Droit social. LinkedIn compte 11 millions de membres actifs mensuels en France, Facebook 38 millions, discutant par écrit mais avec la spontanéité d’une discussion orale. Et ces paroles écrites peuvent s’envoler dans le monde entier, tout en restant gravées sur la Toile. L’irresponsabilité de certains collaborateurs peut donc être, pour leur entreprise, plus dangereuse que le classique espionnage industriel. Un exemple ?
En avril 2017, le chef d’un projet de recherche met en ligne sur LinkedIn « deux images de coupes d’un moteur ». Licencié, il indique n’avoir commis aucune faute car elles étaient affichées dans l’établissement… « Les images publiées provenaient de documents internes dont M. X n’a pu avoir connaissance que dans l’exercice de ses fonctions, et qu’il a utilisés sans vérifier s’il pouvait le faire au regard des règles de confidentialité́ internes auxquelles il était soumis ». La Cour de Paris a ainsi justifié, le 23 février, que le licenciement était fondé.
La Cour de cassation a elle-même confirmé le 30 mars qu’un employeur pouvait utiliser en justice des informations mises en ligne sur LinkedIn, un réseau professionnel, à la différence de Facebook ou d’Instagram. Un contentieux prud’homal mais aussi pénal peut certes intervenir (cf. L. 1227-1 : « Le fait pour un salarié de révéler un secret de fabrication est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros »). Mais qui dit contentieux dit procès public, avec étalage de pièces, ici invocation médiatisée de la nécessaire liberté d’expression, et des juges n’ayant pas toujours perçu la réalité de la guerre économique. Un chemin de croix.
Clause contractuelle spécifique
Alors, dans notre monde de transparence générale, mieux vaut éviter de démultiplier les contrôles percutant toute la communauté de travail, et jouer la prévention en conjuguant pédagogie et responsabilisation. Nombre d’entreprises ont ainsi rédigé une « Charte sur l’utilisation des réseaux sociaux », où figurent les règles de savoir-vivre sur le réseau social interne… et des conseils de comportement sur les réseaux externes. Proposant ici la création de deux profils (personnel et professionnel) avec paramétrage adéquat, rappelant là une règle générale manifestement d’intérêt commun : ne pas diffuser d’informations professionnelles, a fortiori sensibles.
Déclinaison du principe de loyauté contractuelle, l’obligation générale de discrétion peut aussi être rappelée. Y compris aux représentants du personnel « pour les informations revêtant un caractère confidentiel, et présentées comme telles par l’employeur » (L. 2315-3).
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Faire des économies d’échelle tout en s’adaptant aux nouvelles méthodes de travail : telle est la stratégie de Deloitte au Royaume-Uni depuis la pandémie de Covid-19. Selon les informations du Financial Times, le géant de l’audit et du conseil abandonnera en mai Hill House, l’un des bâtiments de son campus de New Street Square, dans la City de Londres.
Hill House représente plus de 17 000 mètres carrés de bureaux, ce qui porte à 23 000 mètres carrés la surface dont s’est séparée la société à Londres, en un an. Après les premiers confinements, Deloitte n’avait pas rouvert l’un de ses quatre bureaux de New Street Square, et a aussi fermé un « hub numérique ». Au total, le cabinet cède un tiers de sa surface de bureaux dans la capitale. Deloitte a prolongé les baux des deux plus grands bâtiments de son campus jusqu’en 2036, lui laissant 45 000 mètres carrés sur le site où l’entreprise est implantée depuis 2007.
Ces grandes manœuvres n’auront aucune incidence sur l’emploi, indique une source au Financial Times. En effet, les salariés travaillant dans les bâtiments abandonnés ont été, ou seront, transférés dans les bureaux restants. En revanche, Deloitte avait déjà décidé, en 2020, de fermer des bureaux à Gatwick, à Liverpool, à Nottingham et à Southampton, donnant aux 500 employés concernés la possibilité de conserver leur emploi s’ils travaillaient à temps plein à domicile.
