Archive dans 2022

« Risquer ça pour un smic ? » : Agents de sûreté et de sécurité manifestent pour des augmentations de salaire

Ils ont tous en tête ces images terribles, diffusées à la télévision et sur les réseaux sociaux, du passage à tabac de leur collègue, vigile au centre commercial des Quatre Temps à la Défense, mercredi 23 mars : « Risquer ça pour un smic ? » Derrière des banderoles « Sécurité en colère, augmenter les salaires », plusieurs centaines d’agents de sûreté et de sécurité ont manifesté, vendredi 1er avril, en intersyndicale, entre les terminaux de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Sous la neige, et par – 2 °C : « de mauvaises conditions pour manifester, mais c’est à l’image de nos conditions de travail », ironise Takfarinas, agent de sécurité incendie dans un centre commercial de Rouen (Seine-Maritime). A 35 ans, son salaire s’élève à 1 641 euros bruts par mois (hors primes). Juste au-dessus du smic (1 603 euros), mais plus pour longtemps.

Jeudi 31 mars, le ministère du travail a indiqué que ce dernier pourrait augmenter au 1er mai de 2,4 % à 2,6 %, une hausse mécanique prévue en cas de forte inflation. Les agents de sécurité au même échelon que Takfarinas sur la grille (coefficient 140) – et ils étaient nombreux vendredi – se retrouveraient alors au salaire minimum, puisqu’il monte tandis que leurs salaires stagnent. « Quand on bosse depuis dix ans, c’est carrément humiliant ! » s’indigne Takfarinas.

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L’effet de la revalorisation de 2,2 % actée en septembre 2021 par un accord de branche a été gommé en quelques mois par les augmentations successives du smic, au 1er octobre (2,2 %) puis au 1er janvier 2022 (0,9 %). Mi-mars, les syndicats ont rejeté les 1 % proposés par les employeurs en guise de rattrapage.

« On court après ces hausses du smic », concède Cédric Paulin, secrétaire général du Groupement des entreprises de sécurité, qui représente 200 sociétés dans les négociations de branche. « Mais augmenter les salaires en cours d’année auprès des clients est impossible. On ne peut pas modifier les contrats. Et nos entreprises, qui ne font que 0,5 % à 2 % de marge, ne pourraient, seules, supporter les hausses. »

« Déclin du secteur »

Pour Djamel Benotmane, délégué CGT chez Fiducial Private Security, le problème se situe en amont, dans les tarifs concédés pour emporter les appels d’offres : « Les entreprises les moins scrupuleuses proposent des prix très bas et les donneurs d’ordre y trouvent leur intérêt, ce qui contribue au déclin du secteur. »

En attendant la prochaine négociation, en mai, les agents voient fondre leur pouvoir d’achat. Mohamed, 41 ans, opérateur de sûreté à Roissy, vit dans l’Oise : « 47 km matin et soir, avec mon diesel. Venir travailler me coûte désormais 300 euros par mois ! »

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Ferroglobe ferme son usine savoyarde, la seule à produire du siliciure de calcium en Europe

Des employés en grève de l’usine de ferro-alliages de Ferropem, à Château-Feuillet (Savoie), le 9 décembre 2021.

Douze mois d’âpres négociations, menées dans un climat « extrêmement dégradé », n’auront pas suffi à infléchir le souhait de Ferroglobe, producteur mondial de silicium, de fermer l’usine de ferro-alliages pilotée par sa filiale Ferropem en Savoie. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), lancé en 2021 par le groupe hispano-américain au sein du site centenaire de Château-Feuillet, le seul à produire du siliciure de calcium (CaSi) en Europe, s’est achevé, vendredi 1er avril, sans qu’une solution de remplacement à l’arrêt de son activité ait pu faire l’objet d’un consensus.

Mercredi 30 mars, un accord majoritaire prévoyant notamment seize à dix-huit mois de congés de reclassement pour les 221 salariés de l’usine a cependant été conclu entre la direction du groupe et les représentants syndicaux.

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« Nous n’attendions rien de Ferroglobe, qui nous a traités avec mépris et ne nous a rien épargnés », souligne Roger Roelandts, délégué syndical Force ouvrière (FO). « En revanche, si le gouvernement avait tapé du poing sur la table, nos emplois seraient aujourd’hui sauvés. C’est une faute politique grave », estime-t-il, décrivant l’impact psychologique lourd de conséquences de la procédure sur certains ouvriers.

