Archive dans 2022

Le Togolais Gilbert Houngbo devient le premier Africain à prendre la tête de l’OIT

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Gilbert Houngbo en septembre 2017 à New York, siège des Nations unies.

L’ancien premier ministre du Togo, Gilbert Houngbo, a été élu, vendredi 25 mars, à la tête de l’Organisation internationale du travail (OIT), devenant le premier Africain à exercer cette fonction. « Je suis profondément et absolument honoré d’être le premier représentant de la région Afrique à être choisi pour diriger l’OIT après cent trois ans » d’existence, a-t-il déclaré, après son élection à la tête de la plus ancienne agence spécialisée des Nations unies.

Il a été élu au second tour – avec 30 voix, contre 23 pour sa principale opposante, l’ex-ministre française du travail Muriel Pénicaud – par le Conseil d’administration de l’OIT, composé de 56 représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs. « Vous avez écrit l’histoire », leur a-t-il assuré.

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Le résultat de l’élection, a-t-il souligné, « est porteur d’un symbolisme fort », et a affirmé : « Votre choix (…) répond aux aspirations d’un jeune Africain, d’un jeune Africain dont l’humble éducation s’est transformée en une quête de justice sociale qui a duré toute une vie. » Gilbert Houngbo, 61 ans, est natif d’une préfecture rurale du Togo et a passé la majorité de sa carrière dans les organisations internationales, où il est vu comme un haut fonctionnaire chevronné. Il prendra ses fonctions début octobre, succédant à l’ancien syndicaliste britannique Guy Ryder, en poste depuis dix ans et qui a atteint la limite des deux mandats.

Depuis 2017, Il dirige le Fonds international de développement agricole (FIDA). Mais il connaît très bien l’OIT, où il a occupé le poste de directeur adjoint (2013-2017) chargé des opérations sur le terrain. Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, directeur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), il a été également membre de l’équipe stratégique et directeur administratif et financier de l’organisation.

« Nouveau contrat social »

Cinq candidats étaient en lice pour cette élection. Sa principale opposante était Mme Pénicaud, portée par le bloc européen. Ancienne ministre du travail de mai 2017 à juillet 2020, la Française a initié les grandes réformes sociales du quinquennat d’Emmanuel Macron, comme celles du Code du travail ou de l’assurance-chômage, vivement critiquées par les syndicats. Sur Twitter, le candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle française a souligné : « Score ridicule de Muriel Pénicaud au premier tour de l’élection à la tête de l’Organisation internationale du travail. Ouf. Un syndicaliste très nettement en tête. »

Etaient également candidats l’ex-ministre des affaires étrangères de Corée du Sud, Kang Kyung-wha (2 voix), l’entrepreneur sud-africain Mthunzi Mdwaba (1 voix) et l’Australien Greg Vines, directeur général adjoint de l’OIT pour la gestion et la réforme, qui avait été éliminé au premier tour.

« Mon élection au poste de directeur général intervient à un moment trouble de l’histoire, à un moment d’incertitude pour ce que l’avenir pourrait réserver, a reconnu M. Houngbo. Le monde a besoin d’une OIT qui soit capable de résoudre les problèmes concrets des travailleurs et des entreprises. »

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Le prochain patron de l’OIT aura pour lourde tâche de faire adapter les normes de cette organisation centenaire à un marché du travail en pleine mutation sous l’effet des nouvelles technologies. D’autant que la pandémie de Covid-19 a donné un coup d’accélérateur aux technologies de télétravail.

Dans sa candidature, Gilbert Houngbo avait souligné que sa vision de l’OIT s’inspire du préambule de la Constitution de l’organisation : « Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. » « Les progrès accomplis ces dernières décennies en matière de justice sociale doivent être préservés et protégés, , avait-il écrit. Et les solutions mondiales aux nouveaux défis et opportunités doivent être centrées sur les valeurs humaines, environnementales, économiques et sociétales. En bref, un nouveau contrat social mondial s’impose. »

Le Monde avec AFP

Des pistes pour améliorer l’accès aux droits

Le législateur a créé d’innombrables dispositifs pour concourir au bien-être de la population. Mais encore faudrait-il que les textes soient appliqués. Dans un avis rendu jeudi 24 mars, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) exhorte les pouvoirs publics à « repenser l’accès aux droits », un trop grand nombre d’individus en étant bannis alors même que le phénomène est identifié depuis des années. Au passage, cette instance critique implicitement l’idée défendue – entre autres – par Emmanuel Macron et Valérie Pécresse de conditionner le revenu de solidarité active (RSA) à une activité.

