Archive dans 2022

Blagues sexistes, ambiances graveleuses : la notion élargie du délit de harcèlement sexuel au travail entre en vigueur

Le harcèlement au travail est une réalité quotidienne : 60 % des actifs français ont été exposés à au moins un agissement à connotation sexiste et/ou sexuelle au travail au cours des douze derniers mois, et 10 % ont fait l’objet d’une demande d’un acte de nature sexuelle, selon un sondage réalisé par OpinionWay pour le cabinet Ekilibre, auprès de 1 009 actifs.

Ainsi, 38 % d’entre eux ont entendu des blagues à caractère sexiste, se référant donc spécifiquement au sexe ou au genre d’une personne : la répétition de tels comportements peut-elle être qualifiée de harcèlement sexuel ? C’est désormais le cas avec la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, qui entre en vigueur le 31 mars 2022.

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Avant cette actualisation, le harcèlement sexuel, qui est un délit puni pénalement, désignait dans le code du travail « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ». La notion, pour s’aligner sur sa définition dans le code pénal, est désormais étendue aux « propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés » (article L. 1153-1 du code du travail) à l’encontre d’un salarié, « qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». « Cela comprend donc les mauvaises blagues qui font référence à votre identité de genre, par exemple dire à une salariée qu’est-ce qui t’arrive, tu as tes règles ? », explique Gilles Riou, psychologue du travail et fondateur du cabinet Egidio.

Jusqu’alors et depuis la loi Rebsamen de 2015, un comportement sexiste était un comportement « discriminatoire » qui, répété, sous forme de harcèlement moral, était condamné. L’autre nouveauté majeure est la consécration de la notion de harcèlement de groupe (ou « d’ambiance »), et de la pluralité d’auteurs : la loi stipule que le harcèlement sexuel est également constitué « lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ». « C’est la traduction du phénomène de meute qui a déjà une réalité juridique dans le cyberharcèlement, observe Gilles Riou. Le législateur a été attentif à la réalité, en reconnaissant que le harcèlement au travail est un phénomène intrinsèquement collectif. »

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Le service public se convertit timidement au mécénat de compétences

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Publié aujourd’hui à 12h30

Une passion ? Non, Emmanuel Matte, 59 ans, ne dirait pas que le vélo est une passion. Mais un art de vivre, un plaisir, une compétence, sans aucun doute. Voilà pourquoi celui qui fait entre 20 et 25 kilomètres à bicyclette tous les jours est particulièrement satisfait d’aider la Cyclofficine de Pantin (Seine-Saint-Denis), une association qui organise des ateliers accompagnant les citoyens dans la réparation de leur vélo.

Emmanuel Matte est un pionnier. Il est bénévole, mais d’un genre particulier. C’est en effet son employeur, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui lui permet de travailler dans cette association, un jour par mois, pendant son temps de travail. Comme lui, soixante « agents solidaires » de la collectivité locale œuvrent dans le domaine de l’aide alimentaire, de l’accompagnement social ou encore de la transition écologique.

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On appelle cela du « mécénat de compétences ». Encadré par une loi de 2003, ce dispositif « se développe beaucoup dans le privé depuis cinq ans », a rappelé Elsa Chaucesse, de l’association Pro Bono Lab, lors d’un colloque organisé par le conseil départemental le 10 février. Et aujourd’hui, selon les estimations de Pro Bono Lab (avec Admical), 21 % des entreprises qui font des dons pratiquent le mécénat de compétences, soit quelque 22 000 sociétés.

Emmanuel Matte travaille à la direction de l’eau et de l’assainissement du département de Seine-Saint-Denis. Dans l’atelier de l’association Cyclofficine où il est bénévole une journée par mois.

Mais dans le public, cela n’avait pas encore pris. La Seine-Saint-Denis se targue d’ailleurs d’avoir été, en octobre 2020, « le premier département de France » à proposer une telle possibilité à ses huit mille agents. C’est la crise sanitaire qui a enclenché le mouvement. « Positionnées en première ligne, a indiqué le président socialiste du conseil départemental, Stéphane Troussel, les collectivités ont dû renforcer considérablement leur rôle de bouclier, parfois bien au-delà de leurs propres compétences. »

Actions de solidarité

L’effort a été mené en étroite liaison avec les associations locales. Le mécénat de compétences permet de poursuivre ce travail commun, même si le département finance déjà chaque année près de 1 400 d’entre elles pour plus de 55 millions d’euros de subventions. Le dispositif, a précisé M. Troussel, « répond à la fois aux besoins de renfort humain des associations, sur le terrain, mais aussi au désir d’engagement de nos agentes et de nos agents ».

Emmanuel Matte témoigne du fait que certains de ses collègues ont participé à ces actions de solidarité pendant la crise sanitaire et qu’« ils ont trouvé ça super ». Pour lui, c’est un peu différent, puisque c’est par le vélo qu’il est entré dans le dispositif, il y a un an. Et par l’association. C’est en effet peu après avoir adhéré à la Cyclofficine qu’il a eu l’idée de proposer à son employeur de l’intégrer dans le dispositif. Cela a été effectué d’autant plus facilement que le département subventionnait déjà la structure – pour un total de 27 000 euros depuis 2013.

