Archive dans 2022

Des aides pour favoriser la mixité des métiers

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi pour tenter d’estimer ce que l’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

L’objectif du dispositif

Les entreprises en mal de mixité ont la possibilité de bénéficier d’aides financières pour intégrer davantage de femmes sur des postes traditionnellement occupés par des hommes. Né en 2011 de la fusion de deux autres dispositifs favorisant l’égalité professionnelle, le contrat pour la mixité des emplois et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (Comeep) finance des actions pour la promotion des femmes dans l’entreprise et pour favoriser la mixité des métiers.

Ce contrat est ouvert à tous les employeurs de droit privé, sans condition d’effectifs, en vue de financer des actions de formation et d’adaptation au poste de travail dans des métiers jusque-là majoritairement occupés par les hommes. De nature très diverse, ces mesures peuvent être individuelles ou collectives : actions de sensibilisation du personnel à l’égalité professionnelle, installation de sanitaires séparés, formation pour l’accès à un poste à responsabilité, acquisition de matériel pour faciliter le port de charge physique, etc.

Au sein des laboratoires M & L, une filiale de l’Occitane, ce contrat a été utilisé en 2016 pour financer des programmes de leadership d’une dizaine de salariées à hauteur de 50 % par l’Etat. Le management au sein de l’entreprise était déjà féminisé : 53 % de cadres femmes pour 58 % des salariées. « Pour prolonger cette culture d’un management mixte, il nous a paru important de développer ces programmes dans la continuité », justifiait au micro de Fréquence Mistral le directeur général de L’Occitane Jean-François Godinec.

Retrouvez nos articles sur l’évaluation de la politique de l’emploi

Mixité par le haut, mais aussi par le bas. Sur son site d’Arinthod, dans le Jura, le fabricant de jouets Smoby a profité par deux fois de ce contrat pour former des opératrices de production sur les machines de soufflage et financer la robotisation d’une partie du processus de production. Objectif affiché : élargir son vivier de main-d’œuvre sur ce poste, traditionnellement occupé par des hommes.

C’est aussi pour élargir son vivier de recrutement que la VOA Verrerie d’Albi, qui comptait seulement 10 % de femmes dans ses effectifs, a mobilisé ce contrat pour financer une partie de la formation de demandeuses d’emploi sur des postes de conductrices de ligne, régleuses ou caristes, rapporte le quotidien La Dépêche. Mais De nombreux métiers peinent aussi à attirer des candidatures masculines. Or, cette aide à la mixité ne concerne que les salariées femmes, à l’exception toutefois des actions de sensibilisation et de formation du personnel qui peuvent concerner les hommes.

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Revers judiciaire de Pôle emploi au sujet de ses agents en CDD

Pôle emploi vient de subir une déconvenue devant le Conseil d’État. Le 27 avril, la haute juridiction a prononcé une décision qui a pour effet de rendre inapplicable une règle relative aux personnels de l’opérateur public recrutés en contrat à durée déterminée (CDD). Force ouvrière (FO), à l’origine de la requête, veut s’appuyer sur cet arrêt pour réclamer la titularisation de salariés embauchés sous ce statut.

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Le différend fait suite à un avenant de septembre 2019 ayant retouché la convention collective de Pôle emploi. Signé par la direction générale et par quatre syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, SNAP), ce texte avait notamment pour objectif « de lutter contre la précarité » en introduisant un changement : la suppression de la période – appelée « délai de carence »qui doit s’écouler entre la fin du CDD et la réembauche de la personne sur le même poste. Pour que cette mesure puisse entrer en vigueur, il fallait qu’elle soit « étendue » par un arrêté du ministère du travail. Formalité accomplie en janvier 2020.

Texte « annulé »

Mais FO était contre la réécriture de la convention collective, en particulier à cause de cette nouvelle disposition qui contribue à « installer » les agents concernés dans des formes d’activité instables, d’après Natalia Jourdin, déléguée syndicale centrale. Elle a donc contesté l’arrêté ministériel en saisissant le Conseil d’État, qui lui a donné raison sur ce point précis.

