Archive dans mai 2022

« L’urgence de rendre l’industrie plus attractive, de former les compétences et de libérer des terrains pour bâtir des usines »

Emmanuel Macron envisage dans l’usine GE de Belfort (Territoire de Belfort), le 10 février 2022.

Emmanuel Macron avait donné le sentiment d’enjamber l’élection présidentielle avec le lancement, en 2020 et 2021, de deux initiatives allant au-delà du premier quinquennat : un plan de relance de 100 milliards d’euros pour redresser l’économie ; et France 2030, doté de 34 milliards sur cinq ans, pour préparer l’avenir en orientant l’investissement vers des innovations dans les transports, l’énergie, le spatial ou les biomédicaments. Les deux plans ont pour ambition, entre autres, de relancer l’industrie manufacturière, qui ne pèse plus que 10,1 % de la richesse nationale, loin des 16 % de la moyenne européenne.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Le président sortant, réélu par défaut, n’a pas tiré grand profit de sa politique du carnet de chèque »

Pour quel bénéfice sur l’emploi et la création de valeur industrielle ? Un rapport du cabinet de conseil PwC publié jeudi 12 mai estime, dans son scénario de référence, que cette part peut remonter à 12 % en 2030. Cela représenterait 68 milliards d’euros de valeur ajoutée supplémentaire, la création de 431 500 emplois directs et indirects, près de 98 milliards d’investissements et une forte réduction du déficit commercial, qui vient d’atteindre 100 milliards sur un an.

Former les compétences

Cela implique, selon PwC, un effort des entreprises, qui devront dépenser 2,50 euros pour chaque euro public de France 2030 investi, sur le modèle du « plan hydrogène ». Quatre secteurs en seraient les grands bénéficiaires : informatique électronique, équipements électriques pour le transport décarboné et de certaines industries, recyclage des matériaux non ferreux et du plastique, industrie pharmaceutique. On peut même rêver à un scénario plus « offensif », où le privé mettrait quatre fois plus de fonds que le public et générerait 500 000 emplois nouveaux…

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Croissance : la difficile évaluation du plan de relance gouvernemental

Ces scénarios prospectifs sont sérieux, mais ils présupposent une bonne exécution des plans de relance. Elle est loin d’être acquise, prévient Olivier Lluansi, auteur de l’étude avec Vladislava Iovkova. L’ancien conseiller de François Hollande à l’Elysée souligne l’urgence de rendre l’industrie plus attractive, de former les compétences et de libérer des terrains pour bâtir des usines, difficile en raison de l’impératif de « zéro artificialisation nette » des terres. Sans sous-estimer le risque d’une compétition des pays étrangers développant les mêmes secteurs à marche forcée. Les batteries automobiles en sont un bon exemple, où l’Allemagne a déjà plusieurs longueurs d’avance. Le risque est toujours grand de ne pas utiliser au mieux les deniers publics. Ou, pire, d’arroser le désert.

« Chaos » des chaînes logistiques, pénurie de matières premières… Michelin au bord de la paralysie

Usine Michelin de Cataroux, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le 30 septembre 2021.

« Vous voulez un résumé de la situation ? On n’a rien connu de semblable depuis la fin de la seconde guerre mondiale. C’est le chaos ! Un bazar innommable ! » En dépit des perspectives financières favorables qu’il doit présenter, vendredi 13 mai, à Clermont-Ferrand, devant l’assemblée générale des actionnaires, Florent Menegaux, le patron de Michelin, est en mode « crise permanente ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Michelin, EDF… Le management en coconstruction, une notion à la mode dopée par le télétravail

Le dernier communiqué financier du numéro un mondial des pneumatiques avait déjà donné le ton : « Les perturbations opérationnelles et les tensions inflationnistes ont été exacerbées par le conflit en Ukraine et par la résurgence du Covid-19 en Chine. » Lors d’une rencontre avec Le Monde, Florent Menegaux s’est fait plus concret. « On manque de matières premières, de semi-conducteurs, il n’y a pas assez de bateaux, ceux qui sont dans les ports sont bloqués, on manque de conteneurs, on manque de camions, on manque de chauffeurs de camion… » Bref, on est au bord de la paralysie.