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Le plafonnement des indemnités prud’homales de nouveau questionné en justice

La Cour de cassation s’apprête à arbitrer une longue querelle déclenchée par Emmanuel Macron. Jeudi 31 mars, elle doit se pencher sur quatre litiges relatifs à l’une des réformes emblématiques portées par le chef de l’Etat au début de son quinquennat : le plafonnement des dommages-intérêts octroyés par la justice à un salarié victime d’un licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Depuis son adoption en septembre 2017 dans le cadre des ordonnances qui ont réécrit le code du travail, cette mesure est combattue parce qu’elle contreviendrait aux engagements internationaux de la France. L’un des principaux enjeux de l’audience de jeudi est de savoir si les magistrats peuvent, dans certaines circonstances spécifiques, s’affranchir des règles fixées par le législateur et se montrer plus généreux que celles-ci.

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Le dispositif à l’origine du différend se présente sous la forme d’un barème, avec des montants minimaux et maximaux de dédommagements en fonction de l’ancienneté du salarié. Le but est d’offrir de la « prévisibilité » aux employeurs et de « lever la peur de l’embauche ».

Guérilla des cours d’appel

Sitôt entré en vigueur, ce référentiel a provoqué une fronde. A partir de la fin 2018, plusieurs conseils de prud’hommes ont refusé de s’y conformer, au motif qu’il violerait des traités signés par la France, dont la convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce texte prévoit que le tribunal d’un pays doit pouvoir attribuer une indemnité « adéquate » au salarié abusivement renvoyé par son patron. Or, des juridictions ont estimé que la grille mise en place en 2017 ne permettait pas de garantir le respect de ce droit. Elles se sont donc soustraites au barème – du fait de son ­ « inconventionnalité » – et ont accordé des montants supérieurs aux plafonds.

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Cette situation a engendré une belle pagaille car, dans le même temps, de nombreux conseils de prud’hommes ont appliqué les maxima instaurés par le législateur. Pour démêler l’imbroglio, la Cour de cassation a été saisie afin de donner son avis. Ce qu’elle a fait, en juillet 2019, en indiquant que le cadre délimité dans les ordonnances de 2017 était compatible avec la convention de l’OIT. Ses appréciations n’avaient pas de pouvoir contraignant, mais le gouvernement s’était réjoui de cette clarification, qui permettait de clore un « court épisode judiciaire », selon la formule de Muriel Pénicaud, alors ministre du travail.

Tel ne fut pas le cas puisque la guérilla a continué. Plusieurs cours d’appel ont considéré qu’elles avaient la faculté de vérifier si la grille d’indemnités offre une réparation financière suffisante, au regard du dommage subi par le salarié et de sa situation particulière (âge, état de santé, handicap éventuel, etc.). Dans la langue des juristes, on parle d’un contrôle concret – ou in concreto – de l’application de la loi.

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La transition écologique se fraie un chemin dans le dialogue social des entreprises

L’enjeu est ni plus ni moins qu’un changement culturel.

Par petites touches, le dialogue social se teinte de vert : la loi Climat et résilience du 22 août 2021 a d’ailleurs ajouté les enjeux environnementaux aux prérogatives des comités sociaux et économiques (CSE). « Ce cadre légal assoit la légitimité des représentants du personnel à poser le sujet sur la table », explique Adrien Gaillard, secrétaire du CSE du groupe de services informatiques Hifield, qui compte 250 salariés.

Un sujet d’autant plus crucial que « la transition écologique va amener les marchés à se transformer, comme par exemple celui de l’automobile, et les emplois vont en être affectés. Le dialogue social doit impérativement accompagner cette transition », avertit Jean-Baptiste Obéniche, responsable du pôle innovation, diversité et performance au travail d’EDF, et administrateur de l’association Réalités du dialogue social, qui regroupe plus de 300 membres (entreprises, structures publiques et organisations syndicales salariales et patronales).

Alexis Bugada, professeur de droit à l’Université d’Aix-Marseille, voit dans la loi « un changement de paradigme. Les négociations collectives ne se limitent plus aux thèmes syndicaux classiques : salaires, conditions de travail, garanties sociales… ». L’enjeu est ni plus ni moins un changement culturel. Et pour Agnès Rivière, cofondatrice de Represente.org, société qui aide notamment les CSE à verdir leurs activités sociales et culturelles, les comités et leurs 11 milliards d’euros de dépenses annuelles sont de véritables leviers de la transition écologique. « Ils ont à la fois un rôle culturel et de contre-pouvoir, souligne-t-elle. S’ils ne sont pas décisionnaires, ils peuvent néanmoins influencer. »

Pas de moyens supplémentaires

Comment ? En poussant, par exemple, l’entreprise à faire un bilan carbone, en incitant la direction à former les salariés au numérique responsable, voire à changer de prestataire pour diriger l’épargne salariale vers des fonds respectueux de l’environnement.

Car l’état d’esprit des salariés évolue. « Les jeunes sont particulièrement sensibles à la question environnementale et sont en demande d’actions », constate Magali Frey, membre du CSE de Cap Gemini Invent, filiale conseil du groupe Cap Gemini. Les entreprises l’ont bien compris et en font un argument de la marque employeur.

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Pour le groupe minier et métallurgique Eramet, qui produit notamment les « métaux de la transition énergétique » – nickel, cobalt et lithium –, « la loi ne change pas grand-chose, note Virginie de Chassey, directrice du développement durable et engagement d’entreprise. Notre feuille de route RSE [responsabilité sociétale des entreprises] 2018-2023 intègre le développement durable. Le sujet est ancré dans notre projet d’entreprise et notre raison d’être ».

