Archive dans 2022

Le « partage de la valeur », chantier miné pour le gouvernement

Lors de la journée de mobilisation intersyndicale et de grève interprofessionnelle « pour l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève », à Paris, le 18 octobre 2022.

Flambée des prix de l’énergie, valse des étiquettes alimentaires, coût du carburant qui reste élevé : en cet automne rongé par l’inflation, les revendications autour de la vie chère restent fortes, et continuent de tenir en alerte le gouvernement. Après la grève dans les raffineries de TotalEnergies en octobre, qui avait occasionné des pénuries dans les stations-service et nécessité un recours aux réquisitions de personnel, la journée de mobilisation syndicale de jeudi 10 novembre avait pour mot d’ordre les hausses de salaires.

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Alors que l’exécutif a déjà dépensé plus de 100 milliards d’euros pour contrer les effets de l’inflation (bouclier tarifaire, chèques énergie…), le sujet, qui s’est recentré du pouvoir d’achat aux rémunérations proprement dites, est épineux. L’inflation devrait dépasser les 5 % sur l’année, alors que les salaires n’ont progressé que de 3,7 % sur un an, selon des données provisoires publiées jeudi par le ministère du travail. Seules exceptions : les minima sociaux et le smic – qui a progressé de près de 8 % en un an – ont été indexés sur l’inflation. « Le gouvernement a déjà agi dans les autres domaines : prix de l’énergie, revalorisation des minima sociaux, point d’indice des fonctionnaires… Mais la pression monte, il se sent obligé de faire quelque chose », résume l’économiste Philippe Martin, doyen de l’Ecole d’affaires publiques à Sciences Po.

Dans son interview sur France 2, le 26 octobre, Emmanuel Macron avait fermement écarté la possibilité d’indexer les salaires sur l’inflation – un mécanisme abandonné par la France en 1983 et qui fait craindre d’alimenter une « boucle prix-salaires », autrement dit de jeter de l’huile sur l’incendie inflationniste. Mais le chef de l’Etat a remis dans le débat une promesse de campagne du printemps : le dividende salarié. « Quand vous avez d’un seul coup une augmentation des dividendes pour vos actionnaires, alors l’entreprise doit avoir un mécanisme qui est identique pour les salariés », avait-il expliqué, alors que le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, martèle régulièrement que c’est aux entreprises d’augmenter les salaires, après les milliards dépensés par l’Etat durant la crise du Covid-19 et depuis le début de la guerre en Ukraine.

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« Cohérent avec l’idéologie macroniste »

Jusqu’ici, le gouvernement a surtout mis en avant les mécanismes développés durant le premier quinquennat pour associer les salariés aux performances des entreprises : l’intéressement, dont le recours a encore été assoupli dans la loi pouvoir d’achat cet été, la participation (obligatoire à partir de 50 salariés) et la « prime Macron » défiscalisée. Renommée « prime de partage de la valeur » depuis cet été et le triplement de son plafond (de 2 000 à 6 000 euros que peut verser l’employeur), cette dernière a vu son montant moyen passer de 550 à 710 euros et a déjà bénéficié à 2,5 millions de salariés cette année, a opportunément indiqué Bercy cette semaine.

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Emploi : premières pistes et premières réserves autour de France Travail

Le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, Olivier Dussopt, discute avec la première ministre, Elisabeth Borne, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 3 novembre 2022.

Les contours du futur service public de l’emploi se dessinent peu à peu. Le ministère du travail a présenté ses premières « pistes de propositions » au sujet de France Travail lors du deuxième « comité des parties prenantes », mardi 8 novembre, un mois et demi après le premier. Les partenaires sociaux, les collectivités locales, les associations et les acteurs de l’emploi en savent donc un peu plus sur ce qui les attend potentiellement. Et, à environ un mois de la fin de la mission de préfiguration, départements et syndicats font part de leurs inquiétudes et de leurs réserves sur plusieurs aspects.