Au sein de l’usine, des salariés déplorent que les syndicats aient cédé à « l’acceptation des licenciements ». « On peut en effet se poser la question de la pertinence de signer un accord qui condamne tout le monde », corrobore Walter Wlodarczyk, membre du comité social d’entreprise. « Cela va faciliter l’homologation du PSE, l’étape qui va conclure la procédure de licenciement. »

Le groupe s’est montré « extrêmement fermé »

Ferroglobe avait annoncé, en mars 2021, la mise en sommeil des deux usines pilotées par sa filiale dans les Alpes et le licenciement de leurs 350 salariés pour focaliser sa stratégie – dans un contexte d’érosion des commandes – sur ses quatre autres sites français, jugés « plus développés, flexibles et compétitifs ».

Huit mois plus tard, le groupe avait finalement mis un terme au PSE engagé auprès des 131 salariés de l’usine des Clavaux, située en Isère, près de Grenoble, après la signature d’un nouveau contrat commercial avec un client historique (l’allemand Wacker) et un accord financier avec l’Etat français.

Persuadés de « l’incohérence » de l’argument économique brandi par Ferroglobe et de la « viabilité » du site savoyard, les syndicats de Château-Feuillet sont parvenus à repousser l’échéance de la procédure, en réclamant les bilans financiers de l’année écoulée prouvant les bénéfices dégagés en France par Ferropem.

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Les Américains reviennent sur le marché de l’emploi

A Arlington (Virginie, Etats-Unis), le 16 mars 2022.

Deux ans après l’apparition du Covid, les séquelles de la pandémie sur le marché de l’emploi sont quasiment effacées aux Etats-Unis. Le taux de chômage a en effet reculé à 3,6 % en mars (-0,2 % par rapport à février), soit un niveau quasi identique aux 3,5 % qui prévalaient en février 2020, son plus bas niveau en 50 ans, selon les chiffres publiés vendredi 1er avril par le ministère du travail.

L’économie a créé 431 000 emplois au mois de mars. C’est un peu moins qu’attendu, mais il s’agit du onzième mois de hausse consécutive supérieure à 400 000. Résultat : le pays qui avait détruit 21,6 millions d’emplois lorsque éclata la pandémie, n’accuse plus qu’un retard de 1,6 million d’emplois par rapport à février 2020. « Les Américains sont de retour au travail. Et c’est une bonne nouvelle pour des millions de familles qui ont un peu plus de marge de manœuvre et la dignité conférée par un bulletin de paie », s’est immédiatement réjoui le président Joe Biden.

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Surtout, le phénomène qui fut qualifié de « grande démission » ces derniers mois, laissant penser que des Américains ne souhaitaient pas revenir sur le marché du travail, s’estompe progressivement. Le taux de participation à l’emploi (personnes ayant un emploi ou en recherchant un) a en effet progressé en mars d’un dixième de point, à 62,3 %. C’est moins bien que les 63,4 % d’avant crise, mais mieux que le 60,2 % d’avril 2020.

Un sursaut

Parmi les explications de ce sursaut : de moins en moins d’Américains se disent incapables de travailler en raison du Covid et des problèmes de garde d’enfants – leur nombre est passé de 8,8 millions en janvier à 2,8 millions en mars. Les retraités reprennent également un emploi : 3 % d’entre eux sont revenus en février selon le Wall Street Journal. Aujourd’hui, les effectifs des 25-54 ans présents sur le marché du travail dépassent en outre ceux de début 2020.

Les salaires horaires ont augmenté de 5,6 % sur un an et ceux hebdomadaires, de 4,6 %. Cette hausse reste inférieure à l’inflation et il n’y a pas d’emballement d’un mois sur l’autre, avec une hausse d’environ 0,5 % en mars. Le marché reste toutefois extrêmement tendu, avec deux offres d’emploi par chômeur. Ce qui devrait conforter la Reserve fédérale, la banque centrale américaine, dans son analyse selon laquelle le marché de l’emploi est extrêmement robuste, voire en surchauffe. Elle peut donc s’autoriser à provoquer un ralentissement économique en relevant ses taux directeurs – une hausse jugée nécessaire pour juguler la hausse des prix.

