Archive dans 2022

« Le Deuxième Corps », de Karen Messing : les femmes au travail, des souffrances en silence

Livre. Karen Messing l’a remarqué à force d’entretiens. Lorsque des femmes sont interrogées sur leurs conditions de travail et les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien, ce n’est souvent qu’à l’issue de la troisième heure d’échanges que la parole se libère réellement. Et que sont évoqués, progressivement, le matériel professionnel inadapté à la morphologie féminine, les attaques verbales de certains collègues ou les discriminations.

Pourquoi une telle difficulté à décrire ces situations qui les entravent ? Il est question de « honte », aux yeux de la généticienne et ergonome, professeure émérite à l’université du Québec, à Montréal (Canada). C’est d’ailleurs l’un des points-clés de son ouvrage, Le Deuxième Corps (Ecosociété) : de nombreuses femmes auraient, en elles, une « honte qui est rattachée à [leur] corps et [ses] “différences” ». « Honte d’être physiquement plus faibles, d’avoir leurs règles, de devoir quitter le travail en vitesse pour se rendre à la garderie avant la fermeture, d’avoir des bouffées de chaleur », explique Mme Messing, avant de conclure : « J’ai réalisé que nous devions prendre conscience du prix de notre silence et chercher ensemble des solutions. »

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Son essai propose une plongée aux côtés de ces travailleuses que des ergonomes ont suivies durant plusieurs décennies, principalement au Canada. Au plus près du terrain, on découvre des problématiques souvent éludées ou minimisées. Au fil des rencontres, les difficultés liées aux différences biologiques et sociales entre les femmes et les hommes apparaissent criantes.

Les équipements (ceintures à outils…) qui sont confiés aux salariées peuvent par exemple entraîner des gênes importantes. Et pour cause : ils n’ont souvent été conçus que pour les hommes. L’exposition au froid peut, par ailleurs, amplifier les crampes menstruelles. Le récit du quotidien des agents d’entretien permet de comprendre que les femmes héritent fréquemment de tâches qui provoquent douleurs au cou et aux épaules. Et puis, face à l’imprévisibilité des horaires de certains postes, la garde des enfants, qui incombe fréquemment aux mères, peut tourner au casse-tête. La liste est longue.

Mener le « combat » avec subtilité

Quelles réponses apporter à ces problématiques ? L’autrice souligne la nécessité d’une « lutte pour un milieu de travail mieux adapté à notre corps et à notre vie ». On comprend, au fil des pages, combien l’équation est complexe. Elle évoque des cas où des évolutions ont été possibles à la suite d’une analyse ergonomique (obtention de sièges pour des caissières qui étaient toujours debout…).

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Scopelec fait monter la pression judiciaire contre Orange

Les employés de la société Scopelec manifestent à Paris, le 7 avril 2022, à la veille la décision attendue du tribunal de commerce de Paris sur un différend entre la coopérative française et Orange.

Ce jeudi 21 avril, place de la Bastille, à Paris, des salariés de Scopelec, réunis à l’appel de leur intersyndicale, vont une nouvelle fois tenter de faire entendre leur voix et celle de leur entreprise, menacée par la perte, qui a pris effet le 1er avril, d’un important contrat auprès d’Orange. L’opérateur est le premier client de l’entreprise spécialisée dans le déploiement des réseaux de télécoms. Les contrats perdus représentent environ 150 millions d’euros par an, soit 40 % du chiffre d’affaires annuel de la plus vieille coopérative française. Depuis l’annonce en décembre 2021 de la perte de ce contrat, des solutions de reclassement interne ou externe ont été trouvées pour environ 700 salariés.

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Mais 800 techniciens touchés par l’arrêt de l’activité pour Orange restent sous la menace d’un licenciement, principalement en Normandie, Charente, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Scopelec emploie 3 800 personnes au total. Malgré des semaines de discussions avec Orange, sous l’égide du Comité interministériel de restructuration industrielle, et en dépit de l’intervention sur la fin de la ministre déléguée chargée de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, l’opérateur et son sous-traitant n’arrivent pas à s’entendre sur les mesures qui permettraient à Scopelec de faire face aux conséquences financières de la perte de ce contrat.