Le haut-commissaire à l’emploi, Thibaut Guilluy, chargé de cette phase préparatoire, a partagé les idées explorées pour la création de France Travail, qui doit réformer le service public de l’emploi en réorganisant ses différents acteurs autour d’un guichet unique pour améliorer l’orientation des demandeurs d’emploi. Une dizaine d’expérimentations locales seront lancées début 2023 pour un déploiement du dispositif un an plus tard.

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Le projet vise notamment à améliorer l’accompagnement des personnes sans emploi, en particulier les plus éloignées du marché du travail. Outre le projet de réforme du revenu de solidarité active (RSA) pour le conditionner à une quinzaine d’heures d’activité, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le gouvernement cherche, selon un document de travail que Le Monde a pu consulter, à améliorer les services avec un « délai de réponse sous quarante-huit heures » et des « plages de rendez-vous d’urgence ». « Des offres de solutions structurantes (contrats aidés) en volume suffisant sur l’ensemble du territoire » pourraient ainsi être proposées tout comme des « partenariats renforcés avec les privés », telles que les associations.

« Notre vocation n’est pas de les sanctionner »

Les partenaires sociaux ont néanmoins appelé à la vigilance sur cette question de l’accompagnement puisque l’assurance-chômage joue un rôle dans celui des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi. Or, une négociation doit bientôt s’ouvrir sur la gouvernance de l’Unédic, l’organisme paritaire qui gère le système. « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs et nous sommes plusieurs à avoir interpellé le haut-commissaire pour demander à ce que soit discutée la gouvernance de l’assurance-chômage avant toute chose », prévient Denis Gravouil, de la CGT. « Il ne faudrait pas que le document de préfiguration présenté en décembre préempte la négociation sur la gouvernance », ajoute-t-on du côté de la CFDT.

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« Ferme ta gueule », « casse-toi »,… un ex-manageur de Tesla France qui contestait son licenciement pour comportement « déplacé » a été débouté en justice

« Nous ne sommes pas des chochottes, mauviettes ou tarlouzes chez Tesla » ; « tu dois arrêter de travailler seulement si tes yeux te font mal à cause de ton écran » ; « seuls les plus forts psychologiquement et physiquement sont capables et méritent de rester chez Tesla ». Reflétant une ambiance de travail pour le moins malsaine, toutes ces déclarations sont celles d’un ex-manageur de Tesla France, rapportées dans une décision de la cour d’appel de Versailles du 8 septembre.

Mis à la porte par le constructeur automobile du fait de son « comportement à tout le moins déplacé », pour reprendre les termes employés dans sa lettre de licenciement, cet ancien chef des ventes contestait son éviction devant les tribunaux. Le 8 septembre, la cour d’appel de Versailles a rendu sa décision prorogée sur cette affaire. Les juges ont suivi en partie le conseil de prud’hommes de Nanterre, qui avait débouté le salarié de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision de la cour d’appel de Versailles livre les détails de cette affaire rocambolesque. Après avoir été engagé en Angleterre par Tesla en tant que conseiller commercial en 2011, l’appelant est muté deux ans plus tard au sein de la filiale française. Son travail donne manifestement satisfaction, puisque l’employé se voit rapidement promu responsable de magasin dans une des succursales de la société.

Des violences physiques et menaces verbales

Mais, en juillet 2015, Tesla France finit par le licencier pour faute grave, à la suite des accusations portées par ses collègues et recueillies lors d’une enquête interne. Dans la lettre de licenciement, Tesla France mentionne des « faits très graves ». Le document retrace une série d’agissements violents, à l’origine d’une ambiance de travail délétère. Lors d’un événement d’entreprise, le manageur a « détruit » la chambre d’hôtel d’un de ses collègues. A plusieurs reprises, il a jeté le sac à main d’une de ses employées à la porte de la boutique, « arraché » le téléphone portable des mains d’un collègue ou encore balancé les lunettes d’un autre salarié.

Lire l’enquête du « Monde » : Article réservé à nos abonnés Le directeur du service d’information du gouvernement critiqué par ses équipes pour son management « brutal »

A ces violences physiques viennent s’ajouter des menaces verbales. Le responsable de magasin injuriait régulièrement ses employés, parfois en public : « Ferme ta gueule », « Casse-toi », « Ne fais pas ta tête de conne » ; au sujet du conjoint d’une salariée : « Ton copain ressemble à un PD », sont autant d’insultes mentionnées dans la lettre de licenciement.