Dans leur décision, les magistrats du Palais-Royal expliquent qu’un accord de branche peut « déroger au principe (…) de l’application d’un délai de carence » depuis les ordonnances Macron de septembre 2017 qui ont remanié le code du travail. Mais la dérogation en question n’est envisageable « que dans certains cas seulement », qu’il convient de définir. Or l’avenant de septembre 2019 prévoit que la suppression du délai de carence jouera « de façon générale », ce qui est contraire à la loi. Dès lors, l’arrêté de janvier 2020 ne pouvait pas « étendre » (c’est-à-dire rendre exécutoire) les dispositions critiquées par FO. Le texte de l’administration est donc « annulé » – uniquement sur le volet relatif au délai de carence.

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Selon Mme Jourdin, la décision du Conseil d’État permet aux agents de Pôle emploi, qui sont toujours en poste et qui ont enchaîné des CDD sans période de battement, de demander aux prud’hommes de requalifier le contrat en CDI. Quant à ceux qui sont partis de l’opérateur public après avoir accompli des CDD sans délai de carence, ils ont la possibilité d’engager un recours pour licenciement sans cause. Cependant, ces actions en justice ne peuvent être engagées que si le délai de prescription (variable suivant les situations) n’est pas dépassé. Contactée par Le Monde, la direction de Pôle emploi indique qu’elle prend acte de l’arrêt du Conseil d’État et qu’elle va « analyser [ses] conséquences ».

Bac 2022 : des décharges accordées aux enseignants pour corriger les épreuves de spécialité

Les élèves de terminale sont dans les starting-blocks. Leurs enseignants aussi. Initialement prévues en mars, les épreuves d’enseignement de spécialité ont été reportées du 11 au 13 mai, en raison de la pandémie de Covid-19 et de son variant Omicron, qui a perturbé les établissements scolaires au début de l’année. Un enjeu de taille pour tous : ces écrits valent pour un tiers de la note finale au baccalauréat. Restait un point de blocage pour les professeurs appelés à corriger les copies : quand s’atteler à la tâche, lors de ce mois de mai déjà chargé par les conseils de classe du troisième trimestre ?

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Les principaux syndicats enseignants sont montés au créneau et viennent d’obtenir quatre demi-journées de décharge d’enseignement. Un « forfait maximum » utilisable « au choix du professeur, après accord du chef d’établissement, entre le 17 mai et le 3 juin », précise Edouard Geffray, le directeur général de l’enseignement scolaire au sein du ministère de l’éducation nationale, dans un e-mail adressé aux organisations représentatives. La note qui officialise ce dispositif doit paraître au Bulletin officiel de l’éducation nationale ce jeudi 5 mai.

« Compromis raisonnable »

Pour les syndicats, cette décision vient entériner « la charge de travail supplémentaire » qu’entraîne cette correction de copies – une trentaine, payées cinq euros l’unité – en milieu d’année scolaire. Pour Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU, cette mesure « va dans le bon sens ». Le SGEN-CFDT évoque une « avancée tardive ». Pour SE-UNSA, qui salue néanmoins cet aménagement, « ce temps de correction aurait gagné à être plus important car il est loin de couvrir le temps nécessaire ». Avant la réforme du bac, les enseignants corrigeaient fin juin les épreuves, à un moment où ils n’avaient plus cours. Le déroulement de ces épreuves de spécialité est une première pour cette deuxième session du « bac Blanquer ». Elles avaient été remplacées par du contrôle continu l’année dernière en raison de la pandémie.

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Un rouage supplémentaire dans l’organisation du baccalauréat qui n’inquiète pas les chefs d’établissement. « Cela me paraît un compromis raisonnable », estime Bruno Bobkiewicz, du SNPDEN-UNSA, le principal syndicat des chefs d’établissement, alors que certains représentants enseignants demandaient une semaine complète de décharge. Pour le proviseur, le nombre d’heures de cours perdues pour les élèves sera limité, les décharges se faisant sur demande. Du côté des parents d’élèves, la FCPE, par la voix de sa coprésidente Carla Dugault, accueille « avec bienveillance » cet arrangement, tandis que Laurent Zameczkowski, le porte-parole de la PEEP, juge les parents « résignés, voire désabusés, par ces nouvelles heures de cours perdues pour les élèves ».