Déficit d’information, textes incompréhensibles, démarches excessivement lourdes, pratiques discriminantes, auto-exclusion liée à un sentiment de honte… Nombreuses sont les raisons qui conduisent des personnes à ne pas bénéficier des mesures mises en place pour elles. Cette difficulté a été bien documentée dans le champ des prestations sociales par une profusion de rapports. Ainsi, ceux qui ne perçoivent pas le RSA alors qu’ils y sont éligibles représentent environ 30 % du public-cible, soit plusieurs centaines de milliers de ménages.

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Le « non-recours » touche d’autres champs que la solidarité : logement, éducation, formation professionnelle… Dans certains cas, l’administration est directement responsable des difficultés. La CNCDH évoque, par exemple, les migrants dans le Calaisis qui ont été expulsés sur la base de « procédures erronées », les plaçant dans l’impossibilité « d’intenter un recours ». De telles situations vont à l’encontre de « l’effectivité des droits de l’homme » et elles n’ont fait que s’« amplifier » avec la crise sanitaire.

« Un référent unique »

C’est pourquoi les auteurs de l’avis alertent sur « l’impérieuse nécessité » de prendre à bras-le-corps le problème, afin de « respecter les droits de chaque citoyen » et d’« assurer l’efficacité des politiques ». « Il convient de mettre fin à la stigmatisation de sujets de droits auxquels il est reproché un soi-disant assistanat social en même temps qu’ils ont le sentiment d’être abandonnés par l’Etat », soulignent-ils. Et de rappeler que « les droits ne sauraient être conditionnés au respect préalable de devoirs ». Une allusion transparente au projet porté par M. Macron et par Mme Pécresse de soumettre l’attribution du RSA à quinze heures à vingt heures d’activité par semaine.

La CNCDH trace une quinzaine de pistes pour sortir du déni. Elle recommande, notamment, de définir les politiques avec les personnes qui sont concernées par celles-ci. Il faut, selon elle, proposer, aux usagers comme aux agents du service public, des systèmes d’information « clairs et intelligibles ». Les auteurs de l’avis préconisent aussi « un point d’entrée unique ou un référent unique adapté aux besoins et à la situation de [chacun] », tout en insistant sur les vertus des stratégies « du “aller vers” ». Ils suggèrent, par ailleurs, de « simplifier le fonctionnement » des plates-formes numériques et de « préserver un accueil physique » pour ceux qui ne sont pas à l’aise avec Internet. « L’humain » doit, plus que jamais, être replacé « au cœur des dispositifs ».

« Lutter contre la pauvreté des enfants et des jeunes permet de prévenir l’exclusion »

Tribune. Alors même que la moitié des personnes pauvres en France a moins de 30 ans, que 2,9 millions d’enfants (soit 20 % des moins de 18 ans) vivent dans un ménage pauvre, que les jeunes ont connu des situations particulièrement difficiles avec la crise due au Covid-19, que la France manque de main-d’œuvre qualifiée, les enfants et les jeunes sont les grands absents des thèmes de cette campagne électorale. C’est pourtant sur eux que repose l’avenir de notre pays. Il est essentiel de promouvoir un plan d’investissement social universel en direction de tous les enfants et les jeunes, qui non seulement garantisse aux plus vulnérables d’entre eux de sortir de la pauvreté et de la précarité, mais qui permette à toutes et tous de mener des études réussies et de trouver un emploi dans les meilleures conditions.

Avant de lutter contre l’exclusion sociale une fois qu’elle est effective, il importe de mieux concentrer les efforts sur une démarche préventive, dès l’enfance. Lutter contre la pauvreté des enfants et leur garantir les meilleures conditions de garde et d’éveil permet de prévenir l’exclusion, de donner à chacun les moyens de choisir une vie conforme à ses projets et de préparer une main-d’œuvre mieux formée.

