Tutorat, stages d’été, admissions passerelles… Les dispositifs consacrés à la diversité n’ont jamais été aussi nombreux dans les grandes écoles. Pourtant, leur composition sociale est toujours aussi peu représentative de la société.
Les employeurs semblent avoir bien besoin d’un coup de pouce pour encourager davantage la pratique des mobilités douces chez leurs salariés. A en croire une enquête du député écologiste Matthieu Orphelin, mise en ligne sur son site le 8 février, seuls 39 % des groupes du CAC 40 ont mis en place un forfait mobilité pour les personnes se rendant au travail avec des moyens de transports « verts » (vélo, trottinette…). « C’est clairement très insuffisant », se désole Matthieu Orphelin.
La loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 impose aux entreprises de plus de 50 salariés d’inclure le sujet de la mobilité durable dans les négociations annuelles obligatoires et offre aux employeurs la possibilité de mettre en place ce forfait, facultatif et défiscalisé. Mais les entreprises y vont encore à reculons. Une enquête de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) publiée en avril 2021 constatait aussi que le forfait mobilités durables n’a été mis en place que par 30 % des employeurs sondés.
Portée par la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), la mise en place du programme Objectif employeur pro-vélo (OEPV) vise à inciter les entreprises à faire un pas supplémentaire en faveur des mobilités douces. « Alors que l’on passe la plus grande partie de notre vie au travail, il y avait encore un trou au niveau des entreprises dans le filet des aides pour la pratique du vélo », est d’avis Annie-Claude Thiolat, vice-présidente de la FUB et administratrice du programme OEPV.
Lancé en septembre 2021, l’OEPV accompagne les employeurs et offre des aides financières pour les aider à mettre en place des services consacrés à la pratique du vélo. Avec, à la clé, un label employeur pro-vélo.
« Les syndicats pas encore assez actifs »
Annie-Claude Thiolat nuance le désintérêt apparent des entreprises pour la mobilité durable. Pour la vice-présidente de la FUB, l’impulsion pour mettre en œuvre des équipements spécifiques pour la pratique du vélo dans les entreprises vient « autant des patrons que des salariés ». Des entreprises « de toutes les tailles » se mobilisent en faveur des déplacements à vélo. En revanche, « les syndicats ne sont pas encore assez actifs sur ce sujet », estime la responsable associative.
Quant aux « réserves » parfois constatées chez les employeurs, elles tournent d’abord autour de la « sécurité du trajet ». Un accident sur un parcours domicile-travail, même à vélo, est considéré comme un accident du travail. « Mais les entreprises ne s’intéressent pas aux salariés qui viennent à moto, alors que l’on sait que ce mode de transport est particulièrement accidentogène », pointe Annie-Claude Thiolat.
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Elon Musk va encore se plaindre que la Californie le traite mal. Le milliardaire, qui a quitté l’Etat en 2021 en déplorant que les impôts y soient trop élevés et les réglementations trop tatillonnes, fait maintenant face à un procès pour discrimination raciale dans l’usine Tesla de Fremont, dans la baie de San Francisco, où sont fabriquées la majorité de ses voitures électriques.
Ce n’est pas la première fois que la société Tesla Motors est poursuivie pour discrimination, mais, cette fois, la plainte émane non pas d’individus isolés mais d’une agence officielle de l’Etat de Californie : le département chargé de l’égalité devant l’emploi et le logement. Depuis 2013, ce bureau est doté du pouvoir de poursuivre les contrevenants, ceci pour répondre à l’accroissement du nombre d’entreprises exigeant des candidats à l’embauche de renoncer à toute action en justice en cas de contentieux.
Moins payés, plus souvent sanctionnés
En fait de mauvais traitements, les victimes semblent être surtout les ouvriers afro-américains de l’usine de Fremont. La plainte déposée le 9 février devant la Cour supérieure du comté d’Alameda utilise même le terme de « ségrégation ». Tesla s’est bâtie sur « un message d’innovation, d’ambitions écofuturistes et de bien commun », explique le texte. En réalité, le constructeur tire profit « d’une armée d’ouvriers, dont la plupart sont des personnes de couleur travaillant dans des conditions odieuses ».