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« A quelles conditions la sobriété pourrait-elle devenir acceptable, non “punitive” ? »

La question du pouvoir d’achat est au cœur de la campagne électorale. L’envolée des prix oblige beaucoup de Français à réduire leur consommation, ce qui provoque la colère populaire, alors même qu’une consommation sobre est aussi indispensable pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et freiner le dérèglement climatique.

Mais à quelles conditions la sobriété pourrait-elle devenir acceptable, non « punitive » ? Nos recherches, menées auprès de plusieurs centaines de consommateurs, permettent d’éclairer le débat. Lorsqu’elle est associée au manque, au sacrifice, bien sûr, la sobriété suscite le rejet. Mais elle peut aussi être présentée comme une façon de vivre différente, qui procure d’autres plaisirs. Et là, les perceptions changent.

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Prenons les transports. Le télétravail, expérimenté à grande échelle pendant la pandémie, a diminué substantiellement les allers-retours quotidiens en voiture, les dépenses induites (et la pollution), tout en suscitant des satisfactions chez la majorité des personnes concernées. Moins de temps perdu. Des corvées domestiques réalisées en semaine, entre deux dossiers, laissant plus de temps libre le week-end. Davantage de moments en famille ou avec les amis. Davantage de temps pour soi.

Une chance

L’utilisation du vélo dans les transports du quotidien est également perçue par les consommateurs, non comme une perte de standing par rapport à un usage de la voiture ou de la moto, mais comme un plus, une chance, le plaisir de remettre son corps en mouvement. Le nombre de vélos vendus a d’ailleurs, pour la première fois, dépassé le nombre de voitures vendues en 2021…

L’usage des composteurs pour les déchets organiques se développe aussi, en particulier dans les milieux populaires, geste simple lorsqu’on a un jardin et qu’on veut éviter d’avoir à acheter de l’engrais.

Les consommateurs sensibles à l’environnement ne sont pas tenus non plus d’abandonner les petits plaisirs du shopping du moment qu’ils « craquent » pour de l’occasion. L’étude que nous venons de mener à l’université Paris-Dauphine, en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), montre comment l’image des achats de seconde main a changé du tout au tout en peu de temps.

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Acheter d’occasion était associé au manque d’argent et, à cet égard, apparaissait stigmatisant, au moins pour les milieux populaires. Or, 84 % des personnes que nous avons interrogées estiment aujourd’hui qu’agir ainsi est une manière digne de consommer. Acheter du neuf est même moins bien vu (60 % seulement considèrent cela comme une pratique digne).

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Les aéroports de Roissy et Orly ont 4 000 postes d’agents de sûreté, de techniciens ou d’ingénieurs à pourvoir… et du mal à recruter

A Roissy-Charles-de-Gaulle et à Orly, selon le Groupe ADP, gestionnaire des deux aéroports, 4 000 postes seraient à pourvoir. Mais ADP, tout comme la myriade de sous-traitants à l’œuvre, rencontreraient d’« énormes » difficultés à recruter, a indiqué, jeudi 28 avril, Augustin de Romanet, PDG du gestionnaire d’aéroports. Après s’être séparé de 1 150 salariés dans le cadre d’un accord de rupture conventionnelle collective (RCC) en 2021, Groupe ADP souhaite embaucher 600 personnes, pour accompagner le retour de l’activité. Notamment en prévision de l’afflux de passagers à l’occasion des vacances d’été.

Sont concernés en priorité des agents de sûreté, des techniciens de maintenance, mais aussi des ingénieurs. Il y a urgence. L’activité semble repartir plus vite et plus fortement que prévu. Au premier trimestre, le trafic d’ADP a déjà atteint 72 % de son niveau de 2019. Les aéroports de Roissy et d’Orly pourraient retrouver leur activité normale avec un an d’avance fin 2023-début 2024.

