« Le Deuxième Corps », de Karen Messing : les femmes au travail, des souffrances en silence
Livre. Karen Messing l’a remarqué à force d’entretiens. Lorsque des femmes sont interrogées sur leurs conditions de travail et les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien, ce n’est souvent qu’à l’issue de la troisième heure d’échanges que la parole se libère réellement. Et que sont évoqués, progressivement, le matériel professionnel inadapté à la morphologie féminine, les attaques verbales de certains collègues ou les discriminations.
Pourquoi une telle difficulté à décrire ces situations qui les entravent ? Il est question de « honte », aux yeux de la généticienne et ergonome, professeure émérite à l’université du Québec, à Montréal (Canada). C’est d’ailleurs l’un des points-clés de son ouvrage, Le Deuxième Corps (Ecosociété) : de nombreuses femmes auraient, en elles, une « honte qui est rattachée à [leur] corps et [ses] “différences” ». « Honte d’être physiquement plus faibles, d’avoir leurs règles, de devoir quitter le travail en vitesse pour se rendre à la garderie avant la fermeture, d’avoir des bouffées de chaleur », explique Mme Messing, avant de conclure : « J’ai réalisé que nous devions prendre conscience du prix de notre silence et chercher ensemble des solutions. »
Son essai propose une plongée aux côtés de ces travailleuses que des ergonomes ont suivies durant plusieurs décennies, principalement au Canada. Au plus près du terrain, on découvre des problématiques souvent éludées ou minimisées. Au fil des rencontres, les difficultés liées aux différences biologiques et sociales entre les femmes et les hommes apparaissent criantes.
Les équipements (ceintures à outils…) qui sont confiés aux salariées peuvent par exemple entraîner des gênes importantes. Et pour cause : ils n’ont souvent été conçus que pour les hommes. L’exposition au froid peut, par ailleurs, amplifier les crampes menstruelles. Le récit du quotidien des agents d’entretien permet de comprendre que les femmes héritent fréquemment de tâches qui provoquent douleurs au cou et aux épaules. Et puis, face à l’imprévisibilité des horaires de certains postes, la garde des enfants, qui incombe fréquemment aux mères, peut tourner au casse-tête. La liste est longue.
Mener le « combat » avec subtilité
Quelles réponses apporter à ces problématiques ? L’autrice souligne la nécessité d’une « lutte pour un milieu de travail mieux adapté à notre corps et à notre vie ». On comprend, au fil des pages, combien l’équation est complexe. Elle évoque des cas où des évolutions ont été possibles à la suite d’une analyse ergonomique (obtention de sièges pour des caissières qui étaient toujours debout…).
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