Archive dans 2022

Les DRH prévoient un automne de revendications

Des travailleurs en grève à l’entrée du dépôt pétrolier de TotalEnergies, près de Dunkerque, le 13 octobre 2022.

Dans beaucoup d’entreprises, la rentrée s’est faite sous le signe des rapports de force : d’après l’étude de rentrée de l’Association nationale des DRH (réalisée auprès de 462 adhérents parmi les 5 000 que compte l’association), 39 % des DRH anticipent « une dégradation des relations sociales » dans leur entreprise. « Il y a un climat relativement tendu, pas seulement en raison de l’inflation, mais à cause de la machine à laver dans laquelle nous évoluons depuis trois ans, du Covid à la guerre en Ukraine en passant par les difficultés de recrutement, rappelle Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH. Côté DRH, la pression sur les salaires est réelle, surtout depuis un mois et surtout chez les salariés les moins rémunérés. »

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En réponse à l’inflation galopante, les DRH accélèrent la fréquence des négociations salariales : une stratégie qui reste celle des petits pas, où les augmentations se succèdent tous les trois ou six mois. Certaines entreprises ont avancé leurs négociations annuelles obligatoires (NAO, 18 % selon l’étude de l’ANDRH), et celles qui ne l’ont pas fait ont souvent instauré des « clauses de revoyure » pour rediscuter en cours d’année les accords décidés début 2022. Franck Bodikian, DRH France du géant de l’intérim Manpower Group, fait la même observation : « Aucun secteur ne peut échapper à la question salariale, tous les DRH d’entreprises avec qui nous travaillons discutent augmentation avec les syndicats. Plus personne ne se contente de lâcher une prime unilatérale et d’attendre les prochaines NAO. »

Caractère exceptionnel

Les augmentations générales (AG) sont la solution la plus courante pour remédier à l’inflation. A la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), employeur de droit privé mais fonctionnant sur des fonds publics, c’est un accord de branche professionnelle (l’Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale, qui englobe 150 000 salariés) qui a revalorisé les salaires de 3,5 % au 1er octobre. « On a fait avec les moyens du bord, la CGT demande déjà à rouvrir les négociations, mais une augmentation générale à ce niveau c’est exceptionnel », souligne Jérôme Friteau, DRH de la CNAV.

« Attention, quand on augmente toujours les bas salaires, les autres ont le sentiment d’être rattrapés par ceux-ci » Franck Bodikian, DRH France de Manpower Group

Le caractère exceptionnel de la situation s’explique aussi par l’unanimité des syndicats sur la question des augmentations générales : « Tous les syndicats ont des revendications, et ne veulent pas paraître à la traîne sur le sujet de l’inflation, notamment car beaucoup d’élections professionnelles approchent, juge Benoît Serre. Même les syndicats les plus réformistes et les syndicats de cadres du type CFE-CGC. »

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Royal Mail envisage jusqu’à 10 000 suppressions de postes d’ici à l’été

Le groupe postal britannique Royal Mail, en difficulté, envisage jusqu’à dix mille suppressions de postes d’ici au mois d’août qui pourraient se traduire par six mille licenciements, a-t-il annoncé dans un communiqué, vendredi 14 octobre.

Le groupe explique qu’il a lancé un processus de consultation pour « ajuster la taille de l’entreprise en réponse à l’impact des mouvements sociaux, aux retards dans la réalisation des améliorations de productivité convenues et à la baisse des volumes de colis », qui avaient été dopés par la pandémie.

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Le Communication Workers Union (CWU), syndicat qui représente cent quinze mille postiers de Royal Mail, a organisé des grèves en septembre et au début d’octobre, et a menacé d’en organiser d’autres dans les semaines à venir. Le groupe Royal Mail devrait afficher une perte d’exploitation ajustée d’environ 350 millions de livres cette année, après avoir pris en compte l’impact des grèves passées et à venir, a-t-il précisé.

La société a déclaré qu’il pourrait y avoir davantage de suppressions d’emplois chez Royal Mail si les grèves se poursuivent pendant la période des fêtes.