Nouvelles méthodes de management
Pour éviter l’engorgement dans ses locaux de la City, la multinationale aux 345 000 salariés dans 150 pays mise sur le travail hybride et le « flex office », ce qui signifie qu’il y a davantage de salariés que de bureaux individuels disponibles. Cette stratégie va de pair avec la généralisation du télétravail, alors qu’une enquête interne a révélé que la majorité du personnel ne souhaitait pas venir au bureau plus de deux jours par semaine. En 2021, l’entreprise a demandé aux employés de décider eux-mêmes de la fréquence à laquelle ils voulaient travailler à domicile.
A l’évolution des modes de travail post-Covid s’ajoute la possibilité, pour Deloitte, de réaliser des économies, d’autant que le secteur est confronté à des coûts plus élevés pour se conformer aux réglementations environnementales. « Nous révisons constamment nos besoins en espaces de bureaux pour refléter les changements apportés à nos méthodes de travail et à nos objectifs de développement durable », déclare Stephen Griggs, associé directeur britannique de Deloitte.
Le groupe est connu pour explorer de nouvelles méthodes de management, pour lui-même comme pour les entreprises qu’il conseille. En 2016, le nouveau siège de sa filiale française avait fait tester cinq types d’organisation du travail « flexible » à mille de ses salariés, à commencer par les bureaux partagés, déjà mis en avant à l’époque pour « renforcer l’efficacité ».
Tribune. Interrogé sur BFM-TV à propos des 66 millions d’euros de rémunération du PDG du constructeur automobile Stellantis, Carlos Tavares, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a considéré que Stellantis est une entreprise privée et qu’« à la fin, ce sont les actionnaires qui décident et qui votent » [le 13 avril].
Il a eu beau expliquer ensuite que le gouvernement souhaite favoriser un meilleur partage de la valeur avec les salariés dans les entreprises qui versent de gros dividendes, le président de la République a eu beau rectifier le lendemain, en déclarant au micro de France Info qu’il jugeait ce montant « excessif etchoquant », son porte-parole a ainsi fait aveu d’impuissance, laquelle s’est confirmée dans les faits : l’Etat actionnaire a voté contre la rémunération, mais le PDG est passé outre en s’appuyant sur le vote majoritaire de son conseil d’administration.
Des comptes à rendre et des responsabilités
Ainsi a-t-on un nouvel exemple du gouffre entre les discours des élites sur le capitalisme responsable et leurs pratiques féodales dans les grandes entreprises.
Car, vraiment, peut-on considérer qu’au XXIe siècle, une entreprise, comme au temps de l’économiste Adam Smith (1723-1790) et des grands entrepreneurs qui prenaient des risques considérables à financer les grandes découvertes, ne doit des comptes qu’à ses actionnaires ? Doit-on considérer d’ailleurs que les actionnaires sont propriétaires de l’entreprise, ou uniquement de leurs actions et de leurs parts sociales ?
Dans une économie composée d’entreprises toujours plus grandes et aux enjeux toujours plus gigantesques, une entreprise n’a-t-elle pas des comptes à rendre et des responsabilités envers ses salariés, ses clients, ses fournisseurs, sans oublier les pouvoirs publics ? A l’évidence oui, et la société le reconnaît de plus en plus avec l’essor des pratiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE), des critères d’évaluation environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) et les objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, sur lesquels les entreprises sont enjointes de s’aligner.
La conséquence logique de cette responsabilité n’est-elle pas de reconnaître que toutes les parties prenantes d’une entreprise sont impactées par son activité, et que les plus impactées d’entre elles – salariés, clients, sous-traitants, pouvoirs publics – devraient avoir un droit à la consultation et/ou à la décision au même titre que les actionnaires, qu’elles soient détentrices ou non de parts sociales ?
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La France est devenue la « start-up nation », chère à Emmanuel Macron. Est-ce si sûr ? A ne parler que de jeunes pousses technologiques et de créations d’entreprises, on oublie les milliers de PME et de très petites sociétés qui irriguent les territoires mais meurent parfois dans la plus grande indifférence, faute de repreneur. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, l’association Cédants et repreneurs d’affaires (CRA) alerte les dirigeants politiques en publiant un livre blanc qui remet le sujet sur la place publique.