Les plaignants disent avoir trouvé des svastikas, les initiales du Ku Klux Klan ou des reproductions du drapeau confédéré dans les toilettes
La plainte se fonde sur les témoignages de plusieurs centaines d’ouvriers, recueillis sur plusieurs années d’enquête, entre 2015 et 2019. Selon ceux-ci, les Noirs sont moins payés que les autres, plus souvent sanctionnés et affectés aux tâches les plus difficiles sur le plan physique – ils sont les seuls à devoir récurer les sols à genoux.
Ils sont aussi exposés à nombre d’insultes racistes, non seulement de la part de leurs collègues mais aussi de contremaîtres et de cadres n’hésitant pas à employer « le mot en N » (pour « nègre », mot tabou aux Etats-Unis parce qu’il rappelle l’esclavage). Certains ont été invités à « retourner en Afrique ».
Les plaignants disent avoir trouvé des croix gammées, les initiales du Ku Klux Klan ou des reproductions du drapeau confédéré dans les toilettes, voire gravées sur les machines à côté d’un nœud coulant (symbole des lynchages). Le quartier où sont affectés principalement les Noirs est affublé de noms qui rappellent les pires moments du passé, affirme le document : « bateau négrier », « plantation ».
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Un chèque pour accepter de venir passer un entretien d’embauche, des horaires plus flexibles, des avantages en nature tels qu’un abonnement en salle de sport… Face à la pénurie de main-d’œuvre, les entreprises de Prague, Bucarest, Berlin ou Stockholm rivalisent d’ingéniosité pour attirer les candidats.
C’est dire si, partout dans l’Union européenne (UE), la pénurie de main-d’œuvre se fait sentir. Le chômage, qui a longtemps rongé les pays du sud du continent ainsi que la France, reflue. Son taux était de 7 % de la population active en décembre 2021 en zone euro, au plus bas de son histoire récente, au moins depuis la création de la monnaie unique. Dans l’ensemble de l’UE, il était de 6,4 %.
Grâce aux aides déployées par les Etats afin d’atténuer la récession engendrée par les premiers confinements, la pandémie ne s’est pas traduite par le violent choc social un temps redouté. Alors que les économies repartent, le taux d’emplois vacants atteignait 2,4 % au troisième trimestre 2021, soit près du double de sa moyenne sur la dernière décennie. En Belgique, aux Pays-Bas ou en République tchèque, il est même deux fois plus élevé. Cette dernière tente désormais de compenser le manque de bras en faisant venir des salariés d’Ukraine, d’Espagne et même des Philippines.
Initialement, la pénurie de main-d’œuvre semblait s’expliquer par le départ du marché de l’emploi de nombreuses personnes, découragées par des perspectives de carrière décevantes, ce qui aurait artificiellement amélioré les statistiques du chômage. Cela ne semble finalement pas être le cas : ces départs sont moins nombreux qu’aux Etats-Unis, où l’on parle du phénomène de « grande démission », et de fait, le taux d’emploi européen est revenu à son niveau d’avant la pandémie, à 69,3 % au troisième trimestre 2021, contre 62 % outre-Atlantique. C’est donc que le marché du travail va bel et bien mieux.
Le tableau reste néanmoins très nuancé selon les Etats. Si le nord de l’Europe frise le plein-emploi, le Sud en est encore loin. En outre, le taux d’emploi est de 77 % en Allemagne, contre 68 % en France, 64 % en Espagne et seulement 60 % en Italie et en Grèce.
Pour faire face à cette situation, les entreprises comme les gouvernements multiplient les stratagèmes pour attirer les salariés, en particulier les profils qualifiés. Ou tenter de faire revenir ceux qui sont partis en nombre depuis la crise financière de 2008, notamment d’Espagne, de Grèce et d’Italie.
En Suède, une politique migratoire qui complique les recrutements
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Depuis que le code du travail a été réécrit au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, la justice indemnise moins bien les salariés victimes d’un licenciement abusif. C’est ce que montre une étude de deux universitaires dont les résultats ont été dévoilés dans la revue Droit social de février. Si l’on raisonne en moyenne, la diminution observée n’est pas spectaculaire, mais certains actifs y perdent davantage que d’autres, en particulier ceux qui sont employés dans les entreprises d’au moins onze personnes.
