Archive dans avril 2023

Réforme des retraites : « Nous avons assisté non pas à l’échec de la révision constitutionnelle de 2008, mais à sa violation »

Le 23 juillet 2008, une révision constitutionnelle majeure a voulu remédier, au moins en partie, à la critique lancinante du déséquilibre de nos institutions. Elle n’a pas empêché que la très impopulaire loi sur les retraites soit adoptée d’un coup de menton présidentiel, sans majorité parlementaire, ni soutien populaire. A observer ce résultat, on pourrait penser que la modification de la Constitution en 2008 fut vaine. Il n’en est rien. Nous avons assisté non pas à son échec, mais à sa violation, laquelle devrait être bientôt sanctionnée par le Conseil constitutionnel.

Depuis 2008, l’article 49 alinéa 3 ne peut plus être utilisé que pour les « projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale » et une fois par session parlementaire pour les autres textes. Depuis 2008, une procédure parlementaire accélérée est réservée aux « projets de loi de financement de la Sécurité sociale » (art. 47-1), afin que les objectifs de dépenses de l’année soient votés à temps. Si l’article 49.3 a pu être utilisé à propos de la loi sur les retraites et si le débat parlementaire a pu être à ce point tronqué, c’est seulement parce que la loi sur les retraites s’intitule « loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 ». Or, ce titre est un faux-semblant.

L’article 34 de la Constitution définit « les lois de financement de la Sécurité sociale » : elles « déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses ». Le même article 34 fixe le domaine de la loi ordinaire : elle « détermine les principes fondamentaux (…) de la Sécurité sociale ». La distinction entre loi de financement et loi ordinaire est une distinction entre questions financières de l’année et principes fondamentaux. Celle-ci n’est pas toujours facile. Mais, en l’occurrence, elle existe.

Il apparaît clairement à tous, y compris au gouvernement, que l’actuel projet traite des principes fondamentaux du droit des retraites : il modifie l’âge de la retraite, supprime les régimes spéciaux, prévoit des dispositions qui ne seront applicables qu’à partir de 2030, vise à protéger les générations futures… Ce projet n’est pas une simple loi de financement pour 2023. Et ce, d’autant moins que la loi est une loi « rectificative » pour 2023. Prévue pour n’entrer en vigueur qu’à partir de septembre, elle n’a qu’un gros trimestre d’application sur l’année budgétaire qui, soi-disant, fait son objet.

Une manœuvre grossière

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Les chantiers du Grand Paris Express symptomatiques des conditions de travail du bâtiment

Un tunnel de construction du métro Grand Paris Express, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), en juillet 2017.

« Personne ne m’a appelée, on n’a même pas eu les condoléances d’Eiffage ou de la Société du Grand Paris. Pas un mot. » Karine Michel a perdu son frère Franck le 7 mars 2023, sur l’un des chantiers de la ligne 16 du métro francilien, s’inscrivant dans le projet du Grand Paris Express (GPE).

Chauffeur de 58 ans, envoyé par son entreprise des Hautes-Vosges, mandatée par un fournisseur du groupement d’entreprises mené par Eiffage, il est décédé au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) des suites d’un choc avec une charge lourde. « Alors qu’il rebâchait son camion après avoir déposé sa livraison, une personne qui n’était pas habilitée à le faire a utilisé un engin élévateur et la charge est tombée. Je n’ai pas envie que mon frère soit un fait divers de plus, que l’entreprise ne réagisse pas et qu’un jeune de 20 ans meure l’an prochain. »

Tandis que les accidents graves se comptent en dizaines (dix-huit depuis 2020 selon l’inspection du travail), le décès de Franck Michel est le quatrième sur les chantiers du GPE, lancés en 2016. Les très nombreux métiers présents sur ces chantiers colossaux cumulent pénibilité et risques. Ali Tolu, délégué syndical CGT et traceur chez Vinci, cite pêle-mêle les « problèmes de dos, de tendinite, le froid l’hiver, la chaleur l’été, la pollution, le stress des délais, le risque de chutes de hauteur, le travail le samedi, qu’on appelle maintenant “vendredi bis” tellement c’est fréquent d’y travailler ».