Orange a proposé une enveloppe de 43 millions d’euros de chiffre d’affaires sur 2022 et 2023, en plus des contrats maintenus. Mais les contours de ce surplus d’activité ne convainquent pas Scopelec. « Une dizaine de millions d’euros porte sur des marchés déjà en cours », explique Thomas Foppiani, le président du directoire de Scopelec. Frédéric Abitbol, le mandataire judiciaire nommé dans le cadre de la procédure de sauvegarde engagée par Scopelec le 17 mars, estime à 90 millions d’euros sur deux ans le besoin en chiffre d’affaires de la coopérative. « Nous ne faisons pas l’aumône. Nous souhaitons simplement un accompagnement progressif pour nous aider à financer notre restructuration », poursuit le dirigeant, selon lequel, sans la trésorerie dont elle disposait, « Scopelec serait déjà morte ».

Arme à double tranchant

Thomas Foppiani chiffre à une cinquantaine de millions d’euros le coût d’un plan social pour 800 personnes. Si Orange augmentait son surplus d’activité avec la coopérative, le coût social et financier serait moindre, assure le dirigeant. M. Foppiani a récemment eu l’occasion de présenter la situation à Christel Heydemann, la nouvelle directrice générale de l’opérateur, qui a hérité du dossier au moment de sa prise de fonctions, le 4 avril. Orange dit « rester à l’écoute pour accompagner Scopelec dans cette phase de transition ». Mais, en privé, l’opérateur s’étonne de l’intransigeance de son sous-traitant.

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Les politiques, des manageurs pas tout à fait comme les autres

« L’expérience politique est passionnante mais un peu usante, reconnaît Hugo Baillet. Les conditions de travail ne sont pas optimales : grosse pression et charge de travail colossale. » Après avoir été directeur de la communication du Mouvement des jeunes socialistes, à l’époque de la campagne présidentielle de 2012, il a été chargé de communication de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, puis collaborateur parlementaire et conseiller en communication politique au Sénat.

Même si la politique le passionne toujours, il a fait le choix de rejoindre le secteur privé et est aujourd’hui directeur marketing et communication de Coldwell Banker Europa Realty, un réseau spécialisé dans l’immobilier de prestige. Une expérience du secteur privé qui, selon lui, manque à de nombreux élus. « Ce sont, en général, de mauvais manageurs. Ils poussent parfois un peu loin le bouchon, estimant que leurs collaborateurs leur sont dédiés à 100 %. Ils vont, par exemple, dire oui à toutes les demandes de leurs électeurs, et ensuite ce sera aux collaborateurs de se débrouiller pour prioriser. » Sans compter quelques élus au comportement autocratique.

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Les méthodes de management sont-elles vraiment différentes entre la sphère politique et le secteur privé ? « Non », estime Didier Baichère, député LRM de la première circonscription des Yvelines depuis 2017. Il a derrière lui une carrière d’une vingtaine d’années en tant que DRH au sein de groupes internationaux du secteur des hautes technologies et de la défense comme Alcatel Lucent, CGI, DCNS ou Akka Technologies. « En tant que député, je gère mon équipe comme n’importe quel artisan », résume-t-il. Ce qui signifie que les collaborateurs ne comptent pas leurs heures et doivent être à la fois au four et au moulin. « Mais il faut être clair dès le recrutement : le job est très particulier, car très solitaire et peu encadré. Tout est fondé sur une relation de confiance. »

« Recherche du compromis »

Quant au contenu du poste lui-même, « DRH et député, c’est le même travail, estime l’ex-DRH. Les négociations avec les syndicats en entreprise et les discussions autour d’un projet de loi à l’Assemblée nationale ont la même finalité : la recherche du compromis. L’objectif est de convaincre. » Avec, cependant, une différence de taille, précise-t-il : « En politique, on n’est pas toujours jugé sur ses compétences, contrairement à l’entreprise. »

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Pour Mathieu Zeggiato, attaché parlementaire et responsable de la formation des élus à l’Institut de préparation à l’administration générale (IPAG) de Strasbourg, la différence essentielle tient aux « leviers de motivation, qui est pour les politiques la poursuite de l’intérêt général. Mais ce qui les rapproche du privé, c’est l’accélération du temps – les attentes doivent être satisfaites quasi immédiatement –, ainsi que le nouveau management public, qui est passé d’une administration de moyens à une administration de résultats ».