Le manageur faisait également pression sur ses collègues pour qu’ils ne comptent pas leurs heures de travail. L’ancien responsable a exigé d’un salarié qu’il travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans dormir, et déclaré à plusieurs reprises à un autre employé qu’il « fallait travailler sept jours sur sept, de 8 heures à minuit » si les nécessités de l’entreprise l’exigeaient.

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Réseau dans le réseau : les « clubs étudiants » des MBA prospèrent

Dire à des cadres, futurs dirigeants, que la décroissance est nécessaire. Que le temps de travail doit être drastiquement réduit. Qu’il faut mettre fin à la publicité et repenser nos modèles économiques… A l’Insead, où de jeunes cadres viennent du monde entier passer un MBA pour donner un coup de boost à leur carrière, de tels sujets ne sont plus tabous.

Un vendredi de novembre, sur le campus de Fontainebleau (Seine-et-Marne), Timothée Parrique, chercheur en économie écologique à l’université de Lund, en Suède, a apporté une parole rare en école de commerce. Invité à une table ronde sur « l’exploration des nouveaux business models, pour une économie durable », il a bousculé la cinquantaine d’étudiants présents. « Beaucoup de jeunes diplômés n’ont pas envie de faire perdurer le système actuel. C’est grâce à eux que l’on pourra transitionner vers une nouvelle économie. A vous d’inventer celle que vous avez envie de voir ! », conclut-il.

Cette conférence sur l’économie de la décroissance a été coorganisée par l’école de commerce, dans le cadre d’une semaine consacrée aux objectifs de développement durable fixés par l’ONU pour 2030, et par un club étudiant du MBA, le club Environment & Business. Son président, Yann Gourio, ne regrette pas l’expérience : « Il est important d’inviter des personnes comme Timothée Parrique, afin d’apporter d’autres visions, en particulier à ceux qui n’ont pas l’habitude d’entendre ces messages. Et au vu des réactions, cela a l’air d’avoir fonctionné… »

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Table ronde « Exploring new business models for a sustainable economy », à l’Insead, le 4 novembre 2022.
Yann Gourio, président du club « Environment & Business », à l’Insead, à la fin de la table ronde « Exploring new business models for a sustainable economy ».

S’il rassemble une quinzaine d’étudiants, ce club n’est que l’un des 43 clubs actifs de l’Insead. HEC Paris en compte une vingtaine, juste pour les MBA. Dans une école comme dans l’autre, chaque étudiant fait partie d’au moins l’un d’entre eux.

Alors, pourquoi ces professionnels ambitieux qui choisissent de faire une pause dans leur carrière – et de mettre de 20 000 à plus de 100 000 euros dans un MBA – s’investissent-ils dans des associations étudiantes ? Pour le réseau, bien sûr. La majorité de ces clubs sont sectoriels (industrie, luxe, consulting, fintech…), soit l’occasion pour les élèves de créer du lien entre pairs intéressés par ces secteurs. En organisant des événements et des rencontres, ils peuvent également nouer des relations avec des professionnels en activité. « Pour eux, c’est un très bon moyen de développer leur réseau. Chez nous, beaucoup de diplômés de MBA choisissent par exemple l’univers du conseil, le club sur le consulting est donc très populaire, tout comme celui tourné vers le private equity, dans la finance, qui a été fondé il y a dix-huit ans », détaille Katja Boytler, responsable de la vie étudiante à l’Insead.

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Management brutal, surveillance constante, patrons voyous… leur licenciement a été expéditif

Le courriel sans appel de Twitter

Elon Musk a pris le contrôle de Twitter après une longue bataille juridique.