« Un petit peu d’intérim »

« Notre activité repart mais nous sommes parfaitement dans les temps pour nos embauches car nous avons déjà recruté 200 salariés soit un tiers des 600 personnes que nous recherchons », signale Laurent Gasse, directeur des ressources humaines de Groupe ADP. « Pour recruter, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés que les autres entreprises. Ce n’est pas une question de salaire d’embauche mais plutôt comment trouver des personnels », ajoute-t-il. Pas d’accord, rétorque Daniel Bertone, secrétaire général de la CGT d’ADP. Selon lui, ADP « a du mal à recruter car ses propositions salariales sont en deçà de celles de la concurrence. Ils sont même obligés de donner de l’ancienneté fictive aux nouveaux embauchés ».

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Parmi les sous-traitants, la vigueur de la reprise n’a pas encore de conséquences positives sur l’emploi. « Il n’y a pas d’embauches du tout. Seulement un petit peu d’intérim », se désole Imad Dachroune, délégué syndical SUD-Aérien chez 3S Alyzia, l’un des gros sous-traitants de Roissy et d’Orly. Selon lui, les entreprises auront « tiré un double bénéfice de la crise : après avoir licencié des salariés avec vingt-cinq à trente ans d’ancienneté, elles vont réembaucher des personnels payés au smic ».

Inflation oblige, les revendications salariales risquent de faire monter la tension. « L’été pourrait être tendu », menace M. Bertone, qui a écrit, lundi 2 mai au PDG de groupe ADP pour réclamer « l’ouverture de nouvelles négociations sur les salaires et l’arrêt du plan d’économies qui doit s’achever fin 2023 ». La CGT de Roissy milite même pour une convergence des luttes. L’union locale du syndicat a appelé tous les salariés de la plate-forme de Roissy à manifester jeudi 9 juin. Juste avant les grands départs en vacances.

Amazon France : un seul syndicat a signé la proposition d’augmentation générale des salaires de la direction

Parmi les syndicats représentatifs des quelque 15 500 salariés d’Amazon France, seul un, le syndicat des cadres CFE-CGC, a signé, mardi, l’accord avec la direction sur une augmentation générale des salaires de 3,5 %, que les autres organisations ont jugé insuffisante dans un contexte de forte inflation.

« Nous ne sommes pas signataires parce que cette proposition reste indécente », explique, à l’Agence France-Presse, Morgane Boulard, déléguée syndicale centrale CFDT, au terme d’une dernière réunion, mardi. Mais elle se dit « plutôt satisfaite que la direction ne soit pas redescendue à 3 % d’augmentation ».

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Le 1er-Mai, les différents syndicats représentatifs (CFDT, SUD, CGT, CAT, CFE-CGC) avaient en effet regretté que la direction du géant américain leur fasse du « chantage », en leur « disant que si les syndicats ne signaient pas » mardi leur proposition à + 3,5 %, une augmentation de 3 % des salaires serait décidée unilatéralement.

Finalement, seule la CFE-CGC a signé un accord allant dans le sens d’une revendication très ancienne de sa part sur le 13e mois de certains salariés. Après deux heures et demie de négociations, la direction française du groupe a décidé de « rester de manière unilatérale sur 3,5 % d’augmentation », a expliqué Morgane Boulard.

Les syndicats réclament 5 % face à l’inflation

« Ils ont écouté les demandes de l’intersyndicale », abonde Hakim Taoufik, délégué syndical central du CAT. Les organisations n’ont toutefois pas signé, car elles souhaitaient « au moins 5 %, dans la mesure où l’inflation est aujourd’hui de 4,8 % et que, alors qu’il y a quelques années le salaire de base chez Amazon était de 15 % à 20 % au-dessus du smic, il ne l’est plus que de quelques centimes maintenant ».

La direction a rogné sur quelques avantages existants précédemment, comme le nombre d’absences autorisées sans justificatif, qui passe de trois à un, « une meilleure indemnité de départ à la retraite, ou encore des aménagements d’horaires pour les personnes voulant avoir recours à une PMA [procréation médicalement assistée] », détaillent Morgane Boulard et Hakim Taoufik.