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L’aide au recrutement de chercheurs, pour favoriser les partenariats public-privé

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi pour tenter d’estimer ce que l’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

L’objectif du dispositif

Pour développer les partenariats entre le public et le privé tout en soutenant l’emploi des chercheurs, le gouvernement a mis en place dans le cadre du plan France Relance, en 2020, une aide permettant de financer l’emploi de personnel en R&D dans le cadre de projets menés en partenariat entre des laboratoires de recherche publics et des entreprises du privé.

Cette aide a été mise en place pour compenser la disparition de la règle dite du « doublement de l’assiette » du crédit d’impôt recherche (CIR), qui visait à inciter les entreprises à se tourner vers des organismes publics de recherche pour mener leurs projets. « La fin du doublement du CIR a inquiété les acteurs de la recherche publique, ce qui a incité le gouvernement à mettre en place ce nouveau dispositif », explique Florent Detroy, fondateur de POC Media, spécialisé dans la recherche partenariale entre public et privé.

Le fonctionnement

Dans le cadre de cette aide, de jeunes diplômés de niveau master (bac + 5) ou des doctorants sont accueillis dans des laboratoires publics et mis à disposition d’entreprises, dans le cadre d’un contrat de recherche collaborative. Cette prise en charge peut aussi concerner le personnel en R&D recruté en CDI au sein d’une entreprise : les salariés sont alors accueillis à temps partiel au sein du laboratoire pendant la durée du projet (de 12 à 24 mois). Le nombre de bénéficiaires est limité à vingt salariés par entreprise.

Toutes les entreprises à but lucratif créées avant le 1er janvier 2019 et qui disposent de capacités internes en R&D, quels que soient leur secteur d’activité et leur taille, peuvent en bénéficier. Une priorité est toutefois donnée aux start-up et aux PME.

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Afin de bénéficier de cette aide, l’entreprise doit d’abord se rapprocher d’une structure publique de recherche. Les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets, ex-Direccte), l’agence régionale d’innovation ou encore les services du secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) peuvent les orienter.

Le recrutement du jeune diplômé se fait au niveau de l’établissement de recherche. Dans un premier temps, l’entreprise peut simplement faire part de son projet de R&D à la structure, qui à son tour soumettra des profils adéquats à la cellule territoriale. La validation du projet ne sera définitive qu’une fois les personnes clairement identifiées.

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Anne Hidalgo perd son combat sur le temps de travail à Paris

Employés de la mairie de Paris, le 18 juillet 2020.

Anne Hidalgo n’avait pas besoin de cela. En grande difficulté dans sa campagne pour l’élection présidentielle, la figure de proue des socialistes vient parallèlement d’essuyer un lourd revers en tant que maire de Paris. Dans une décision rendue le 24 mars, le tribunal administratif de Paris juge illégal le principal dispositif imaginé par la Mairie pour que ses agents continuent à travailler moins de trente-cinq heures par semaine, et échappent ainsi à la nouvelle loi sur la fonction publique.

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Estimant que les quelque 55 000 éboueurs, policiers, bibliothécaires et autres agents municipaux parisiens ont désormais besoin d’un cadre « clair et stable », les élus socialistes ont décidé de ne pas faire appel du jugement, pour ne pas prolonger le suspense. La maire de Paris perd ainsi le combat politique et judiciaire qui l’opposait depuis plusieurs années au gouvernement sur ce sujet sensible. Un coup dur pour l’ancienne inspectrice du travail.