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« Télétravail : ne déménage pas qui veut ! »

Carnet de bureau. L’occasion d’améliorer son cadre de vie grâce au télétravail, en s’installant à la campagne ou dans une ville proche de sa famille, n’a échappé à personne. Des salariés ont sauté le pas, organisant leur déménagement entre deux confinements, voire avant, parfois même à l’étranger, mais sans toujours obtenir l’approbation explicite de leur employeur. C’est le cas d’Henri (le prénom a été changé), parti s’installer en Bretagne à la naissance de ses jumeaux.

L’encadrement n’a pas apprécié, et lui a demandé de revenir en région parisienne. Le dossier est allé aux prud’hommes, puis à la cour d’appel de Versailles, qui, le 10 mars, a confirmé le licenciement « pour cause réelle et sérieuse en raison de la fixation de son domicile en un lieu trop éloigné [442 km] de ses lieux d’activité professionnelle », à Carrières-sur-Seine, dans les Yvelines.

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« La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège le libre choix du domicile personnel et familial », rapporte pourtant l’arrêt de la cour d’appel de Versailles. C’était l’argument juridique d’Henri, qui avait également précisé « ne jamais avoir été en retard » et souligné qu’« il passait moins de 17 % du temps au siège de l’entreprise ». Mais l’employeur a justifié son désaccord au nom de la santé du salarié, à cause des « contraintes supplémentaires de trajet ».

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Les entreprises aussi ont cherché à tirer avantage des nouveaux modes de travail, en déployant leurs recrutements à travers la France, quand les candidats manquaient dans leur région. Adsearch, une filiale du groupe intérimaire Adequat, a ainsi mis en test « une équipe pilote délocalisée en province. On avait un vrai problème de recrutement sur Paris, explique Arnaud Brun, directeur général d’Adsearch. Cinq personnes ont été implantées à Aix-en-Provence, bien qu’elles gèrent l’activité conseil en recrutement cadres d’Ile-de-France. Elles ont un double rattachement : hébergées et accompagnées sur place par l’équipe d’Aix, elles dépendent d’un manageur parisien pour la stratégie commerciale ».

Valeur de test

Camille Brunet est l’une d’entre elles. A l’origine consultante à Paris, elle avait passé six ans en Australie avant d’être recrutée par Adsearch pour monter cette « équipe pilote ». « Depuis le Covid, les entretiens avec les candidats et les clients se font beaucoup plus en visioconférence. J’ai un rattachement opérationnel avec le siège parisien qui se traduit par des réunions mensuelles, où s’organisent les échanges entre les manageurs. A la même fréquence, je monte à Paris pour rencontrer les clients qui me confient des missions de recrutement. Mais si le poste avait été à Paris, jamais je n’aurais signé le contrat de travail. J’ai deux enfants. On est rentrés d’Australie pour être proches de la famille qui est dans le Sud », témoigne Camille, 34 ans, Manager Sales, spécialiste du recrutement numérique chez Adsearch.

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Rendre « sexy » le métier de plombier : l’école qui veut changer l’image des métiers du bâtiment

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Publié aujourd’hui à 00h52

Ça fuse, ça crépite, ça scintille de tous les côtés. C’est un mercredi après-midi classique à Clichy (Hauts-de-Seine) : une trentaine de reconvertis à la plomberie s’entraînent à la soudure sur des tubes en acier. « Ils sont tout de suite dans le concret et les étincelles, c’est la fête ! » se réjouit Marie Blaise, 28 ans, directrice et cofondatrice de la toute jeune école Gustave, dont la quatrième promotion a commencé sa formation en plomberie chauffage, façon « bootcamp » [camp d’entraînement] pendant trois mois intensifs, avant de partir pour douze mois d’alternance en entreprise.

Sofiane Issad (au centre), 35 ans, formateur en plomberie à l'école Gustave. A Clichy (Hauts-de-Seine), le 30 mars 2022.