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Pour ce faire, il reste nécessaire de garantir un revenu minimal à toutes les familles. Il ne faut donc pas abandonner les politiques distributives, mais, au contraire, les développer. Il faut également améliorer les modes de prise en charge des enfants (accompagnement des familles, formation des assistantes maternelles, développement des prises en charge collectives de qualité) afin de garantir une bonne socialisation primaire et des conditions d’apprentissage de nature à préparer convenablement l’avenir. Il faut permettre à tous les jeunes enfants de fréquenter au moins deux journées par semaine un service d’accueil collectif de qualité. Il convient aussi de développer, à l’image des systèmes scolaires nordiques, une école de la réussite pour tous plutôt que d’organiser un triage des élèves à mesure qu’avance leur scolarité.

Cursus adaptés

Ces politiques doivent permettre aux jeunes d’atteindre dans les meilleures conditions l’enseignement supérieur, étape primordiale dans nos économies de la connaissance, où les qualifications jouent un rôle central, à la fois pour trouver un bon emploi et garantir la productivité des activités économiques. Pour les deux tiers des classes d’âge qui atteignent le baccalauréat, le diplôme de fin de secondaire est avant tout le sésame vers la poursuite des études. Il faut leur proposer des cursus universitaires qui leur soient adaptés. A l’opposé, la concentration actuelle des moyens sur les rares filières d’élite dans un contexte de restriction budgétaire globale assèche les capacités financières de la majeure partie des cursus universitaires à l’heure où ils doivent accueillir toujours plus d’étudiants.

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Vincent Olivier : « Aux tenants de la rigueur budgétaire, posons la question du coût véritable d’une orientation ratée »

Tribune. Masquée par une actualité autrement plus dramatique, la mise en place au 1er mars du contrat d’engagement jeune (CEJ), aurait pu marquer un temps fort de la campagne présidentielle, un marqueur de l’engagement du président de la République auprès des jeunes. Il avait été d’ailleurs annoncé danscet esprit à l’été 2021, à un moment où l’impact de la crise sanitaire sur la santé économique et psychologique des jeunes était une source de préoccupation.

Il y aurait pu avoir débat sur l’intensité de la mobilisation, on aurait pu, d’un côté, entendre la critique des partisans d’un revenu universel jeune qui auraient sans doute jugé l’initiative trop timorée. De l’autre, les thuriféraires de l’équilibre des comptes publics leur auraient sans doute argué que les contraintes financières étaient telles qu’une dépense plus grande n’était pas envisageable.

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Cependant, nous pouvons nous réjouir de cet engagement renouvelé au service de l’insertion professionnelle de celles et ceux dont les parcours scolaires ont été trop chaotiques pour que l’emploi succède naturellement à la formation initiale.

Modernisation

Nous pouvons aussi souligner à raison que ce nouveau dispositif s’inscrit dans une logique institutionnelle cohérente qui confie aux missions locales la responsabilité de mettre en œuvre l’obligation de formation des 16-18 ans décrocheurs du système scolaire.

Nous pouvons aussi faire part de notre agréable surprise de voir ce dispositif accompagné d’une campagne de communication et d’une application mobile, autant de signes encourageants d’une action publique en voie de modernisation.

Bref, nous pouvons souligner cette avancée qui passe en revanche (presque) inaperçue.

Et pourtant, le sujet de l’insertion des jeunes mérite notre intérêt tant le CEJ souligne par son ambition l’ampleur du problème qu’il cherche à résoudre. La question n’est pas, en effet, celle de l’efficacité administrative d’une nouvelle mesure d’aide, ni même celle du niveau, décent ou insuffisant, du soutien financier des jeunes engagés dans ce parcours vers l’emploi et la formation. Elle est un peu celle des moyens pour bien accompagner et pas seulement faire un traitement statistique, « adéquationniste » de l’insertion.

Etrange silence

Nous gagnerions à nous interroger sur l’origine même de ces maux, plus que sur les traitements curatifs qui cherchent à y remédier. Nous devons nous interroger sur cet étrange silence qui accompagne notre constat partagé d’une jeunesse désorientée plutôt que rêveuse de son avenir meilleur. Comment se fait-il que notre système produise avec une telle régularité autant de jeunes sans projets suffisamment construits pour faire des premiers pas réussis ?