Carburants : le gouvernement face au risque de contagion du mouvement social

Espérer que la mèche s’éteigne avant qu’elle n’atteigne le baril de poudre. Plus de deux semaines après le début des premières grèves dans les raffineries françaises, le gouvernement est confronté à un nouveau risque : l’éventuelle propagation du mouvement à d’autres secteurs. Cheminots, fonctionnaires, éducation nationale, centrales nucléaires… Depuis la première réquisition de quatre salariés grévistes au dépôt de la raffinerie d’ExxonMobil de Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime), mercredi 12 octobre, quelques signaux de fumée sont apparus dans une France confrontée à une pénurie de carburant. « Cette grève doit faire tache d’huile », a lancé, le lendemain, Emmanuel Lépine, le secrétaire général de la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC-CGT). Un appel à l’extension du conflit surveillé de près par l’exécutif.

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Pour le moment, l’apaisement ne semble pas en vue, le mouvement dans les raffineries se muant en appels à la mobilisation générale. Jeudi 13 octobre au soir, quatre syndicats de salariés – la CGT, Force ouvrière, la FSU et Solidaires – et quatre mouvements représentant la jeunesse – la FIDL, le MNL, l’UNEF, La Voix lycéenne – ont appelé à faire grève, mardi 18 octobre, lors d’une journée d’action interprofessionnelle pour « l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève ». Des transports aux fonctionnaires, cette grande journée de grève nationale touchera en particulier la SNCF et la RATP. Cette initiative a été prise à l’issue d’une réunion qui s’est tenue à Montreuil (Seine-Saint-Denis), au siège national de la CGT.

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, interviewé par les journalistes, à Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime), le 12 octobre 2022.

La centrale dirigée par Philippe Martinez, qui se repositionne en tête du mouvement social, a obtenu un ralliement de choix : celui de Force ouvrière. Cette organisation, qui avait pris ses distances depuis plusieurs mois avec l’intersyndicale, a décidé de la rejoindre à la suite des réquisitions de grévistes dans les raffineries : « C’est l’élément déclencheur », confie Patricia Drevon, secrétaire confédérale, en rapportant que beaucoup de ses camarades ont été choqués par la décision de l’exécutif, synonyme, à leurs yeux, de violation du droit de grève. Jeudi matin, sur BFM-TV, M. Martinez avait déclaré que le pouvoir en place « faisait une connerie » en maniant l’arme des réquisitions. « Il faut généraliser les grèves », avait-il insisté.

Le pari des leaders syndicaux

Les leaders syndicaux impliqués dans la contestation reconnaissent, en aparté, qu’ils font un pari en impulsant une journée nationale d’action dans des délais courts, moins de trois semaines après les manifestations du 29 septembre, centrées, elles aussi, sur la préservation du pouvoir d’achat. Mais ils considèrent qu’« il se passe quelque chose » dans le pays, selon la formule de Simon Duteil, codélégué général de Solidaires. En dehors de la filière carburant, d’autres secteurs sont déjà sous tension, notamment celui l’énergie. Depuis quelques semaines, des arrêts de travail, sur fond de revendications salariales, perturbent l’activité de plusieurs centrales nucléaires : Cattenom (Moselle), Tricastin (Drôme), Cruas (Ardèche), Bugey (Ain)… Des conflits qui pourraient, à la longue, compliquer la tâche d’EDF pour éviter les coupures de courant durant l’hiver.

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Plurielle, affranchie de l’entreprise, la « valeur travail » se métamorphose

Analyse. Pour celui qui ne trouve plus de carburant à la pompe pour rejoindre son entreprise, le travail est d’abord une source de revenu, comme pour le gréviste qui réclame une meilleure redistribution des bénéfices. Pour Delphine Letort qui, à 45 ans, a abandonné son « confort » dans la fonction publique pour créer son entreprise, le travail c’est « apprendre tout le temps » et « vivre dans son élément ». « Pendant vingt ans, j’ai été salariée dans un contexte de travail très favorable, mais je n’étais pas à ma place dans un bureau », dit-elle. Après des années de réflexion, c’est en 2020 qu’elle a décidé de se lancer, en plein Covid-19. Son entreprise est aujourd’hui florissante.