« A 9 heures, le 4 novembre, tout le monde recevra un e-mail intitulé : votre rôle chez Twitter. (…) Si votre emploi n’est pas impacté, vous recevrez une notification sur votre adresse professionnelle. Sinon, sur votre adresse personnelle. » Le lundi 3 novembre, les 7 500 salariés du réseau social apprenaient par voie de messagerie l’imminence d’un plan social susceptible de toucher la moitié d’entre eux (depuis, certains salariés remerciés ont été rappelés…). Un procédé à l’image du nouveau patron, le milliardaire Elon Musk, qui avait déjà dissous le conseil d’administration et remercié plusieurs directeurs.

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La visio malheureuse de Better.com

Vishal Garg, patron de Better.com.

« Si vous participez à cet appel, c’est que vous faites partie des malchanceux qu sont licenciés. » Au mois de décembre 2021, 900 em­ployés de Better.com, une plate-forme américaine de prêts en ligne, apprennent sur Zoom leur licenciement. Le choc est immense : l’entreprise vient de lever 750 millions de dollars. Face au tollé, le PDG, Vishal Garg, connu pour son management brutal et son langage fleuri, s’éclipse quelques semaines. Le temps de « réfléchir à son style de leadership » avec l’aide d’un coach, d’après une lettre du comité de direction dévoilée par le Wall Street Journal.

L’implacable algorithme d’Amazon

Le site Amazon de Baltimore, dans le Maryland.

Une enquête du média américain The Verge révèle qu’entre 2017 et 2018 le géant de la logistique a licencié 300 manutentionnaires de son site de Baltimore sur décision d’un algorithme. Une pratique dont Amazon serait coutumier. Dans les entrepôts, le travail fait l’objet d’une surveillance constante : le temps consacré à chaque geste et aux pauses est analysé par des machines. En cas d’écart avec les objectifs, après un avertissement, le système informatique annonce lui-même au salarié que son contrat de travail est rompu, sur la seule foi des statistiques.

Le surprenant SMS de Bodyguard

Eddir Loungar, le PDG de la société Bodyguard.

Le 16 avril 2018, les 430 salariés de l’entreprise de sécurité Bodyguard, à Evry (Essonne), reçoivent par SMS l’ordre de « cesser toute activité à compter de 19 heures ». La raison ? La liquidation de l’entreprise, prononcée par le tribunal de commerce. « On n’a pas reçu de lettre de licenciement. On ne sait pas si on doit reprendre le boulot. Est-ce qu’on va avoir des indemnités ? », s’alarme au « 13 heures » de France 2 un agent, quinze ans d’ancienneté, qui ignorait tout des difficultés de son employeur, Eddir Loungar, le PDG de l’entreprise. Les salariés obtiendront leur licenciement économique quelques semaines plus tard.

Les RTT piégées de Flodor

Des employés de l’entreprise de chips Flodor devant leur usine à Péronne (Somme), le 22 août 2003.

L’été 2003, la direction de Flodor, emblématique fabricant de chips « blondes à croquer », impose des RTT aux 180 salariés de son usine de Péronne (Somme). Le 21 août, un ouvrier découvre une équipe en train de ­charger les machines sur des camions, direction l’Italie, où siège la maison mère, Unichips. L’usine de Flodor perd deux de ses cinq chaînes de production. Les salariés soupçonnent le groupe de vouloir délocaliser et fermer sa filiale en France. La suite leur donne raison. Un an plus tard, Flodor se déclare en cessation de paiements. Tous les employés perdent leur ­travail.

Les crises percutent la politique industrielle voulue par Emmanuel Macron

Emmanuel Macron s’adresse aux dirigeants des 50 sites industriels qui émettent le plus de gaz à effet de serre en France, au palais de l’Elysée, à Paris, le 8 novembre 2022.

Cet article peut être écouté dans l’application «   La Matinale du Monde  »

Une grand-messe aux allures de mobilisation générale. L’invitation, mardi 8 novembre, sous les ors du palais de l’Elysée, des patrons des cinquante sites les plus polluants en France, a été l’occasion pour Emmanuel Macron de conclure un « pacte de décarbonation » avec les industriels. Mais aussi d’assurer « l’équipe de France de l’industrie », selon les mots du ministre en charge de ce secteur, Roland Lescure, que le gouvernement reste à son chevet au milieu des turbulences économiques et géostratégiques.