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Tom Chevalier : « En France, les jeunes sont vus comme des (grands) enfants »

Tribune. En France, pour accéder au revenu de solidarité active (RSA), une limite d’âge a été fixée à 25 ans : c’est une situation quasi unique en Europe. Alors que la tranche d’âge des 18-24 ans est la plus touchée par la pauvreté (23 % en 2018, contre 13 % pour l’ensemble de la population et 8,6 % pour les plus de 65 ans, selon l’Insee), elle est aussi paradoxalement celle qui est privée de la principale prestation de lutte contre la pauvreté.

Ce problème a été progressivement pris en compte par le gouvernement à cause de la crise économique et sociale qui a accompagné la crise sanitaire liée au Covid-19. Le débat s’est structuré autour de l’alternative suivante : ouvrir le RSA aux moins de 25 ans ou étendre la garantie jeunes. Le gouvernement a choisi la seconde option, en réformant la garantie jeunes et en lançant le nouveau contrat d’engagement jeune (CEJ), le 1er mars 2022.

Aligner les statuts

Pourtant, à la lumière des exemples nordiques, cette alternative ne constitue pas une opposition et l’enjeu de l’accès des jeunes à un revenu la dépasse d’ailleurs largement.

Je propose ainsi, dans une note du 20 janvier pour Terra Nova (« Soutenir les jeunes adultes »), d’adopter un point de vue plus global sur la place de la jeunesse dans le système de protection sociale en faisant quatre propositions de réforme.

Le premier enjeu renvoie à la limite d’âge ouvrant droit aux prestations sociales. En France, les jeunes sont vus comme des (grands) enfants : comme tels, ils ne peuvent pas demander le RSA en leur nom propre, en raison d’une limite d’âge élevée (25 ans) pour y prétendre, distincte des autres limites d’âge présentes dans l’action publique (18 ans) – à deux exceptions près, pour les moins de 25 ans ayant un enfant à charge et pour les jeunes justifiant d’une certaine durée d’activité professionnelle (RSA jeune actif).

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La majorité sociale est par conséquent plus tardive que la majorité civile ou politique. Or, dans la plupart des pays européens, vous devenez adulte à partir de 18 ans, y compris pour la protection sociale. La première proposition consisterait donc à aligner les statuts, en ouvrant le RSA aux jeunes adultes de moins de 25 ans.

Si le débat en France s’est concentré sur l’enjeu du RSA, il faut aussi apprécier les autres prestations de la couverture chômage, qui permettent aux chômeurs d’obtenir un complément de revenu, et notamment la garantie jeunes. Les deux prestations ne sont pas contradictoires, à condition de clarifier le périmètre de chacune d’entre elles.

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« L’enjeu n’est pas de “garder” les enfants, mais bien de développer au mieux leur potentiel »

Tribune. A la suite du scandale de la prise en charge des personnes âgées chez Orpea, les trois coprésidents du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (PMI) ont soulevé, le 23 février, dans une tribune publiée par Le Monde, la question de la qualité de l’accueil des tout-petits, craignant qu’une « privatisation » des crèches puisse conduire aux mêmes effets. De fait, à l’heure où notre pays s’inquiète pour son avenir, quoi de plus important que de développer pleinement le potentiel de nos enfants ?

Mais l’enjeu majeur n’est pas tant le statut des crèches – du privé, du public ou du monde associatif – que la formation reçue par les professionnels, qui conditionne la qualité des soins et de l’accompagnement qu’ils prodiguent aux très jeunes enfants. Manque dramatique de places d’accueil pour les tout-petits, insuffisante qualification globale des professionnels, déficit criant d’attractivité du secteur et de reconnaissance des professionnels : le secteur de la petite enfance fait face à des défis majeurs.

Simples, concrètes et efficaces, les réponses existent, avec trois priorités : augmenter les capacités d’accueil des tout-petits, élever le niveau de qualification des professionnels et les revaloriser.

Trouver une place d’accueil pour nos enfants, les parents le vivent au quotidien, c’est le parcours du combattant ! Aujourd’hui 40 % des enfants de moins de 3 ans n’ont aucune solution d’accueil, collectif ou individuel (crèche, assistante maternelle, garde d’enfants à domicile).