Noir de carbone

« En période normale, la routine c’est deux ou trois cellules de crise activées par trimestre. En ce moment, il y en a une vingtaine d’ouvertes en permanence. » Avec des pics à cinquante en 2021. Dernier épisode en date, le Sri Lanka. Fragilisé par la crise du Covid-19, le pays n’a plus de réserves de devises, l’économie est au bord de l’effondrement, l’électricité ne fonctionne que par intermittence, la capitale est en proie aux émeutes, et les usines Michelin – le groupe est le premier exportateur national – sont quasiment à l’arrêt, pendant que ses stocks de pneus sont coincés.

Par rapport à la normale, la facture des fournisseurs s’est envolée de plus de deux points

Avec 123 sites de production dans 26 pays tout autour de la planète, et quelque 200 composants entrant dans la composition du pneu, les chaînes logistiques sont le talon d’Achille de Michelin. La rupture d’approvisionnement est d’ailleurs placée tout en haut de l’échelle des risques. Il y a quelques mois, le géant du pneu considérait que cette menace avait « une faible probabilité d’occurrence ». La guerre en Ukraine a transformé l’improbable en réalité. A partir du 3 mars, il a fallu « arrêter la production de certaines des usines en Europe, pour quelques jours ». En cause, le noir de carbone, un composant produit en Russie qui transitait habituellement par l’Ukraine. Il vient désormais de Chine.

Le 15 mars, Michelin a décidé de mettre en sommeil son usine russe de Davydovo, qui ne pouvait plus être alimentée par des produits semi-finis en provenance de Pologne et de Roumanie. « La Russie, ce n’est que 2 % de notre activité », note M. Menegaux. « Ce qui me préoccupe ce sont nos 750 salariés, que nous continuons à payer grâce à l’écoulement des stocks. » Pour l’usine, une décision sera prise d’ici la fin de l’année. Une vente n’est pas exclue.

Il vous reste 47.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A Kalouga, en Russie, les ouvriers de l’automobile sentent venir le vent des sanctions

Par

Publié aujourd’hui à 02h52, mis à jour à 13h12

S’il avait su, Dmitri Petrov n’aurait peut-être pas entrepris ce chantier imposant : l’aménagement d’un second étage à la charmante maison de brique qu’il fignole, avec son épouse, depuis déjà trois décennies. Le résultat est convaincant, pourtant : la maison avance, le jardin prend des airs de petit parc anglais, avec sa mare proprette, son gazon bien tondu et le potager, bien russe, qui attend l’été pour donner des légumes juteux.

Mais il y a deux problèmes : depuis le début de l’« opération spéciale » en Ukraine, le 24 février, l’inflation est galopante, le prix des matériaux de construction a quasiment doublé. Et puis, explique M. Petrov, 50 ans, l’heure n’est pas aux projets grandioses, mais plutôt à l’incertitude, dans cette région de Kalouga, au sud de Moscou, sur laquelle le vent mauvais des sanctions commence à souffler.

Dmitri Petrov est ouvrier chez Volkswagen, conducteur de monte-charges. Demain, il entamera son troisième mois de chômage technique. Sa paie, qu’il juge d’ordinaire « très bonne », est réduite d’un tiers. Alors, il fait non seulement attention au prix des matériaux de construction, mais aussi à celui des produits de première nécessité, comme le lait, qu’il adore. S’il avait su dans quel bourbier la Russie allait se trouver, avec ces sanctions qu’il trouve « injustes », Dmitri Petrov aurait attendu un peu.

Dmitri Petrov, 50 ans, conducteur de monte-charges chez Volkswagen depuis onze ans, dans son jardin à Kalouga, en Russie, le 11 mai 2022.

