Archive dans avril 2022

Le SOS des maraîchers nantais face aux surcoûts générés par la guerre en Ukraine

Les maraîchers installent des tunnels en plastique sur les parcelles de mâche, à Saint-Julien-de-Concelles (Loire-Atlantique), le 24 mars 2022.

« On est tous dans le même bateau. On ne fait que subir et, tous les jours, la situation empire. » Le cri d’alarme est signé Jean-François Vinet, codirigeant de la société de maraîchage Les Trois Moulins, à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, à 25 kilomètres au sud de Nantes. La profession, qui sortait à peine la tête de l’eau après la crise sanitaire due au Covid-19, plonge de nouveau dans le rouge depuis le début de la guerre en Ukraine. L’équation est intenable : les charges relatives aux intrants agricoles « explosent ». Les factures énergétiques flambent vertigineusement et, en un an, le prix des engrais a doublé, et celui d’autres matières nécessaires à la production – sable (+ 10 %), film de protection des cultures (+ 55 %), cartons pour emballer les marchandises (+ 35 %) – bondissent aussi dangereusement. Le CO2, utilisé en apport pour les cultures sous serre, voit aussi son prix s’envoler (+ 45 %).

La cote d’alerte est atteinte au pays de la mâche, production-phare qui pèse 30 000 tonnes annuelles, soit 85 % de la production nationale. A tel point que Philippe Retière, président de la Fédération des maraîchers nantais, s’est fendu d’un courrier pour interpeller le préfet et les parlementaires de Loire-Atlantique, mais aussi le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, et le premier ministre, Jean Castex, sur la gravité de la situation. A l’échelle des 200 entreprises de production de la fédération, soit 5 000 emplois équivalents temps plein revendiqués, « le surcoût annuel va atteindre 100 millions d’euros », expose M. Retière, qui dénonce « un impact inconcevable sans une revalorisation des prix payés aux producteurs doublée d’un soutien direct à la production de la part de l’Etat ».

Moins produire

Maraîcher serriste à Bouguenais, à 6 kilomètres de Nantes, Louis Vinet, spécialisé dans la production de concombres, serre les dents. « Les producteurs agricoles sont le premier maillon de la chaîne, souffle-t-il. La guerre en Ukraine nous met à terre, on se prend un peu toutes les hausses dans la gueule. » Le maraîcher, qui table sur une production annuelle de 6 millions de concombres, a d’ores et déjà décidé de réduire la voilure. « Cette année, on fera un million de pièces en moins, affirme-t-il. On va être contraints de moins chauffer les serres, donc de moins produire. On arrêtera les frais à la fin du mois d’août au lieu de poursuivre l’activité jusqu’à octobre, sous peine de produire à perte. »

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La vingtaine de salariés permanents de l’entreprise risque d’être au chômage technique durant un mois à l’automne. Et le renfort de travailleurs, en pleine saison, sera moindre que prévu : une vingtaine de contrats, contre une trentaine en temps normal.

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« La Raison économique et ses monstres », d’Eloi Laurent : renverser le mythe de la croissance

« Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Dans l’épigraphe de son ouvrage La Raison économique et ses monstres (Les liens qui libèrent), l’économiste Eloi Laurent convoque l’artiste espagnol Francisco de Goya (1746-1828), citant le nom de l’une de ses gravures. Une manière de nous inviter à nous interroger sur la notion de léthargie, celle dans laquelle serait plongé le débat économique contemporain. Celle, aussi, dont pourrait être victime le lecteur lui-même, face à une « pensée dominante » centrée sur la croissance.

« La Raison économique et ses monstres », d’Eloi Laurent. Editions Les liens qui Libèrent, 112 pages, 12 euros.