« Cette décision met à mal la libre administration des collectivités locales », regrette Antoine Guillou, l’adjoint chargé des ressources humaines. « Le tribunal demande simplement à la Ville de respecter la loi, c’était prévisible, corrige Maud Gatel, du MoDem. Que de temps perdu, alors que le texte date de 2019 ! » Les élus Les Républicains se montrent plus sévères encore : « Anne Hidalgo est volontairement restée dans l’illégalité pour acheter une forme de paix sociale. Mais une fois de plus, la réalité s’impose à elle. »

Les « quatre jours du maire »

Tout est parti de la loi d’août 2019 sur la transformation de la fonction publique. Selon ce texte soutenu par les députés macronistes, le temps de travail effectif des fonctionnaires territoriaux doit être partout en France identique à celui de la fonction publique d’Etat, l’équivalent de trente-cinq heures par semaine. Une question d’équité, selon la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin. Or, à Paris, les agents bénéficient d’un traitement plus favorable obtenu de longue date, à l’époque où Jacques Chirac tenait la Mairie. Grâce aux « quatre jours du maire » et aux « quatre jours d’hiver » accordés alors, les fonctionnaires de la capitale ne travaillent en moyenne que 1 552 heures par an, au lieu des 1 607 heures classiques. Dans de nombreux cas particuliers, ce temps est encore plus réduit.

Comment appliquer la loi sans provoquer une révolte des agents parisiens, peu enclins à travailler huit jours de plus par an pour le même salaire ? Tout en contestant un texte allant « à rebours du progrès social », les élus de gauche ont, comme dans d’autres communes, imaginé un système complexe visant à atténuer l’impact réel du texte, dont l’application est obligatoire depuis le 1er janvier 2022. La Mairie a ainsi créé de nouveaux jours de congé pour compenser en partie ceux que la loi impose de supprimer. Elle a en particulier décidé d’accorder à tous les fonctionnaires municipaux trois jours de RTT, justifiés officiellement par leur « sursollicitation » ainsi que par le bruit et la pollution auxquels ils sont exposés.

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La hausse des prix des carburants plonge les services d’aide à domicile dans une situation « critique »

Marie-Christine Pach, aide à domicile, raccompagne l’un de ses patients après l’avoir emmené faire des courses, à Soissons (Aisne), le 26 octobre 2021

Il y a celles qui écrivent des mails, celles qui déclinent les interventions éloignées, celles qui refusent les remplacements, celles qui démissionnent, celles qui n’ont même pas embauché… « A partir du 20 du mois, on a aussi des salariées qui nous disent “je ne peux plus travailler d’ici à ce que je touche ma paie” », constate Amir Reza-Tofighi, président de la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap) qui représente plus de 3 000 entreprises. « On est un peu en alerte générale, confie Marie-Reine Tillon présidente de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA), plus de 800 structures associatives ou publiques. Nous avons toujours eu des difficultés à recruter et des démissions, mais ces dernières semaines on constate une accélération. »

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Alors que 150 000 salariés manquent déjà dans le secteur, la hausse des prix du carburant met l’aide à domicile, où l’usage de la voiture est incontournable, dans une situation délicate. La plupart des salariées (plus de 400 000 en France, essentiellement des femmes) circulent en effet avec leur propre véhicule entre les logements des personnes en perte d’autonomie qu’elles assistent. Elles payent le carburant sur leur tout petit salaire, puis, selon les conventions collectives, sont remboursées de 0,22 à 0,35 euro du kilomètre, un montant censé couvrir l’amortissement du véhicule, l’entretien, l’assurance, et le prix du carburant. Cette indemnité n’a pas varié depuis dix ans. Elle ne prend donc pas en compte la récente envolée des prix à la pompe.

« On est pris à la gorge », résume Amandine Batelier, aide à domicile, qui parcourt jusqu’à 800 km par semaine, sur les routes de l’Oise avec son diesel. Quatre pleins par mois avec un gazole à plus de 2 euros le litre c’est 400 euros à avancer sur les 1 250 euros net qu’elle gagne pour son temps partiel. « Maintenant quand on fait les courses, on y va avec la calculatrice ! Depuis vingt ans que je suis avec mon conjoint, ça ne nous était jamais arrivé », confie, effarée, cette mère de trois enfants de 4 à 10 ans.

« Encore une fois, nos salariées sont les oubliées », Amir Reza-Tofighi, président de la Fedesap

Elle a alerté ses responsables par mails et courriers. « On se bat à la hauteur de nos moyens. Je peux me mettre en grève sur mes heures de ménage, ce n’est pas vital. Mais je ne me vois pas renoncer à changer la couche d’un papy le matin. »

La mesure gouvernementale qui va réduire d’au moins 15 centimes le prix du litre à la pompe à partir du 1er avril est pour elle « déjà une petite économie ». Mais cela effacera tout juste la hausse du gazole sur les deux dernières semaines.