Dans un univers comparable à celui des start-up, Gustave – un clin d’œil au grand bâtisseur Eiffel – cherche à rendre « sexy » une filière souvent dénigrée : celle du BTP. L’école, issue de l’économie sociale et solidaire, veut donner à tous, sans condition de diplôme, « la chance d’accéder à des jobs incroyables dans un secteur en croissance ».

Pôle emploi compte, en 2022, près de 235 000 offres destinées à des ouvriers de la construction et du bâtiment. Pour 75 % de ces postes, les employeurs vont rencontrer des difficultés à recruter. Les maçons, les plombiers chauffagistes, les électriciens, les couvreurs et les charpentiers représentent les cinq métiers les plus en tension de la branche.

Susciter des vocations

« La question de l’attractivité est récurrente, on la traite depuis des années. On a toujours besoin de main-d’œuvre. Même en période de crise, il y a du travail. Dans la construction, c’est open bar », confirme un représentant de la Fédération française du bâtiment (FFB), qui regroupe les plus grosses entreprises comme Bouygues ou Eiffage, mais aussi des structures avec une poignée de salariés. Une campagne de sensibilisation, diffusée notamment sur TikTok et Instagram, tente d’attirer de nouveaux profils : « On imagine assez mal une vie sans bâtiment… mais on peut facilement imaginer une carrière dans le bâtiment », assure la voix off.

D’après l’Observatoire des métiers du BTP, 71 % des 320 000 personnes recrutées en 2020 n’avaient jamais travaillé auparavant dans le bâtiment ou les travaux publics, et 21 % avaient moins de 25 ans. « L’éternel défi, c’est de trouver du personnel qualifié, rentable, qui a un diplôme et de l’expérience professionnelle », fait valoir le représentant de la FFB interrogé.

D’où l’idée de susciter des vocations. A l’école Gustave, campée au premier étage d’un immeuble ultramoderne avec vue sur la Seine, le fracas des machines détonne derrière la façade aseptisée. « On voulait s’installer dans un bel endroit, pas au milieu d’une zone industrielle moche, détaille Marie Blaise. C’est aussi ça, redorer le blason des métiers du bâtiment. »

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Coursiers « variables d’ajustement », « habillage juridique fictif » : le jugement qui condamne Deliveroo France

Des livreurs Deliveroo lors d’une manifestation à Paris, le 11 août 2017.

Sur la page d’accueil de Deliveroo France va s’afficher pendant un mois la mention suivante : « La SAS Deliveroo France, prise en la personne de ses représentants légaux entre avril 2015 et décembre 2017, a été condamnée pour le délit de travail dissimulé au paiement d’une amende délictuelle de 375 000 euros et à indemniser au titre des préjudices subis les livreurs qui se trouvaient être en réalité ses salariés. » Cette publication, d’application immédiate, a été exigée, mardi 19 avril, par le tribunal correctionnel de Paris, dont le jugement constitue la première décision pénale sur « l’ubérisation » du travail.

Le tribunal a considéré que l’organisation mise en place par la société sur une période courant de 2015 à 2017 constituait bel et bien une atteinte volontaire au droit du travail, par l’utilisation de milliers de coursiers officiellement indépendants mais, en réalité, subordonnés à la plate-forme.

Ces livreurs, estiment les juges, ne constituaient qu’« une variable d’ajustement permettant de disposer d’une flotte adaptée et réactive face au nombre de commandes enregistrées chaque jour. Seule la très grande flexibilité générée par les pratiques délictuelles commises et imposée assurait la pérennité du modèle ». Un système qui a permis à Deliveroo d’éluder, derrière « un habillage juridique fictif » les cotisations sociales que la société aurait dû verser.

Les juges ont suivi intégralement les réquisitions prononcées le 16 mars par la procureure Céline Ducournau. Outre la société Deliveroo France, deux de ses anciens dirigeants, Adrien Falcon et Hugues Decosse, ont été condamnés à une peine d’un an de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende, assortie de l’interdiction de diriger une entreprise pendant cinq ans. Une peine de quatre mois avec sursis et une amende de 10 000 euros a été retenue contre Elie de Moustier.

