Archive dans 2022

Industrie : dans le Gard, les anciens salariés de Crouzet saisissent les prud’hommes

Devant l’usine Crouzet d’Alès (Gard), le 9 mars 2021.

C’était il y a un an. A Alès, dans le Gard, les salariés de l’entreprise Crouzet, l’un des leaders mondiaux spécialisés dans la fabrication de moteurs et de capteurs électriques, signaient, dans la douleur, un plan de sauvegarde de l’emploi, le 5 mars 2021. L’industriel, dont l’une des unités d’étude et de production est installée aux pieds des Cévennes depuis 1971, invoquait la pandémie de Covid-19 pour justifier cette décision, engageant la délocalisation de l’activité et de 14 salariés à Valence, dans la Drôme, au siège de l’entreprise, mais entraînant aussi la suppression de 40 postes et la fermeture définitive du site alésien.

« Même si nous l’avons accepté, ce plan s’est fait contre l’avis des salariés. Nous l’avons signé de guerre lasse, et nous avons toujours contesté l’argument économique de l’entreprise, puisque Crouzet se portait, au contraire, très bien », affirme Damien Tranier, l’un des représentants du personnel. Finalement, 61 salariés ont été licenciés, selon les chiffres rapportés par les représentants du personnel, et trois ont rejoint le site drômois.

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L’affaire prend aujourd’hui une nouvelle tournure. Le 14 janvier, l’inspection du travail de la Drôme a fait savoir qu’elle invalidait le motif de « licenciement économique » de six représentants du personnel. C’est ce même argument qu’une majorité de salariés, désormais regroupée dans l’Amicale Crouzet Alès (ACA), a décidé de reprendre. Les anciens Crouzet viennent de déposer 40 dossiers au conseil des prud’hommes d’Alès. Avec une question primordiale : la crise sanitaire, invoquée par l’entreprise dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, justifiait-elle la fermeture du site alésien et les suppressions de postes ?

« Nous avons eu un meilleur résultat en 2021 qu’en 2019 »

Christian Chalamet, 58 ans, dont trente-six passés chez Crouzet, travaillait au bureau d’études. Il espère obtenir réparation : « Lorsque le Covid est apparu, nous avons été inquiets pour nos collègues de Valence qui travaillaient pour l’aéronautique, et nous n’avons pas vu que cela allait nous tomber dessus. Notre activité, les moteurs, fonctionnait très bien. Nous avons eu un meilleur résultat en 2021 qu’en 2019. Nous estimons que Crouzet nous a menti et pas qu’à nous… Toutes les aides dont l’entreprise a bénéficié durant la crise sanitaire, ce sont avec nos impôts ! »

« Crouzet va avoir du mal à justifier l’existence d’une menace économique avec un carnet de commandes rempli », Alain Ottan, l’avocat qui défend les anciens salariés

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En entreprise, les discriminations persistent pour les femmes seniors

L’histoire de Corinne est tristement banale, de la banalité d’une vie qui s’effondre à la suite d’un licenciement économique. Après dix-sept ans dans la même entreprise, cette assistante de direction (qui a souhaité garder l’anonymat) se retrouve au chômage à 47 ans. Une fois le choc passé, elle pense rebondir rapidement : « Tout le monde me disait : “Avec ton expérience et tes compétences, tu retrouveras facilement du travail.” Ça a été la désillusion complète. »

Les mois passent, puis les années. Malgré un CV bien rempli et des formations pour se remettre à niveau, Corinne ne retrouve pas d’emploi : « En entretien, on me disait que je correspondais au poste, mais on ne me rappelait jamais. Je me suis dit qu’il devait y avoir un problème quelque part. »

La candidate est la première à justifier le comportement des recruteurs : selon ses mots, ils préféreraient des profils « plus frais », « qui sortent de l’école » et « qu’ils peuvent former eux-mêmes ». Corinne joue le jeu, tente de souligner les « avantages » à être une femme presque quinquagénaire : « En entretien, je faisais valoir que je n’avais plus d’enfants malades à garder. »