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Scandale P&O : Londres veut colmater en urgence les brèches du droit du travail britannique

Manifestation contre P&O après l’annonce du licenciement immédiat de 800 salariés de la société de ferrys, à Douvres (sud-est de l’Angleterre), le 23 mars 2022.

Le 17 mars, 800 salariés britanniques de la compagnie de ferries P & O apprenaient qu’ils étaient tous licenciés, avec effet immédiat. Ce licenciement de masse, brutal et illégal (la direction de P & O aurait dû respecter une période de consultation de quarante-cinq jours), a déclenché une mobilisation inédite des salariés et des syndicats, et obligé le gouvernement de Boris Johnson à réagir, pour tenter d’amender le droit du travail, jugé bien trop laxiste.

Mercredi 30 mars, le ministre des transports, Grant Shapps, a annoncé vouloir obliger toutes les compagnies maritimes opérant dans les ports britanniques à appliquer le salaire minimum. Auditionné le 24 mars par le Parlement de Westminster, Peter Hebblethwaite, le directeur exécutif de la compagnie britannique (filiale du conglomérat de Dubaï DP Word), avait avoué qu’il comptait payer en moyenne 5,50 livres sterling sterling (6,50 euros) l’heure les équipes censées remplacer les 800 salariés licenciés d’un coup. Alors que le salaire minimum, pour les travailleurs britanniques de plus de 23 ans, passe de 8,91 livres/heure à 9,50 livres/heure vendredi 1er avril.

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L’obligation d’un salaire minimum pour les salariés des ferries et cargos, quels que soient leur nationalité et leur pavillon, n’a été adoptée qu’en 2020 à Westminster, sous la pression du Parti travailliste, mais cette loi ne s’applique que dans les eaux territoriales britanniques : les ferries assurant les liaisons entre le Royaume-Uni et le reste du continent européen, dans le cas de P & O, ne sont, par exemple, pas concernées. S’exprimant à la Chambre des communes, M. Shapps a promis d’écrire aux opérateurs des ports britanniques pour qu’ils « refusent les compagnies ne payant pas le salaire minimum ». Un projet de loi devrait suivre, conférant de nouveaux droits statutaires aux ports.

« C’est trop peu, trop tard »

Le ministre a aussi proposé de modifier la législation du travail pour permettre aux tribunaux de sanctionner les sociétés qui abuseraient de la pratique dite du « fire and rehire » (« licencier et réembaucher dans la foulée », à des conditions nettement moins avantageuses). Bien que très controversée, elle reste autorisée au Royaume-Uni, et c’est elle que P & O semble avoir adopté : à en croire les syndicats, la compagnie propose aux personnels licenciés de travailler en sous-traitance à des conditions moindres. Le syndicat RMT accuse aussi P & O de vouloir réembaucher des marins indiens pour 1,80 livre sterling de l’heure. A l’avenir, les juges pourraient contraindre des employeurs peu scrupuleux à verser des primes plus importantes aux salariés licenciés.

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« Coopérer », d’Anne-Catherine Wagner : les SCOP, une réalité plurielle

Livre. Lorsque Anne-Catherine Wagner réalise, pour son enquête, un entretien avec le président du conseil d’administration de la coopérative SCOP TI, celui-ci se déroule dans le bureau de la direction, sous… le portrait de Che Guevara. Le responsable du site était auparavant secrétaire du comité d’entreprise. Et son bureau est également celui de la CGT.

L’entreprise est devenue un symbole. Celui de la reprise militante d’une société (Fralib) menacée de délocalisation par un grand groupe (Unilever). Sa transformation en société coopérative et participative (SCOP) au terme d’une lutte de mille trois cent trente-six jours a marqué les esprits. Un symbole mais aussi, d’une certaine façon, un leurre. Car si ces reprises d’entreprises en difficulté par leurs salariés ont une place importante dans l’imaginaire collectif, elles ne représentent qu’une faible part des créations de coopératives (12,5 % en 2019).