« Au moins un audit annuel par chantier »

Pourtant, la construction de 200 kilomètres de nouvelles lignes de métro, faisant travailler près de 8 000 personnes, se voulait exemplaire. « La sécurité de ces chantiers a été d’emblée une priorité, assure Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), avec notamment une charte de sécurité, actualisée onze fois depuis 2016, que s’engagent à respecter toutes les parties prenantes, sous peine de pénalités. Il y a au moins un audit annuel par chantier, afin de faire remonter d’éventuels dysfonctionnements. »

Dès qu’il y a une situation dangereuse, le chantier est arrêté, selon la SGP. « Dès le lundi qui a suivi le décès de Franck Michel, de la part du groupe, il y a eu une obligation d’un quart d’heure sécurité, une causerie avec l’ensemble des salariés qui travaillent sur les différentes opérations, avec une minute de silence, décrit un délégué syndical chez Eiffage Construction. C’est largement insuffisant. »

Malgré les dispositifs de prévention, risques et accidents graves demeurent surtout en raison du modèle économique du secteur du BTP, qui a très largement recours à la sous-traitance en cascade et à l’intérim. Selon une analyse publiée en mars 2023 par la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le risque d’accidents du travail est plus important chez les sous-traitants et les établissements recourant à l’intérim.

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Aux Etats-Unis, commerces, usines et PME ouvrent leurs portes aux licenciés de la tech

Les perspectives des jeunes de la Silicon Valley sont toujours brillantes, à condition qu’ils acceptent de regarder ailleurs, au-delà de la Californie et des GAMA (Photo : signalisation pour le San Tomas Aquino et Saratoga Creek Trail, un sentier de randonnée populaire dans la Silicon Valley, en 2017).

Le jour où Nicole Tsai a été licenciée de Google, elle s’est mise en scène sur TikTok. Larme à l’œil, sirotant son jus avec une paille, elle raconte le texto envoyé par sa hiérarchie. Vite, elle descend son escalier, se précipite sur son ordinateur pour en savoir plus, mais ses e-mails professionnels sont déjà bloqués. Nicole Tsai échange quelques mots avec ses collègues, puis décide d’aller se promener à Disneyland. « Je crois vraiment que lorsqu’une porte se ferme, une autre s’ouvre », conclut l’ancienne salariée de Google.

De fait, les perspectives des jeunes de la Silicon Valley sont toujours brillantes, à condition qu’ils acceptent de regarder ailleurs, au-delà de la Californie et des GAMA (Google, Amazon, Meta et Apple), les « Big Four » qui sont en train d’annoncer des milliers de suppressions de postes, et alimentent la liste des 330 000 emplois supprimés dans la tech dans le monde (majoritairement aux Etats-Unis) en 2022 et en 2023, recensés par le site spécialisé Layoffs.

Alex Ivkovic, directeur des systèmes d’information de CDF Corporation, un fabricant de conteneurs en plastique, se souvient encore avec dépit du mal qu’il a eu à trouver un programmeur informatique avec deux à trois ans d’expérience, un an plus tôt. « Personne n’était intéressé, personne ne voulait travailler en usine avec des machines. Ils veulent tous plancher à distance. » Le directeur a mis six mois pour trouver la perle rare.

Des candidats « plus ouverts »

Paul Toomey, fondateur de Geographic Solutions, une plate-forme de recherche d’emploi implantée en Floride (450 salariés) confie, lui aussi, avoir du mal à attirer les candidats pour les cinquante postes high-tech disponibles dans son groupe. « Ce n’est pas facile de concurrencer la Silicon Valley, dit-il. Les grands proposent beaucoup d’argent et, juste après la pandémie, ils embauchaient à distance dans tout le pays ! Il nous fallait plus de trois mois pour dénicher chacun de nos ingénieurs. » « Heureusement, reprend-il, cela va un peu mieux, les grands sont en train de réduire leurs effectifs. »

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Et les ingénieurs logiciels, les designers, les experts en intelligence artificielle… élargissent leur horizon, au-delà de la Californie. Cinquante-six pour cent des intéressés retrouvent rapidement un autre emploi, souligne Sinem Buber, économiste de la plate-forme ZipRecruiter. Leur recherche dure en moyenne sept semaines, et les trois quarts d’entre eux choisissent parmi plusieurs offres, notamment dans d’autres secteurs que la Silicon Valley ; 6 % s’en vont dans le e-commerce, explique Mme Buber, 5 % optent pour la finance, 2 % préfèrent la santé.

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« La robotisation profite à la productivité des entreprises qui adoptent ces technologies et à leurs emplois – à tous leurs emplois »

L’heure est à la spéculation, voire à l’angoisse, sur l’impact futur de l’intelligence artificielle sur nos vies et sur nos emplois. Alors qu’un millier d’experts du domaine – chercheurs, entrepreneurs – ont appelé, le 28 mars, à une pause du développement de l’intelligence artificielle, il peut être utile de revenir sur les enseignements à tirer d’une autre révolution technologique récente, celle de la mécanisation des emplois par l’introduction de robots et autres machines autonomes – révolution que celle de l’intelligence artificielle pourrait bien renforcer.