Deux cent mille places

Alors que les besoins non couverts sont estimés à au moins deux cent mille places (qui empêchent les parents concernés de reprendre le travail), la situation se dégrade. Depuis 2015, les créations de places en crèche ne suffisent plus à compenser la baisse continue du nombre d’assistantes maternelles.

Mettons enfin en place un véritable « droit opposable à l’accueil des jeunes enfants » et investissons en conséquence dans l’augmentation des places d’accueil et le recrutement de professionnels, qui font aujourd’hui cruellement défaut. Mais disons-le clairement : si créer des places d’accueil est nécessaire, c’est le nombre et la compétence des professionnels qui font la différence. D’où l’importance décisive des deux autres priorités que nous proposons.

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La qualité de l’accueil des tout-petits dépend d’abord et avant tout du niveau de qualification et de compétence des professionnels. Or nous sommes loin des pays de référence, comme les pays nordiques. Si, en France, il faut un bac + 5 pour éduquer et instruire les enfants en école maternelle, parfois aucune qualification n’est requise pour les mille premiers jours de l’enfant ! Il est urgent de mettre fin à cette situation absurde.

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« De fortes disparités socioéconomiques existent dès les premiers jours de vie »

Tribune. La petite enfance est une phase-clé pour le développement cognitif, social et émotionnel, ainsi que pour la croissance et la santé. De fortes disparités socio-économiques existent dès les premiers jours de vie dans presque tous les pays. La France n’est pas à l’abri de ces inégalités. Jusqu’à récemment, il y avait peu d’études sur le sujet, faute de grandes enquêtes représentatives au niveau national sur les jeunes enfants permettant de croiser origines sociales, santé et bien-être des enfants. L’Etude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe), qui suit plus de 18 000 enfants nés en 2011, a permis de faire plusieurs constats.

Il en ressort que, malgré un système de protection sociale généreux envers les familles, les inégalités socioé-conomiques de santé et de développement sont très marquées en France, dès la naissance. Par exemple, on observe un plus fort risque de prématurité ou de faible poids à la naissance chez les ménages les plus défavorisés. C’est aussi visible en matière de développement du langage. Alors que, en moyenne, aux alentours de leurs 2 ans, les enfants connaissent 74 mots parmi une liste de 100 mots proposés, ceux dont la mère a un niveau de diplôme inférieur au BEPC en connaissent 4 de moins, tandis que ceux dont la mère a un diplôme bac + 2 ou plus en connaissent 6 de plus. Vers 5 ans, des inégalités en matière de santé mentale sont mesurées, avec les enfants de milieu défavorisé à plus grand risque de connaître des difficultés socio-émotionnelles.

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Quels mécanismes produisent ces inégalités et comment y remédier ? Les politiques du quinquennat actuel ont surtout misé sur les modes d’accueil extérieurs à la famille et l’éducation précoce. Depuis 2019, l’âge de l’instruction obligatoire a été abaissé à 3 ans (au lieu de 6), avec l’objectif théorique de réduire les inégalités sociales dès le plus jeune âge. L’une de ses mesures-phares de la stratégie nationale de prévention et d’action contre la pauvreté est de favoriser l’accès en crèche aux plus fragiles, notamment à travers la création d’un bonus mixité pour encourager la diversité sociale, et d’un plan de formation des professionnels de la petite enfance.

Est-ce que ces politiques fonctionnent ? Réduisent-elles les inégalités pendant la petite enfance ? Si on manque encore, à regret, d’évaluations directes de ces mesures, nos études suggèrent que oui, mais seulement jusqu’à un certain point.

Facteurs-clés

Le développement du langage, par exemple, diffère entre les enfants selon le mode d’accueil utilisé. Les enfants accueillis en crèche ont acquis un vocabulaire plus riche que ceux gardés par les parents ou par les grands-parents, et ce, surtout chez les enfants plus défavorisés. Le contact avec des professionnels de la petite enfance, proposant des activités adaptées, pourrait être source d’enrichissement du vocabulaire. Les modes d’accueil collectif pourraient donc être des outils pour atténuer les inégalités. Mais ces modes d’accueil sont encore inégalement répartis à la fois territorialement et socialement, car accessibles en priorité aux parents en activité professionnelle et pouvant en supporter le coût (même si celui-ci est souvent modulé selon les revenus).

