Archive dans avril 2022

En Haute-Garonne, une école pour aider les jeunes à réconcilier « fins de mois et fin du monde »

Cassandre, une élève, et Olivier, son professeur, en cours de menuiserie et agencement, novembre 2021.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Coralie, 24 ans, s’est toujours entendu dire qu’elle n’avait « pas le niveau pour continuer à l’école ». Une prophétie autoréalisatrice, se dit-elle quand elle rate son brevet des collèges. Exit donc ses rêves d’enfance de travailler dans la couture ; on l’oriente plutôt vers la vente, un secteur qui recrute en milieu rural, même sans diplôme. A 16 ans, elle démarre ainsi, un peu par hasard, un apprentissage dans un supermarché à côté de chez elle. Une première expérience dont elle ressort sept ans plus tard, en 2021, complètement essorée par les conditions de travail, avec de sérieux problèmes de santé, et une seule certitude : elle ne remettra plus jamais les pieds derrière une caisse.

Que faire d’autre, là était toute la question. « Je n’avais jamais sérieusement réfléchi à trouver un métier qui me plaisait. Je savais simplement que je voulais travailler avec mes mains », rapporte la jeune femme. La mission locale de Carbonne (Haute-Garonne) lui parle alors de l’Ecole de la transition écologique (ETRE). Elle a été ouverte en 2017 par des éducateurs et des spécialistes de l’environnement à Lahage, un village de 200 habitants perdu dans l’arrière-pays toulousain. L’objectif : « remobiliser » des jeunes âgés de 16 à 25 ans, déscolarisés ou sans emploi, grâce aux métiers « verts ».

Chaque année, une centaine de jeunes y sont formés. Certains sont en rupture scolaire, d’autres, étudiants en réorientation ; tous sont en quête de sens. Sept autres écoles, sur le même modèle, existent en France. « Leur accès est gratuit [le financement est assuré par les régions, l’Europe, des fondations privées et des entreprises locales] et chacune se développe en adéquation avec les acteurs et les besoins locaux », décrit le président de la Fondation ETRE et fondateur de l’école-pilote, Frédérick Mathis, aussi codirecteur de l’association d’éducation à l’environnement 3PA (penser, parler, partager, agir). Le réseau ETRE continue aujourd’hui d’essaimer. « L’objectif, en 2022, c’est d’ouvrir quatre autres écoles », projette le directeur.

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L’association, créée en 2004, a d’abord mené des actions dans les quartiers prioritaires de Toulouse. « Mais parler de transition écologique à des jeunes qui n’avaient jamais franchi le périphérique et qui pensaient d’abord à boucler leurs fins de mois, ça ne pouvait pas fonctionner, se souvient le directeur. Si on ne prend pas la peine d’embarquer ces jeunes sur ces thématiques-là, ni de leur montrer qu’il est possible de concilier plusieurs préoccupations, fins de mois et fin du monde, la transition écologique risque de ne pas se faire, ou alors de manière violente. » 3PA a donc fait le choix de partir à la campagne et de fonder une école au sein d’un tiers-lieu consacré à l’économie circulaire. Une conserverie de légumes bio, une entreprise de revalorisation de meubles ainsi qu’une brasserie artisanale y sont installées. Elèves et professionnels se côtoient ainsi quotidiennement.

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« L’Ecole urbaine de Lyon doit poursuivre ses activités »

La décision du ministère de l’enseignement supérieur de retirer le label « Instituts Convergences » et ses financements à ce programme interdisciplinaire croisant enjeux urbains et environnementaux met en péril une passerelle exemplaire entre recherche, culture et société, alerte un collectif d’universitaires et de chercheurs dans une tribune au « Monde ».

« Il faut redonner du sens au travail de service »

Tribune. Le secteur des services n’a jamais représenté autant d’emplois en France (76,1 % du total en 2018, selon l’enquête « Emploi » de l’Insee). Pourtant, médias et politiques français prêtent plus attention aux fermetures d’usines qu’au secteur des services, plaçant tous leurs espoirs dans le renouveau industriel européen pour tirer la croissance. C’est regrettable, et même dangereux. Car malgré le regain d’intérêt pour les métiers « de première ligne » au moment de la pandémie, une véritable crise des métiers de services se profile à l’horizon. Difficultés de recrutement, manque de valorisation, violence des rapports sociaux : il est temps que politiques et décideurs réagissent.