Quant à Mounia Moudjari, 43 ans, après quinze ans passés dans la restauration, elle a jeté l’éponge pour trouver un emploi plus respectueux de ses congés, plus proche de son domicile et de sa famille.

Enfin pour Grégoire Athanasopoulos, commercial chez The English Coach, le travail doit être et est « une partie de plaisir ». A 21 ans, planche de surf sous le bras, il est un jeune « holiworker », autrement dit un salarié en déplacement permanent à l’étranger. Envoyé à Bali par son employeur pour trois mois, il en passera autant en Thaïlande, puis quatre au Costa Rica. L’important pour lui est d’« allier projets personnel et professionnel ». Le travail est « une partie de [s]a vie », résume-t-il.

Une « tectonique des plaques »

A chaque actif, sa définition du travail ? C’est probable. « La catégorie de pensée “travail”, bien que centrale dans notre société, ne fait pas l’objet d’un accord social évident », écrivait en 2018 Marie-Anne Dujarier dans l’ouvrage collectif Qu’est-ce qu’un régime de travail réellement humain ? (sous la direction de Pierre Musso et Alain Supiot, éd. Hermann, 2018). Le constat de la sociologue est toujours valable. « Du fait des transformations sociales, la notion même de travail est en train de bouger », souligne-t-elle aujourd’hui. Dans son dernier essai, Troubles dans le travail, sociologie d’une catégorie de pensée (PUF, 2021) elle développe son propos : « Les trois significations historiques [du travail] : le continent de l’activité, celui de la production pour la subsistance et celui de l’emploi rémunéré semblent dériver chacun de leur côté » : une véritable « tectonique des plaques ».

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L’arrivée du Covid dans ce contexte troublé a plongé tout le monde dans une introspection forcée. Le sujet « travail » a été débattu, retourné, décortiqué, trituré. Quelle est l’utilité sociale de mon travail ? « On croit qu’on ne sert à rien », se souvient Mounia Moudjari à propos de son état d’esprit quand elle travaillait dans la restauration. Jusqu’à s’interroger sur son rapport au travail. Pourquoi travailler ? Pourquoi accepter les exigences de l’employeur ? Pourquoi transiger avec ses propres valeurs ?

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Ville durable, écoconception, transition des entreprises… Six masters pour « bifurquer »

LA LISTE DE LA MATINALE

Former des spécialistes de la transition écologique : voilà ce que proposent les six masters présentés ci-après, qui s’adressent à des étudiants en formation initiale comme à des personnes déjà titulaires d’un diplôme, et qui sont en quête d’une reconversion. Un projet de carrière dans l’air du temps, tant ces compétences sont recherchées, que cela soit par les entreprises, les associations ou les collectivités.

A Paris, pour imaginer la ville de demain

Comment rendre la ville durable, favoriser l’économie circulaire, l’utilisation d’énergies renouvelables, l’écoconception et l’écoconstruction ? Depuis 2019, le master « Urbanisme et aménagement : ville héritée et développement durable » de Sorbonne Université occupe ce créneau, associant les savoirs de l’architecture, de l’urbanisme et des sciences. Les étudiants qui postulent ont fait aussi bien des études littéraires que d’économie, d’architecture ou de droit. Leur point commun ? « Dans les lettres de motivation, l’intérêt pour la transition environnementale est capital », explique Loïc Prieur, codirecteur du master. Et elles sont nombreuses : entre cinq cents et six cents demandes chaque année, pour une cinquantaine de places.