A une époque, en Russie, on a parlé du « miracle économique » de Kalouga, ville de 330 000 habitants spécialisée, à l’époque soviétique, dans l’industrie de la défense. C’était à la fin des années 2000, quand, l’une après l’autre, les usines automobiles se sont installées : Volkswagen, Volvo Trucks, Stellantis, qui produit des véhicules Peugeot, Citroën, Opel… Le budget de la ville a explosé. On a refait les trottoirs et, dans les établissements scolaires, les jeunes rêvaient d’aller travailler dans l’automobile. Aujourd’hui, les usines emploient quelque 7 000 personnes, auxquelles il faut ajouter les sous-traitants et l’activité induite.

Soudaine déconnexion

Mais la force de Kalouga se retourne aujourd’hui contre elle. Voilà une autre « injustice » : les régions russes les plus dynamiques et qui ont su attirer les investisseurs sont les plus menacées par les sanctions occidentales et, plus largement, par leur soudaine déconnexion des circuits de la mondialisation, principalement logistiques, jusqu’au refus des exploitants de conteneurs de travailler dans le pays. Volkswagen et Volvo ont été les premiers, entre fin février et début mars, à suspendre leurs activités ; Stellantis a tenu jusqu’au 19 avril.

Il vous reste 75.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Barème Macron : l’évaluation « au cas par cas » des licenciements retoquée

Emmanuel Macron sort vainqueur d’une guérilla judiciaire qui aura duré plus de quatre années. L’une de ses réformes sociales aussi emblématique que contestée vient d’être validée par la Cour de cassation. Dans un arrêt rendu mercredi 11 mai, la haute juridiction dispose que le plafonnement des indemnités prud’homales est conforme aux engagements internationaux de la France et que l’application de ce dispositif ne tolère aucune exception, dès l’instant qu’il s’agit de réparer un licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Le patronat se félicite d’une telle issue, qui évite, d’après lui, de tomber dans une forme d’« arbitraire ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Indemnités prud’homales : des montants en baisse depuis la création du « barème Macron »

La décision de mercredi s’inscrit dans le combat acharné que plusieurs organisations de salariés et le Syndicat des avocats de France ont engagé contre une mesure-phare des ordonnances de septembre 2017, dont le but était de flexibiliser les relations entre les employeurs et leurs personnels. La disposition incriminée se présente sous la forme d’un barème, avec des montants minimaux et maximaux. Le juge est tenu de s’y référer quand il octroie des dommages-intérêts à un salarié victime d’une rupture injustifiée de son contrat de travail. Cette grille entend donner de la « visibilité » aux entreprises et lever ainsi « la peur de l’embauche ».

Réparation financière suffisante

Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel avaient donné leur bénédiction à ce mécanisme. Mais plusieurs conseils de prud’hommes l’ont écarté, considérant qu’il contrevenait à la convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce texte prévoit que le tribunal d’un pays doit pouvoir attribuer une indemnité « adéquate » au travailleur mis à la porte sans motif valable.

Des juges prud’homaux ont estimé qu’ils n’étaient plus en mesure de compenser correctement ce type de préjudice avec le barème. Ils s’en sont donc affranchis – en invoquant son « inconventionnalité » – et ont ordonné le paiement de sommes supérieures aux plafonds.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le plafonnement des indemnités prud’homales devant la justice

La Cour de cassation s’en est mêlée une première fois, en 2019, en formulant un avis qui concluait que la réforme était compatible avec la convention de l’OIT. Mais il ne s’agissait que d’un éclairage juridique, dépourvu de force exécutoire, et la fronde a continué. Plusieurs cours d’appel ont, en effet, estimé qu’elles étaient en droit de vérifier si la grille apportait une réparation financière suffisante, au regard du dommage subi par le salarié et de sa situation particulière (âge, état de santé, perspectives de retour à l’emploi, etc.). Ce faisant, les juridictions « rebelles » ont réalisé un contrôle concret (ou in concreto) afin de s’assurer que l’application de la loi débouche sur une indemnité « adéquate ».