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De façon intuitive, la théorie économique prédit que les emplois qui sont remplaçables par les robots, typiquement ceux exécutés par des ouvriers peu qualifiés effectuant des tâches répétitives, disparaîtront. Au contraire, les salariés dont les tâches sont complémentaires aux robots, typiquement les cadres et les ingénieurs responsables de la conception, de la gestion et de la commercialisation sur les marchés de la production des robots, bénéficieront des gains de productivité et verront leurs salaires et perspectives d’emploi s’améliorer.

Les conséquences redistributives de la robotisation seraient alors claires, pénalisant les moins qualifiés et profitant aux plus qualifiés, et surtout aux détenteurs de capitaux (et de robots). L’impact global sur l’emploi, lui, dépendrait de l’impact net de l’effet substitutif (négatif) sur les emplois peu qualifiés et de l’effet (positif) des gains de productivité dus aux machines sur la demande de cadres qualifiés.

Augmentations de la valeur ajoutée

Les études empiriques confirment que l’effet global sur le marché du travail est bel et bien ambigu – tout autant destructeur que créateur d’emplois. Mais pour des raisons et par des mécanismes tout autres que ceux prédits par la théorie. En effet, le clivage ne se situe pas entre les emplois substituables et les emplois complémentaires à la technologie, mais entre les entreprises qui adoptent la technologie et celles qui ne l’adoptent pas.

En France comme aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas, les études s’accordent sur le fait que la robotisation profite à la productivité des entreprises qui adoptent ces technologies et à l’emploi – à tous les emplois – dans ces entreprises-là. Elles connaissent, en effet, de fortes augmentations de leur valeur ajoutée (de 20 % entre 2010 et 2015 en France), augmentent leur demande de travail (de 10,9 %) et gagnent des parts de marché. Tout cela au détriment non pas principalement des employés peu qualifiés, mais des entreprises compétitrices retardataires sur la technologie et de tous les employés de ces compétiteurs, qualifiés ou non.

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En Grèce, Eleusis, capitale européenne de la culture 2023 et « ville des antithèses »

Eleusis (Elefsina, en grec moderne), petite ville côtière de 25 000 habitants, à 21 kilomètres au nord-ouest d’Athènes, est bien loin des paysages grecs de carte postale. Ici, pas de maisons blanches au coin de ruelles fleuries ni de plages paradisiaques. Eleusis n’est pas pittoresque, et les Athéniens ne s’y aventuraient guère ces dernières décennies. Les maisons basses et les industries désaffectées donnent sur les hautes cheminées des raffineries. Sa baie est jonchée de carcasses de bateaux naufragés ou abandonnés. La baignade y est déconseillée, en raison des nombreux produits chimiques déversés dans l’eau.

Lire le reportage : Article réservé à nos abonnés Eleusis, élue Capitale européenne de la culture 2023, veut retrouver une place sur la carte

Mais Eleusis est aussi la patrie du dramaturge antique Eschyle et dispose d’un site archéologique riche, puisque la cité était l’un des plus importants centres religieux dans l’Antiquité, et que des rites dédiés au culte de Déméter, la déesse de la fertilité et de l’agriculture, s’y tenaient. A partir du XIXe siècle, la ville devient un pôle industriel important et accueille des milliers de réfugiés grecs d’Asie Mineure, chassés par les nationalistes turcs en 1922. Plus récemment, des camps de migrants ont été installés à proximité.

Sur le site archéologique d’Eleusis, le 4 février 2023.

Et pourtant, malgré ces cicatrices du passé qui ont marqué l’environnement, Eleusis a été choisie pour être, en 2023, une des capitales européennes de la culture avec Timisoara, en Roumanie, et Veszprém, en Hongrie. Et l’espoir est né que, peut-être, la ville pourrait changer.

« Cette petite ville – la plus petite capitale européenne jamais élue à ce titre – regroupe des problématiques très contemporaines, comme les questions de désindustrialisation, du chômage, de l’immigration, de l’environnement, et c’est pour cela qu’elle a été choisie », assure le metteur en scène et directeur artistique de l’événement, Michail Marmarinos.

Michail Marmarinos dans un cimetière de navires, à Eleusis, le 5 février 2023.

Pour Despina Geroulanou, présidente d’Eleusis 2023, dans le cadre des capitales européennes de la culture, « les petites villes, souvent en difficulté, sont mises en avant précisément pour avoir l’occasion de changer leur image et de définir leur avenir par la culture, la recherche et l’art ».