La société et les trois prévenus ont également été condamnés solidairement au paiement de dommages et intérêts pour l’ensemble des coursiers qui s’étaient constitués partie civile – environ 120 – qui se voient attribuer des sommes de 1 000 à 4 000 euros au titre de leur préjudice civil ou moral. Ils devront aussi verser des dommages et intérêts aux syndicats CGT, SUD, Union syndicale solidaire et Syndicat national des transports légers, ainsi qu’à l’Urssaf.

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Contraintes imposées

Le jugement balaie l’argumentation soutenue tout au long de l’audience par les prévenus, selon laquelle Deliveroo France ne serait qu’une « plate-forme de mise en relation » et pas une société de services. Les juges relèvent que, contrairement à d’autres plates-formes de vente de biens (Vinted ou eBay) ou de fournitures de services (Airbnb), qui mettent en relation deux personnes physiques dans la transaction finale, l’organisation de Deliveroo exclut tout contact direct entre le restaurateur et le client final, la plate-forme se chargeant de la livraison.

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Devant la justice, la directrice générale de Santé publique France se défend d’avoir contribué à rétrograder une consœur

Entre deux réunions consacrées à la gestion de l’épidémie de Covid-19, la directrice générale (DG) de Santé publique France (SPF), Geneviève Chêne, a honoré un rendez-vous judiciaire, les 5 et 19 avril, devant la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Mme Chêne était citée à comparaître, à l’instar de trois médecins légistes bordelais, pour « harcèlement moral » et « dénonciation calomnieuse ».

Partie civile dans cette affaire, la médecin Karine Dabadie reproche au quatuor d’avoir contribué à son éviction, en décembre 2019, du poste de responsable de l’unité médico-judiciaire et du Centre d’accueil d’urgence des victimes d’agression (Cauva) rattaché au pôle de santé publique du CHU de Bordeaux.

Qualifiée de « longue et houleuse » par les avocats de la défense, l’audience a mis en relief l’atmosphère délétère qui a longtemps prévalu au sein de l’unité médico-judiciaire Cauva de Bordeaux. Haines recuites, règlements de comptes et autres algarades ont miné ce service, déjà marqué par l’éviction en 2018 de la professeure Sophie Gromb, mise en examen pour « harcèlement moral » par un juge d’instruction de Douai (Nord) en octobre 2021.

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« J’ai des consignes de Mme Chêne »

A la barre, Mme Dabadie a déclaré s’être vu notifier verbalement son éviction, le 11 décembre 2019, par la successeure de Mme Chêne à la tête du pôle de santé publique du CHU de Bordeaux, la professeure Anne-Marie Rogues. « Mme Rogues m’a dit : “On m’a demandé de vous destituer, vos collègues disent qu’il y a de grosses difficultés managériales, j’ai des consignes de Mme Chêne” », a raconté Mme Dabadie, actuellement en disponibilité et qui a obtenu, en juillet 2021, l’annulation par le tribunal administratif de Bordeaux de la décision du CHU de l’écarter de ses fonctions.

Dans le cadre de la procédure pénale, elle met en avant une note cosignée, le 30 octobre 2019, par Mme Chêne, destinée au directeur général du CHU de Bordeaux ainsi qu’au président de la commission médicale d’établissement. Dans ce document sont notifiés les reproches formulés contre Mme Dabadie (« attitudes peu confraternelles », « management révélant des pratiques contestables »). La note ferait écho à des griefs qui auraient été émis par trois médecins légistes, reçus ce 30 octobre 2019 par Mme Chêne, nommée la veille « DG » de SPF par un décret d’Emmanuel Macron.

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« Sidérée » par les accusations portées à son encontre, Mme Chêne « conteste les infractions reprochées » tout en expliquant que Mme Dabadie, recrutée en juin 2018, « s’est renfermée sur elle-même sur fond de mésentente avec des praticiens ».

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Deliveroo condamnée à une amende de 375 000 euros pour travail dissimulé

Un livreur à vélo de l’enseigne britannique Deliveroo, à Londres, le 31 mars 2022.