A-t-on encore prise sur les choix économiques ? L’auteur, qui enseigne notamment à Sciences Po et à l’université de Stanford (Californie), répond par l’affirmative dans un essai bref et au rythme enlevé, qui représente le troisième volume de ses « Mythologies économiques ». Ces choix ne sont pas, selon lui, « des vérités scientifiques qui s’imposeraient à nous comme les lois de la physique ou de la biologie ». A la résignation qui a pu gagner certains cercles, il oppose la capacité d’action et la possibilité de changer de cap. Il l’assure : « L’économie, c’est nous. »

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Ce changement est une urgence, à ses yeux, tant « nos systèmes économiques aggravent les chocs écologiques d’une main et affaiblissent les institutions qui pourraient nous en protéger de l’autre ». Pour l’engager, une étape préalable s’impose : déconstruire le récit actuel, fait de « mythologies » et d’« apparences » dont il convient de se « désintoxiquer ».

L’économie prend au fil des pages la forme d’un « monstre mythologique », d’une « chimère à trois têtes ». « La première, la tête de chèvre, ânonne sans fin le présent : nous devons réformer pour performer », explique Eloi Laurent. C’est la vision du néolibéralisme. Une vision mise à mal selon lui par l’épidémie de Covid-19, qui a consacré « le triomphe de l’Etat-providence ».

L’apparence d’un serpent

L’auteur souligne que, conséquence de la crise sanitaire, « ce sont des indicateurs de santé-environnement qui doivent désormais gouverner l’économie ».

La deuxième tête du « monstre » prend l’apparence d’un serpent. Elle « ressasse le passé et crache son venin nostalgique : nous devons nous venger de notre déclin ». Derrière elle se cache la social-xénophobie, une idéologie qui estime que « la submersion prochaine du modèle social [justifierait] de le défendre contre les profiteurs étrangers ». L’auteur démonte cette théorie, soulignant notamment l’attachement des Français à la solidarité sociale.

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La troisième tête qui émerge de l’essai d’Eloi Laurent est celle d’un lion. Il « brûle l’avenir de son souffle ardent : nous devons consommer, en nous consumant ». Telle est la description de l’écolo-scepticisme. La transition écologique s’annonce « horriblement coûteuse » ? L’auteur assure que « c’est la non-transition écologique qui est hors de prix ».

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Michelin, EDF… Le management en coconstruction, une notion à la mode dopée par le télétravail

« Après deux ans d’adaptations incessantes des pratiques de travail aux aléas de la crise sanitaire, les entreprises ont perçu l’intérêt de partir des besoins des salariés pour définir de nouveaux cadres qui puissent s’appliquer quelle que soit la situation. »

La coconstruction entre manageurs et salariés est devenue un mot à la mode dans les entreprises. Il se décline progressivement sur toutes les thématiques : le dialogue social chez Michelin, le modèle managérial pour EDF, ou le télétravail pour tant d’autres.

Après deux ans d’adaptations incessantes des pratiques de travail aux aléas de la crise sanitaire, les entreprises ont perçu l’intérêt de partir des besoins des salariés pour définir de nouveaux cadres qui puissent s’appliquer quelle que soit la situation. « Il est nécessaire d’intégrer la voix du collaborateur pour coconstruire et réinventer des rites en fonction des situations, codesigner les usages avec une réversibilité possible », estime David Gautron, associé du cabinet de conseil Julhiet Sterwen, spécialisé en transformation des organisations.

Le rapport de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) publié le 6 décembre 2021, qui analyse une quarantaine d’accords d’entreprise signés depuis le Covid-19, donne autant d’illustrations de cette approche collective, adoptées pour intégrer durablement le télétravail : outils, rituels, management, tout est revisité. Le Club Med, BNP Paribas, Crédit agricole ou Axa ont ainsi ouvert des chantiers de smart working pour définir en « coconstruction » une façon différente de travailler. Le terme de « smart working » exprime une double exigence : les salariés sont responsables de produire des résultats, et de maintenir un bon équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle.

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Larges consultations des collaborateurs, expérimentations encadrées dans le temps (sur six, douze voire dix-huit mois) et réversibilité des organisations – la possibilité de revenir en arrière – sont les trois temps de la coconstruction. Elle « se fait sous forme d’atelier, où les salariés sont réunis avec leur manageur, partagent leurs attentes et leurs contraintes. Ils partent de l’existant pour établir une “carte d’expériences”, soit la description d’une journée ou une semaine type découpée par nature d’activité ou de mission, en précisant s’il s’agit d’une activité individuelle ou collective », explique David Gautron.