A travers son ouvrage, Coopérer. Les SCOP et la fabrique de l’intérêt collectif (CNRS Editions), Mme Wagner, professeur de sociologie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, se propose justement de mettre en perspective ce monde des coopératives et d’en décrire toute la complexité. De fait, ce secteur en plein développement (3 611 sociétés coopératives en 2020, contre 522 en 1970) se révèle être d’une grande diversité.

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Si certaines SCOP naissent à la faveur de luttes sociales, beaucoup d’autres sont le fruit d’une transformation d’association en coopérative, d’une transmission d’entreprise « saine » ou sont créées ex nihilo. Les entités industrielles sont minoritaires : deux tiers de ces sociétés relèvent du secteur des services. Parmi elles, beaucoup sont des entreprises « engagées » (pour une alimentation saine par exemple), portées par des coopérateurs en « quête de sens » et majoritairement issus des classes moyennes diplômées.

« Une usine bourrée d’injustices »

Les SCOP constituent ainsi une réalité plurielle où diffère le sens de la propriété collective : une reprise en main des moyens de production face à l’éloignement des centres de décision pour certaines coopératives ouvrières, un engagement commun dans un projet de société pour des SCOP des services… Les rétributions symboliques mises en avant pour compléter les rémunérations monétaires varient aussi, tout comme le degré d’autonomie de ces sociétés par rapport à leur environnement ou les limites rencontrées, en interne, dans l’exercice de la « démocratie d’entreprise ».

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L’autrice souligne par ailleurs que « les SCOP ne sont pas des bulles dans lesquelles disparaîtraient comme par magie les contraintes sociales, la valeur de l’argent et des diplômes ou les formes d’intériorisation de sentiments d’incompétence ». Elle y relève aussi des « formes de reproduction des inégalités, en fonction de l’expérience militante, de la qualification ou du genre ».

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Martin Hirsch : « L’obligation d’activité pour les allocataires du RSA pose plus de problèmes qu’elle n’en résout »

Tribune. Nul doute qu’il est préférable de tirer l’essentiel de ses revenus de son travail que d’une allocation, qu’il est sain de considérer que les droits sociaux ont comme contrepartie des devoirs et qu’une société qui laisse durablement une grande fraction de ses membres en dehors du monde du travail est en échec. Nul doute aussi que, si vous demandez à un salarié qui gagne le smic s’il trouve normal que son voisin puisse en toucher la moitié sans travailler, il vous répondra non. Et cette question devient d’autant plus sensible quand il y a des difficultés à recruter dans certains secteurs, y compris pour des emplois peu qualifiés. Pour autant, l’obligation d’activité pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Peu après la création du service civique, plusieurs responsables politiques avaient demandé qu’il devienne obligatoire. Or, il y avait à l’époque plus de jeunes volontaires que de missions proposées et financées. Il était paradoxal de vouloir obliger des jeunes à faire un service civique auquel on leur refusait l’accès ! Si obligation il devait y avoir, c’était celle, pour les pouvoirs publics, d’offrir une mission à chaque jeune volontaire plutôt que l’inverse. Mais cela imposait d’y mettre les moyens et la volonté.

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La question de l’obligation d’activité pour les allocataires du RSA est un peu de la même eau. Il est plus facile de cibler les allocataires profiteurs que de reconnaître que les pouvoirs publics n’ont pas satisfait à leurs propres obligations et qu’ils n’appliquent pas celles déjà fixées.

Six mois avant un premier entretien

A la création du revenu de solidarité active, j’ai fait inscrire, dans la loi du 1er décembre 2008, que les allocataires devaient être soumis aux mêmes obligations que les autres demandeurs d’emploi, avec la possibilité de réduire ou supprimer l’allocation en cas de refus de deux offres valables d’emploi, assortie de l’obligation pour Pôle emploi d’inscrire les allocataires du RSA. Cette obligation, cohérente avec une logique de droits et devoirs, a suscité une levée de boucliers de certains de mes collègues du gouvernement, à commencer par Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat à l’emploi. Celui-ci m’avait fait valoir qu’étant donné le critère de la baisse du nombre de chômeurs, mesuré par les inscriptions à Pôle emploi, il n’allait pas se tirer une balle dans le pied en laissant s’y inscrire des gens qui avaient moins de chances que les autres d’intégrer le marché du travail. Le même, quelque temps après, dénonçait le « cancer de l’assistanat ».

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