiter les interactions. Las, son entreprise a progressivement souhaité que ses collaborateurs s’impliquent davantage et participent activement à des réunions. « Il a vécu cela dans une panique absolue », note le psychiatre.
« Mettre en avant ses soft skills relève de l’impossible pour certains salariés, confirme Philippe Zawieja, psychosociologue, chercheur associé à l’université Paris-Cité. Certains tenteront tout de même de se glisser dans le moule demandé, en adoptant un “faux self”, un faux soi. » Un masque social bien lourd à porter, « inconfortable psychologiquement et très coûteux énergétiquement ».
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