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« Avec l’inflation, le retour des “comités patates” ? »

Carnet de bureau. Les « répercussions [de la guerre en Ukraine] affecteront aussi bien l’inflation, de façon quasi immédiate par la hausse des prix de l’énergie et d’autres matières premières, que la croissance », pronostiquait la Banque de France à la mi-mars, en avançant une prévision de 3,5 % à 4,4 % d’inflation en 2022, selon l’évolution de la situation. « Nous intégrons en particulier dans le scénario dégradé les conséquences sur les prix des produits alimentaires d’une hausse du cours du blé de l’ordre de 65 % par rapport à son niveau de fin février », précise la note de la Banque de France.

Lors de la création des comités d’entreprise par la loi du 16 mai 1946, le pic inflationniste était proche de 60 %. Quelque 10 000 comités d’entreprise avaient ainsi vu le jour dans l’immédiate après-guerre.

Jusqu’en 1946, des comités existaient déjà au sein des usines. Les comités sociaux d’établissements créés par Pétain en 1941 avaient été remplacés en 1944 par trois types de « comités d’usine » : les « patriotiques » chargés d’éliminer les directions collaborationnistes, les « comités à la production » et les « comités de gestion ».

Pénuries alimentaires

Les salariés parlaient plus simplement de « comités patates », car leurs cantines et coopératives de ravitaillement avaient été un soutien précieux pour faire face aux pénuries alimentaires. Les derniers tickets de rationnement de sucre, d’essence ou de café ne disparaîtront qu’en décembre 1949. On n’en est pas là. Loin s’en faut. Il ne s’agit pas de dramatiser à outrance les conséquences de la hausse de l’inflation en France, mais de s’interroger sur le soutien au pouvoir d’achat des salariés au sein de l’entreprise.

Les prestataires de services aux entreprises constatent une hausse des commandes de « tickets » en tout genre pour limiter l’impact d’une inflation attendue initialement autour de 2 %. « Depuis le début de l’année, la demande augmente sur les Ticket Restaurant, les tickets mobilité (vélo, voiture électrique et essence) et les tickets cadeaux, qu’elle vienne des directions des ressources humaines ou des comités sociaux et économiques (CSE). On a aussi observé une hausse de la valeur faciale du Ticket Restaurant de 2,5 % sur un an », indique Ilan Ouanounou, le directeur général d’Edenred France. Le dirigeant du groupe spécialisé en solutions de paiement pour les salariés note également qu’« ils dépensent davantage sur notre plate-forme d’e-commerce ».

Les CSE, héritiers des comités d’entreprise, ont toujours été tiraillés entre le soutien social des salariés et le contrôle de la gestion économique de l’entreprise. Doivent-ils aujourd’hui redonner la priorité à la redistribution ?

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Valérie Pécresse précise sa mesure sur la conditionnalité du RSA à quinze heures d’activité par semaine

Dans la dernière ligne droite, la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, tente de marquer sa différence avec Emmanuel Macron, malgré de sérieuses turbulences de campagne. Elle précise ainsi, mardi 29 mars, sa mesure de conditionnalité du revenu de solidarité activité (RSA) à quinze heures d’activité par semaine, semblable à celle du candidat président, dans un entretien accordé aux lecteurs du quotidien Le Parisien.

Répétant que « les bénéficiaires [du RSA] ne feront pas un travail à proprement parler », la candidate LR souligne qu’« il s’agira plutôt d’activités d’insertion proposées à des personnes très loin de l’emploi ». Tout comme le défend également Emmanuel Macron.

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En revanche, Valérie Pécresse insiste sur le fait qu’elle ne souhaite pas verser de contrepartie supplémentaire aux allocataires du RSA, dont le montant va être revalorisé de 10 % le 1er avril, atteignant ainsi 575,72 euros. Elle juge en effet « légitime », au vu du niveau du « smic net » proche des « 1 200 euros », de verser « 575 euros pour quinze heures » d’activité par semaine, et ce, alors que plusieurs candidats de gauche et syndicats dénoncent des « emplois sous-payés ».

« Il ne s’agit pas de les culpabiliser [les allocataires] mais de les aider à trouver un chemin de réinsertion. Dans RSA, il y a “solidarité active” donc il faut aider les bénéficiaires à reprendre petit à petit le chemin de l’emploi », se défend la candidate, précisant que ce sera aux départements, en charge du versement de cette allocation, de préciser et « jug[er] quel type d’activité ces bénéficiaires p[ourront] faire ».

Des attaques ciblées contre M. Macron

Emmanuel Macron a lui aussi annoncé vouloir conditionner le RSA à quinze à vingt heures d’activité hebdomadaire afin de « faciliter l’insertion professionnelle ». S’il n’est pas question « d’activité obligatoire », le chef de l’Etat sortant a affirmé que « si travail il y a », tout bénéficiaire du RSA serait toutefois « rémunéré au moins au smic ».

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Depuis qu’il a révélé cette promesse de campagne, la candidate LR accuse Emmanuel Macron de « plagiat », estimant que le chef de l’Etat sortant reprend ses mesures, à l’image, aussi, de la réforme des retraites.