L’enquête en question se penche sur l’une des innovations les plus décriées des « ordonnances Macron » de septembre 2017 : l’encadrement des dommages-intérêts alloués par les conseils de prud’hommes en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Depuis l’entrée en vigueur de ces textes, les sommes versées obéissent à un barème, avec des planchers et des plafonds en fonction de l’ancienneté du salarié – les montants minimaux pouvant, en outre, être plus faibles pour ceux qui travaillent dans des sociétés comptant moins de onze personnes.
Promesse de campagne du candidat d’En marche !, cette mesure avait pour but de donner de la visibilité aux patrons sur le coût d’une « séparation » conflictuelle avec un de leurs collaborateurs. Il s’agissait ainsi de lever des incertitudes susceptibles de nourrir une « peur de l’embauche ».
L’impact du barème a fait l’objet d’une « première évaluation » par Raphaël Dalmasso, maître de conférences en droit à l’université de Lorraine, et Camille Signoretto, maîtresse de conférences en économie à l’Université de Paris. Leur recherche avait été évoquée en quelques lignes dans le dernier rapport du comité d’évaluation des « ordonnances Macron », publié en décembre 2021. Elle est présentée, de manière beaucoup plus détaillée, dans Droit social.
Pour évaluer les incidences de la réforme, M. Dalmasso et Mme Signoretto se sont appuyés sur des arrêts rendus par des cours d’appel, après que le litige a été examiné en première instance par le juge prud’homal. Deux échantillons ont été constitués : l’un contient 192 décisions prononcées en vertu des règles antérieures à septembre 2017 ; dans l’autre, il y en a 94, pour lesquelles « le nouveau droit (…) prévaut ». Ainsi, des comparaisons ont pu être faites.
Avant la mise en place du barème, les travailleurs congédiés de façon injustifiée touchaient des dédommagements représentant 7,9 mois de salaires, en moyenne. Aujourd’hui, c’est un peu moins : 6,6 mois de salaires. La somme maximale octroyée par le juge est également en baisse : 20 mois de salaires depuis septembre 2017, contre 37,8 mois de salaire à l’époque où s’appliquaient les anciennes dispositions. En revanche, les dommages-intérêts minimaux sont un peu plus élevés avec le nouveau dispositif (0,6 mois, contre 0,2 mois dans l’ancien). La « distribution » des indemnisations est donc « plus resserrée », désormais, puisque l’écart « entre le maximum et le minimum » est moins important qu’avant la réforme.
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« Nous ne lâcherons pas ! » Après onze mois de conflit social rampant, les « compagnons » des usines Dassault, comme l’avionneur aime à baptiser ses ouvriers, n’ont pas l’intention de mettre fin à leur mouvement. Une première rencontre entre la direction générale du groupe et l’intersyndicale, CGT, CFDT, FO, fin janvier, n’a pas permis de trouver un terrain d’entente. Les propositions de la direction générale restent encore, selon l’intersyndicale, trop éloignées des revendications des compagnons.
Quand ces derniers réclament « 200 euros d’augmentation générale pour tous », précise Xabi Urutia, élu CGT au comité social et économique (CSE) de Dassault, la direction ne veut pas aller au-delà de 75 euros de « talon ». C’est-à-dire pour les plus bas salaires, commente-t-il. Pourtant, indique M. Urutia, à l’issue du premier round de négociations, la direction avait souhaité que l’intersyndicale fasse « une contre-proposition ». Celle-ci avait décidé de « faire un geste pour la négociation » et avait abaissé sa revendication de « 200 euros net pour tous, à 200 euros brut ». Sans résultat. Cette revendication fait écho aux années de vaches maigres pendant la pandémie de Covid-19. « En 2020, nous n’avions pas eu d’augmentation et seulement 0,5 % en 2021 », rappelle l’élu CGT. De son côté, la direction signale les diverses primes et la participation (trois mois de salaire en moyenne) versées aux salariés. « Des primes, ce n’est pas du salaire », rétorque la CGT.