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Le symptôme le plus évident est celui du recrutement. Des secteurs comme l’hôtellerie, la restauration, l’éducation nationale ou la santé sont plombés par la désaffection de leurs salariés. Simple problème de recrutement, gros coup de fatigue d’employés trop sollicités ou insuffisance des salaires, dans un nombre limité de secteurs, les fameux « métiers essentiels » ? Ces éléments de diagnostic sont justes, mais un peu courts. Pour apporter des réponses à cette crise des services, il va falloir repenser l’expérience des travailleurs de ce secteur. Au-delà des chiffres de l’emploi et de la rémunération, une lecture des mutations à l’œuvre, concentrée sur l’expérience du travailleur de services et le sens donné au métier, permet de dégager trois fronts sur lesquels se joue la crise des services.

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Le premier front porte sur le sens du travail relationnel et de la reconnaissance que les employés en tirent. Dans beaucoup de métiers de services (hôtellerie et restauration, tourisme, commerce), le travail implique de longues heures à interagir avec des clients ou des usagers. Ces activités, qui consistent à se mettre « au service de », sont socialement moins valorisées. Quel sens, quelle reconnaissance y trouver aujourd’hui, dans un contexte d’automatisation ? L’introduction croissante des chatbots et autres caisses automatiques tend à rendre invisibles les employés de services et remet en cause la valeur de leur contribution et de ce qu’elle a de typiquement humain.

Pic émotionnel

Le deuxième front est celui du pouvoir. La pandémie a radicalisé les comportements des clients, révélant le meilleur (des clients plus compréhensifs) comme le pire (des clients rétifs aux contraintes sanitaires, mais aussi un sentiment que « tout est dû »). Un pic émotionnel a été atteint en juillet 2021, lorsqu’un employé d’une boutique de téléphonie mobile a été poignardé par un client. Dans les métiers de services à faible statut, la question de la soumission au client roi n’est pas nouvelle, et les employés peinent à faire respecter une limite légitime aux comportements des clients. Le soutien des employeurs, qui ont du mal à concilier protection des employés et satisfaction des clients, fait souvent défaut.

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« L’enjeu de France Travail sera de mieux coordonner les acteurs de l’emploi »

Tribune. Un outil conçu pour traiter le chômage de masse est-il pertinent pour accompagner le retour au plein-emploi ? Evidemment, non. C’est sans doute ce qui a motivé le président de la République et candidat à proposer la transformation de Pôle emploi en France Travail. L’enjeu est de mieux coordonner les efforts des différents acteurs de l’emploi et de les réunir sous une bannière commune, qui se voudrait plus lisible, plus efficace et permettrait d’accompagner tous les publics dans leur projet de formation, de mobilité, d’entrée vers l’emploi ou de retour au travail.

Le dispositif d’accompagnement vers l’emploi est aujourd’hui éclaté. C’est la conséquence d’une intention louable de la part des pouvoirs publics nationaux et locaux : contenir le chômage et démultiplier les efforts possibles en ce sens. Il en résulte un fonctionnement en silos dans l’approche des différents publics : chômeurs, jeunes, bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et travailleurs en situation de handicap.

Initiatives hétérogènes

Ainsi, aujourd’hui, Pôle emploi est chargé de l’accompagnement au retour à l’emploi, de l’indemnisation et de la mise en relation des employeurs et des chômeurs au sein de mille agences. Son approche est assez monolithique et répondait jusqu’ici à des enjeux de volume.

Les missions locales sont, quant à elles, des structures associatives présidées par des élus locaux, dédiées aux jeunes de 16 à 25 ans, qu’elles accompagnent dans une approche dite « globale » et avec une grande variété de méthodes d’accompagnement, intégrant à la fois l’emploi, la formation, l’orientation, la mobilité, le logement, la santé, l’accès à la culture et aux loisirs. Elles sont 450 sur le territoire national.

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Les collectivités territoriales ont par ailleurs mis en place de nombreux outils d’aide à l’accès à l’emploi, souvent complémentaires, parfois redondants, qu’elles gèrent directement ou qu’elles confient à des acteurs tiers. Leurs initiatives sont très hétérogènes en nature et en impact.