Si elle plaide également pour un départ à la retraite à 65 ans, la candidate LR a justement profité d’une question d’un lecteur pour réitérer cette attaque contre M. Macron : « Est-ce qu’il aurait eu le courage d’annoncer ça si je ne l’avais pas fait avant ? Et vous avez vu que dès dimanche, il a commencé à reculer en disant que ça ne serait pas une réforme prioritaire d’un second quinquennat. Même quand il essaie de me plagier, très très vite, il recule ! »

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Le Monde

Ouvrir le monde du travail à tous les handicaps, visibles et invisibles

Le secteur privé n’emploie que 3,9 % de personnes handicapées et le public 5,6 %.

Quatre-vingts pour cent des personnes en situation de handicap ne se signalent ni par un fauteuil roulant ni par une canne blanche. Atteintes par une pathologie invisible, elles sont pourtant confrontées à des difficultés tangibles, qu’elles souffrent de maladies chroniques (asthme, cancer, diabète, endométriose…), de troubles psychiques (dépression, schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs…), de troubles cognitifs (dyslexie, dyspraxie…), de handicaps sensoriels (surdité…), voire de certains handicaps moteurs.

Si pour les personnes en situation de handicap visible, les chemins vers l’emploi sont tortueux, voire obstrués, les personnes en situation de handicap invisible subissent une forme de double peine. Celles qui choisissent de ne pas révéler leur état à leurs collègues et à leur employeur doivent bien souvent gérer, en plus de leurs problèmes de santé, suspicion, incompréhension, peur, quiproquos, rejet, voire exclusion pour inaptitude. En choisissant de « prendre sur elles », de « faire bonne figure », ces personnes qui bataillent au quotidien pour compenser leur handicap peuvent même finir par s’effondrer.

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Que les handicaps soit invisibles ou visibles, décrocher un poste dans l’Hexagone relève du parcours du combattant. Bien que la loi de 1987 impose un quota de 6 % de salariés handicapés dans les entreprises, le secteur privé atteint laborieusement 3,9 % (en 2019). Et le secteur public totalise 5,6 % (en 2020). Durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, « grâce à la mobilisation gouvernementale, de nombreuses mesures ont été prises. Nous avons travaillé sur l’employabilité de la personne et l’accompagnement du collectif de travail des employeurs pour passer de l’obligation à l’envie », résume Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat auprès du premier ministre chargée des personnes handicapées, qui nous a répondu le 22 février.

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Parmi les mesures qui ont vu le jour, la réforme de l’obligation d’emploi des travailleurs en situation de handicap est entrée en vigueur en 2020. Elle a notamment enjoint aux recruteurs de privilégier l’emploi direct plutôt que de recourir à la sous-traitance ; elle a aussi accordé des droits définitifs en cas de handicap irréversible et rendu obligatoire la désignation d’un référent handicap pour toute entreprise de plus de 250 personnes. De son côté, Cap emploi, qui accompagne les personnes handicapées et leurs employeurs, poursuit son rapprochement avec Pôle emploi.

Accompagner les dirigeants

Autre outil déployé, une aide de 4 000 euros par recrutement de personne en situation de handicap a permis « 29 000 embauches, dont les deux tiers en CDI », selon Sophie Cluzel. Les contrats d’apprentissage ont bondi de presque 80 % entre 2019 et 2021 et sont désormais au nombre de 8 159. Enfin, 90 plates-formes labellisées « Emploi accompagné » ont épaulé gratuitement 6 000 personnes et leurs employeurs en 2021. « Quant aux entreprises adaptées et aux ESAT [établissements et services d’aide par le travail], diverses mesures sont à l’œuvre ou en cours de déploiement pour fluidifier les trajectoires entre les milieux professionnels tout public, protégé et adapté », poursuit la secrétaire d’Etat.

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L’Etat a aussi signé une convention avec l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) sur la période 2021-2024. « Notre boussole est de faire évoluer le taux d’emploi des personnes en situation de handicap, d’être au plus proche de celles-ci et des entreprises. Nous accompagnons les dirigeants dans le recrutement et le maintien dans l’emploi de leurs collaborateurs, notamment grâce à la prévention, la compensation et l’aménagement des postes de travail », explique son président, Christophe Roth. Bien conscient de l’ampleur de la tâche à accomplir, il ajoute : « Nous œuvrons afin que les multiples acteurs de l’écosystème travaillent ensemble. »

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Le quinquennat écoulé a-t-il été à la hauteur des ambitions affichées en 2017 ? « De multiples mesures ont été prises, c’est indéniable, mais elles ne constituent pas une réforme systémique. Plus globalement, c’est toute l’organisation du travail et les méthodes de management autour de la personne qui doivent être repensées, car elles sont excluantes et le taux d’inaptitude explose », analyse Carole Salères, conseillère nationale emploi, travail, formation et ressources à l’association APF France Handicap. Sur le terrain, depuis cinq ans, le handicap est le premier motif de saisine du Défenseur des droits, et l’emploi le premier domaine dans lequel s’exercent ces discriminations. Le taux de chômage des personnes en situation de handicap est certes passé de 19 % en 2017 à 14 % en 2020, mais il reste plus élevé que celui du « tous publics » (9 % contre 8 %). Le taux de chômage de longue durée reste également problématique.