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Elle définit Eleusis comme « une ville des antithèses, des mystères, des mythes, [elle] est fascinante précisément en raison de ces contrastes ». « Le site archéologique à côté des usines, les bateaux abandonnés en mer, les habitants arrivés de toutes les régions de Grèce et au-delà pour travailler, tout cela forme une mosaïque extrêmement intéressante. »

Le 4 février, la cérémonie d’ouverture a offert un spectacle de son et lumière exceptionnel sur la mer, attirant plus de 15 000 visiteurs. « Notre ville s’est transformée en un immense festival en plein air. On ne voyait que des sourires, de l’émotion et de la fierté, et, malgré les problèmes auxquels nous sommes tous confrontés (crise économique, inflation…), nous nous sommes un peu échappés du quotidien », se réjouit Argyris Economou, le maire.

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« Les responsables des ressources humaines n’en finissent pas d’étaler leurs difficultés à recruter, liées à la question de sens du travail »

Carnet de bureau. Trouver le candidat idéal pour les uns, l’employeur idéal pour les autres. Les responsables des ressources humaines n’en finissent pas depuis trois ans d’étaler leurs difficultés à recruter, liées à la question de sens du travail.

Les entreprises ont réagi en communiquant sur l’importance de leur rôle sociétal, sur la « raison d’être » de leur activité, sur leurs actions environnementales à l’impact plus ou moins vérifiable. Mais le « quiet quitting » (« démission douce ») et les démissions sèches se poursuivent.

Quelques chercheurs ont été réunis, le 7 mars, par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), afin de débattre de la meilleure façon de réenchanter l’entreprise. Selon que l’environnement du travail dont on parle est stable, atypique ou disruptif, les leviers d’action pour remotiver les salariés varient (qualité de vie, parcours professionnel, etc.), explique Jérôme Bertin.

Ce responsable développement et innovation au sein de l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail Auvergne-Rhône-Alpes a évoqué les « trois variables qui pousseraient les gens à démissionner : des conditions de travail dégradées, un travail considéré comme appauvri piloté par des objectifs et non des services rendus, et une absence de perspective professionnelle ».

Des « entretiens de sens »

Deux de ces trois critères analysés par les chercheurs de l’Anact (les conditions de travail et l’évolution professionnelle) sont régulièrement suivis, avec plus ou moins de sérieux, dans le cadre des entretiens professionnels entre les salariés et les manageurs, qui se tiennent une fois par an, tout au long de l’année, ou tous les deux ans, selon les entreprises. La notion de sens au travail, qui n’était jusqu’alors qu’un questionnement personnel, est en passe de les y rejoindre.

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Le cabinet de conseil Grant Thornton surfe déjà sur la vague. En partenariat avec la start-up SomanyWays, spécialisée dans la résolution des problèmes d’engagement des salariés, il a réformé l’entretien annuel de ses collaborateurs pour y intégrer la question du sens au travail.

Les premiers « entretiens de sens » ont été testés au sein des directions de l’audit, fin 2022, avant d’être déployés aux autres métiers depuis février. Côté management, deux cents « parrains » ont été formés pour animer les « entretiens de sens ». Et, du côté des salariés, un outil d’autodiagnostic en soixante questions a été mis à disposition, en prévision de l’entretien avec leur « parrain », afin d’identifier ce qui a du sens dans leur travail. « Les aspirations des salariés ont évolué et les réponses fournies jusqu’à présent par les entreprises ne répondaient pas entièrement aux attentes », commente la DRH de Grant Thornton France, Christelle Le Coustumer.

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Seine-Saint-Denis : des peines de prison prononcées après la mort de deux ouvriers sur un chantier de rénovation

« C’est un soulagement après ces quatre longues années », souffle Laïd, beau-frère de Kamel Benstaali, le seul membre de la famille des victimes a avoir pu faire le déplacement. Mardi 4 avril 2023, le tribunal correctionnel de Bobigny a condamné cinq hommes et leurs sociétés à des peines allant jusqu’à 100 000 euros d’amende et un an de prison ferme, après la mort de deux ouvriers, employés non déclarés et inexpérimentés sur un chantier de Seine-Saint-Denis. Les personnes condamnées ont dix jours pour faire appel.

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L’histoire remonte au samedi 8 juin 2019. Kamel Benstaali, 34 ans et Omar Azzouz, 29 ans, travaillaient à la rénovation thermique de la tour D de la cité La Source, à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Il fallait charger les seaux de colle jusqu’en haut de l’immeuble, grâce à une plate-forme élévatrice, qui, dans la matinée, s’est décrochée du 18e étage.