Il vous reste 50.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Déclaration de revenus : qui a intérêt à déduire ses frais réels cette année ?

Pour le calcul de l’impôt sur le revenu, les frais engagés par les salariés dans le cadre de l’exercice de leur profession sont déductibles de leur salaire imposable.

Leur prise en compte s’effectue par défaut par une déduction forfaitaire de 10 %, avec un minimum de 448 euros, et un maximum de 12 829 euros, pour ceux qui ont perçu une rémunération supérieure à 128 290 euros. L’abattement est automatique : il n’y a pas, sur la déclaration de revenus, de case spécifique à cocher pour en bénéficier.

Au moment de remplir votre déclaration de revenus, vous pouvez cependant renoncer à cette déduction forfaitaire et déduire vos frais réels. Mais, dans ce cas, les allocations et remboursements de frais éventuellement perçus deviennent taxables (par exemple les allocations pour frais de télétravail). Il faut donc les ajouter à votre salaire imposable. N’oubliez pas d’en tenir compte pour arbitrer entre les deux possibilités.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Impôts : comment bien remplir sa déclaration de revenus

Le choix des frais réels est bien sûr intéressant si ceux-ci ont représenté plus de 10 % de votre salaire annuel. Vous pouvez le retenir si vous avez eu des frais particulièrement élevés en 2021, et revenir l’an prochain à la déduction forfaitaire. En outre, chaque membre de votre foyer fiscal peut opter pour la solution la plus avantageuse pour lui.

Repas, abonnements, trajets…

Que pouvez-vous déduire ? Tous les frais liés à votre activité : frais de repas, de déplacement, d’hébergement et de téléphone, achats de vêtements inhérents à votre profession (blouses, uniformes, chaussures de protection, etc.), dépenses relatives à un local professionnel si votre employeur n’en met pas un à votre disposition ou à une double résidence si vous avez dû travailler loin de chez vous (coût du déménagement compris).

Pour les frais de déplacement, les trajets domicile-lieu de travail sont concernés dans la limite d’un aller-retour par jour (80 kilomètres au maximum, sauf circonstances particulières justifiant un éloignement plus important entre votre domicile et votre lieu de travail), si vous avez utilisé votre véhicule personnel. Les dépenses liées à la recherche d’un nouvel emploi sont aussi déductibles de vos revenus imposables dès lors que vous étiez inscrit à Pôle emploi : déplacement pour un entretien, équipement informatique, abonnement à Internet, frais de formation, etc.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Impôts : qui va pouvoir bénéficier de la revalorisation du barème kilométrique ?

L’option pour les frais réels suppose que vous puissiez prouver leur réalité. Donc que vous ayez conservé les justificatifs (factures, quittances, notes d’hôtel, de restaurant…) : ils pourront vous être réclamés jusqu’en 2024.

Il vous reste 51.66% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« La Main visible des marchés » : le marketing ou l’ambivalence du « consommateur roi »

Le livre. Le marketing ? « Le mal incarné », une « prison (…) qui engourdit l’intelligence autant que les sensibilités », une activité orchestrée par des marketeurs, « mercenaires sans scrupule [qui] manipulent les peurs et les désirs, déforment, uniformisent, trompent, mentent ».

Les premières lignes de l’essai de Thibault Le Texier, La Main visible des marchés (La Découverte), reprennent nombre de critiques régulièrement proférées à l’encontre du marketing. Mais le chercheur associé au Centre européen de sociologie et de science politique s’attache à défaire les idées reçues et apporter une nuance qui lui semble nécessaire dans le regard porté sur le marketing. Il montre aussi combien le dédain et le rejet dont il peut faire l’objet, dans les milieux intellectuels par exemple, ont pu freiner sa progression.

« La main visible des marchés. Une histoire critique du marketing », de Thibault Le Texier. La Découverte, 648 pages, 26 euros.