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné, mardi 19 avril, Deliveroo France à une amende de 375 000 euros et deux anciens dirigeants de la plate-forme à douze mois de prison avec sursis pour « travail dissimulé ». Le tribunal a suivi intégralement les réquisitions du parquet.

En mars, au terme d’une semaine d’audience – le premier procès au pénal de l’ubérisation en France –, la procureure avait regretté l’absence, sur le banc des prévenus, de l’Américain William Shu, cofondateur et président-directeur général de l’entreprise britannique, « incontestablement » à l’origine du « système » ayant permis à Deliveroo de bénéficier de « tous les avantages de l’employeur  (…) sans les inconvénients ».

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Deliveroo est responsable d’« une instrumentalisation et d’un détournement de la régulation du travail », dans le but d’organiser une « dissimulation systémique » d’emplois de livreurs qui auraient dû être salariés et non indépendants, avait affirmé Céline Ducournau. La « fraude » mise en place avait pour unique but d’employer « à moindres frais » les livreurs, et peu importe si certains sont « satisfaits » de ce statut ou se « sentent libres », avait-elle souligné, en référence à l’un des arguments de Deliveroo pour justifier le statut de microentrepreneur.

« Il ne s’agit pas du procès des mauvaises conditions de travail » ni de celui des « modes de consommation de notre époque », avait rétorqué en défense Antonin Lévy, avocat de Deliveroo France, pour lequel le procès a parfois pris des airs de « forum politique ».

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Une centaine de parties civiles

Une dizaine de livreurs à vélo ou à scooter, beaucoup désormais engagés contre le « système », avaient défilé à la barre pour raconter leur arrivée à Deliveroo, attirés par les promesses de « liberté » et de « flexibilité », mais avaient découvert la « guerre » pour obtenir les meilleurs « créneaux » horaires, la « pression », la « surveillance » et les réprimandes de Deliveroo. Plus d’une centaine de livreurs sont parties civiles au procès.

L’entreprise avait affirmé qu’elle ne faisait que « mettre en relation » des clients, restaurateurs et livreurs, et a démenti « tout lien de subordination ». Très contesté, le statut d’indépendant des chauffeurs Uber ou des coursiers Deliveroo est remis en cause dans de nombreux pays par la justice ou, plus rarement, par des lois qui ont poussé certains géants du secteur à proposer des compromis.

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Le Monde avec AFP

Laurent Berger : « Marine Le Pen nous promet une société du rejet »

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, à Vaulx-en-Velin (Rhône), le 15 mars 2022.

Avant le second tour de l’élection présidentielle, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, expose les raisons pour lesquelles son syndicat, le premier de France, appelle à se prononcer en faveur du chef de l’Etat sortant.

Pourquoi avez-vous appelé, dès le soir du 10 avril, à « battre le Rassemblement national » en votant pour Emmanuel Macron ?

Notre engagement est basé sur des valeurs qui sont fortes : la démocratie, l’émancipation, la solidarité, l’égalité. Nous sommes en contradiction totale avec le programme de Marine Le Pen. Elle veut inscrire la priorité nationale dans la Constitution par le biais d’un référendum. Elle veut rétablir le délit de séjour irrégulier et interdire les aides sociales aux immigrés. Sans parler de sa politique internationale, synonyme de complaisance à l’égard de pays comme la Russie, ou des mesures qu’elle soutient en matière de sécurité.

Qu’elle le veuille ou pas, elle est à la tête d’un parti d’extrême droite, dont l’orientation est incompatible avec ce que porte la CFDT. Il ne faut donc pas tergiverser. A partir du moment où l’extrême droite est au second tour – et nous le regrettons –, la CFDT vote pour le candidat qui est en face. Nous ne sommes pas à l’heure du choix d’un programme politique, nous sommes à l’heure du choix de la défense de la démocratie.

Elle se présente comme la candidate du « dialogue social ». Vous n’y êtes pas sensible ?

Dans les pays où cette idéologie a triomphé dans les urnes, les gouvernements ont adopté des pratiques qui n’étaient pas compatibles avec les projets et les valeurs de la CFDT. Aujourd’hui, elle tente de se rendre respectable mais son programme n’accorde de place ni au progrès social ni au dialogue social. L’extrême droite, quand elle prend le pouvoir, met les syndicats à sa main dans les entreprises. Elle annihile la liberté de la presse. Elle combat les contre-pouvoirs et la CFDT, ainsi que les autres organisations de salariés, en sont un.