« Il existe un fossé entre la volonté politique et l’accès au droit des personnes sur le terrain », estime Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps, qui appelle à ce que, par exemple, « le principe de l’accessibilité universelle figure dans la Constitution ». Pour le prochain quinquennat, le chantier du handicap – visible ou invisible – et de l’emploi s’annonce considérable.

Cet article a été réalisé à l’occasion de la 3e édition de l’Université du Réseau des référents handicap, organisée par l’Agefiph.

Des conférences et un nouveau podcast

  • Dans le cadre de la 3e édition de l’université du Réseau des référents handicap, organisée les 29 mars et 30 mars à Lille Grand Palais par l’Agefiph, en partenariat avec Le Monde, se tiendra la conférence « Le handicap, catalyseur de dialogue social », le mardi 29 mars de 11 h 30 à 12 h 45, animée par Isabelle Hennebelle (Le Monde). Avec Anne Baltazar (FO), Franck-Yves Beauprez (Auchan Retail France), Cyril Chabanier (CFTC), Dominique du Paty (CPME), François Hommeril (CFE-CGC), Sophie Legrand (Cofidis), Hubert Mongon (Medef), Catherine Perret (CGT), Catherine Pinchaut (CFDT).

Pour suivre toutes les conférences : https://agefiph-universite-rrh.fr/

  • Le Monde, en partenariat avec l’Agefiph, lance le podcast « Rebond, vivre avec le handicap », au rythme d’un épisode par semaine, tous les mardis, à 15 heures, à partir du 29 mars sur Lemonde.fr et les plates-formes d’écoute. Des personnalités concernées par le handicap, personnellement ou par leur entourage, témoignent de leur engagement : Dominique Farrugia, Laëtitia Milot, Grégory Cuilleron, Sophie Cluzel, Fabrice Chanut, Marie-Amélie Le Fur, Krystoff Fluder, Lætitia Bernard, Didier Roche, Charles Gardou.

Production : Joséfa Lopez pour Le Monde. Ecriture et animation : Joséfa Lopez et Isabelle Hennebelle.

« Moi, un handicap ? » : des travailleurs entre secret et déni

Certains troubles psychiques, comme l’autisme, peuvent entraver la vie professionnelle.

« Je vis avec la maladie de Crohn depuis trente ans et je l’ai toujours caché à mes employeurs », reconnaît Hélène (à la demande des témoins, les prénoms ont été modifiés). En début de carrière, alors qu’elle travaille dans le secteur bancaire, la jeune femme gère les crises de douleurs et encaisse des remarques comme : « T’as vraiment l’air shootée. » Puis, quand elle se réoriente vers un master en sciences de l’éducation, son directeur d’enseignement refuse d’excuser son absence aux examens, due aux complications de sa pathologie. « Ce n’est quand même pas le cancer ! », lui lance-t-il. Pas de quoi l’encourager à se confier lorsqu’elle intègre l’éducation nationale.

Mais récemment, la crise du Covid-19 l’a poussée à s’exposer davantage. « Lors du premier confinement de 2020, on m’a sollicitée pour faire la classe aux enfants de soignants et j’ai dû refuser car j’étais à risque, en raison de mon traitement immunosuppresseur », explique-t-elle. Sa directrice a été assez délicate pour bien accueillir son refus, sans être intrusive. Hélène n’en dira pas plus sur sa pathologie, comme des millions de personnes cachant un problème invalidant ou un handicap sensoriel, cognitif, psychique et même moteur pouvant passer inaperçu un temps.

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La pandémie pourrait être à l’origine d’un nouveau handicap invisible, lui aussi difficile à évoquer : le fameux Covid long. « Il se manifeste par de multiples symptômes durables, comme la fatigue écrasante, le brouillard mental, les maux de tête, l’essoufflement et l’oppression thoracique, des douleurs, une perte de goût et d’odorat, etc. Il touche plutôt des personnes de moins de 60 ans, donc encore en activité, n’ayant même pas développé de forme grave et qui culpabilisent de ne pas remonter la pente assez vite », explique le docteur Laurent Uzan, cardiologue à l’Institut médical sport santé et coauteur, avec le docteur Nicolas Barizien, de Covid long, comment s’en sortir (Marabout, 2021). Certains ne l’assument pas, comme Matthieu, chercheur en biologie dans un laboratoire lyonnais. « Après ma contamination, l’an dernier, j’ai eu l’impression de penser au ralenti pendant des mois. Je n’ai rien dit à mes collègues, mais j’ai eu du mal à faire face et je me suis mis en difficulté sur un projet. »

« Pas à ma place »

Beaucoup veulent ainsi échapper à la stigmatisation, en poste ou à l’embauche. Louise, jeune ingénieure de 26 ans, reconnue dyslexique depuis le primaire, a aussi voulu « se tester » dans le monde professionnel. Elle ne souffle pas un mot de son handicap aux responsables de la start-up où elle décroche son stage de fin d’études. « Ils m’ont vite reproché mes fautes d’orthographe et j’ai dû leur révéler ma dyslexie. Ils ne m’en ont pas vraiment voulu, mais je ne me sentais pas à ma place », confie Louise. Idem pour son premier CDD dans un laboratoire de recherche. « Les premiers documents que j’ai écrits ont attiré l’attention, mais heureusement, mes manageurs m’ont juste incitée à me concentrer sur mes recherches et se sont chargés de finaliser la rédaction. » Louise s’apprête maintenant à se lancer dans une thèse. Et après ? « Je ne sais toujours pas si j’ai intérêt à parler de ma situation à mes futurs employeurs, je ne sais rien de mes droits, des avantages ou des risques d’une reconnaissance. » Et même si son handicap est invisible, elle sait qu’il sera difficile de le cacher longtemps, au risque de s’épuiser à compenser.