Pour l’heure, « aucun nouveau rendez-vous avec la direction générale n’a été fixé. » Selon la CGT, « la production est au ralenti » dans toutes les usines du groupe. A en croire le syndicat, « le mouvement ne faiblit pas ». Bien au contraire, ajoute ce dernier, « de nouvelles têtes sont arrivées », de nouveaux compagnons seraient venus gonfler les rangs des grévistes. Sur les différents sites de production de Rafale ou de Falcon, comme à Anglet (Pyrénées-Atlantiques), « le conflit se diversifie tous les jours » face « aux menaces et à la répression de la direction locale ».
En pratique, depuis mars 2021, les ouvriers cessent le travail « dix minutes ou un quart d’heure chaque heure par secteur ». Ils organisent aussi des prises de parole ou des barrages filtrants devant l’usine pour empêcher les livraisons de matériels. Des actions qui ont toutes la même finalité : « Retarder la production. »
Un coup de frein qui tombe mal au moment même où « le carnet de commandes de Dassault se remplit », constate la CGT. Depuis décembre 2021, en un peu plus de deux mois, l’avionneur, qui emploie quelque 8 500 personnes en France, a engrangé 142 commandes de Rafale. Quatre-vingt pour les Emirats arabes unis, puis encore quarante-deux exemplaires supplémentaires, jeudi 11 février, pour l’Indonésie.
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Ce début d’année 2022 ne sera pas marqué par une augmentation spectaculaire des salaires. Alors que la période hivernale, de décembre à février, est celle fréquemment choisie par les entreprises pour mener les négociations annuelles obligatoires (NAO), qui portent sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée, les premiers bilans des organisations syndicales et des cabinets de consultants font état de hausses réelles, mais modérées.
Sous les niveaux escomptés, dans un contexte, d’une part, de forte croissance économique et de très bonne santé des entreprises françaises – des taux de marge record et un CAC 40 à un niveau exceptionnel – et, d’autre part, d’inflation importante, laquelle a atteint 2,9 % sur un an en janvier selon l’Insee, mais pourrait monter jusqu’à 3 % ou 3,5 % au premier semestre 2022. « Il y a des marges d’amélioration pour mes concitoyens en matière de salaire », a d’ailleurs estimé le premier ministre, Jean Castex, sur France 2, vendredi 11 février.
« On est au-dessous du niveau de l’inflation. Cela pose donc la question de la perte de pouvoir d’achat pour une partie des salariés »Sophie Lazaro, directrice Rewards & Talent chez Deloitte
Dans une enquête publiée lundi 7 février, réalisée à partir d’un panel de 80 entreprises, le cabinet Deloitte constate la fin du gel salarial observé depuis deux ans et le retour aux niveaux de hausse d’avant-crise liée au Covid-19, pas plus. « C’est une surprise, on pensait que les budgets prévisionnels pour les NAO 2022 seraient un peu plus hauts », indique Sophie Lazaro, directrice Rewards & Talent chez Deloitte. L’augmentation médiane est de 2,2 % ; 2,5 % en incluant ancienneté et promotions. « On est au–dessous du niveau de l’inflation, qui fait souvent figure de point de référence dans les négociations, souligne Sophie Lazaro. Cela pose donc la question de la perte de pouvoir d’achat pour une partie des salariés.» Dans le détail, quand un petit tiers du panel a prévu entre 2,5 % et 3 % d’augmentation, autant a prévu moins de 2 %.
« Les dividendes des actionnaires continuent de monter ! »
Par endroits, des salariés ont réussi à créer un rapport de force pour obtenir plus. Par des grèves chez Decathlon, Leroy-Merlin ou Air Liquide, ou par des menaces de débrayage, comme chez Sodexo. Des mouvements ont secoué Kronenbourg, Naval Group, les transporteurs de fonds Loomis… Après vingt-cinq jours de grève et la mise à l’arrêt de quatre fours, les salariés de Thermal Ceramics, un fabricant de produits isolants pour l’industrie, ont repris le travail, vendredi 11 février, avec une augmentation générale de 3,8 % et 2 500 euros de prime exceptionnelle.