La flambée des prix de l’énergie en Europe provoquée par la guerre en Ukraine, mais aussi l’accélération des impératifs de transition écologique un peu partout dans le monde viennent en effet mettre à mal les ambitions tricolores pour l’industrie. Dans le cadre de sa politique de l’offre, le président de la République avait fait de la réindustrialisation un marqueur de son premier quinquennat : sommets Choose France chaque année à Versailles à destination des grands investisseurs internationaux, volet industrie du plan de relance post-Covid-19 (30 milliards d’euros sur les 100 milliards du plan), plan France 2030 dévoilé en grande pompe fin 2021. Son second mandat se voulait placé sous les mêmes auspices. En témoigne la baisse de 10 milliards d’euros d’impôts de production (par le biais de la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) qui, même si elle a finalement été étalée sur deux ans, répond à une revendication de longue date des milieux d’affaires.

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« Depuis 2016 et la fin du mandat Hollande [pacte de responsabilité, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi…], les indicateurs sont repassés dans le vert en termes d’implantation d’usines, de relocalisation ou de création d’emplois. Cela n’était plus arrivé depuis 2009 », indique David Cousquer, gérant du cabinet Trendeo, qui publie régulièrement un baromètre sur le sujet. Et si la crise liée au Covid-19 a mis un coup d’arrêt à cette expansion, elle a aussi renforcé les velléités de souveraineté industrielle française. Au troisième trimestre 2022, l’emploi industriel a encore augmenté de 0,4 % (+12 500 postes), à son plus haut niveau depuis le premier trimestre 2015, selon l’Insee.

« Risque de décrochage industriel »

Le fait que l’Europe se retrouve, à la différence de la Chine et des Etats-Unis, plongée dans une crise énergétique inédite, mais aussi que les impératifs écologiques incitent à un retour du protectionnisme, a tout remis en cause. Aux Etats-Unis, l’Inflation Reduction Act (370 milliards de dollars) vise notamment à subventionner les productions locales vertes (véhicules électriques…). La Chine investit aussi massivement pour relancer son économie. Sans oublier la concurrence intra-européenne, avec les 200 milliards d’euros mis sur la table par l’Allemagne pour protéger ménages et entreprises, alors que la taxe carbone aux frontières de l’Union se fait toujours attendre.

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« Le Grand Déclassement » : faire face au sentiment de déchéance

Le livre . Lorsque l’on se penche sur le déficit de reconnaissance dont se plaignent les salariés, une évidence s’impose : celui-ci est plus prononcé en France que dans de nombreux pays étrangers. « Vingt points de plus qu’en Grande-Bretagne et au-dessus de trente points de plus qu’en Allemagne ou aux Etats-Unis », détaille Philippe d’Iribarne, citant une étude sur le sujet.

Pour comprendre cette spécificité hexagonale, et plus largement l’importance du sentiment de perte de sens qui peut toucher les salariés français, le sociologue a souhaité se pencher sur leur rapport au travail. Quelle place prend-il, au sein de l’entreprise, mais également hors de ses murs, dans la société ? Son ouvrage, Le Grand Déclassement (Albin Michel) se présente comme une recherche des origines du « malaise actuel ».

L’auteur part d’un constat : « La position que l’on occupe dans la société (…) doit beaucoup au caractère plus ou moins noble des fonctions que l’on exerce, de la formation que l’on a reçue. » En somme, présenter son métier en France, ce n’est pas seulement évoquer son activité professionnelle, c’est également se définir soi-même au sein de son espace social, et affirmer son rang.

Dans son essai, M. d’Iribarne remonte le cours des siècles pour expliquer la force et l’ancrage d’une telle approche. Il montre aussi son renouvellement perpétuel : « La création, en plein XXe siècle, de la catégorie si typiquement française des “cadres” constitue une parfaite illustration de ce mouvement d’invention de catégories aussi ardentes à défendre leur autonomie vis-à-vis de la hiérarchie que la grandeur de leur état. »

Autonomie restreinte

Problème : les transformations contemporaines qui secouent le monde de l’entreprise menacent l’édifice ainsi constitué. La dégradation du sens du travail dans notre pays trouve ainsi en grande partie sa source dans « l’évolution des modes de délégation et de contrôle, le poids des procédures et de la bureaucratie, le sentiment de sous-utilisation des compétences et des capacités d’initiative ». Au fil des années, l’autonomie, si importante pour nombre de salariés français, a pu se restreindre.