Les questions liées à la transition environnementale sont introduites dès le tronc commun, notamment avec l’intervention d’enseignants de la faculté de sciences qui dispensent des cours sur la résilience et la régénération urbaine. A la sortie du parcours, les diplômés travaillent en tant qu’urbanistes indépendants, en bureau d’études ou en agence d’architecture. « Vingt pour cent de nos étudiants sont employés dès leur stage. Et 90 % ensuite, affirme Patrizia Ingallina, la directrice du master. L’urbanisme est révélateur d’enjeux sociétaux, son enseignement doit évoluer au fur et à mesure que les sociétés évoluent. La résilience urbaine est devenue un impératif. »

A Dijon, pour aider les territoires à « s’adapter »

L’été caniculaire 2022 a fait prendre conscience à de nombreuses collectivités des effets du dérèglement climatique et de la nécessité de s’y préparer. Le master « Changement climatique, adaptation, territoires », qui a ouvert ses portes à l’université de Bourgogne à la rentrée de septembre, propose d’allier l’expertise de la géographie à celle de la climatologie, afin d’aider les territoires à faire face à l’urgence écologique. Accessible notamment aux étudiants géographes, la formation vise à en faire des professionnels « capables de comprendre et de détecter le changement climatique et ses impacts environnementaux au niveau local. Puis de mettre en place des politiques d’atténuation et d’adaptation à ces effets, particulièrement en milieu urbain », résume Nadège Martiny, l’une des deux climatologues responsables de la formation.

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Grève chez TotalEnergies : « Les entreprises vont devoir lâcher du lest sur les salaires »

A la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique), le 12 octobre 2022.

Jeudi 13 octobre, au cœur de la grève qui secoue l’industrie pétrolière, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, invité de France Inter, y allait de son diagnostic : « Il y a un sujet salarial dans notre pays et (…) il faut y répondre. » Et de recommander que les branches professionnelles et les entreprises règlent la question.

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La veille, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), lors de la publication de ses prévisions, indiquait que, selon les estimations de ses experts, le pouvoir d’achat par unité de consommation des Français devrait se contracter de 1,4 % sur les deux années 2022 et 2023, « ce qui le ramènerait à un niveau proche de 2019 ». Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE, revient sur les ferments des tensions sociales observées ces dernières semaines.

L’émergence de conflits salariaux était-elle inévitable ?

Le choc induit par la hausse des prix de l’énergie correspond à un prélèvement de 3 points de PIB sur notre économie, soit entre 70 et 80 milliards d’euros. C’est énorme. Pour retrouver un impact de cette ampleur, il faut revenir au premier choc pétrolier. La question, dès lors, est de savoir comment on répartit ce coût entre l’Etat, les entreprises et leurs actionnaires et les salariés. Aujourd’hui, avec le bouclier tarifaire et les mesures de soutien, l’Etat prend près de 50 milliards à sa charge.

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Jusqu’à présent, les entreprises ont peu ou prou maintenu le niveau de leurs marges. En revanche, les salaires n’augmentent pas aussi vite que l’inflation. A la mi-2021, les salaires augmentaient au rythme de 1,5 % environ. Un an après, à la mi-2022, ce rythme avait dépassé 3 %. Mais dans le même temps, l’inflation a triplé, passant de 1,7 % à près de 6 % ! On n’a jamais eu de telles pertes de salaire réel au cours des dernières décennies. Actuellement, ce sont principalement les salariés qui encaissent le choc de l’inflation.

Comment expliquer ce décalage ? Pourquoi l’inflation n’a-t-elle pas été davantage prise en compte dans les négociations passées ?

On n’ouvre pas des négociations salariales tous les jours dans les entreprises : cela crée une forme d’inertie dans l’évolution des salaires. Il ne faut pas oublier non plus que cela faisait dix ans qu’on avait une inflation très faible, autour de 1 %. Et, à l’automne 2021, lorsque les prix des matières premières ont commencé à augmenter, on pensait que le pic d’inflation serait temporaire, qu’il était lié à la sortie du Covid. Mais la guerre en Ukraine a éclaté et l’inflation est devenue beaucoup plus durable, plus robuste et plus élevée. Les anticipations ont changé et les salariés ont clairement intégré qu’ils perdent du pouvoir d’achat.

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Raffineries : « Le carburant des revendications n’est plus les retraites comme en 2019, mais l’inflation »

Thrombose, blocage, embolie… Les mouvements sociaux d’ampleur empruntent volontiers au vocabulaire cardiovasculaire. Qu’il s’agisse d’un corps humain ou social, ils désignent la même chose : des flux qui s’arrêtent soudain et menacent tout le système. Dans une société mobile et tertiarisée comme la nôtre, tout ce qui touche aux transports est devenu sensible.