Un « collectif pivot »

L’impulsion vient évidemment de la direction dans la majorité des réorganisations, « mais les questionnaires mis en place peuvent réorienter les idées de la direction, afin que l’expérience [du] salarié soit optimale. Le danger serait de faire de la coconstruction en chambre », met en garde Julien Lever, PDG adjoint de Julhiet Sterwen.

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« Concernant les classements des établissements de l’enseignement supérieur, les mécanismes d’autorégulation semblent insuffisants »

Certains médias ou organismes se montrent peu regardants sur la qualité des données transmises par les établissements qu’ils classent, et se muent parfois en consultants pour les aider à être mieux placés, analysent, dans une tribune au « Monde », les chercheurs Vincent Iehlé et Julien Jacqmin, qui appellent à la création d’une institution de contrôle impartiale.

Pour être efficace, une méthode de gestion doit avoir un sens pour les équipes

Gouvernance. Dans un ouvrage qui fit date, l’économiste américain Harvey Leibenstein (1922-1994) montrait que si l’efficacité dépend du montant de capital et de travail investi, elle ne résulte pas de la simple addition de ces facteurs : plus que l’accumulation massive de moyens de production, la capacité des travailleurs à se mobiliser dans un projet qui a du sens détermine les résultats. C’est ce qu’il appelle l’« X-efficience » (General X-Efficiency Theory and Economic Development, 1976).

Il empruntait cette idée au grand romancier russe Léon Tolstoï (1828-1910) qui, dans son chef-d’œuvre La Guerre et la paix (1867), développe des réflexions pénétrantes sur les mécanismes de l’histoire et sur ce qui motive les mouvements de fond dans les sociétés humaines. Analysant l’échec de l’invasion de la Russie par les Français en 1812, il se demande pourquoi une telle concentration de moyens matériels et humains n’avait pu empêcher de conduire au désastre la grande armée napoléonienne.

Il repère deux erreurs décisives dont la portée dépasse cette tragédie : la première est de croire que la volonté du chef militaire et ses ordres suffisent à mouvoir les masses qu’il commande ; en réalité, ce sont les volontés de milliers d’humains impliqués dans l’organisation des opérations qui prennent des milliers de décisions à différents niveaux et, en s’alignant plus ou moins consciemment sur l’idée d’un projet commun, qui assurent sa réussite.

La deuxième erreur est de négliger le rôle que joue le sens moral de ces humains, c’est-à-dire le sentiment qu’ils agissent collectivement pour une cause qui vaut la peine de s’engager, de prendre des initiatives et de soutenir un effort dans la durée.

Dirigeant aveuglé par son inspiration

Faute de cette lucidité, Napoléon a cru que donner des ordres suffisait pour être obéi, sans considérer que, dans la pratique, leur traduction aux différents échelons n’était pas cohérente ; et que ce manque de cohérence tenait à l’incompréhension par les gradés comme par la troupe, de la raison de l’aventure guerrière dans laquelle ils étaient embarqués, face à des ennemis qui, eux, savaient qu’ils luttaient pour leur survie.

Napoléon a cru que donner des ordres suffisait pour être obéi, sans considérer que, dans la pratique, leur traduction aux différents échelons n’était pas cohérente

En s’inspirant de Tolstoï, Leibenstein rappelait que la vie des entreprises peut aussi pâtir de ces deux erreurs. D’une part, lorsque le dirigeant, aveuglé par son inspiration, agit comme si l’organisation n’était qu’une mécanique animée par ses décrets et s’étonne que les choses ne se passent pas comme prévu, en incriminant l’incompétence de ses collaborateurs plutôt que sa naïveté.