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Elle finit par retrouver du travail en 2019, par l’intermédiaire de Géa’Tion, un groupement d’employeurs à temps partagé. Des profils comme Corinne, Audrey Lefebvre, administratrice de Géa’Tion, en voit passer beaucoup : « Aux deux tiers, les seniors qui viennent nous voir ou qui sont orientés vers nous sont des femmes. »

Le taux des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans officiellement inscrits au chômage était équivalent en 2020 (5,8 %), selon le service des statistiques du ministère du travail, mais à cet âge, les femmes arrivées sur le marché du travail dans les années 1980 se volatilisent. Leur taux d’emploi (51,8 %) demeure largement inférieur à celui de leurs homologues masculins (56 %). « Les femmes finissent par retrouver et/ou accepter un petit boulot, plus souvent que les hommes, ou bien basculent vers l’inactivité », avançait un rapport du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) sur les femmes seniors dans l’emploi, publié en 2019.

Le risque de la placardisation

Les femmes en fin de carrière se prennent en pleine figure l’effet « boule de neige » des inégalités, qui débutent dès le début de leur parcours professionnel. Selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes cadres s’élève à 4 %, à profil équivalent, en début de carrière, pour atteindre 12 % chez les cadres de 55 ans et plus. S’ajoutent, pour les femmes, des parcours plus accidentés et une surreprésentation sur des postes à temps partiel ou moins bien payés. A la clé, des pensions de droit direct inférieures de 42 % en moyenne à celles des hommes, note le rapport du CSEP.

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« Les statistiques actuelles sous-estiment largement les tensions sur le marché du travail »

Chronique. Après une forte contraction de l’emploi au plus fort de la pandémie, le taux de chômage aux Etats Unis a retrouvé son niveau (4 %) d’avant le Covid-19. En France, le taux de chômage est redescendu au troisième trimestre 2021 à 7,4 %, pratiquement du jamais-vu depuis 2008.

Au moment où les tensions inflationnistes s’accumulent du fait des problèmes sur la chaîne de production globale et des effets possibles de l’invasion russe en Ukraine sur les prix de l’énergie et de l’alimentation, la tension du marché du travail pourrait laisser craindre une descente dans une spirale inflationniste. Celle-ci se forme quand les travailleurs sont en mesure d’obtenir des hausses de salaires pour compenser la hausse des prix, qui entraînent à leur tour une hausse des prix, etc.

Notre capacité à absorber les tensions inflationnistes dépendra donc beaucoup des tensions sur le marché du travail. Le taux de 7,4 % de chômeurs semble laisser une grande marge. Mais elle est sans doute largement surestimée.

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Aux Etats-Unis, on observe, depuis quelques mois déjà, le phénomène dit  « de la grande démission ». Rien qu’en novembre 2021, quatre millions et demi de personnes ont démissionné aux Etats-Unis. Beaucoup de ces personnes ne quittent cependant pas la vie active, mais changent d’emploi pour profiter de meilleures conditions de salaire et de travail dans des secteurs qui repartent après la pandémie, comme la restauration. Si ces démissions se soldent par une réembauche, l’impact global sur le marché du travail sera neutre. La baisse relativement modeste de la participation au marché du travail (– 2,3 % entre 2020 et 2021) semble indiquer que cela serait le cas.

Cependant, une étude récente suggère que les statistiques officielles sous-estiment largement les tensions sur le marché du travail et que l’offre de travail a bel et bien chuté par rapport à la période prépandémie (« Has the Willingness to Work Fallen During the Covid Pandemic ? », Faberman, Mueller & Sahin, National Bureau of Economic Research).

Changement structurel

L’enquête menée par les trois économistes américains est formelle : les gens veulent désormais moins travailler aux Etats-Unis. En moyenne, les heures de travail désirées ont chuté de 4,6 %, soit deux fois plus que la baisse de la participation au marché du travail. Cela est tout à fait unique dans le cadre d’une récession économique. Généralement, les récessions sont caractérisées par le fait que les travailleurs travaillent moins qu’ils ne le désirent. La récession due au Covid-19 a engendré un phénomène inverse.

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Camille Peugny : « La jeunesse est face à une marée montante de la précarité »

Camille Peugny.