Créé il y a trente-cinq ans, ce réseau de 240 délégués bénévoles au profil d’anciens patrons et de cadres supérieurs fait une série de propositions réglementaires, fiscales, administratives et sociales pour faciliter la transmission d’entreprises souvent implantées dans la France périphérique. « Le législateur a une vision des grandes affaires, mais la transmission des PME reste un angle mort politique », regrette Bernard Fraioli, président du CRA, qui forme les cadres intéressés à la reprise d’entreprise, leur donne accès à des bases de données, les accompagne dans un processus qui dure au moins un an, parfois deux.
Patrons vieillissants
Le portrait-robot de la « cible » ? Une PME de l’industrie, des services ou de l’artisanat qui réalise de 2 à 3 millions de chiffre d’affaires et emploie une trentaine de salariés dans une ville moyenne. Soit environ un million d’emplois à la clé. Si la fiscalité des transmissions a évolué favorablement, elle doit être améliorée, réclame l’association CRA, qui s’inquiète d’une remise en question toujours possible du « pacte Dutreil », arsenal de mesures voté en 2003 pour faciliter la création ou la transmission de PME.
Elle ne cache pas, pour autant, les atermoiements de certains patrons vieillissants, qui peinent à se séparer de l’œuvre d’une vie. Trop de chefs d’entreprise familiale ne disent pas qu’ils vendent, créant ainsi un « marché caché » qu’il faut mettre au jour, selon l’association. Résultat, « on compte plus d’acheteurs que de vendeurs », note Alain Tourdjman, directeur des études économiques de la banque BPCE.
L’association veut faire du « repreunariat », comme il existe l’entrepreneuriat, un « enjeu national », au nom de l’emploi, du développement du territoire et du soutien à l’esprit d’entreprise. Et propose, entre autres, la création d’un « chèque conseil » pour aider les plus de 60 ans, soit plus de 20 % des petits patrons, à financer une évaluation indépendante de leur société. Déjà en baisse entre 2016 et 2019, le nombre de passages de témoin a encore reculé avec la pandémie : les propriétaires attendaient des jours meilleurs pour céder au meilleur prix. La sortie de crise risque d’être difficile.
La situation est inédite. Depuis lundi 11 avril, la maternité du centre hospitalier de l’agglomération de Nevers (CHAN) est fermée. Les quatorze sages-femmes du service sont en arrêt-maladie et l’agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a dû faire appel à la réserve sanitaire.
A l’heure actuelle, seules les urgences sont prises en charge. « Nous sommes encore en mesure d’accueillir les femmes sur le point d’accoucher, rassure Victoria Simonetta, chargée de la communication du CHAN. Quand le travail n’est pas à un stade avancé, les patientes sont transférées vers une maternité des alentours. » La maternité de Nevers est la seule du département de la Nièvre, après de nombreuses fermetures ces quinze dernières années. Entre lundi et mercredi, quinze femmes devant accoucher avaient été transférées vers les maternités de Moulins ou de Montluçon (Allier), Bourges, Auxerre ou Dijon, la plus proche étant à environ une heure de Nevers.
Guillaume Rameau fait partie des membres de l’équipe arrêtés depuis lundi. Il raconte être arrivé « à bout » physiquement. « Ça fait des mois qu’on alerte sur la situation, explique-t-il. Depuis septembre, on a eu une dizaine de départs sur vingt-quatre sages-femmes. » Pour lui, la « goutte de trop » tombe début avril quand la direction annonce que le service pourra désormais fonctionner avec deux sages-femmes de jour. Au départ, la maternité, qui réalise plus de 1 100 accouchements par an, tournait avec cinq en journée. Un ratio qui a été réduit à quatre en janvier, puis trois, et enfin deux dernièrement. « En salles de naissance, on peut avoir jusqu’à six patientes par jour. Ajoutez à ça les suites de naissance, les consultations en urgence. Deux sages-femmes, pour gérer tout ça ? C’est un rythme intenable, qui ne garantit pas la sécurité des femmes », explique le maïeuticien.