C’est pour cela que les grèves les plus spectaculaires, parce que les plus pénalisantes pour un maximum de gens, sont celles qui touchent aux moyens de déplacement – les trains, les avions et, bien sûr, la voiture, instrument existentiel dans la vie de tous ceux qui habitent hors des grandes métropoles, c’est-à-dire plus de la moitié des Français. Cela confère aux conducteurs de train, aux chauffeurs de camion, aux aiguilleurs du ciel ou aux opérateurs de raffinerie un pouvoir de négociation et un impact médiatique que leur envient bien des salariés.

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Que ce soit en 2000, sur la hausse des prix du carburant, en 2010, sur les retraites, en 2016, sur la loi travail, en 2019, sur les retraites ou, aujourd’hui, les syndicats des raffineries, et en l’occurrence la CGT, s’appuient sur ce levier pour faire progresser, au niveau national, leurs revendications en matière de salaire et de conditions de travail. Une théorie du ruissellement, cette fois assumée, qui voudrait que les gains obtenus dans ces catégories se diffusent ensuite dans le reste des entreprises. Posture historique et revendiquée. C’est la grande grève des mineurs d’Anzin (Nord), en 1884, celle du Germinal, de Zola, qui a abouti à la création des premiers syndicats dans notre pays.

Petits arrangements catégoriels

Cette fois, le message est clair, le carburant des revendications n’est plus les retraites comme en 2019, mais l’inflation. Ce n’est pas une caractéristique française. Les Etats-Unis ont échappé, le 15 septembre, à une grève monstre des transports ferroviaires de marchandises, qui aurait bloqué tout le pays. Les syndicats ont obtenu une hausse de 24 % de leurs salaires sur la période 2020-2024, dont 14 % immédiatement. C’est de cela que rêvent les grévistes des raffineries françaises, s’appuyant également sur les profits plantureux réalisés par TotalEnergies ces deux dernières années. Une revendication qui se retrouve dans la multitude des mouvements sociaux qui ont fleuri depuis la fin de l’été.

C’est aussi ce qui alimente la crainte du patronat : que tous les salaires soient, à l’instar du smic, indexés sur la hausse des prix. Cela les contraindrait, soit à rogner sur leurs marges, ce qui serait risqué à l’aube d’une récession économique, soit à augmenter leurs prix, ce qui alimenterait encore plus l’inflation. On constate déjà comment toute l’architecture des bas salaires, qui concernent la moitié des salariés français, est bouleversée par l’augmentation du smic de plus de 7 % en 2022.

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« Le Travail pressé » : les affres du « modèle de la hâte »

Dans les entreprises horticoles, les chefs de culture ont l’habitude de composer avec différentes temporalités et nombre d’incertitudes. Les fleurs sont périssables, elles peuvent être touchées par des maladies ou être confrontées à un phénomène météorologique exceptionnel… Et puis, depuis une vingtaine d’années, ces professionnels doivent aussi intégrer de nouveaux paramètres, face à une concurrence exacerbée : une « logique produit », avec une qualité attendue variant selon le marché visé, ainsi qu’une « orientation clients » destinée à devancer leurs attentes plurielles.

« Le Travail pressé. Pour une écologie des temps de travail », de Corinne Gaudart et Serge Volkoff. Les Petits Matins, 208 pages, 18 euros.

Les restructurations dans le secteur ont pu, par ailleurs, apporter de nouvelles contraintes, comme une grande réactivité attendue dans la réponse aux commandes. Conséquence : les chefs de culture croulent sous les injonctions et les imprévus et doivent aujourd’hui « résoudre [des] équations impossibles ».

Complexité et contraintes

En portant leur regard sur le secteur horticole comme sur une multitude de mondes professionnels, les ergonomes Corinne Gaudart et Serge Volkoff proposent, à travers Le Travail pressé. Pour une écologie des temps du travail (Les Petits Matins), une étude minutieuse de ce « modèle de la hâte », qui tend à s’imposer dans les entreprises.