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Beaucoup d’entre eux ont ainsi la sensation que leurs marges de manœuvre dans l’application des tâches se sont réduites, que ce qui constitue « l’honneur du métier » s’est trouvé menacé par le risque pénal croissant (parmi les pompiers par exemple). Le sentiment de déclassement et d’absence de reconnaissance professionnelle guette, alors qu’il « s’est produit un développement vertigineux de l’enseignement supérieur, très au-delà de la croissance du nombre de postes perçus comme dignes d’être occupés par ses diplômés ». Une bonne partie des cadres vit depuis plusieurs décennies une forme de déchéance, appuie M. d’Iribarne.

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Changer le système de l’intérieur plutôt que déserter : l’engagement social et environnemental des entreprises attire les jeunes

Debout face à une assemblée de quelque deux cents membres de l’association Collège des directeurs de développement durable (C3D), qui réunit les responsables du développement durable de presque autant d’entreprises de toutes tailles, Thibaud, 27 ans, a le verbe haut : « Pourquoi vos boss ne bougent pas aussi vite que vous le voudriez et qu’ils le devraient ? Parce qu’ils doivent se prendre un coup de pied au cul pour le faire. Il ne s’agit pas de dire que le réformisme, c’est mal, ni que ce que vous faites, c’est mal, mais, désormais, une révolution est nécessaire et inévitable… »

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La scène a lieu au cœur de l’été à la Fondation GoodPlanet, dans le bois de Boulogne (16e arrondissement de Paris), qui accueille le colloque annuel du C3D. Deux mondes s’y s’opposent : d’un côté, des salariés convaincus que les services de responsabilité sociale et environnementale (RSE) ou de développement durable dans lesquels ils travaillent ne sont pas « accessoires » et contribuent à répondre aux enjeux environnementaux en revoyant l’activité et le business model des entreprises ; de l’autre, Thibaud, jeune militant du collectif écologiste Dernière Rénovation. Il est venu rappeler aux premiers l’urgence d’agir face à la crise environnementale. « On n’a plus le temps de prendre le temps du changement lent et de la conviction, comme ils le font, résume-t-il, en aparté. S’ils sont vraiment sensibles aux questions écologiques, ils doivent entrer en résistance dans ou à l’extérieur de l’entreprise. »

Une fois n’est pas coutume, cette prise de parole ne se fait pas sous la forme de happening, comme le tout jeune collectif en a l’habitude, mais à l’invitation de Fabrice Bonnifet. Charismatique président du C3D, ce dernier a des propos relativement radicaux sur l’urgence de la transition écologique des entreprises, eu égard à son poste exposé de responsable du développement durable du groupe Bouygues. « Le discours de ces jeunes nous aide. La pression à l’embauche qu’ils mettent sur les entreprises, de l’extérieur, en disant “Désertez les boîtes écocides !”, est complémentaire de celle que nous essayons de déployer en interne pour les faire évoluer », affirme-t-il. De quoi leur donner du grain à moudre et matière à réflexion pour le reste du colloque…

« De vagues recommandations dans un PowerPoint »

« Moi aussi j’ai été dans ce paradigme de la RSE… », reprend Thibaud, qui a « bifurqué » après des études à Sciences Po et deux années d’exercice professionnel « sur des missions de type RSE » dans un grand groupe publicitaire. « Les ambitions louables du service s’amenuisaient un peu plus à chaque strate managériale supplémentaire, jusqu’à devenir, in fine, de vagues recommandations dans un PowerPoint de la direction… », déplore-t-il.

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« La Voix du Nord » pourrait licencier une centaine de salariés

 Le siège du quotidien régional « La voix du Nord », à Lille, le 4 janvier 2017.