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Le nombre de faillites d’entreprises repart à la hausse en France

Après deux ans de calme plat, l’activité revient peu à peu à la normale dans les tribunaux de commerce. Au premier trimestre, selon les chiffres du cabinet Altares publiés lundi 11 avril, 9 972 entreprises ont fait l’objet d’une procédure pour défaillance. Un chiffre en hausse de 35 % par rapport à la même période de 2021, mais encore nettement inférieur à l’étiage constaté en 2018 et 2019, où l’on avait enregistré environ 14 000 défauts sur les trois premiers mois. Au total, ces deux années avaient totalisé 107 000 ouvertures de procédures collectives, contre un peu moins de 61 000 sur les années 2020 et 2021. « On est à moins de la moitié du niveau d’activité d’avant-crise », confirme Frédéric Abitbol, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ).

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La vague des faillites, tant redoutée au début de la crise du Covid-19, a été contenue par la politique du « quoi qu’il en coûte », qui a permis de soutenir les entreprises confrontées à une chute, parfois totale, de leur activité. Ce soutien a représenté au total 240 milliards d’euros sous forme de prêts – dont 145 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat, à destination de 700 000 entreprises – et de subventions.

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La fin des aides et le début du remboursement des prêts garantis par l’Etat expliquent que le nombre de défaillances reparte à la hausse. Ces faillites touchent surtout des entreprises jeunes, de moins de cinq ans. Créées peu avant la crise sanitaire, elles « n’ont pas eu le temps de rencontrer leur marché, leur activité n’a pas vraiment décollé », explique Thierry Millon, directeur des études d’Altares. Elles sont particulièrement nombreuses parmi les commerces d’alimentation générale, petites épiceries ou supérettes de proximité qui n’ont pas « tenu » : les défauts dans ce secteur d’activité sont trois fois plus nombreux au premier trimestre 2022 que sur les trimestres précédents.

Restauration et très petites entreprises

Les faillites ont doublé en un an dans le secteur de la restauration traditionnelle, qui n’a peut-être pas vu revenir les clients aussi nombreux que prévu. Elles augmentent aussi significativement dans les services aux particuliers, coiffeurs et instituts de beauté. S’agissant pour l’essentiel de très petites entreprises, l’impact en termes d’emplois reste relativement faible. « Les dossiers que nous avons traités sur le début de l’année représentent au total 27 000 emplois, et globalement les procédures judiciaires permettent d’en sauver les deux tiers », rappelle MAbitbol.

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A Saint-Denis, émotion autour de la « mutation-sanction » de six enseignants

Ils sont plusieurs dizaines à avoir bravé la pluie, vendredi 8 avril, devant les locaux des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) de Seine-Saint-Denis, à Bobigny. Sous une forêt de parapluies, des professeurs de l’école Pasteur, gros établissement de Saint-Denis classée REP +, sont venus avec les parents d’élèves, quelques enfants et des collègues d’autres écoles « en soutien ». Quelques jours plus tôt, six enseignants (sur dix-neuf) de l’école Pasteur ont reçu une convocation à la DSDEN en vue d’une « mutation dans l’intérêt du service ». Ce déplacement contraint n’est pas une mesure disciplinaire, a insisté l’éducation nationale.

Mais l’équipe vit cette décision comme une injustice. Ce sont eux qui – « collectivement », insistent-ils – ont fait remonter les dysfonctionnements survenus dans leur école depuis la rentrée de septembre, marquée par l’arrivée d’une nouvelle directrice. Les enseignants interrogés précisent au Monde qu’il s’agissait, la plupart du temps, de problèmes logistiques et de sécurité imputables à la gestion de l’école.

Dans la foulée de ces signalements, une enquête administrative est diligentée. « On nous a demandé si on faisait les évaluations, mais rien sur les dysfonctionnements qu’on avait fait remonter », insiste une enseignante concernée par la procédure de mutation, qui, comme ses collègues, ne souhaite pas donner son nom. Il est vrai, reconnaissent les responsables locaux du syndicat SNUipp, que l’équipe de l’école est « engagée ». Elle fait partie de celles qui refusent de faire passer les évaluations de CP, « une démarche soutenue par les syndicats », souligne la secrétaire départementale du SNUipp, Catherine Da Silva.