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« Et d’un coup… Plus rien, même pas un texto. Le jour de son arrivée ! On avait tout préparé, le livret d’onboarding, la fresque des dix commandements du collaborateur heureux… Il était parfait pour ce poste, comment pourrai-je le récupérer ? » Monique ne digère toujours pas. Tous les soirs, elle se confie au sein du cercle des recruteurs anonymes, où des professionnels des ressources humaines se racontent au coin du feu des histoires qui font peur… La légende de la recrue fantôme revient sur toutes les lèvres, et hante les esprits.
Dans le monde de l’entreprise, c’est en recrutement que le « ghosting » est le plus fréquent. Ce terme désigne les candidats qui disparaissent à un stade avancé du processus ou, pire, qui ne pointent pas le bout de leur nez le jour de leur embauche. Cette évaporation des talents ou « fantômisation » explose chez les jeunes candidats et dans les métiers du numérique, qui peinent à recruter.
Les sites de rencontres amoureuses ont popularisé le terme. Pour qu’il y ait « ghosting », il faut qu’il y ait « matching » : deux personnes, à la vue du profil virtuel de l’autre, acceptent de se parler. Mais soudain, cette relation sentimentale naissante est rompue sans préavis, et la Saint-Valentin devient pour la victime une « sans-Valentin » : le « ghosteur » a disparu, et ne répond plus aux messages ni aux appels, obéissant à cette maxime attribuée à Napoléon : « En amour, la seule victoire, c’est la fuite ».
Affront, manque de respect
« Ghoster », c’est donc l’art de « mettre des vents ». Etonnamment, les entreprises ne retiennent le terme que dans un sens : pour un candidat, il est communément admis d’enchaîner les envois de CV non-suivis d’effet, sans accusé de réception, car l’interlocuteur manque d’empathie, ou au mieux de temps.
Le non-retour est tellement admis qu’un entretien se concluant par « on vous rappellera » se traduit communément par « non, n’escomptez jamais avoir de nouvelles, d’ailleurs nous avons déjà oublié votre numéro de téléphone, c’est dommage, hein ? »
Rendre la pareille à une entreprise qui veut vraiment vous rappeler serait donc un affront, un manque de respect… Alors qu’il s’agit simplement d’un renversement entre l’offre et la demande ! Faisant son marché, le salarié exigeant zappe entre les opportunités foisonnantes, inversant naturellement le rapport de force. Le neurobiologiste Henri Laborit (1914-1995) développe d’ailleurs dans son Eloge de la fuite (Robert Laffont, 1976) l’idée que l’humain éprouverait en permanence un besoin de fuir sa situation, y compris au travail.
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« Ils veulent être footballeur, médecin. Comme tout adolescent, la plupart arrivent avec des rêves en tête. » A Paris, au service Oscar Romero consacré aux mineurs non accompagnés (MNA) étrangers (fondation Apprentis d’Auteuil), les travailleurs sociaux accompagnent 39 garçons, âgés de 15 à 17 ans, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. « Notre objectif est de retravailler avec eux leur projet afin de les protéger, car ils doivent en priorité trouver un employeur et avoir un titre de séjour », insisteXavier David, le directeur du service.
Venus du Mali, de Guinée, de Côte d’Ivoire mais aussi d’Afghanistan et d’Irak, ces adolescents sont formés à des métiers en tension comme la poissonnerie, la boucherie, le bâtiment, la grande distribution. « Ces jeunes sont courageux, résilients, avec la volonté de s’en sortir, soulignent Xavier David, le directeur du service et sa collaboratrice Mariam Sy. Ils arrivent à faire cet apprentissage sur des durées de plus en plus courtes, malgré les traumatismes qu’ils ont subis et le barrage de la langue. »
Reste qu’une fois majeurs, ils n’en ont pas fini avec les galères, cette fois d’ordre plus administratives. S’ils veulent rester sur le territoire, il leur faut un titre de séjour et une autorisation de travail que doivent réclamer leurs employeurs. S’ensuivent alors de longues périodes d’attente, surtout depuis l’arrêté du 1er avril 2021 sur les autorisations de travail.