« Si nous avions pu faire ce plan en 2021, il aurait été plus modéré. » Cette parole du PDG de La Voix du Nord, Michel Nozière, a le mérite de la transparence. Prévue dès 2021 mais décalée pour cause de simultanéité avec le plan dit de modernisation des imprimeries (PRIM), une vague de départs de grande ampleur se dessine au quotidien basé à Lille (Nord). « On savait que ça se profilait, mais on ne pensait pas que ça arriverait si vite », laisse tomber un représentant syndical.

Une centaine de postes (sur 600 selon les syndicats, 660 selon la direction) pourrait être concernée, dont 70 à la rédaction (qui compte 310 personnes). L’intersyndicale (SNJ, SNJ-CGT, CFDT, Filpac-CGT et CFE-CGC), qui a publié un communiqué le 7 novembre pour dénoncer ces projets, évoque « un plan social d’une violence inédite ».

« Ce plan n’exclut pas les départs contraints »

« En 2017, lors du précédent plan de départs, 25 % de l’effectif était concerné, explique l’un des représentants syndicaux (132 postes avaient été supprimés, contre 178 annoncés). C’était une grosse saignée, mais sans commune mesure avec aujourd’hui car il s’accompagnait d’un projet rédactionnel. Cette fois, on est dans une phase de destruction. » Le nombre d’éditions, déjà passé de vingt à dix-sept en 2020 en raison du Covid-19 (et jamais rétabli par la suite), serait ramené à treize.

Le bureau de Calais, pourtant la plus grosse ville du Pas-de-Calais, serait fermé, les pages locales mutualisées avec celles de l’autre quotidien de la zone, Nord Littoral, également propriété du groupe belge Rossel – « une insulte pour l’équipe en place et tout le travail réalisé », souligne le communiqué. Divers services sont promis à la disparition (le « prémédia » qui avait déjà failli être englouti en 2017, la centrale de réservation, et une partie des services généraux) et « pour la première fois, ce plan n’exclut pas les départs contraints » proteste l’intersyndicale. Autant de précisions que le PDG ne dément pas, mais ne souhaite pas détailler, afin de ne pas commettre de délit d’entrave, avant le comité social et économique (CSE) du 13 décembre.

Contexte : Article réservé à nos abonnés A La Voix du Nord, des journalistes « abasourdis »

« On est à l’os »

Dernier point d’achoppement, sinon de rejet complet de la part de l’intersyndicale : le projet de création d’une « agence de presse » interne (comme il en existe une à La Dépêche du Midi, à Nîmes). Une façon, anticipe-t-elle, d’« externaliser une partie des tâches de la rédaction », et d’embaucher les futurs arrivants à des conditions moins-disantes. Sept postes pourraient être créés dans l’opération, sans qu’ils puissent prétendre compenser les diminutions d’effectifs : « On est à l’os », résume une journaliste. « Ce sont des prénégociations », insiste Michel Nozière, sans s’avancer davantage.

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Une filiale de Vinci mise en examen dans le cadre d’une enquête sur les conditions de travail de ses ouvriers au Qatar

Des employés de QDVC, la branche qatarie du géant français de la construction Vinci, sur un chantier de la capitale Doha, en mars 2015.

A moins de deux semaines du lancement de la Coupe du monde de football au Qatar, une filiale du groupe Vinci ayant mené des chantiers dans le pays a été mise en examen, mercredi 9 novembre, dans le cadre d’une enquête sur les conditions de travail d’employés sur certains chantiers liés au Mondial 2022 au Qatar.

Vinci constructions grands projets (VCGP) a été mise en examen par un juge d’instruction de Nanterre (Hauts-de-Seine) des chefs de « soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité », d’« obtention de la fourniture d’une personne en situation de vulnérabilité ou de dépendance de services, avec une rétribution sans rapport » et de « réduction en servitude », a fait savoir le parquet de Nanterre.