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Que faire ? Se taire… ou tout dire ? Si oui, quand ? « Difficile de répondre à cette question, chaque situation étant différente, reconnaît le docteur Rodrigue Deleens, spécialiste de la douleur au CHU de Rouen et auteur de Mieux vivre avec la fibromyalgie (Leduc, 2018). A maladie égale, les personnes sont plus ou moins durement touchées. Il ne faut donc pas systématiser la reconnaissance d’une invalidité, car l’étiquette peut enfermer dans le handicap. Mais minimiser – voire nier – un problème pousse à la surcompensation, ce qui expose à la rupture physique, psychique ou relationnelle. » Il est dommage d’en arriver là, alors qu’il existe des aides octroyées aux personnes bénéficiant, par exemple, d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

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Reste qu’il est parfois psychologiquement impensable d’associer sa maladie à un handicap. C’est ce que Véronique Bustreel, directrice Innovation, évaluation et stratégie à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph), constate. « Si le handicap est mieux reconnu depuis la loi de 2005, les solutions d’accompagnement ne sont pas toujours adaptées à la sensibilité des personnes et à la réalité de leur trouble. Il faut sortir de la logique de silo où l’on est soit malade soit en pleine santé, soit handicapé soit pas. Il est par exemple possible de moduler un temps partiel thérapeutique sur la durée. Cela permettrait au plus grand nombre d’y recourir sans gêne, et de cheminer éventuellement vers une reconnaissance décomplexée.  »

Prise de conscience

Car finalement, « l’essentiel est d’arriver à travailler comme un autre malgré son handicap, affirme la docteure Laurence Lévy-Amon, médecin du travail. Il ne s’agit pas d’étiqueter qui que ce soit, mais d’aménager le poste, en adaptant le temps de travail et les outils, afin de compenser une difficulté ». Tout cela n’est possible qu’après la reconnaissance du problème, bien sûr, et uniquement sur décision du salarié, le médecin du travail étant tenu au secret médical. Celui-ci peut toutefois être alerté par un responsable sur les difficultés d’une personne qui ne reconnaît pas son propre handicap, à la suite d’un trouble neurologique ou de traitements lourds, par exemple. « Nous proposons alors des bilans réalisés par des experts extérieurs, ce qui favorise la prise de conscience », précise le médecin. Et en cas de déni persistant ? « L’inaptitude peut être déclarée si le salarié perd pied. »

C’est précisément ce que redoute Jacques pour son fils Julien, 24 ans, souffrant de troubles autistiques depuis l’enfance. Pour le jeune homme, il ne s’agit que de difficultés de concentration. « A force d’aide et de persévérance, il a décroché son bac, un IUT en électronique et un job dans une petite entreprise qui connaît plus ou moins son problème. Mais ça ne tiendra pas éternellement, s’inquiète son père. Il devrait demander le statut de travailleur handicapé pour être protégé, mais il s’y oppose. Après tout, il est heureux pour le moment. » Le temps viendra peut-être, à la faveur d’une rencontre avec un DRH ou un médecin du travail qui lui ouvrira les yeux sur les avantages d’une reconnaissance.

Cet article a été réalisé dans le cadre de la 3e édition de l’Université du réseau des référents handicap, en partenariat avec l’Agefiph.

Ces entreprises qui regardent les handicaps invisibles en face

Les pathologies invisibles représentent 80 % de l’ensemble des handicaps.

Antalgiques, pommades, ceinture chauffante… Arnaud, consultant dans un cabinet d’audit parisien, a tout essayé contre les douleurs dorsales qui l’assaillent sans répit. Les longues heures en position assise à son bureau sont un calvaire. « Pendant des années, j’ai fait bonne figure, persuadé qu’il n’y avait pas de solution », confie le quadragénaire. C’est au hasard d’une conversation avec le responsable de la mission handicap de son entreprise qu’il apprend que des aménagements de poste sont possibles. « Ça m’a changé la vie », assure-t-il. Un fauteuil ergonomique et un bureau modulable en hauteur lui permettent désormais d’alterner les stations assise et debout et de réduire considérablement l’inconfort.

Comme Arnaud, nombre de salariés souffrent de pathologies invisibles, mais qui ont des répercussions sur leur vie professionnelle. Elles représentent 80 % de l’ensemble des handicaps. Maux de dos, diabète, cancer, dépression sévère, schizophrénie, déficience visuelle, surdité, dyslexie… compliquent le quotidien des collaborateurs et enrayent la bonne exécution de leurs missions. Des aménagements sur le lieu de travail peuvent toutefois compenser les difficultés rencontrées. Indispensables au maintien dans l’emploi, certaines de ces adaptations sont d’ailleurs imposées par la loi depuis 2005. Les employeurs ont ainsi l’obligation de réaliser pour chaque travailleur handicapé un « aménagement raisonnable », c’est-à-dire ne représentant pas une charge trop importante.