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Formation : « Pourquoi ne pas adjoindre aux embauches en CDI des jeunes un dispositif de nature comparable à celui du marché des footballeurs ? »

Tribune. Malgré deux années marquées par la crise sanitaire, les indicateurs du marché du travail ont incontestablement évolué dans le bon sens. Le taux de chômage a, en particulier, reculé de 2,5 points entre début 2017 et fin 2021 pour s’établir à 7,4 %. La diminution est encore plus marquée s’agissant des jeunes, dont le taux de chômage baisse d’environ 5 points pour s’établir à 17,6 % en janvier. Il s’approche ainsi de la moyenne de l’Europe des 27 (14,9 %). Ce constat fait certainement écho à l’essor des contrats d’apprentissage, puisque 650 000 ont été signés en 2021 contre moins de 300 000 en 2017, ce qui représente aujourd’hui un emploi sur cinq chez les moins de 25 ans.

Pour autant, le chemin reste long pour rattraper l’Allemagne, où seulement 6,1 % de la population active des 15-24 ans est au chômage. Une option est certainement de continuer à mettre l’accent sur les contrats d’apprentissage, avec des conditions qui permettent aux employeurs d’embaucher à moindre coût, même si, pour la puissance publique, le montant des aides fournies approche déjà les 2 milliards d’euros (aides exceptionnelles Covid-19 incluses).

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Mais, plus généralement, les difficultés d’insertion des jeunes tiennent à la dualité de notre système entre, d’un côté, des CDI très protecteurs et, de l’autre, des CDD exposant à une certaine précarité. Les différentes réformes adoptées lors du quinquennat de François Hollande (loi El Khomri en 2016) puis d’Emmanuel Macron (« ordonnances travail » en 2017) n’ont que partiellement résolu ce problème : la part des emplois précaires dépasse encore les 33 % chez les jeunes, contre moins de 10 % pour les autres groupes d’âges.

Face à une certaine frilosité des entreprises à embaucher et à former les jeunes peu qualifiés, ne serait-il pas nécessaire de favoriser le recours aux CDI également pour cette population ?

Outils de régulation

Un des problèmes rencontrés par les entreprises est en effet celui du risque de débauchage : former un jeune est coûteux, et il est difficile pour l’employeur de se prémunir contre le risque du départ du jeune une fois formé vers une autre entreprise, et de voir ainsi les investissements en formation engagés profiter à un autre employeur. Le corollaire est un déficit d’embauches et de formations des jeunes sur le marché du travail.

Cette problématique est fortement présente sur un marché de l’emploi qui pourrait paraître bien éloigné de ces préoccupations : celui des joueurs de football, où la fréquence des mobilités de joueurs entre clubs est très élevée.

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« Un revenu universel de formation serait de nature à promouvoir l’autonomie des jeunes »

Tribune. Nombreux sont les jeunes de 18 ou 19 ans qui ne disposent ni de la formation de base ni des ressources nécessaires pour pouvoir trouver un travail qualifiant, et nombreux sont les étudiants issus de familles défavorisées qui doivent sauter des repas ou renoncer à des soins médicaux pour pouvoir terminer leurs études. Alors que, selon certains, toute allocation vaut assistanat et pousse l’individu à la paresse, un revenu universel de formation serait de nature à promouvoir l’autonomie des jeunes en leur donnant les moyens d’agir et de décider de leur avenir.

Il ne s’agit pas là seulement de rendre justice aux jeunes, lesquels ont payé un lourd tribut pendant la pandémie de Covid-19 (études interrompues, multiplication des cas de détresse psychologique), il s’agit surtout d’investir intelligemment dans la croissance économique en permettant à davantage de jeunes d’être en situation d’innover et de maîtriser les savoirs de pointe. C’est en premier lieu à travers l’éducation et l’augmentation du niveau moyen des étudiants que l’on stimule l’innovation (« Tapping into Talent : Coupling Education and Innovation Policies for Economic Growth », Ufuk Akcigit, Jeremy G. Pearce & Marta Prato, Working paper n° 27862, NBER, septembre 2020).