Enfin, la centaine d’organismes Cap Emploi ont la responsabilité de l’accompagnement et du maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.

Une nouvelle approche

Dans ce contexte, l’enjeu de France Travail sera de mieux coordonner ces acteurs, de faciliter le partage des données sur le suivi des personnes privées d’emploi et d’identifier le parcours d’accompagnement qui fonctionne spécifiquement pour chacune d’elles.

Le contexte a beaucoup changé en cinq ans et justifie une nouvelle approche, plus ciblée et plus personnalisée, dont le coût moyen sera sans doute plus élevé.

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« On devrait vouloir non pas de moins de bureaucratie, mais de meilleures bureaucraties »

Tribune. Le thème de la bureaucratie réapparaît régulièrement, sous des formes variées, à chaque élection présidentielle, souvent pour souhaiter sa disparition. Après la « start-up nation », en 2017, on retiendra cette fois une éphémère candidature antibureaucratie [celle du philosophe libéral Gaspard Koenig], appelant à un pays enfin libéré de ses pesanteurs administratives. A chaque fois, la cause réunit sous sa bannière diverses préoccupations : les ultralibéraux et les libertariens « ennemis de l’Etat » ; ceux qui veulent « libérer les énergies » entrepreneuriales du joug administratif ; les tenants du new public management ; ceux qui constatent – souvent à raison – certains dysfonctionnements bureaucratiques.

Pourtant, cet « anti » ou « post »-bureaucratisme prospère sur deux malentendus, que la recherche en science des organisations permet de dissiper. Premier malentendu, ou sous-entendu trop peu démenti : les bureaucraties seraient nécessairement publiques. Or, si l’on revient aux fondamentaux de Max Weber (1864-1920), père de la notion, une bureaucratie est une organisation hiérarchique et structurée par des règles formalisées, qui organise la coordination du travail en vue de produire un bien ou un service commun.

Toute organisation, qu’elle soit publique ou privée, qui dépasse une taille très modeste (c’est-à-dire n’importe quelle start-up ou PME qui commence à grandir) et qui s’appuie sur des hiérarchies (des « manageurs ») et des règles formalisées, est donc une bureaucratie. Qui appelle à moins de bureaucratie s’adresse donc aussi aux entreprises privées.

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Deuxième malentendu : on réduit généralement la bureaucratie à ses excès, en oubliant systématiquement ses avantages. Certes, il n’est pas question de nier ses dysfonctionnements bien connus : rigidité, manque d’innovation, démotivation des employés, perte de sens, « réunionite », paperasserie excessive, décisions absurdes, etc. Mais la bureaucratie ne se réduit pas à cette fameuse « cage de fer » : elle est, avant tout, un mode d’organisation qui, par rapport aux organisations reposant sur le servage ou l’esclavage qui l’ont précédée, représente un progrès, aussi bien en matière d’efficacité du système productif que de bien-être et de dignité au travail.

Surprenante vitalité

En matière d’efficacité, on n’a guère trouvé de meilleur moyen de coordonner le travail de centaines, voire de milliers d’individus de manière structurée et efficace. En matière de bien-être, la bureaucratie garantit une certaine équité de traitement et une protection sociale. On n’y est pas tenu d’obéir à l’arbitraire d’un supérieur qui peut s’avérer despotique, injuste ou simplement inconstant, car on obéit à des règles considérées comme rationnellement légitimes. De plus, on est libre de ses actes en dehors du temps et du lieu de travail : il y a stricte séparation entre vie privée et vie professionnelle.

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« Il faut mettre la motivation au cœur du travail »

Tribune. L’industrie peine à recruter les compétences dont elle a besoin. Elle propose pourtant de nombreux emplois de qualité, mais un problème subsiste pour redonner de l’attractivité aux métiers industriels : l’insuffisante prise en compte de la motivation intrinsèque au travail.

La motivation intrinsèque – faire quelque chose parce que c’est intrinsèquement intéressant et agréable – est notre moteur principal. Elle repose sur la satisfaction de réaliser une tâche plutôt que sur la récompense espérée (salaire, primes, avantages divers), qui est de nature extrinsèque.