Pression psychologique
Selon la direction, la grande majorité des arrêts-maladie a été déposée lundi 11 avril. Avant de craquer, Guillaume Rameau raconte avoir passé le week-end précédant son arrêt à courir entre les salles de naissance : « Je disais aux patientes, “Je reviens dans dix minutes” et je revenais une heure trente plus tard. On est contraints de passer beaucoup moins de temps avec les femmes. » David Boucher, secrétaire de la section CFDT du CHAN insiste : « Ce n’est pas un mouvement de grève. Ce n’est pas un caprice. Lundi matin, les soignants n’en pouvaient simplement plus. Beaucoup sont médicamentés. »
« Certaines sages-femmes ontenchaîné des gardes de treize heures, en travaillant le week-end, de nuit, raconte le représentant syndical. Elles ont tenu neuf mois, avec un tiers de collègues en moins. Là, ça a cassé. » Il souligne par ailleurs la pression psychologique qu’ont subie les salariées : « Elles travaillent constamment avec une épée de Damoclès sur la tête. La vie des femmes et des enfants est mise en danger. Et s’il y a quoi que ce soit, ce sont les sages-femmes qui resteront coupables. »
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« Prends des affaires que tu peux salir. Le matin, il fait froid alors apporte un vêtement chaud. Et puis regarde bien la météo. Il risque de pleuvoir certains jours. » Ce lundi 11 avril, c’est le coup de feu à l’association Accompagnement migrant intégration (AMI), à Nantes. Jour de recrutement pour la cueillette du muguet, souvent synonyme de premier contrat de travail, payé au smic horaire brut (dimanche et férié majorés), pour des étrangers ayant le statut de réfugiés mais ne parlant pas encore couramment le français pour briguer une large palette d’emplois. Une « aubaine » surtout pour les demandeurs d’asile entrés récemment sur le territoire, qui peuvent prétendre à une dérogation préfectorale pour accomplir cette mission.
De fait, la cueillette du muguet, qui regroupe une quinzaine de producteurs indépendants dans les Pays de la Loire, établis pour l’essentiel en Loire-Atlantique, souffre d’un sérieux manque de main-d’œuvre. Près de 7 000 saisonniers sont mobilisés au plus fort de la campagne. Ladite campagne se concentre sur une douzaine de jours et permet d’assurer la production de 60 millions de brins, soit 85 % du marché national et un chiffre d’affaires d’au moins 20 millions d’euros.
Supervision des démarches
Preuve des tensions touchant la filière : le recours à l’emploi de mineurs de 16 ans est validé. Et l’association AMI est donc « mandatée » pour trouver 400 saisonniers étrangers. Pour l’heure, le recrutement « plafonne » à 240 personnes. Une grande majorité d’Erythréens, de Soudanais et de Guinéens. Peu de ressortissants ukrainiens à ce stade, souvent pris en charge par une autre structure. Un temps, Catherine Libault, présidente et fondatrice de l’AMI, a cru que les autorités allaient biffer d’un trait l’action de son association. Début avril, la préfecture traînait pour délivrer les autorisations de travail (la préfecture, interrogée sur ce point, se retranche derrière la « période de réserve » du fait des élections).
Le principe de réalité a prévalu et l’expérience d’AMI a été reconnue : car outre la mise en place de cars conduisant les candidats à la cueillette du muguet dans les exploitations, l’association assure en amont la supervision des démarches administratives des candidats puis la signature des contrats, opère la constitution des équipes et sélectionne les profils intronisés « chefs de cueille ».
« On sent qu’il y a les élections car le climat s’est considérablement durci, souffle Mme Libault. Il a fallu se battre pour démontrer que les producteurs manquaient de bras et que sans les étrangers, le boulot ne pourrait pas se faire. » Une course contre la montre est engagée d’ici à la fin avril. D’autant que le muguet, cette année, est précoce.
« Vous savez que l’espérance de vie en bonne santé en France, c’est 64 ans… » Lundi 11 avril, face à Emmanuel Macron sur BFM-TV, le journaliste Bruce Toussaint a opposé au projet présidentiel de reporter l’âge de retraite à 65 ans les difficultés qu’elle poserait à des personnes qui ne seraient plus en mesure d’en profiter sans incapacité.
L’argument avait déjà été soulevé en octobre 2021 par le député de La France insoumise du Nord, Adrien Quatennens, ou dès l’élection présidentielle 2017, par la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen. Mais si l’espérance de vie en bonne santé est un sujet récurrent dans les débats sur l’âge de la retraite, cet indicateur est souvent mal compris ou mal utilisé.
Qu’est-ce que l’espérance de vie en bonne santé ?