Portées par un « productivisme réactif », les organisations intensifient procédés et exigences. La fréquence croissante des changements internes (mutations technologiques, évolution des équipes…) renforce la complexité du travail et les contraintes temporelles. Les salariés le confirment.

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Selon une enquête citée dans cet essai, la proportion de ceux dont le rythme de travail est imposé par « des normes ou délais en une heure au plus » est passée de 5 % à 29 % entre 1984 et 2016 ; ceux dont le rythme dépend d’une « demande extérieure exigeant une réponse immédiate sont passés de 28 % à 58 % ».

Conséquence : nombre de salariés doivent s’adapter, ajuster, tenter de trouver un équilibre face à des injonctions contradictoires (faire « vite et bien »). Dans les activités au contact du public, au guichet d’une caisse de retraite comme lors de la tournée d’une aide à domicile, « l’impératif de se dépêcher tout en prenant son temps est spécialement prégnant ». Des arbitrages sont indispensables, qui peuvent parfois conduire au non-respect de certaines règles de sécurité, quand la pression temporelle est trop forte.

Place aux actions invisibles

Certains peuvent même être faits au détriment de la santé du salarié. Peut s’ajouter à cela la sensation d’accomplir un « travail dégradé », et de voir sa satisfaction face à son métier diminuer. Les auteurs le rappellent : « faire un travail soigné » est un « facteur de santé et d’épanouissement ».

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Radio France veut améliorer les conditions de travail de ses précaires

Le « planning » de Radio France vit-il ses dernières semaines ? Remise en question sous la pression de jeunes journalistes réunis dans un collectif pour en dénoncer les effets pervers, cette organisation des remplacements dans les rédactions locales et nationales de Radio France est entrée en phase de refonte. Celle-ci devra être achevée à la fin de l’année, pour une application dès janvier 2023, annonce la direction de Radio France.

Mis en place pour assurer le remplacement des absents (à l’occasion de vacances, ou de congés maladie) dans les 44 stations locales de France Bleu et à Paris, le « planning » a longtemps été considéré comme une opportunité, pour les jeunes journalistes, de faire leurs premières armes professionnelles avant d’être embauché. Au fil du temps cependant, les contraintes qui lui sont liées (extrême mobilité sur le territoire, isolement, charges de travail très lourdes), ont été de plus en plus mal vécues, quand elles n’ont pas donné lieu à de réelles dérives. Une expertise du cabinet Isast sur les risques psychosociaux liés à l’organisation du travail des précaires au sein du réseau France Bleu, dévoilée en décembre, avait d’ailleurs mis au jour des « conditions de travail illégales » – ainsi que Le Monde l’avait indiqué. « Certains articles nous ont fait beaucoup de mal », reconnaît-on à Radio France.

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Une réforme en deux temps

La réforme du système se fait en deux temps. Un premier train de mesures à effet immédiat a été annoncé fin septembre, qui vise à améliorer les conditions de travail. Les rédacteurs en chef se sont vus rappeler certaines règles, comme le respect des droits aux RTT, ou l’interdiction d’affecter systématiquement les remplaçants aux week-ends, soirées et jours fériés. La création d’un « référent pigistes », soit un interlocuteur avec qui échanger de ses éventuelles difficultés, est salué par les représentants des précaires. D’autres mesures sont censées suivre, comme la revalorisation du tarif de la pige ou du « barème logement », destiné à tenir compte de la cherté des locations dans les villes touristiques.

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Une deuxième phase, qui doit s’attaquer aux fondements mêmes du système, s’est ouverte cette semaine avec la consultation des écoles de journalisme, qui envoient à Radio France des professionnels frais émoulus chaque année. « Sans faire de généralités, nous constatons que le planning ne représente plus pour eux une forme de Graal absolu », explique Pascal Guénée, directeur de l’IPJ (Institut pratique de journalisme) et président de la Conférence des écoles de journalisme (CEJ). Alors que des bataillons de journalistes ont, des années durant, sillonné la France au gré des contrats mais au risque de leur vie privée, les nouvelles générations s’interrogent sur les sacrifices qu’elles sont appelées à consentir.

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