Depuis le début de la crise sanitaire, l’idée d’une jeunesse « sacrifiée » est revenue sur le devant de la scène, sur fond de reportages montrant des étudiants faisant la queue dans les lieux de distribution alimentaire et de débats sur les efforts demandés aux jeunes au nom de la solidarité entre générations. La campagne présidentielle ne semble pourtant pas avoir – encore – fait de cette jeunesse une thématique prioritaire.

Alors qu’on parle souvent à sa place, qu’on multiplie les dispositifs la concernant, qu’elle sert régulièrement de caution pour justifier telle ou telle réforme douloureuse, le sociologue Camille Peugny en dresse le profil et estime dans Pour une politique de la jeunesse (Seuil, janvier 2022, 11,80 euros), que la France n’a, pour l’instant, « aucune politique en direction de la jeunesse ». Il met en avant dans cet ouvrage les inégalités la fracturant et des pistes pour en faire une priorité nationale.

Les jeunes de 2022 sont régulièrement présentés comme plus sensibilisés aux questions de société que leurs aînés. Est-ce vrai ?

Camille Peugny : On dit, en effet, depuis quelques années que cette génération serait porteuse de « nouvelles » valeurs, qu’elle est plus ouverte et tolérante que les précédentes, particulièrement préoccupée par les questions d’environnement, d’égalité entre les sexes, d’ouverture à l’Europe et au monde, etc. Mais l’analyse de la répartition des valeurs par âge ne va pas vraiment dans le sens d’une spécificité des valeurs de la jeunesse. D’abord parce que cette classe d’âge n’est pas homogène. Mais surtout parce qu’on s’aperçoit que la sensibilité aux questions de société est, en fait, relativement semblable parmi les… 18-59 ans.

« La préoccupation pour les questions de société progresse avec le niveau de diplôme »

Le vrai clivage se fait, en réalité, entre cette large classe d’âge et celle des plus de 65 ans, moins préoccupés par ces sujets, voire parfois crispés. Cela n’enlève en rien le possible effet d’entraînement que joue sur la société la petite minorité de la jeunesse, souvent plus diplômée, particulièrement mobilisée sur la question environnementale. La préoccupation pour les questions de société progresse avec le niveau de diplôme, donc pas de manière uniforme dans la jeunesse.

Parler de « la » jeunesse a-t-il encore un sens dans ce contexte ?

Clairement non. Comme les autres classes d’âge, la jeunesse est diverse en termes de statuts, d’origine, de trajectoire sociale et territoriale. Elle est traversée de nombreux clivages liés à des expériences de vie différenciées et des inégalités sociales. Les attitudes et valeurs, l’intérêt porté à la question climatique ou la tolérance à l’égard de l’immigration par exemple, varient selon qu’on est un étudiant, un « décrocheur », un jeune ouvrier, un jeune cadre ou sans emploi, etc.

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« Une population croissante de travailleurs très qualifiés se lance dans le travail indépendant par choix »

Tribune. Le marché du travail français répond à une organisation propre : dans les usages comme dans l’imaginaire collectif, le contrat à durée indéterminée (CDI) est la norme. Le « freelancing » (travail indépendant) n’y est pas envisagé de la même manière qu’ailleurs. Or, nous constatons à la fois une pénurie de profils experts sur le marché et un mouvement de fond qui attire ces mêmes talents vers le statut d’indépendant.

Le freelancing a augmenté de 92 % depuis 2009, selon Eurostat, et l’année 2020 a battu tous les records avec presque un million d’entreprises créées, malgré une crise sanitaire inédite. Si l’essor de l’autoentrepreneuriat a largement contribué à ce résultat, la situation reste floue tant dans le positionnement des acteurs (entreprises et indépendants) que par rapport au cadre réglementaire, qui doit être clarifié de façon urgente. Un sujet devenu essentiel pour l’élection présidentielle : comment protéger les travailleurs sans entraver la liberté d’entreprendre ?

Une indépendance délétère

Les travailleurs dits « des plates-formes » n’ont pas d’autre choix que de créer leur propre structure pour pouvoir travailler. L’existence d’un lien de subordination est évidente puisque les tarifs sont fixes et non négociables, la prestation notée, les horaires contrôlés et que la plate-forme dispose d’un pouvoir de sanction. C’est ce que les Américains appellent la « gig economy », c’est-à-dire l’économie des petits boulots.