Dans cette « histoire critique du marketing », Thibault Le Texier explique comment le consommateur est progressivement devenu le centre de toutes les attentions. Alors qu’à ses prémices, au XIXe siècle, la discipline détaillait dans des manuels « l’art de faire ses courses », elle va, au fil du XXe siècle, se concentrer sur les acheteurs, leurs habitudes de consommation, leur personnalité, leurs goûts. Aux Etats-Unis, le secteur agricole fait en cela figure de pionnier et deviendra source d’inspiration. « Il faut plaire à l’œil », affirmait déjà, en 1891, un producteur de céleris.

L’histoire du marketing est celle d’une danse perpétuelle menée par les acheteurs et les vendeurs, où les uns et les autres tentent de se rapprocher et de faire coïncider leurs attentes respectives. Et dans cette chorégraphie, les promoteurs des produits n’ont pas toujours la main. M. Le Texier assure ainsi que le consommateur n’est pas cette marionnette manipulée qu’on imagine parfois. « [Il] est un roi sous influence (…), mais un roi tout de même », estime-t-il, soulignant que le marketing ne peut pas tout : « Plus un individu a le choix, plus il est difficile de faire pression sur lui. » De même, rappelle-t-il, Internet permet aux acheteurs d’avoir accès à de multiples sources d’information sur les produits, réduisant d’autant l’influence de la publicité.

« Victimes consentantes »

Cela n’empêche pas les professionnels du marketing de se démultiplier pour tenter de les séduire (et, surtout, de les fidéliser). Ils segmentent les marchés (femmes, enfants…), scrutent les comportements des clients, s’adaptent en conséquence. L’ouvrage est l’occasion de détailler nombre de ces stratégies. « Depuis les années 1980, des compagnies aériennes, des hôtels, des loueurs de voitures et des banques, distinguant leurs clients par des codes couleur ou des noms génériques, offrent aux plus profitables des services personnalisés, tandis que de nombreux commerçants attribuent à leurs clients des scores d’attractivité », détaille M. Le Texier.

Il vous reste 26.83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A l’ouverture du procès en appel de France Télécom, des prévenus en colère

L’ancien PDG de France Telecom Didier Lombard arrive à la cour d’appel de Paris, le 11 mai 2022.

Deux ans et demi ont passé depuis le jugement qui a fait d’eux les premiers condamnés pour « harcèlement moral institutionnel ». C’était le 20 décembre 2019, et le tribunal correctionnel de Paris faisait entrer dans la jurisprudence cette notion de harcèlement « systémique, managérial », accolée au nom de France Télécom – devenu Orange –, soit une stratégie d’entreprise « visant à déstabiliser les salariés, à créer un climat anxiogène et ayant eu pour objet et pour effet une dégradation des conditions de travail ».

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Procès France Télécom : le « harcèlement moral institutionnel » reconnu par le tribunal

Une victoire historique pour les parties civiles, trente-neuf salariés reconnus victimes, parmi lesquels dix-neuf agents qui se sont suicidés entre 2007 et 2010, et les syndicats à l’origine de la plainte. Une brûlure pour l’ancien PDG Didier Lombard, pour l’ex-numéro deux, Louis-Pierre Wenès, et pour quatre autres cadres ou anciens cadres de l’entreprise, qui ont fait appel de leur condamnation à des peines de quatre à huit mois de prison avec sursis – le maximum encouru était d’un an d’emprisonnement – et à des amendes de 5 000 à 15 000 euros, ainsi qu’au paiement solidaire de près de 3 millions d’euros de dommages et intérêts.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés France Télécom : « C’est un lourd fardeau que le tribunal emporte dans son délibéré »

Mercredi 11 mai, leur colère a éclaté dès les premières minutes de l’audience devant la cour d’appel de Paris, quand la présidente, Pascaline Chamboncel-Saligue, a demandé à chacun sa position sur les faits qui leur sont reprochés.