Lors de sa convocation devant le juge d’instruction, le représentant du groupe français de BTP s’est « borné à exprimer une protestation portant sur l’insuffisance du délai consenti aux avocats pour élaborer les réponses utiles et le choix intempestif de la date à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du monde de football », a fait savoir son conseil, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi.

VCGP « va immédiatement former un appel tendant à voir prononcer par la chambre de l’instruction de Versailles la nullité de cette mise en examen », a averti l’avocat, en raison notamment d’une infraction visée qui n’existait pas dans le code pénal au moment des faits reprochés. Le magistrat a cependant « réduit la période de prévention » de cette infraction pour cette raison, a expliqué l’avocat.

Lundi, en annonçant dans un communiqué sa future convocation par la justice française, le groupe français de BTP avait nié les accusations de « travail forcé » et de « traite d’êtres humains » sur ses chantiers qataris. Il déclarait par ailleurs n’avoir construit aucun stade ni hôtel en vue de la Coupe du monde, affirmant que ses projets ont porté « à l’essentiel sur des infrastructures de transport ».

« Vous pouvez être [tenus] responsables de ce qui se passe dans vos filiales »

Le dossier remonte à 2015, et une première plainte a été classée sans suite en 2018. Mais des plaintes émanant des associations Sherpa et Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), ainsi que de sept ex-employés indiens et népalais de ces chantiers, ont entraîné l’ouverture d’une enquête par un juge d’instruction en novembre 2019. Les plaignants accusent Vinci, Vinci construction grands projets (VCGP), sa filiale Qatari diar Vinci construction (QDVC) et leurs représentants, de « réduction en servitude, traite des êtres humains, travail incompatible avec la dignité humaine, mise en danger délibérée, blessures involontaires et recel ».

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« On se félicite de cette mise en examen. C’est la première fois qu’une maison mère est mise en examen sur ces fondements pour les activités d’une de ses filières à l’étranger. Le magistrat envoie un signal fort pour les acteurs économiques : “Vous pouvez être [tenus] responsables de ce qui se passe dans vos filiales” », s’est réjouie mercredi Sandra Cossart, directrice de Sherpa France.

Et d’ajouter que c’est « un signal fort de l’institution judiciaire » car « ce n’est pas rien, en France, de s’attaquer à une entreprise du CAC40 ». Mais « ce n’est pas une victoire, car ce n’est qu’une mise en examen, l’enquête continue », a-t-elle précisé.

Trois chantiers

Pour organiser la compétition de football, le Qatar a confié la concrétisation de gigantesques travaux de construction (stades, routes, hôtels…) à une armée de travailleurs migrants. Dès les premiers coups de pioches, des ONG ont dénoncé les conditions de travail imposées à ces ouvriers.

Trois chantiers de Vinci sont décriés par ces plaignants : celui du « métro léger » ralliant Doha à Lusail, ville nouvelle qui accueillera la finale de la Coupe du monde de football ; celui des parkings souterrains de Lusail ; ainsi que ceux du chantier de l’hôtel de luxe Sheraton, au cœur de Doha.

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Selon les témoignages de plaignants collectés par Sherpa, que Le Monde avait pu consulter en novembre 2018, les ouvriers effectuaient jusqu’à soixante-dix-sept heures de travail par semaine sous des températures comprises entre 40 et 50 degrés, pour une rémunération très faible. « A cause de la chaleur et de l’humidité, j’ai vu des personnes vomir, et tomber comme ça sur le sol », racontait l’un d’eux. Les témoins évoquaient également des confiscations de passeports, mais aussi avoir été entassés dans des chambres exiguës aux sanitaires insuffisants et menacés de licenciement ou de renvoi dans leur pays en cas de revendications.

Un audit réalisé en janvier 2019 par plusieurs organisations syndicales (CGT, CFDT et CFE-CGC) au sein des activités qataries de Vinci a néanmoins conclu à l’existence de bonnes pratiques sur place en matière d’emploi. La directrice de l’ONG Sherpa estime cependant que, s’il y a eu des « améliorations volontaires (…), ça ne dédouane pas l’entreprise des actions répréhensibles qui auraient été commises entre 2011 et 2014 ».

Le Monde avec AFP et Reuters