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De nouveaux équipements peuvent même parfois être déployés sur des sites industriels, notamment pour les salariés touchés par des troubles musculo-squelettiques. « Nous avons complètement repensé une ligne de production », indique ainsi Julie Legoubin, référente handicap et cheffe de projet diversité et inclusion chez Schneider Electric. Des bras de levage et des systèmes d’automatisation peuvent aussi être déployés, ce qui permet de supprimer des gestes répétitifs incompatibles avec certaines pathologies.

Le parent pauvre des politiques handicap

Qu’il s’agisse d’adaptations pour un bureau ou une usine, l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) peut accorder une aide financière si le collaborateur concerné par les changements dispose de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ou a engagé une demande.

La gestion de ces problèmes de santé a longtemps fait figure de parent pauvre des politiques handicap des entreprises. Méconnus des encadrants, souvent passés sous silence par les personnes concernées elles-mêmes, ils étaient peu ou pas pris en compte par les organisations. Mais, depuis quelques années, la donne change de façon positive. « La question reste complexe mais la situation s’améliore, constate Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps. Un nombre croissant d’entreprises, grands groupes comme PME, s’activent pour lever les freins qui entravent les salariés concernés. »

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Comment ces sociétés appréhendent-elles les handicaps invisibles ? D’abord en sensibilisant les équipes. L’idée est de créer un écosystème professionnel où la question est identifiée et abordée sans tabou. Diverses actions sont envisageables. Schneider Electric a, par exemple, organisé en interne une exposition consacrée aux maladies chroniques ou invalidantes (spondylarthrite, sclérose en plaques…). Sur l’une des affiches, le portrait d’une femme est accompagné des commentaires de ses collègues : « Elle est toujours en retard, elle semble désengagée. » L’explication suit : cette collaboratrice a été touchée par un cancer. « Nous souhaitons déconstruire les idées reçues », explique Mme Legoubin.

Sur les conseils de l’Agefiph, Salti, société de location de matériel pour les professionnels, a de son côté réalisé un diagnostic-action autour de la question du handicap. « Nous avons recensé les actions déjà existantes en interne puis adressé un questionnaire aux salariés pour évaluer leurs connaissances en la matière et voir s’ils se sentaient concernés », indique Barbara Thesse, DRH de l’entreprise. Ses équipes ont ensuite communiqué sur le sujet auprès des salariés.

Libération de la parole

Encourager la libération de la parole est également important. Dans les entreprises de plus de 250 salariés, le référent handicap – dont la présence est une obligation légale – peut jouer le rôle de « tiers de confiance », informant et accompagnant les personnes concernées. D’autres outils permettent de favoriser les échanges. En 2018, Sanofi a lancé le programme Cancer & travail : agir ensemble. Une trentaine d’antennes rassemblant des équipes pluridisciplinaires (ressources humaines, santé au travail, salariés touchés par la maladie…) ont vu le jour sur les sites français de l’entreprise. « Elles regroupent environ 150 personnes formées à l’écoute active », explique Hélène Bonnet, responsable du projet. Celles-ci informent les collaborateurs qu’il existe un lieu où ils peuvent évoquer leurs problèmes et leurs besoins. « Nos actions ont progressivement infusé au sein de l’entreprise, se félicite aujourd’hui Frédérique Granado, directrice engagement sociétal de Sanofi France. Désormais, des manageurs et leurs équipes nous demandent eux aussi de les accompagner. »

Ce travail d’écoute et d’échange au long cours vise à installer un climat de confiance. Il peut inciter les salariés à dévoiler un handicap qu’ils préféraient jusqu’alors garder secret par peur d’être mal jugés, mis au placard, voire licenciés pour inaptitude. Il permet aussi aux manageurs d’avoir une bonne connaissance des pathologies non visibles pouvant toucher leurs équipes et des nombreux aménagements existants pour y faire face.

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Certaines entreprises vont plus loin en menant une politique de recrutement de personnes en situation de handicap invisible. Pour cela, elles peuvent s’appuyer sur les conseillers Pôle emploi et Cap emploi, mais aussi sur des associations dédiées à une pathologie précise (les troubles « dys », dyslexie, dyspraxie et dysphasie par exemple). L’Agefiph propose, elle, sur son site une CVthèque ainsi que près de 180 000 offres d’emploi. L’association œuvre également pour rapprocher les chercheurs d’emploi et les sociétés de secteurs en tension (numérique, hôtellerie, métiers de la propreté…). Chez Schneider Electric, où 100 personnes en situation de handicap se verront proposer un poste dans les trois prochaines années, Mme Legoubin explique : « L’une de nos chargées de recrutement, consacrée aux profils en situation de handicap, travaille en ce sens, notamment sur les réseaux sociaux et les forums. ». Pour faciliter la mise en relation entre entreprises et chercheurs d’emploi handicapés, le salon en ligne du recrutement Hello handicap (du 26 au 29 avril) proposera entre 25 000 et 30 000 candidatures à 160 employeurs.