« Contestez-vous votre culpabilité ?

– Absolument », a répondu d’une voix ferme Didier Lombard, premier à s’avancer à la barre.

L’ancien PDG, âgé de 80 ans, a déplié un petit papier. « Je considère que je n’ai pas été écouté et qu’il y a eu un refus manifeste d’essayer de comprendre la politique que nous avons menée. Nous avons été accusés d’avoir mis en place un complot à trois, destiné à harceler les salariés. Imaginer cela, c’est méconnaître le fonctionnement d’une société comme France Télécom. Une telle société fonctionne grâce à des instances de direction, un conseil d’administration où siègent des représentants de l’Etat et des syndicats, ainsi que des comités locaux où siègent les salariés. Aucun mouvement ne peut être décidé sans que ces instances locales ne soient consultées. »

Le ton est donné. C’est un homme « profondément blessé » par les attendus du jugement et un prévenu combatif qui fait face à ses juges d’appel. « France Télécom est ma maison. M’accuser d’avoir voulu ou fait quoi que ce soit pour dégrader les conditions de travail de mes collègues, c’est méconnaître l’attachement d’une vie entière passée au service de France Télécom. Au contraire, j’ai tout fait pour cette maison. (…) J’ai entendu les souffrances exprimées au cours de l’instruction et de l’audience et j’en resterai à jamais profondément désolé. Mais je continuerai de dire que ce n’est pas la politique que j’ai voulue. »

Il vous reste 61.27% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Indemnités prud’homales : la Cour de cassation valide le « barème Macron »

La cour de Cassation à Paris, le 26 septembre 2018.

Epilogue judiciaire pour le « barème Macron » : la Cour de cassation a validé mercredi 11 mai cette mesure phare et très contestée du début du premier quinquennat du président de la République, qui a abouti à plafonner les indemnités pour licenciement abusif aux prud’hommes.

La Cour a estimé que le barème n’était « pas contraire » à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui prévoit qu’en cas de licenciement injustifié le juge puisse ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié. Elle a en outre écarté la possibilité de déroger « même au cas par cas » à l’application du barème.

Le « barème Macron » est entré en vigueur en septembre 2017 par voie d’ordonnance, malgré la vive opposition des syndicats, et a été validé par le Conseil constitutionnel en 2018. Il a supprimé le plancher de six mois minimum d’indemnité pour les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté, et plafonné entre un et vingt mois de salaire brut, en fonction de l’ancienneté, les dommages et intérêts dus en cas de licenciement abusif (hors licenciement pour harcèlement ou discrimination).

L’assemblée plénière de la Cour de cassation avait déjà rendu en juillet 2019 un avis favorable au barème, mais cet avis ne la liait pas, ni l’ensemble des juges du fond, et plusieurs cours d’appel avaient décidé de s’en affranchir.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le plafonnement des indemnités prud’homales devant la justice

« La loi doit être la même pour tous »

La chambre sociale de la Cour de cassation, siégeant en formation plénière le 31 mars, a examiné les pourvois formés dans quatre affaires. Dans l’une d’entre elles, la plus exemplaire, la cour d’appel de Paris avait écarté en mars 2021 l’application du barème, alors que la somme prévue par ce dernier « couvrait à peine la moitié du préjudice » subi par la salariée, dont l’ancienneté était inférieure à quatre ans.

A l’audience du 31 mars, la première avocate générale, Anne Berriat, a invité la Cour de cassation à valider le raisonnement de la cour d’appel. Sans remettre en cause le barème lui-même, elle a estimé que les juges étaient fondés à apprécier « in concreto » (de manière concrète au regard de chaque situation particulière) si l’indemnité perçue était « adéquate ».

Mais pour la Cour de cassation, ce contrôle « in concreto » créerait « pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable » et « porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi ».