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Cette indépendance, souvent subie, est délétère pour les travailleurs, qui bénéficient d’une faible protection sociale, et profite surtout aux plates-formes en leur permettant de flexibiliser leurs charges à l’extrême. Face à cette situation, l’Europe a décidé de légiférer et réfléchit à une disposition visant à considérer ces travailleurs comme présumés salariés, sauf preuve contraire apportée par la plate-forme.

Mais il existe également une autre population croissante de travailleurs, très qualifiés ou experts, dont les compétences sont recherchées, et ceux-ci se lancent dans le travail indépendant par choix (neuf sur dix ne souhaitant plus redevenir salariés par la suite). Les avantages ? Amélioration du train de vie, rythme de travail flexible permettant d’autres activités, choix des projets et des clients. C’est la « talent economy ». Et pour eux aussi, toujours plus nombreux, il devient urgent d’agir.

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Les grands groupes souffrent généralement d’un cloisonnement qui les conduit à des objectifs antinomiques entre dirigeants opérationnels, ressources humaines (RH) et achats. Les opérationnels ne peuvent délivrer la valeur attendue qu’en bénéficiant d’expertises pointues à chaque fois que cela est nécessaire.

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Chez Just Eat, il ne reste qu’un quart des 4 500 livreurs à vélo embauchés en CDI

Un coursier à vélo Just Eat, durant sa pause sur les berges du Rhône, à Lyon, en novembre 2021.

Ce devait être une petite révolution. Alors que les plates-formes de livraison de repas telles que Deliveroo ou Uber Eats recourent, en majorité, à des autoentrepreneurs dans des conditions de travail très précaires, Just Eat avait annoncé, fin janvier 2021, le recrutement d’ici à la fin de l’année dernière, de 4 500 livreurs salariés, en contrat à durée déterminée (CDI). « Un modèle de livraison plus responsable », selon la plate-forme. Un an plus tard, alors que vient de se tenir le premier tour des élections au conseil social et économique (CSE) de l’entreprise, auquel se présentaient une liste CGT et une FO, l’objectif a-t-il été atteint ?

Les livreurs de la plate-forme anglo-néerlandaise, rachetée en 2019 par Takeaway.com, ont signé des contrats de dix heures hebdomadaires, ou de quinze, vingt-quatre ou trente-cinq heures, le temps d’attente entre deux commandes inclus. Un emploi stable, donc, avec tous ses avantages (congés payés, mutuelle…). Et, effectivement, Just Eat confirme avoir recruté 4 500 livreurs en CDI, avec une période d’essai de deux mois.

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Mais, aujourd’hui, ils ne sont plus que 1 100. Cette diminution s’explique, selon l’entreprise, par le fait que de nombreux livreurs exercent cette activité « en parallèle avec une autre ». « Nous avons, par exemple, beaucoup d’étudiants. (…) Naturellement, durant les périodes de congés ou de rentrée, nous voyons des vagues de départs, notamment chez les jeunes. » Sur le dernier trimestre de 2021, « plus de la moitié des ruptures de période d’essai sont à l’initiative des employés », indique la société.

« Le ras-le-bol est général »

Quant aux ruptures décidées par l’employeur, elles sont « toujours » liées « à des faits avérés ». Lesquels ? Just Eat n’a pas répondu au Monde. Pour Ludovic Rioux, du syndicat CGT de la livraison deux roues pour Lyon (41 % des voix dans le collège des ouvriers au premier tour des élections au CSE) et salarié de Just Eat, ce fort turnover est dû aux « conditions de travail déplorables et aux bas salaires ». Les livreurs sont payés au smic. « Le ras-le-bol est général », résume Jérémy Graça, du syndicat FO (59 % des voix) et « capitaine livreur » à Paris, dont le rôle consiste à former les livreurs et à présenter la société aux nouveaux arrivés.

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Un des points de friction concerne le matériel. Le code du travail et la convention collective nationale des transports routiers et auxiliaires du transport, dont Just Eat dépend, prévoient que l’employeur fournit l’outil de travail, le vélo, ainsi qu’un vélo de remplacement en cas de panne. Le salarié peut utiliser son propre véhicule, s’il en fait la demande. « Chez Just Eat, la règle est inversée », observe M. Rioux. Les salariés utilisent prioritairement leur propre vélo.