« Selon les préfectures, les papiers demandés ne sont pas les mêmes, détaille la juriste Egidia Pichon-Leng, chargée de projets MNA. Et certaines personnes en demandent plus que ce qui est requis par les textes de loi. Pour que les jeunes n’aient pas de problèmes, nous nous plions à leurs exigences. » La dématérialisation des démarches accentue les difficultés pour des adolescents qui n’ont plus la possibilité de rencontrer leurs interlocuteurs.
A l’échelle nationale, le rythme des obligations de quitter le territoire (OQTF) – 23 746 en 2019 –s’est fortement accéléré. « A Paris, cela arrive de plus en plus souvent, il y a un an, nous avions trois OQTF à gérer, aujourd’hui, c’est vingt», confirme Mariam Sy, qui précise que ces procédures sont longues à contester, ce qui favorise l’errance du jeune.
Face à ces difficultés, des employeurs s’engagent en faveur de leurs apprentis, en se regroupant parfois devant les préfectures. « Ils se rendent compte de la valeur de leur parcours, se révoltent face aux complications administratives », ajoute-t-elle. En témoigne l’histoire de cet apprenti boulanger qui, en dépit des cinq lettres de soutien rédigées par son employeur, s’est vu refuser un titre de séjour pour une erreur administrative. « Il est resté cinq mois sans pouvoir travailler malgré un OQTF annulé », déplore Mariam Sy. Une logique jugée improductive. « Ils ont envie de travailler et on a besoin d’eux, on investit des fonds publics sur eux et lorsqu’ils sont prêts à travailler, à être autonomes et à ne plus percevoir d’aides, on freine leur insertion », regrette le directeur.
Jean-Christophe Dumont dirige la division des migrations internationales à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE, depuis 2011.
Les pays de l’OCDE sont confrontés à des pénuries de main-d’œuvre, et tentent pour certains comme l’Allemagne d’y remédier en attirant des étrangers. Quelle est la situation de la France ?
En France, l’enjeu démographique est moins marqué qu’en Allemagne ou au Japon. Néanmoins, l’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre reste un problème dans de nombreux métiers. Des progrès ont été entrepris, notamment dans l’apprentissage. Mais il ne suffit pas d’accroître l’offre de formation pour que les Français les choisissent. Ensuite, nombreux sont les secteurs à faire face à des besoins conjoncturels, en lien avec le plan de relance. Dans ce contexte, comme le dit l’économiste américain George Borjas, l’immigration permet de « mettre de l’huile » dans les rouages du marché du travail. Faire venir des cohortes d’immigrés n’est évidemment pas la solution à des déséquilibres structurels, mais l’immigration fait partie de la solution.
Certains avancent justement qu’avec son taux de chômage la France pourrait se passer d’une grande partie de ces travailleurs étrangers. Que leur répondez-vous ?
Qu’il y ait un taux de chômage élevé ou pas, près de 190 000 personnes arrivent de plein droit en France chaque année, dont 90 000 pour motifs familiaux. L’enjeu essentiel, donc, est de savoir comment faire en sorte qu’elles s’intègrent. Seuls 59 % des immigrés dans l’Hexagone sont en emploi. Or, des études montrent que cet échec relatif de l’intégration a un coût. Avec un taux d’emploi similaire au reste de la population, les immigrés pourraient générer 0,2 % de PIB supplémentaire par an pour les comptes publics.
Il faut poursuivre et amplifier les efforts entrepris en matière d’intégration des primo-arrivants aux niveaux national et local. Il faut s’assurer que les immigrés, y compris ceux récemment arrivés, aient accès à la formation professionnelle et améliorer le système d’évaluation et de reconnaissance des compétences. Il est également nécessaire de favoriser l’intégration des femmes immigrées, notamment celles arrivées au travers de l’immigration familiale, dont le taux d’emploi est en moyenne de 15 points de pourcentage inférieur à celui des leurs homologues nées en France. Et puis nous devons penser au long terme, créer des pôles d’excellence et attirer des chercheurs étrangers et les Français expatriés par exemple.
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