Dans un communiqué, la direction s’est dit « heureuse de confirmer la proposition d’augmentation salariale attractive faite par Amazon, qu’[elle pensait] bien positionnée pour [ses] salariés et qui sera mise en place au sein de [ses] huit centres de distribution, tout comme d’autres mesures financières ». Parmi ces mesures : un statut d’agent de maîtrise pour les techniciens informatiques, ou encore des primes de fin d’année maintenues, précise-t-on de même source.

Le mouvement social avait éclaté le 4 avril sur les huit sites logistiques d’Amazon en France. La CGT avait notamment relevé qu’Amazon allait « faire payer 5 % de taxe à ses vendeurs pour faire face à la hausse des carburants », mais refusait « de donner 5 % à ses salariés pour qu’ils puissent faire face à la hausse des carburants ».

Le géant américain a réalisé 33 milliards de dollars [31 milliards d’euros] de bénéfices en 2021, même si l’inflation et les pénuries pèsent sur ses perspectives économiques pour 2022.

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Le Monde avec AFP

Métiers du « care » : « Derrière chaque personne se cache une autre personne sans l’aide de qui la première ne serait pas autonome »

Dans le secteur privé comme dans le secteur public, 4,6 millions de personnes œuvrent au quotidien pour fabriquer nos quotidiens, les rendre fluides et confortables. Souvent au détriment des leurs (« “Les Invisibles”, une plongée dans la France du back-office », Fondation Travailler autrement, mars 2022).

Ces invisibles, ce sont tout à la fois les métiers du lien (lien social, mais aussi du relationnel avec les centres de contact et de service à distance), du soin – à l’hôpital, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dans les crèches, notamment –, de la « continuité économique et sociale » et de la vie quotidienne (logistique et commerce, enlèvement des ordures ménagères, propreté urbaine…).

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Une forme d’éthique venue des Etats-Unis, l’éthique du « care » [le prendre soin de l’autre], tente depuis quarante ans d’attirer notre attention sur ces métiers. Si elle s’est focalisée historiquement sur l’univers des soins au sens large, une économie du « care » englobe plus largement ces métiers de « première nécessité », dont nous avons pu mesurer l’importance durant la crise sanitaire et ses confinements successifs.

Manque de reconnaissance

Si l’on consulte les résultats de l’enquête au travers du prisme de cette éthique, ses enseignements prennent une lumière hélas bien tamisée. Issue d’une réflexion féministe, l’éthique du « care » a toujours pointé, y compris pour les femmes elles-mêmes, les inégalités de genre et de revenu : certaines femmes ont en effet la jouissance d’un temps que d’autres femmes rendent possible, des femmes moins privilégiées.

De fait, 54 % des « invisibles » sont des femmes. Elles viennent accueillir ma fille le matin, tôt, à l’école, elles viennent la chercher à 16 h 30 et s’en occupent jusqu’à l’heure du bain, bref elles s’engagent auprès d’elle toute la journée pour lui apprendre à devenir une petite personne au sein d’une communauté. C’est très banal, cela se passe dans ma vie comme dans la vôtre. Cette forme d’éthique nous a ainsi appris que derrière chaque personne se cachait une autre personne sans l’aide de qui la première ne serait pas autonome. Or ces personnes sont, le plus souvent, des femmes.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Il est temps d’investir dans le secteur du soin et du lien et de revaloriser les emplois féminisés ! »

Cette éthique nous a sensibilisés également au fait que les « invisibles » manquaient cruellement de reconnaissance au sens premier du terme : 50 % des ménages dits invisibles perçoivent ainsi moins de 2 000 euros bruts par mois. A cela s’ajoute, sinon un mépris, au sens où l’entend le philosophe et sociologue allemand Axel Honneth, du moins indéniablement une piètre estime de soi, lorsque le regard de l’autre n’est pas valorisant pour les tâches que je réalise chaque jour (La Lutte pour la reconnaissance, Folio, 2013 et 1992 pour l’édition originale).