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Quelle forme un tel revenu de formation devrait-il prendre ? Faut-il simplement étendre le RSA aux jeunes de 18 à 24 ans ? Ou bien faut-il, comme le proposait l’économiste américain Milton Friedman (1912-2006), instaurer un « impôt négatif » pour les individus à faibles revenus : le principe est de transférer un même montant fixe à tous les individus, et en même temps de lever un impôt progressif sur les revenus au-dessus d’un certain seuil.

Exigence de résultats permanente

Mais ces solutions ont l’inconvénient de ne demander aucune contrepartie. Notre approche est radicalement différente : il s’agit d’un co-investissement de chaque jeune et de l’Etat dans la formation et le capital humain, avec une exigence de résultats permanente. C’est l’approche danoise. Au Danemark, tout étudiant qui quitte le foyer familial touche un revenu mensuel de 800 euros, mais ce revenu s’interrompt dès que l’étudiant prend plus de six mois de retard dans la poursuite de son cursus.

Le revenu universel de formation jeunes que nous proposons concernerait en effet les étudiants et les apprentis. Il s’ajouterait donc aux dispositifs existants d’insertion pour les jeunes qui ne sont ni en formation ni en emploi. Il s’articulerait sur deux piliers, avec des passerelles pour passer d’un pilier à l’autre : un « revenu universel étudiant », et un « revenu universel d’apprentissage ».

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Guerre en Ukraine : des employés des magasins Leroy-Merlin pris à partie par les clients

Un magasin Leroy-Merlin, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), le 24 mars 2022.

Après un mois de guerre en Ukraine, la colère qui s’exprime contre les entreprises françaises ayant choisi de rester en Russie ne se cantonne plus aux réseaux sociaux. Elle vise désormais les magasins, où les employés de Leroy-Merlin en France sont pris à partie par les clients. « Ça a commencé après le bombardement du magasin en Ukraine [le 20 mars], précise Bernard Vigourous, délégué syndical central FO de l’enseigne. Les témoignages des salariés ont commencé à affluer. »

Certains sont traités d’« assassins » ou de « nazis ». D’autres entendent les clients leur dire « Je souhaite que vos enfants meurent sous les bombes » ou les menacer d’un « On va mettre le feu à ce magasin ». « Un client m’a sorti : “Vous n’avez pas honte d’être tranquillement assise à votre caisse pendant que vos collègues meurent. Vous devriez vous mettre en grève” », raconte une employée sur le réseau social Facebook.

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Ces agressions verbales se produisent un peu partout en France. « Besançon, Nice, Bordeaux… En revenant à Toulouse, dans mon magasin, j’en parle à mon collègue, qui me dit que, la veille, il s’était fait traiter deux fois de “collabo de Poutine” », narre M. Vigourous, avant de s’interroger : « C’est quand même étrange qu’un client insulte le personnel, tout en venant dépenser son argent dans le magasin pour faire son bricolage chez lui. »

« Il faut que la direction assume ses positions »

Le syndicaliste a évoqué tous ces témoignages de salariés dans un courriel adressé, mardi 22 mars, à la direction, laquelle lui a assuré « prendre le sujet très au sérieux ». En attendant, les employés des trois enseignes de la famille Mulliez (Decathlon, Auchan et Leroy-Merlin) implantées, pour certaines, depuis près d’une vingtaine d’années doivent assumer, malgré eux, la décision de leur entreprise. Tout en étant estampillés « sponsors de la machine de guerre russe » par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. « La décision de partir ou de rester n’est pas du ressort des salariés. Il faut que la direction argumente et assume ses positions plutôt que de rester dans le flou », estime Bernard Vigourous.

Philippe Zimmermann, directeur général d’Adeo, la maison mère de Leroy-Merlin, est sorti de son silence dans La Voix du Nord, mercredi 23 mars, se disant « heurté d’être considéré comme un sponsor de la guerre ». Il estime que « fermer serait un abandon, considéré comme une faillite préméditée, donnant lieu à des expropriations. Ce serait faire un cadeau de l’entreprise et de ses actifs au régime russe, et renforcer la guerre ».

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