Mis en place depuis le milieu des années 2000, cet indicateur de santé publique mesure le nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes par un problème de santé, explique la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui dépend du ministère de la santé. Il est également appelé espérance de vie sans incapacité (EVSI), ou, plus rarement, espérance de santé.
Alors que l’espérance de vie classique remonte aux tables de mortalité établies au XVIIe siècle aux Pays-Bas, le concept d’espérance de vie en bonne santé n’a commencé à germer qu’à partir des années 1960. « Beaucoup d’universitaires ont essayé de mettre au point un indicateur qui soit aussi simple que l’espérance de vie, mais moins quantitatif », explique Jean-Marie Robine, démographe à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et spécialiste du vieillissement de la société.
Cette réflexion a conduit à plusieurs pistes d’évaluation, comme la méthode de Sullivan, qui combine les données de mortalité avec les prévalences de certaines pathologies. « Mais c’est très dur d’évaluer cette prévalence : les gens ne sont pas forcément au courant qu’ils sont malades, cela dépend du niveau d’éducation, des connaissances médicales, etc. Donc le plus simple est de s’intéresser à l’état fonctionnel, c’est-à-dire le niveau d’incapacité des gens », continue Jean-Marie Robine. C’est ainsi que l’EVSI s’est imposé, jusqu’à devenir en 2004 un des indicateurs officiels de l’Union européenne.
Concrètement, il mesure l’impact de la santé sur la vie quotidienne et sa prise en charge par la société. « C’est donc une thématique en lien avec le handicap », explique Thomas Deroyon, statisticien et auteur d’une étude de la Drees sur l’EVSI en 2020. Plus précisément, il permet de « prendre en compte la dégradation du corps et la qualité de vie aux âges avancés », ajoute l’anthropologue et médecin Didier Fassin, auteur de De l’inégalité des vies (Fayard, 2020).
Comment la calcule-t-on ?
Qu’elle soit mesurée par la Drees ou par l’organisme européen de statistiques Eurostat, l’espérance de vie en bonne santé se calcule à partir des données exhaustives de mortalité d’un pays, par sexe et par âge. En 2019, l’espérance de vie à la naissance (c’est-à-dire l’âge moyen du décès d’une génération soumise aux conditions de mortalité actuelles) est de 85,6 ans pour les femmes et de 79,7 ans pour les hommes, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Cette donnée purement statistique est croisée avec un second facteur, celui de l’existence ou non d’une pathologie perçue comme handicapante dans la durée par la personne qui en souffre. Celle-ci est mesurée par une enquête déclarative très simple, puisqu’elle est composée d’une seule question : « Êtes-vous limité(e), depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ? ». Trois réponses sont possibles : non, un peu et fortement.
Actuellement, quelle est l’espérance de vie en bonne santé des Français ?
Selon le dernier rapport de l’Insee basé sur les calculs d’Eurostat, l’espérance de vie sans incapacité était en 2020 de 65,9 ans pour les femmes et de 64,4 ans pour les hommes, ce qui constitue une hausse sensible par rapport au milieu des années 2000. Selon Eurostat, en France, l’EVSI à 65 ans se situait en 2019 à 11 ans, au-dessus de la moyenne de l’Union européenne (10,3 ans).
A noter qu’il est rare que l’indicateur soit correctement cité : Adrien Quatennens évoquait de manière erronée une moyenne de 62 ans, et en baisse, ce qui est doublement faux, tandis que Marine Le Pen affirmait que« ce qui compte c’est l’espérance de vie en bonne santé et celle-ci est assez basse, » ce qui contredit là aussi les données officielles. Il est par ailleurs souvent cité sans les précautions d’usage.
Quelles sont les limites de cet indicateur ?
La première tient à sa méthodologie. Basé sur une enquête déclarative, l’EVSI repose sur une part de subjectivité, « même si des études ont montré qu’il permettait de capter des réalités objectives », nuance Thomas Deroyon. Par ailleurs, comparé aux enquêtes de mortalité calculées à partir des 600 000 personnes qui meurent chaque année en France, l’indicateur ne peut se prévaloir que d’un échantillon plus modeste d’environ 16 000 sondés, ce qui rend les écarts annuels plus difficiles à interpréter.