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Les « points aveugles » du système Orpea

« Orpea offre un florilège des aveuglements qu’a générés le capitalisme financiarisé depuis les années 2000. »

Gouvernance. En révélant des cas de maltraitance systémique dans des Ehpad de la société Orpea, le livre enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs (Fayard, 400 pages, 22,90 euros), a provoqué une émotion qui va au-delà des questions éthiques qu’il soulève. C’est un système qui est mis au jour, et si l’on doit souhaiter un avant et un après Orpea, c’est aussi pour gagner en clairvoyance sur les mécanismes de notre économie.

Car Orpea offre un florilège des aveuglements qu’a générés le capitalisme financiarisé depuis les années 2000. Fondée en 1989, la société est cotée en Bourse dès 2002, et elle doit donc dégager des profits suffisants pour assurer la valorisation de son titre. Or, le marché financier attire l’épargne des ménages qui veulent s’assurer un niveau convenable de retraite. Le premier actionnaire d’Orpea est d’ailleurs la caisse de retraite du Canada, qui détient 14 % du capital. En raccourci, les futurs retraités espèrent financer leur éventuelle prise en charge par des Ehpad coûteux en investissant dans le capital de sociétés comme Orpea ; mais ils ne saisissent pas que, pour leur assurer des rendements, celles-ci doivent serrer les dépenses… ce qui détériore la qualité des Ehpad.

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Pour autant, Orpea n’est pas un mauvais élève de l’évaluation sociétale. Sa politique de responsabilité sociale (RSE) est aussi ambitieuse que sa stratégie de croissance, et ses efforts en matière environnementale sont aussi bien notés que ses résultats financiers. Elle souscrit aux « bonnes pratiques » de gouvernance, comme l’existence d’un comité RSE et de deux administrateurs salariés au conseil d’administration, ou la certification, dès 2023, de 100 % de ses établissements aux normes ISO. Les agences de notation ont salué cette politique par des évaluations excellentes en 2021.

Au-delà des chiffres

Mais cette lumière était trop aveugle et quand la brillante vitrine sociétale a volé en éclats, on s’est aperçu que même sans le vouloir elle masquait l’essentiel, c’est-à-dire la dégradation des services à la personne assurés dans le quotidien.

Les enquêtes en cours mettront sans doute en évidence d’autres points aveugles du système, comme des écarts de rémunération si grands, entre les dirigeants et le personnel de terrain, qu’ils déforment la réalité de l’entreprise vécue par les uns et les autres, les relations opaques entre Orpea et son environnement politique, mais aussi notre cécité commune qui se fie aux coûts élevés des Ehpad pour nous décharger de notre responsabilité sur le personnel qui accompagne nos aînés.

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Un nouveau contrat pour favoriser l’« accès à l’emploi »

L’une des dernières réformes sociales du quinquennat entre dans sa phase opérationnelle. Annoncés, début novembre 2021, par Emmanuel Macron, les contrats d’engagement jeune vont pouvoir être signés à partir du mardi 1er mars. Le but du dispositif est de favoriser l’« accès à l’emploi » des 16-25 ans et des personnes de moins de 30 ans en situation de handicap qui peinent à se frayer un chemin dans le monde du travail.

L’exécutif a lancé un large appel à la mobilisation, plusieurs membres du gouvernement ayant prévu de se déplacer sur le terrain, mardi, afin de vanter les mérites de cette mesure. La ministre du travail, Elisabeth Borne, a l’intention de se rendre dans les locaux de Yookan, une association consacrée à « l’immersion professionnelle » qui se trouve au cœur du centre commercial Westfield de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Sa venue dans un lieu très fréquenté par les jeunes cherche à démontrer que l’Etat impulse une démarche avec la volonté d’aller à la rencontre des publics concernés.