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Bruno Palier : « L’usure au travail constitue une motivation forte de départ à la retraite »

Malgré l’allongement de la durée de vie, de plus trois mois chaque année jusqu’à récemment, la plupart des Français ne souhaitent pas travailler plus longtemps. Quand l’occasion se présente, ils partent en retraite le plus tôt possible. Différentes enquêtes analysent les motivations de ces départs à la retraite.

Celle menée par la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV) en 2008, confirmée par de nombreuses enquêtes dirigées depuis par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales, souligne que ceux qui veulent bien travailler plus longtemps sont ceux qui associent travail et « réalisation de soi, épanouissement personnel, valorisation et expression de soi, utilité sociale, bien-être et lien social ». Il s’agit le plus souvent de cadres, de professions intellectuelles, de diplômés du supérieur.

En revanche, ceux, beaucoup plus nombreux, qui souhaitent partir le plus tôt possible associent travail et « fatigue au travail (physique et morale), contraintes (horaires, rythme de vie), obligations, usure, stress, pression, dégradation de l’ambiance au travail et du statut personnel ». Les enquêtes menées depuis confirment que l’usure au travail constitue une motivation forte au départ.

De nombreux travaux de sociologues montrent depuis longtemps les dégradations des situations de travail et du rapport au travail en France. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent une très forte majorité des maladies professionnelles et augmentent depuis dix ans (35 000 nouveaux cas par an). Tous ces indices soulignent le rythme toujours plus soutenu de l’organisation du travail, les contraintes organisationnelles accrues et le stress au travail.

« Course au rendement »

Il s’agit là des conséquences concrètes des stratégies retenues par la plupart des entreprises françaises. Pour rester compétitives dans une économie mondialisée, les entreprises ont choisi de ne garder que les salariés les plus productifs, et de leur demander de travailler toujours plus intensément. Si l’on regarde les taux d’emploi en France, en particulier ceux des seniors, on s’aperçoit qu’ils sont plus faibles que dans beaucoup de pays européens : 53,3 % des personnes de 55-65 ans sont en emploi en 2018, tandis que la moyenne européenne est de 58,7 % (71,4 % en Allemagne ou 77,9 % en Suède), ce qui a fait dire au candidat Macron que l’on travaillait moins en France qu’ailleurs.

Certes, moins de gens travaillent que dans d’autres pays, en particulier parmi les seniors, mais ceux qui travaillent le font de manière de plus en plus soutenue. La France combine un taux d’emploi faible des seniors et des jeunes avec une productivité horaire du travail parmi les plus élevées d’Europe (117 pour la France pour une base 100 correspondant à la moyenne européenne, données Eurostat pour 2019).

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Une amélioration des droits des travailleurs détenus

Dans le centre de détention d’Oermingen (Bas-Rhin), des détenus travaillent de 7h15 à 12h45 au sein d’un atelier de menuiserie géré par l’association Emmaüs, le 18 mars 2021.

Alors que l’élection présidentielle a mis en lumière les conditions d’exercice du droit de vote des détenus, qui ont été grandement facilitées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, une autre promesse du chef de l’Etat pour garantir une plus grande dignité aux personnes incarcérées a trouvé sa concrétisation. Un décret paru au Journal officiel du 26 avril instaure, à compter du 1er mai, un « contrat d’emploi pénitentiaire » entre le détenu et le représentant de la structure qui le fait travailler.

« C’est une évolution positive que l’on salue, mais on est encore loin de faire entrer le droit du travail en prison », observe-t-on à l’Observatoire international des prisons (OIP) – section française. La création de ce contrat d’emploi pénitentiaire avait été annoncée par Eric Dupond-Moretti en avril 2021, le ministre de la justice ayant affiché sa volonté de développer le travail en prison et de renforcer les droits sociaux du travailleur détenu.