En outre, ces enquêtes sont menées uniquement au sein des ménages, avec un énorme angle mort du côté des Etablissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dont les résidents sont, par définition, plus sujets à incapacités. « C’est comme pour les sondages, il y a une marge d’erreur. Quand on met en balance avec les grandes enquêtes dont la France est dotée pour le chômage ou le suivi des prix, on se demande pourquoi on n’a pas mis en place des études plus robustes », regrette Jean-Marie Robine.
Enfin, faute de moyens, l’EVSI détaille l’espérance de vie en bonne santé selon le sexe et l’âge, mais pas par catégorie socioprofessionnelle. Or les écarts sont significatifs. Emmanuelle Cambois, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et autrice en 2008 d’une étude sur la « double peine » des ouvriers, a pu mesurer ces inégalités : « Les ouvriers ont une espérance de vie plus courte, et au sein de cette espérance de vie plus courte, ils ont également plus d’années à vivre avec des incapacités. » Les carrières hachées, avec une forte précarité, sont également surexposées, rapporte-t-elle.
Si l’étude n’a pas été reproduite depuis, les experts s’attendent à ce que la situation n’ait guère changé. Des enquêtes similaires conduites récemment à l’étranger arrivent à la même conclusion, rapporte Mme Cambois. Une étude de l’Insee montre que l’espérance de vie des ouvriers est plus courte que celle des cadres de six à sept ans, et que les 5 % les plus pauvres meurent en moyenne treize ans plus tôt que les 5 % les plus riches.
Peut-on s’y référer dans le débat sur l’âge du départ à la retraite ?
Oui, même s’il importe de ne pas prendre l’EVSI comme autre chose qu’une moyenne. « L’espérance de vie sans incapacité à 65 ans ne veut pas dire que vous vivrez 65 ans et subitement entrerez en incapacité. Certains seront en incapacité à 37 ans et d’autres à 73 ans, il y a une variabilité individuelle », précise Jean-Marie Robine. Or, en cas d’allongement des carrières, les plus fragilisés par la précarité et les pénibilités risquent ne pas pouvoir atteindre l’âge de départ à taux plein. Ce qu’ils ne coûteraient pas en pensions de retraite, ils le coûteraient en indemnités chômage et maladie, prévient Emmanuelle Cambois.
En l’étoffant d’enquêtes plus précises sur l’espérance de vie en bonne santé selon les métiers, cet indicateur pourrait justement permettre d’adapter la législation de manière plus fine et plus équitable. « Aujourd’hui les plus pauvres contribuent à payer les retraites des plus riches. L’âge de départ à la retraite devrait être calculé en fonction de l’espérance de vie en bonne santé, ce que la réforme envisagée par le président de la République ne prend pas en considération, » remarque Didier Fassin.
Il s’agit même de la principale utilité politique de cet indicateur. « Si on veut une société juste, à défaut de pouvoir agir sur la mort ou la maladie, on peut au moins agir sur l’âge de départ à la retraite », souligne Jean-Marie Robine.
« Inadmissible ». L’intersyndicale d’Amazon France n’a pas jugé suffisante la proposition d’augmentation des salaires, relevée à 3,5 % par la direction. Jeudi 14 avril, la troisième – et dernière – réunion des négociations annuelles obligatoires s’est achevée sans accord. Depuis le 3 avril, le leader mondial de l’e-commerce fait l’objet en France d’arrêts de travail, donnant lieu, dans ses entrepôts, à des débrayages tournants et à des piquets de grève.
« La direction a passé sa proposition d’augmentation de 3 % à 3,5 %, et c’est tout », regrette Alain Jeault, de la CGT Amazon. Le chiffre, note l’intersyndicale, est inférieur à l’inflation, qui a bondi en mars à 4,5 % sur un an – du jamais-vu depuis 1985, selon l’Insee. C’est ce retour de la hausse des prix qui, comme dans nombre d’entreprises, inquiète les salariés.
« Au même moment, on apprend qu’Amazon impose aux commerçants une surtaxe de 5 % sur les prix des livraisons, au nom de l’inflation et du prix de l’essence », brocarde Morgane Boulard, de la CFDT Amazon. C’est valable pour eux, mais pas pour nous ? » Les syndicats répètent aussi que le bénéfice de l’entreprise de Jeff Bezos a crû en 2021 de 57 %, à 33 milliards de dollars (30 milliards d’euros).