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Le contrat d’engagement s’adresse à tous ceux qui, à l’aube de leur vie d’adulte, ne sont ni en activité ni en formation et ont besoin d’être guidés pour trouver un poste. Ils auront la possibilité de s’inscrire dans un « parcours » de six à douze mois – voire dix-huit, dans certains cas dérogatoires. Un accompagnement d’au moins quinze à vingt heures par ­semaine leur sera accordé, par le biais, notamment, d’une « mise en activité systématique » (stage en entreprise, préparation à l’entrée dans un centre pour apprentis, service civique…). Une allocation, susceptible d’aller jusqu’à 500 euros par mois, sera attribuée aux individus ayant peu de ressources.

« Une petite révolution »

La réforme obéit à une logique de « devoirs et de droits », comme l’a indiqué M. Macron : les bénéficiaires qui ne font pas preuve d’assiduité cesseront de percevoir l’aide financière. Mis en œuvre par Pôle emploi et par les missions locales, le contrat d’engagement se substitue à la garantie jeunes – un mécanisme analogue dans son principe mais qui apporte un soutien moins fort. Quelque 550 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués pour l’exercice 2022, l’objectif étant d’épauler 400 000 individus d’ici à la fin de cette année. Ce n’est pas un plafond, souligne-t-on dans l’entourage de Mme Borne. Sous-entendu : s’il faut aller au-delà, l’exécutif répondra présent, sachant que la cible visée s’avère déjà très ambitieuse et sera donc ardue à atteindre.

Il s’agit d’« une petite révolution », d’après Jean Bassères, le directeur général de Pôle emploi. L’établissement public s’est organisé pour offrir un encadrement resserré – avec un conseiller pour trente jeunes, soit un ratio inédit puisque les agents de l’opérateur sont, en temps ordinaire, amenés à suivre un plus grand nombre d’individus à la recherche d’un poste.

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L’argot de bureau : le « street-sourcing », chassez le candidat, il sort du métro

« Bonjour, vous avez deux minutes pour sauver votre avenir ? Non, désolé, j’ai pas le temps, je suis en retard à mon cours d’aqua-yoga (ou toute autre excuse en carton)… » Il n’est pas toujours facile de dire non à un soldat en tunique bleue ou jaune fluo vous tendant une embuscade à la sortie du métro, dans un centre commercial ou au cœur d’une artère piétonne, pour vous alerter sur la faim dans le monde ou la fin du monde.

Pourtant, ce jeune dynamique qui vous harcèle avec le sourire a bien mentionné qu’il s’agissait de votre avenir, et non de l’avenir de la planète… Le voici qui vous tend une série de prospectus aux logos familiers : surprise, vous y reconnaissez celui d’une chaîne de restauration rapide, d’un géant de la grande distribution, ou le nom d’une PME dans le bâtiment. C’est de la fin du mois que vous parle ce démarcheur, puisqu’il est recruteur.

Après le foot de rue ou l’art de rue (street art), dites bonjour au recrutement de rue ! Le principe du « street-sourcing », mis en avant récemment par la start-up française Ethypik, est limpide : le recruteur interpelle les passants pour savoir s’ils sont en recherche d’emploi. Si c’est le cas, ces derniers peuvent remplir un questionnaire dans la foulée, et seront recontactés.

Elargir le supermarché de l’emploi

Cette réinterprétation moderne de l’affiche « I want you » de l’armée américaine intervient à l’heure d’une autre guerre, celle des « talents ». Face aux difficultés à embaucher, l’heure est à la « diversification des canaux de recrutement », enjoignent les experts. Les pratiquants du street-sourcing prennent simplement l’expression au pied de la lettre : les canaux sont autant de rues dans une ville qui regorge de ressources humaines.

« To source » se traduit par « s’approvisionner », il s’agit donc ici d’un élargissement du supermarché de l’emploi. E. Leclerc a même joué cette mise en abyme jusqu’au bout en organisant en janvier « La Grande Rencontre », un job dating implanté directement dans 470 de ses centres, pour pourvoir 7 000 postes.

Le street-sourcing permettrait de favoriser la diversité dans le recrutement. Il crée la rencontre avec des profils cachés, souvent éloignés de l’emploi et ayant des compétences à faire valoir, mais qui n’auraient pas strictement répondu aux critères des annonces en ligne – comme posséder le niveau « B2 » en bulgare, ou justifier de vingt ans d’expérience tout en étant un profil junior –, ou n’auraient pas osé candidater.

A la rencontre des populations isolées

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