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La motivation intrinsèque repose sur quatre piliers : l’autonomie ou le désir de diriger sa propre vie ; la maîtrise ou le développement de ses compétences ; le sens ou l’alignement de ses valeurs et de ses actions ; et enfin un aspect collectif, la qualité des relations dans le groupe. La prise en compte de ces facteurs détermine de plus en plus l’engagement des salariés ou leur démission. Mais dans notre pays, distance hiérarchique et management directif viennent trop souvent percuter le besoin d’autonomie des travailleurs.

La posture du dirigeant lui-même

Le « design du travail » permet de mettre la motivation intrinsèque au cœur du travail. Il s’agit de la capacité d’une organisation à impliquer les personnels, particulièrement les opérateurs et techniciens de production, dans la conception ou l’organisation de leur propre travail, de la même manière qu’un utilisateur/client est associé au développement et à la mise au point du produit qui lui est destiné.

Il s’agit, d’une part, d’intégrer à la conception du travail l’expérience et la participation active de ceux qui le réalisent et, d’autre part, d’assurer l’appropriation et l’usage de nouveaux outils et méthodes de travail, notamment numériques. En définitive, l’objectif est de remettre au premier plan les savoirs de métiers dans l’entreprise.

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Ces savoirs sont certes détenus en partie par les bureaux d’études et des méthodes, mais en premier lieu par les acteurs de terrain. Ce que Taiichi Ohno, père du Toyota Production System, résume d’une phrase : « Les acteurs sont les penseurs de l’activité. »

Le changement culturel à opérer commence par un travail sur la posture du dirigeant lui-même et celle de son comité de direction. Sans ce travail préalable de « lâcher prise », le risque est grand qu’apparaisse rapidement une incohérence entre les objectifs affichés de montée en autonomie des équipes et les comportements réels au sein de l’entreprise.

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« Il faut un changement de paradigme de l’innovation technologique dans les politiques et les discours publics »

Tribune. Depuis une décennie, nous vivons des mutations technologiques majeures (intelligence artificielle, big data, blockchain…). Leur ampleur et leurs effets sur nos économies et nos sociétés promettent d’être comparables à l’émergence de l’informatique dans les années 1970, voire à celle de l’électricité au tournant du XXe siècle. Mais elles alimentent de nombreuses interrogations quant à leur impact sur nos vies.

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Les discours et les politiques sur ces innovations les valorisent avant tout comme des phénomènes économiques dont il faut tirer parti en matière de croissance : elles améliorent la compétitivité des entreprises et créent de nouvelles possibilités d’activité. Ces innovations sont vues comme étant le résultat d’activités de recherche et de développement menées au sein de centres privés ou publics, suivant un processus faisant intervenir successivement la recherche fondamentale et la recherche appliquée, puis des activités de développement et de commercialisation, conduites de manière plus ou moins indépendante les unes des autres.

Mais cette conception de l’innovation, que l’on peut qualifier de « fermée », est anachronique : depuis au moins deux décennies se développent des pratiques d’innovation ouverte, impliquant des acteurs multiples (industriels, usagers et clients, collectifs de citoyens et d’associations, pouvoirs publics, etc.).

Motivations autres que marchandes

En outre, valoriser ainsi les innovations revient à privilégier la seule dimension économique de celles-ci et, pis, à nier leur réelle portée sur nos sociétés pour au moins deux raisons. Premièrement, cela élude les conséquences des innovations sur les plans sociaux et sociétaux, et sur le fonctionnement de nos institutions démocratiques. Conséquences qui n’apparaissent généralement que bien plus tard, à l’image des réseaux sociaux, qui sont devenus des canaux privilégiés de désinformation.

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Cette représentation des innovations technologiques suppose également que leur acceptation par les consommateurs et les bénéficiaires aille de soi. Ces derniers sont alors réduits à une fonction économique de consommation des produits et des services innovants, sans être impliqués dans le processus de conception. Cela a pour effet de nimber de mystère les nouvelles technologies et d’obérer leur acceptabilité publique, comme l’illustre le fait que la campagne de vaccination menée pour surmonter la crise due au Covid-19 ait fait face à de nombreuses résistances parmi la population.