L’intersyndicale reste « unie »
Sur les autres points de négociation, la direction a relevé la prime de départ à la retraite, mais les syndicats n’y voient qu’un retour à une offre bonifiée (6 400 euros net, d’après un élu), déjà accessible les années précédentes. La direction, elle, maintient que son offre est « très attractive ». Et supérieure aux augmentations de la branche ou des grandes entreprises en général (les budgets consacrés aux négociations annuelles obligatoires sont en hausse de 2,35 % en mars, selon le cabinet Deloitte).
Avec la hausse de 2 % accordée pour les négociations de 2021, le salaire chez Amazon aura augmenté de 5,5 % en deux ans, soit presque autant que les 6 % de hausse du smic entre octobre et mai 2022. Amazon liste aussi les autres avantages : 13e mois, prime de 150 euros en fin d’année, une action gratuite par an (à 2 900 euros en 2022)… La direction souligne enfin que les grévistes (2 000 personnes en cumulé sur quatorze jours, pour 12 500 salariés d’entrepôt) ne sont « pas majoritaires ».
L’intersyndicale, qui reste « unie », doit désormais décider de la suite. En l’absence de signature, l’entreprise peut décider unilatéralement. Les salariés voudront-ils se mobiliser davantage ? « La question de la grève reconductible, en continu, se pose », estime Laurent Degousée, de la fédération SUD Commerces, ajoutant que la situation à Amazon est « scrutée à l’extérieur ».
Le salaire minimum de croissance (smic) augmentera automatiquement de 2,65 % le 1er mai du fait de la forte inflation enregistrée depuis novembre, a annoncé, vendredi 15 avril, le ministère du travail.
Pour un temps plein, le smic mensuel s’établira à 1 645,58 euros brut. En net, il passera de 1 269 à 1 302,64 euros. Le smic horaire brut passera de 10,57 à 10,85 euros.
« Nous n’avons plus de temps à perdre », s’est félicitée la députée européenne Samira Rafaela. Alors que les écarts de salaires entre les femmes et les hommes se résorbent difficilement en France et dans les pays voisins, le Parlement européen a décidé d’accélérer la cadence, en votant le 5 avril en faveur de la transparence des rémunérations.
En pratique, les entreprises de plus de 50 salariés seraient dans l’obligation de divulguer des informations permettant de comparer plus facilement les niveaux de rémunération entre collaborateurs. Et, à partir de 2,5 % d’écart salarial entre les hommes et les femmes, les employeurs devraient mettre en place un plan d’action.
Très attendu, ce vote reprend la proposition de directive de la Commission européenne visant à réduire l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, mais en faisant un pas de plus. L’exécutif européen ne visait que les entreprises de 250 salariés ou plus.
« Une forte marge d’appréciation »
« Ces propositions donnent des orientations, mais laissent une forte marge d’appréciation », tempère Me Karima Saïd, avocate spécialisée en droit du travail. Dans le détail, le texte de la Commission prévoit qu’une communication soit faite tous les ans par les entreprises sur les niveaux de rémunération par catégorie de salariés et par sexe, sans qu’il soit question de divulguer les salaires individuels. Le texte ne définit pas non plus la teneur du « plan d’action ». Quant aux sanctions à mettre en place, en cas de discrimination avérée, elles sont largement laissées à l’appréciation des Etats.
De l’avis de l’avocate, ces propositions représentent toutefois un pas de plus par rapport au droit français et à l’index de l’égalité professionnelle mis en place en 2018, facilement malléable à ses yeux : « Le texte de la directive a au moins le mérite d’identifier précisément les obstacles à l’égalité salariale. C’est une feuille de route qui est dessinée pour l’avenir. » Suite au vote du Parlement européen, les propositions doivent encore être négociées avec les vingt-sept membres de l’Union européenne pour être retranscrites dans les droits nationaux.
Malgré ses imprécisions, le projet de directive fournirait aux victimes et aux organisations syndicales un levier supplémentaire pour identifier les discriminations salariales. « Le texte prévoit que l’employeur communique automatiquement ces informations tous les ans, sans que la demande repose sur les épaules des salariées », se félicite Me Karima Saïd.
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