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Son projet en matière de retraites n’est-il pas de nature à contrebalancer votre analyse ?

Il n’est pas crédible. Elle dit qu’elle accorde du pouvoir d’achat maintenant, mais par le biais d’exonérations de cotisations patronales. Cela nous paraît très contradictoire car une telle politique nuit au financement de la protection sociale, donc – in fine – au pouvoir d’achat des ménages. Ce que nous voulons, ce sont des droits pour tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, leur couleur de peau, leur singularité. Marine Le Pen, elle, nous promet une société du rejet, qui accentue les discriminations. On ne peut pas l’appréhender comme une candidate lambda, car le risque est grand qu’elle essaye d’instaurer un pouvoir autoritaire. Les expériences de ces dernières années, en Europe et hors d’Europe, prouvent que, à chaque fois, les travailleurs paient un très lourd tribut.

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« Les salariés d’Apple veulent bénéficier des profits faramineux de la plus riche des compagnies mondiales »

Le magasin Apple de la gare de Grand Central, à New York, le 18 avril 2022.

Joe Biden va-t-il tweeter sa satisfaction, lui qui promeut le syndicalisme au nom de la défense des classes moyennes ? Après des salariés d’Amazon, de Starbucks et d’Activision Blizzard, des employés du magasin Apple de la gare de Grand Central, à New York, se sont engagés, lundi 18 avril, sur la voie semée d’obstacles de la création d’un syndicat – une première outre-Atlantique pour la firme à la pomme. Regroupés sous la bannière des Workers United, qui a soutenu avec succès des travailleurs de Starbucks, ils doivent recueillir la signature d’au moins 30 % de leurs collègues pour pouvoir réclamer, ensuite, un vote d’approbation ou de rejet d’une organisation syndicale.

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Un salaire horaire d’au moins 30 dollars (27,80 euros) et plus de congés figurent en bonne place dans les revendications des salariés, frappés par la pandémie de Covid-19, qui a fait des ravages à New York, et par une flambée des prix « sans précédent ». Ils veulent bénéficier des profits faramineux du géant de Cupertino, la plus riche des compagnies mondiales, qui a réalisé un bénéfice de 35 milliards de dollars pour le seul quatrième trimestre 2021. Quelques-unes des 270 boutiques américaines se sont engagées dans la même voie, mais les initiateurs du mouvement se montrent discrets pour ne pas perdre leur emploi.

Menace, chantage, intimidations

« Nous reconnaissons l’immense bravoure dont ces travailleurs font preuve pour défendre leurs droits », souligne le syndicat du secteur des services. Comme s’ils vivaient sous la férule de dictateurs chinois ou birmans. Mais rien n’est gagné, et la création d’un syndicat ne fait pas l’unanimité des salariés. Même à l’entrepôt Amazon JFK8 de Staten Island, dans la banlieue de New York, où le oui a recueilli 55 % des suffrages début avril dans un scrutin marqué par une forte abstention.

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De 30 %, dans les années 1950, le taux de syndicalisation des Américains est tombé à 10 %. Créer une section ou y adhérer est un droit reconnu, mais les menaces, le chantage et les intimidations précédant un vote des salariés font échouer l’écrasante majorité des projets. Les initiatives se multiplient, et chaque nouveau syndicat est une victoire arrachée de haute lutte à des directions préférant, selon l’expression d’Apple, une « relation directe » avec les salariés.

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Que peut le président américain, sinon répéter inlassablement qu’« il ne doit y avoir aucune intimidation, aucune pression, aucune menace, aucune propagande antisyndicale », comme il le déclarait, il y a un an, en soutenant des employés d’Amazon. « Aucune hiérarchie ne devrait attaquer des employés sur leur préférence syndicale. » Le message passe toujours aussi mal au pays de la libre entreprise, désormais travaillé par l’esprit libertarien de la Big Tech, où derrière chaque syndiqué se cache un dangereux bolchevique le couteau entre les dents.