Les deux hommes travaillaient pour la société SRI. L’entreprise intervenait pour ISO systèmes, pour le compte d’Isore bâtiment. C’est cette dernière qui avait remporté le marché de la réhabilitation d’une partie de la cité de la Source – chantiers détenus par Plaine commune habitat – pour plusieurs millions d’euros. Propriétaire de l’échafaudage, Isore bâtiment avait sous-traité son installation à la société Technimat ainsi que le contrôle de la plate-forme à Qualiconsult.

« Drame de la sous-traitance »

Le procès, fin janvier, avait mis en exergue les rouages de la sous-traitance et la complexité de définir les responsabilités de chacun : une plate-forme mal montée, des ouvriers pas formés, un contrôle inexistant… « On a ici une parfaite illustration du drame de la sous-traitance », avait affirmé Alix Bukulin, la procureure :

« Chaque prévenu s’inscrit dans un enchaînement de fautes, et chacun considère que celle-ci est tellement diluée qu’il se dit “c’est pas moi, c’est l’autre”. »

Pourtant deux hommes sont morts et il y a bien des « responsables », avance la présidente du tribunal, Elisabeth Dugré. Sur les sept prévenus, deux ont été relaxés. Gilbert Baptiste, qui travaillait pour Isore bâtiment, pour qui le parquet avait requis huit mois de prison avec sursis. La présidente a rappelé que c’était à Qualiconsult d’effectuer les vérifications et que l’entreprise, en sous-traitant à ISO systèmes, n’était pas l’employeur des victimes. Thierry-Leufroy Emmanuel, qui travaillait pour ISO systèmes, mais dont les « prérogatives n’ont pas été considérées comme suffisantes », a aussi été relaxé.

La société ISO systèmes a toutefois été condamnée à 45 000 euros d’amende et son représentant, Vincent Baloche, à un an de prison avec sursis. Les épaules de M. Baloche, stoïque jusque-là, s’affaissent à cette annonce. Relaxé concernant le recours à la sous-traitance sans agrément, il est reconnu coupable de travail dissimulé. « Etant donné le très faible coût de la main-d’œuvre de SRI, ISO systèmes ne pouvait pas ignorer que SRI avait recours à du travail dissimulé », abonde la présidente.

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Faute de fonds suffisants, la Croix-Rouge annonce la suppression de 1 500 emplois à travers le monde

Faute de fonds suffisants, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), une des plus importantes organisations humanitaires dans le monde, a annoncé mardi 4 avril qu’il va supprimer environ 1 500 emplois. Le conseil d’administration du CICR, qui emploie 20 000 personnes dans plus de 100 pays, a aussi entériné une réduction des coûts sur 2023 et le début de 2024 de 430 millions de francs suisses.

« Etant donné que les budgets de l’aide humanitaire à l’étranger devraient diminuer au cours des deux prochaines années, le CICR devra plus délibérément orienter ses efforts vers les programmes et les lieux où nous pouvons avoir le plus grand impact », souligne le communiqué de l’organisation dont le siège se dresse sur les hauteurs de Genève.

Le CICR avait initialement lancé un appel à ses donateurs à hauteur de 2,8 milliards de francs suisses (environ le même montant en euros), mais à l’instar de nombreuses organisations caritatives, il a dû constater que les dons ont diminué en raison des fonds très importants consacrés par ses alliés à aider l’Ukraine à repousser la Russie. Il a révisé son budget à 2 milliards de francs.

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Gel des embauches

Concernant les suppressions d’emplois sur les douze prochains mois, le CICR veut limiter au maximum les licenciements en instaurant un gel des embauches et en pariant sur les départs naturels. Au moins 20 des 350 sites que pilote actuellement le CICR dans le monde vont fermer, « par exemple là où la zone peut être couverte par un autre bureau du CICR ou là où d’autres partenaires humanitaires ou de développement peuvent prendre le relais ».

« Nous allons également réduire et fermer certains de nos programmes », a ajouté le CICR, sans préciser lesquels. « Nous partagerons d’abord les informations sur ces changements avec les personnes qu’ils impactent le plus, telles que les communautés affectées, les parties prenantes et le personnel », a expliqué le CICR.

Si le Comité souligne qu’il n’est pas rare que ses appels à des fonds ne soient pas totalement couverts en début d’année, il rappelle que cette année les choses sont un peu différentes. « Cette année, nous faisons face à des défis simultanés », explique l’organisation, citant des promesses de dons de la fin de l’année 2022 qui n’ont pas atteint le niveau estimé et une hausse des coûts plus forte que prévu au dernier trimestre 2022 à cause de l’inflation. Et de préciser :

« En raison de ces facteurs, nous avons commencé 2023 avec un déficit d’environ 140 millions de francs. »

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Le Monde avec AFP