Avocat de l’un des employeurs à l’origine des pourvois, Me François Pinatel s’est félicité de cette décision. « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège. Le contrôle in concreto aurait été un poison pour l’ordre juridique », a-t-il estimé sur Twitter. Le président de la CPME François Asselin a aussi salué une position qui « va sécuriser les employeurs sur le champ potentiel du contentieux, sans rien enlever aux salariés ».

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés Indemnités prud’homales : « Discutable sur le fond, l’avis de la Cour de cassation qui conforte le barème Macron ne lie pas les juges »

Une décision « scandaleuse »

« Permettant un resserrement et une uniformisation des indemnisations pour des salariés se trouvant dans les mêmes situations, le barème (…) donne une plus grande prévisibilité dans la relation de travail et a permis de développer des alternatives au contentieux, ce qui in fine contribue à une augmentation continue des embauches en CDI », a pour sa part souligné le ministère du travail dans un communiqué.

La CGT a, a contrario, dénoncé une décision « scandaleuse », et promis de « poursuivre la lutte contre le barème et pour les droits des salariés ». FO, se fondant sur les conclusions d’un récent rapport approuvé par le conseil d’administration de l’OIT, a indiqué envisager de « demande (r) au gouvernement de revoir sa législation ».

Ce rapport avait été versé aux débats lors de l’audience fin mars. Validant le principe d’un barème, il invitait « le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation » de façon à s’assurer qu’il permette bien une « réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Indemnités prud’homales : des montants en baisse depuis la création du « barème Macron »

Le Monde avec AFP

« On le savait, on le redoutait. On se demandait juste quand ça allait arriver » : dans le Lunévillois, la lente agonie des faïences de l’Est

Autrefois, la Lorraine était une terre d’élection pour les arts du feu. Faïenceries et cristalleries y brillaient depuis le XVIIIe siècle. Mais avec la disparition des faïenceries de Saint-Clément (Meurthe-et-Moselle), dans le Lunévillois, placées en liquidation judiciaire le 21 mars, une page de l’histoire se tourne. Le lendemain, les cinq derniers ouvriers faïenciers, qui continuaient, dans une manufacture en délitement, à décorer à la main des pièces du stock, ont été convoqués pour un entretien préalable à leur licenciement. « Les gars, ça faisait plusieurs mois qu’ils n’avaient plus de camelote pour bosser, maugrée un ancien de l’usine, aujourd’hui en retraite. Ils décoraient des vieux sujets, ils n’avaient rien que de la vieille terre pour bosser. »

Jean-Claude Kergoat, le gérant de l’entreprise, à la tête du groupe Les Jolies Céramiques, qui avait repris les faïenceries de Saint-Clément en 2012, est amer. « J’ai été lâché par tout le monde : les décideurs locaux, les politiques. J’étais dans le désert total. Seul un repreneur qui aurait beaucoup de courage, un peu de talent et l’envie de sauver ce patrimoine historique pourrait éviter la disparition de Saint-Clément et d’un savoir-faire précieux. Je l’attends. »

Lire aussi : Quelques grammes de finesse… et de faïence

Une accusation que réfute Bruno Minutiello, le président de la communauté de communes du territoire de Lunéville à Baccarat, qui connaît bien le dossier. « Il y a un an, nous avons vu M. Kergoat, car la situation était préoccupante. Il n’y avait plus dans la manufacture que deux ouvriers qui travaillaient la faïence. Le dirigeant nous faisait des demandes de subvention que nous ne pouvions honorer. On n’a pas pu ouvrir le débat pour parler d’une relance de la production. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est le savoir-faire que très peu de personnes, qui sont en outre d’un âge avancé, détiennent. On est en contact avec la DRAC [direction régionale des affaires culturelles] pour essayer de sauver les meubles et la marque Saint-Clément, qui est propriété de la communauté de communes. »

« Les gens vont chez Ikea s’acheter des assiettes »

« On le savait, on le redoutait. On se demandait juste quand ça allait arriver » : Catherine Calame, présidente de l’association Saint-Clément, ses fayences et son passé, est la mémoire de cet art qui remonte à 1758, lorsque la faïencerie fut créée pour rivaliser avec la porcelaine fine et décorer richement les tables de la cour lorraine, à Lunéville. Au fil du temps, des services de table ornés de fleurs ou de coqs, ou des sujets moulés, sont sortis de la manufacture, fort prisés par une clientèle lorraine.