Ces constats appellent à un changement de paradigme de l’innovation technologique dans les politiques et les discours publics. Il devient, en particulier, nécessaire de penser l’innovation au regard, d’une part de son impact potentiel sur la vie des hommes et des femmes, d’autre part de sa capacité à favoriser davantage l’intégration de ceux-ci dans les processus de conception et de diffusion. C’est ainsi que des innovations socialement utiles peuvent émerger de partenariats entre de multiples acteurs, souvent mus par des besoins et des motivations autres que marchands, ce qui a été le cas, notamment, des respirateurs « bricolés » par des médecins et des ingénieurs à partir de masques de plongée, durant les premières semaines de la crise du Covid-19.

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« Un nouvel agencement de notre société du travail est d’ores et déjà à l’œuvre »

Tribune. Un nouvel agencement de la société du travail est à l’œuvre sans qu’aucune réflexion ne soit menée sur ce que nous souhaitons collectivement. Le débat de la campagne présidentielle, cristallisé autour de l’âge de départ à la retraite, témoigne de notre incapacité à repenser notre système, alors que l’urgence est à la réinvention d’un pacte social pour répondre aux évolutions de notre société.

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Dans le monde du travail, l’attention est en effet occupée par le phénomène des plates-formes ou, plus largement, par l’engouement pour l’activité entrepreneuriale et ses « start-uppeurs ». C’est pourtant dans l’univers salarié que tout change. Ne nous y trompons pas : entre la lassitude du lien de subordination, la crise sanitaire et l’efficacité des technologies de communication, l’évolution de la relation salariale et de ses modes d’expression doit être au centre des réflexions, bien plus que le statut juridique des travailleurs de plates-formes, qui n’est qu’un révélateur de perturbations dans une société du travail conçue pour le contrat à durée indéterminée (CDI).

Le CDI reste aujourd’hui la forme normale du travail. Il constitue la pierre angulaire des politiques de l’emploi, en garantissant aux salariés reconnaissance sociale et avantages réservés, tels que l’accès au crédit et au logement. Le CDI a été conçu comme la promesse et la condition d’une vie stable. Cependant, si aujourd’hui la France compte encore près de 80 % de salariés, ils ne sont plus tous titulaires d’un CDI à temps plein et le recours à des formes de contrats de travail atypiques s’est très largement développé.

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Depuis le début du siècle, les réformes du droit du travail ont évolué vers plus de flexibilisation pour répondre à la mondialisation et à la financiarisation de l’économie. Nous sommes alors peu à peu entrés dans une ère d’instabilité, dans laquelle s’impose l’injonction de l’adaptation permanente : le rapport au temps ne s’inscrit plus dans la stabilité. Cette rupture, en germe depuis de nombreuses années, s’est pleinement consommée avec l’essor du télétravail contraint.

Le carburant du siècle

La révolution technologique, les aspirations émancipatrices de l’individu et l’évolution du rôle de l’entreprise dans la société ont également très largement rebattu les cartes : l’individu s’interroge sur son propre rapport au travail et cherche à maîtriser son destin sans abdiquer la plénitude de ses droits en tant que personne et non plus en tant que simple travailleur. La crise résultant du Covid-19 a pesé sur le moral des citoyens et conduit au constat inquiétant d’« une société fatiguée » (rapport CFDT-Fondation Jean Jaurès du 26 novembre 2021). Ce changement de paradigme nous impose plus que jamais de repenser, collectivement, ce que travailler veut dire.

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Mes-Allocs.fr, un site privé qui tire parti de la complexité du système de prestations sociales

« Recevoir ses allocations n’a jamais été aussi simple », « Votre expert dédié vous accompagne dans vos démarches : fini la paperasse ! », promet le site Mes-Allocs.fr. Une démarche payante contestée par les travailleurs sociaux. « Depuis 2018, le site Internet privé Mes-Allocs.fr prospère illégalement sur le dos des personnes les plus fragiles », affirme Joran Le Gall, président de l’Association nationale des assistants de service social (Anas), dans un communiqué du 4 avril. Ce site se présente, détaille-t-il, « comme un simulateur gratuit de droits et propose aux internautes d’estimer leur éligibilité à certaines prestations sociales, allocations familiales, adulte handicapé, logement ou aide personnalisée d’autonomie. Mais derrière cette louable ambition, le fonctionnement de la plate-forme est, en réalité, bien plus mercantile et en totale violation de la loi ».