D’autres organisations se tournent vers les entreprises adaptées de travail temporaire (EATT). Ces agences d’intérim lancées depuis deux ans en France rapprochent les personnes en situation de handicap du monde de l’entreprise. « Le travail temporaire séduit parce qu’il est moins engageant pour le chercheur d’emploi et l’employeur », explique Aline Crépin, la directrice générale de Kliff par Randstad, l’une de ces EATT. Il permet au collaborateur de concilier sa vie professionnelle et les contraintes liées à sa maladie. Et aux dirigeants de s’adapter progressivement à une situation nouvelle, source de craintes pour certains d’entre eux. Alexandre, 40 ans, atteint de troubles schizoïdes, bénéficie aujourd’hui de ce suivi personnalisé. Il effectue des missions régulières chez un imprimeur. « Je peux parfois entendre des voix, indique-t-il. Quand cela survient, je préviens l’EATT, qui va expliquer la situation à mon entreprise. » Alexandre peut alors prendre du repos et revenir au travail une fois la crise passée.

Horaires adaptés

Faire évoluer les horaires de travail peut s’avérer une solution quand, par exemple, une équipe compte un salarié diabétique qui doit manger à heure fixe. « Avec l’accord du collaborateur et de son supérieur, nous communiquons en amont auprès des équipes afin qu’elles ne s’étonnent pas de le voir quitter une réunion qui dépasserait sur l’heure du déjeuner », explique Adélia Pereira, responsable des ressources humaines et référente handicap chez Generali.

Chez Randstad, des adaptations d’horaires sont également proposées aux salariés qui se déplacent en transports en commun et ont des difficultés à rester longtemps debout. Ils évitent ainsi les heures de pointe et trouvent plus facilement une place assise. Chez Generali, cette possibilité s’accompagne d’un panel d’offres facilitant les déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Selon les handicaps invisibles concernés, l’entreprise mettra par exemple à disposition des transports adaptés ou des accompagnants pour effectuer ces trajets quotidiens.

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Le maintien dans l’emploi peut enfin passer par une remise à plat de la charge de travail, voire de la nature des missions confiées. C’est ce que certaines entreprises proposent, par exemple, à des salariés en rémission après un cancer. Une adaptation nécessaire, souligne Hélène Bonnet, de Sanofi : « Près d’une personne sur deux touchées par un cancer souffre encore d’une fatigue cliniquement significative, cinq ans après le diagnostic de sa maladie, selon l’étude VICAN5 de l’Institut national du cancer. »

Cadre dans une multinationale, Marie a été touchée par la maladie en 2017. Après plusieurs mois de traitement, elle est revenue au bureau, en mi-temps thérapeutique la première année, puis aux 4/5e jusqu’à aujourd’hui. « Le groupe a fait appel à une consultante qui a écouté mes attentes et a échangé avec mon manageur et mon équipe. » Elle s’est vu confier des tâches peu stressantes, loin de l’intensité de ses précédentes missions au service achats. « Je me suis sentie protégée durant cette période transitoire », explique-t-elle. Des aménagements bénéfiques pour Marie, qui a pu préserver sa santé, mais aussi pour l’entreprise, qui a ainsi réussi la réintégration d’un de ses membres dans le collectif de travail.

Cet article a été rédigé dans le cadre de la 3e édition de l’Université du Réseau des référents handicap, en partenariat avec l’Agefiph.

Le dialogue social des travailleurs indépendants, une naissance contrôlée par l’Etat

Droit social. Le préambule de la Constitution française affirme que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail », et l’article L. 2221-1 du code du travail reconnaît « le droit des salariés à la négociation collective de l’ensemble de leurs conditions d’emploi et de travail et de leurs garanties sociales ».

L’exercice de ces droits se traduit, notamment, par la conclusion de conventions collectives, actes juridiques qui ont, selon la formule célèbre du juriste italien Francesco Carnelutti (1879-1965), « le corps d’un contrat et l’âme d’une loi ». « L’autonomie tarifaire » ou « la liberté contractuelle » des syndicats et de l’employeur ou des représentants des syndicats patronaux de fixer les conditions des contrats de travail est toutefois, en droit français du moins, strictement encadrée par la loi, le décret ou l’arrêté.

L’Etat organise d’abord à travers la notion de représentativité les modalités de reconnaissance des acteurs collectifs considérés comme légitimes à agir au nom des salariés et des employeurs. Les pouvoirs publics ont, par ailleurs, par arrêté, réformé le cadre des négociations originellement fixé par les partenaires sociaux : des 700 branches de 2014, il n’en reste qu’environ 200 fusionnées.

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Plus encore, le code du travail réglemente le processus de la négociation, sous l’oriflamme de la « promotion du dialogue social ». Deux titres entiers du code du travail encadrent, de façon minutieuse, ce qui doit être négocié, à quel moment et à quelle fréquence. Depuis les pionnières lois Auroux de 1982, les règles se sont multipliées, vidant la négociation entre partenaires sociaux de sa substance.

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Cette mise en œuvre dirigiste du précepte de détermination collective des conditions de travail vient de connaître un nouveau développement.

L’ordonnance 2021-484 du 21 avril 2021 a introduit dans le code du travail, toujours comme outil de la défense du travailleur, un article L. 7342-6 : il affirme d’abord que les travailleurs indépendants recourant pour l’exercice de leur activité professionnelle à une ou plusieurs plates-formes numériques « bénéficient du droit de constituer une organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs ».

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Aussi des élections sont-elles programmées du 9 au 16 mai 2022 afin de distiller parmi ces « organisations syndicales » celles qui seront « représentatives », donc parties à une négociation collective.

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