Prévu dans la loi du 22 décembre 2021 « pour la confiance dans l’institution judiciaire », ce contrat vient remplacer l’acte d’engagement unilatéral. « L’objectif est de créer des conditions d’exercice qui se rapprochent de ce que serait une relation de travail avec un employeur, une fois que ces personnes auront retrouvé pleinement leur place dans la société », explique-t-on au sein de l’administration pénitentiaire.

Que la personne incarcérée postule pour travailler au service général de la prison (préparation des repas et distribution, petit entretien des bâtiments, etc.), à la régie industrielle pénitentiaire (fabrication d’équipements, imprimerie, etc.), à un emploi dans l’atelier en concession d’une entreprise privée ou pour une structure d’insertion par l’activité économique, le cheminement sera le même. Une fois qu’un détenu, condamné ou en détention provisoire, aura été « classé » au travail par la direction de la prison, un entretien aura lieu entre le donneur d’ordre (privé ou public) et l’intéressé.

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« Un niveau de rémunération indécent », selon l’OIP

Il s’agit d’un processus de recrutement totalement inédit. Jusqu’ici, c’est l’administration pénitentiaire qui avait la main sur le choix des personnes affectées à tel ou tel atelier ou concession, pas l’employeur. Le but est d’assurer aux entreprises une certaine liberté.

La contrepartie sera la signature d’un contrat dans lequel seront précisées la nature du travail, la période d’essai, la durée du travail, la rémunération, les conditions de paiement des heures complémentaires et les conditions de rupture du contrat. Ce dernier pouvant être suspendu en cas de baisse temporaire d’activité, ou révoqué pour motif économique ou force majeure.

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1er-Mai, en direct : « On s’approche du but », déclare Jean-Luc Mélenchon à propos d’un accord entre les partis de gauche en vue des législatives

Philippe Martinez (CGT) : « Emmanuel Macron connaît les messages, mais il faut qu’il les entende »

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, sur la place de la République à Paris, le 1er mai 2022.

Quelques minutes avant le début de la manifestation parisienne, place de la République, les leaders syndicaux ont pris la parole devant les journalistes. Ce 1er-Mai, qui intervient une semaine après le second tour de l’élection présidentielle, constitue « une opportunité exceptionnelle pour montrer que les exigences sociales sont toujours là », assure Philippe Martinez, le patron de la CGT.

En tête des attentes, il y a ce que « l’on entend dans les entreprises », c’est-à-dire les salaires, a-t-il précisé, en affirmant que la revalorisation du smic, en vigueur depuis ce dimanche (+ 2,65 %), ne suffit pas. « La qualité de l’emploi » pose aussi problème, avec un nombre croissant de « précaires ». Sans oublier, bien sûr, « la protection sociale et la question des retraites ».

« C’est une manifestation sociale », a-t-il indiqué, centrée sur les enjeux « sociaux et environnementaux », même si « l’actualité politique est riche ». Emmanuel Macron « connaît tous ces messages, mais après, il faut qu’il les entende, et ce n’est pas son point fort ».

S’agissant de la promesse du chef de l’Etat de se montrer plus à l’écoute que lors de son premier mandat, M. Martinez remarque que « ce n’est pas la première fois » que le locataire de l’Elysée tient un tel discours. « La meilleure façon de le faire changer, c’est qu’il y ait du monde aujourd’hui et dans les jours à venir, dans les entreprises, dans les services, a-t-il poursuivi. C’est ça, la meilleure réponse pour lui déboucher les oreilles. »

Au sujet de la réforme des retraites, M. Martinez pense qu’elle peut déclencher des « mobilisations avant la rentrée [de septembre], car le niveau de mécontentement (…) est très fort », en lien avec les régimes de pension, mais aussi avec les salaires. Selon lui, « il ne faut pas jouer avec le feu. Souvent, on se brûle ».

Une poignée de « gilets jaunes » étaient présents devant le service d’ordre qui entourait les dirigeants de syndicat. « On est les vrais révolutionnaires, nous », a lancé l’un d’eux, un drapeau français à la main. Lui et d’autres ont chanté les refrains habituels (« On est là », « Emmanuel Macron, président des patrons »).

Bertrand Bissuel