En cause ? Le fait que l’internaute se voie, dans un second temps, proposer le recours à des experts pour remplir et envoyer les formulaires d’accès à ces prestations « en contrepartie de frais d’inscription et d’un abonnement de 29,90 euros par trimestre », relève l’Anas qui, jurisprudences de la Cour de cassation à l’appui, assure que l’entremise tarifée pour l’accès aux droits est interdite par le code de la santé publique. L’association a, en conséquence, déposé plainte, dès septembre 2019, auprès de la procureure de la République d’Evry – une démarche restée jusqu’ici sans suite –, et alerté par lettre, le 9 janvier 2022, les ministères et institutions concernés.

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« Notre activité est parfaitement légale, comme nous l’avons fait vérifier par des avocats », se défend Joseph Terzikhan, fondateur de Mes-Allocs.fr. « Nous ne prélevons aucun pourcentage sur les aides obtenues, précise-t-il, et, pour financer ce site 100 % privé, nous ne proposons à l’abonnement qu’un coaching pour optimiser le pouvoir d’achat et s’y retrouver dans le maquis des aides sociales. » Ce diplômé de l’Essec dit avoir été sensibilisé par une partie de sa famille, lorsqu’elle est arrivée de Syrie, à la complexité du droit français et à la multiplicité des aides sociales, nationales et locales, dont son site en recense 1 200…

Failles de la CNAF

L’un des objectifs affichés poursuivis par Mes-Allocs.fr est de combattre le non-recours d’allocataires potentiels qui ignorent leurs droits ou renoncent à les réclamer, soit, selon M. Terzikhan, près de 10 milliards d’euros non dépensés, chaque année. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), outil statistique du ministère des solidarités et de la santé, estime, par exemple, dans un rapport publié le 11 février, qu’« un tiers des foyers éligibles ne réclament pas le revenu de solidarité active (RSA) auxquels ils ont droit », ce qui représente, à lui seul, une non-dépense de 3 milliards d’euros par an.

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« Avec l’inflation, ceux qui sont juste au-dessus se retrouvent rattrapés, voire dépassés par le smic, générant un sentiment de déclassement »

Soixante-dix huit francs de l’heure. C’était le niveau, en anciens francs du premier salaire minimum interprofessionnel garanti, le SMIG, instauré au sortir de la guerre en 1950. On travaillait 45 heures par semaine, et il s’agissait de lutter contre la pauvreté et de relancer la consommation. L’objectif reste le même. La France est le pays d’Europe où le salaire minimum, touché par 13 % des Français, se rapproche le plus du salaire médian (50 % des salariés au-dessus).

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La revalorisation régulière a accéléré cette convergence. Avec les retraites, le smic est le seul revenu indexé sur l’inflation. Sa revalorisation, au minimum annuelle, est fonction de l’évolution de l’indice des prix et du pouvoir d’achat. De ce fait, le smic est un totem. Rares sont les candidats à la présidentielle à ne pas promettre un généreux coup de pouce.

Peu de marge

L’accélération soudaine de l’inflation vient singulièrement compliquer cette architecture. Depuis octobre, il a été augmenté de plus de 5 % en cumulé. Ce qui engendre deux effets collatéraux compliqués. Du fait de son taux élevé, la hiérarchie des salaires s’est progressivement écrasée à ses alentours. Désormais presque 7,6 millions de Français, soit un tiers des salariés, gagnent jusqu’à 1,3 smic. Ceux qui sont juste au-dessus se retrouvent rattrapés, voire dépassés par le smic, générant un sentiment de déclassement.

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Charge à eux, bien sûr, de se retourner vers leurs employeurs pour tenter de se rattraper. Bien peu y parviennent, et, c’est l’autre effet collatéral du dispositif, les employeurs ont bien souvent trop peu de marge pour augmenter les salaires. En effet, depuis vingt ans, les bas salaires ont massivement migré vers les métiers de services non automatisables ni délocalisables. La restauration et les services à la personne représentent la majorité des smicards. Des professions à la rentabilité et aux salaires plus faibles que dans les autres services ou l’industrie. La solution d’une augmentation générale par des accords de branche est possible, mais elle conduirait à repasser le mistigri de l’inflation au consommateur, ce qui ralentirait l’économie très dépendante de la consommation. Le piège de l’inflation est en train de se refermer.