Il vous reste 55.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les déboires de l’usine Chapelle-Darblay racontent à la fois les difficultés de l’industrie française, de la presse papier et de l’économie circulaire »

Le directeur général de Veolia France, Jean-François Nogrette, reçoit les clés du site de la Chapelle-Darblay, à Grand-Couronne (Seine-Maritime), de la part du maire de Rouen et président de la Métropole Rouen-Normandie, Nicolas Mayer-Rossignol, le 10 mai 2022.

Nicolas Mayer-Rossignol, maire (Parti socialiste) de Rouen et président de la Métropole Rouen-Normandie, pouvait être fier, mardi 10 mai, quand il a tendu les clés de l’usine Chapelle-Darblay à son nouvel acquéreur, le groupe Veolia, associé au fabricant de pâte à papier Fibre Excellence. Le matin même, il avait officiellement acheté cette usine très symbolique au groupe papetier finlandais UPM. Symbolique, parce que les déboires à répétition de cette unité normande racontent à la fois le déclin de l’industrie française, celui de la presse papier, son principal client, et les difficultés de l’économie circulaire.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Vers un maintien du recyclage du papier à la Chapelle-Darblay

Jusqu’en 2019, l’usine Chapelle-Darblay produisait près du quart du papier journal en France et recyclait pour cela 40 % du contenu papier des poubelles jaunes de l’Hexagone. Une industrie difficile, qui a vu au cours des décennies les entreprises françaises perdre pied progressivement au profit des grands spécialistes du nord de l’Europe. Le groupe Chapelle-Darblay dépose son bilan une première fois en 1980.

Devenue le nouveau symbole de la lutte ouvrière, la société, qui fournissait plus de 80 % du papier journal de France, est sauvée par les pouvoir publics (grâce notamment à un certain Laurent Fabius, élu local), puis vendue pour un franc symbolique, en 1987, à l’homme d’affaires François Pinault. Celui-ci cède trois ans plus tard, et après de nouvelles subventions, la société au suédois Stora et au finlandais Kymmene, avec une jolie plus-value. En 2019, ce dernier, devenu UPM, jette l’éponge devant l’effondrement du marché de la presse papier et annonce la fermeture du site et le licenciement de ses 230 employés.

Minces marges bénéficiaires

Cette fois encore, la collectivité vient au secours de ce site mythique. Mais cette fois, signe des temps, non plus au nom de la préservation de l’emploi, mais de l’écologie. La Métropole Rouen-Normandie s’oppose à un projet de vente qui prévoyait la reconversion des activités et la fin du recyclage, fait jouer son droit de préemption, achète le site et le revend le même jour à Veolia.

Ainsi sera maintenue en France une unité mixant à la fois la récupération du papier et son recyclage en carton ondulé, marché en croissance avec l’essor du commerce en ligne. Cela évitera l’expédition de nos déchets papier vers des contrées lointaines, puisqu’il n’y a pas d’autres unités de ce genre en France. L’économie circulaire le sera donc vraiment… à condition que l’économie fonctionne.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les défis de l’économie circulaire

Il y a déjà deux autres usines de carton en France. Il n’est pas sûr qu’il y ait de la place pour tout le monde et les marges bénéficiaires sont déjà minces, tandis que la conjoncture s’assombrit. Ce qui pose la question de l’insertion dans l’économie marchande de l’économie circulaire et de ses effets sur le reste de l’industrie. Encore un peu de travail en perspective pour l’édile de Rouen et un sujet de réflexion pour tous ceux qui rêvent de planifier la transition écologique.