Réputation de militance

A la mi-janvier, les enseignants de Pasteur ont également découvert, dans le journal d’extrême droite L’Incorrect, une enquête titrée « Gauchisme à l’école : le niveau monte », fondée sur le témoignage d’une directrice qu’ils reconnaissent comme la leur. Elle décrit une école noyautée par « un petit groupe de syndiqués SUD » qui « ne respecte pas la hiérarchie ». Selon nos informations, les adhérents de ce syndicat seraient en fait minoritaires, ce qui n’empêche pas l’école d’avoir acquis une solide réputation de militance – voire, selon une source qui ne souhaite pas être citée, d’être une école « qui a inventé ses propres règles ».

« Nous sommes attachés à la décision collective, indique une enseignante. Mais nous avons toujours respecté notre hiérarchie. Ce que cette directrice voulait, c’était se comporter en cheffe, en ne tenant pas compte de nos décisions. » Dans les textes, un directeur d’école n’est – pour l’instant, car le statut pourrait évoluer – pas un chef d’établissement. Il a pour mission d’animer l’équipe éducative, mais n’a pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants.

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Guerre en Ukraine : Société générale cesse ses activités en Russie

Une agence Rosbank, filiale de Société Générale, à Moscou, en mai 2013.

Société générale avait pris le parti de quitter la Russie peu de temps après le début de la guerre en Ukraine. Son patron, Frédéric Oudéa, avait toutefois indiqué en interne que, « pour une banque qui finance l’économie, qui est sous tutelle de la banque centrale, on ne peut pas dire du jour au lendemain : j’arrête. »

C’est donc « au terme de plusieurs semaines de travail intensif » que le groupe bancaire français a annoncé, lundi 11 avril, la signature d’un accord lui permettant de céder la totalité de sa filiale Rosbank et de ses filiales d’assurance en Russie à Interros Capital. Il s’agit de la holding de l’oligarque Vladimir Potanine, un des hommes les plus riches de Russie et proche de Vladimir Poutine, qui contrôle le géant minier Nornickel. Interros Capital connaît bien la banque puisqu’il était le précédent propriétaire de Rosbank, qu’il a vendue par blocs à Société générale à partir de 2006.

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Cette opération, qui devrait être finalisée « dans les prochaines semaines », va permettre à la banque française de se retirer « de manière effective et ordonnée de Russie, en assurant une continuité » à ses 12 000 collaborateurs et à ses clients, précise le groupe. Dans un communiqué séparé, Interros a précisé, lundi, que « les conditions de l’accord [avaient] été approuvées par la commission gouvernementale du contrôle des investissements étrangers dans la Fédération de Russie ».

« Conséquences financières significatives »

Ce départ se fait au prix fort. Société générale part peu ou prou en laissant les clés. Rosbank, l’une des principales banques privées russes, a été chèrement acquise (4 milliards d’euros au total) et la valeur des activités cédées doit être dépréciée dans les comptes de l’institution française. Celle-ci va en revanche recevoir « un versement » de l’acheteur, Interros Capital, qui inclura le remboursement d’une dette accordée par Société générale à sa filiale russe d’un montant de 500 millions d’euros.

Société générale a chiffré le coût de ce retrait à 3,1 milliards d’euros. La banque tricolore, qui a dégagé 5,6 milliards d’euros de profits en 2021, devrait absorber le choc. Dans un message adressé lundi matin aux salariés du groupe, Frédéric Oudéa a souligné que « cette cession aurait des conséquences financières significatives en 2022, mais que nous saurons gérer ». La banque a d’ailleurs tenu à confirmer le versement d’un dividende de 1,65 euro par action (soumis au vote de l’assemblée générale des actionnaires, le 17 mai) et son programme de rachat d’actions annoncé pour un montant d’environ 915 millions d’euros. « Ce n’est pas létal pour le groupe, mais cet épisode accrédite l’opinion qu’il se passe toujours quelque chose à la Société générale, depuis l’affaire Kerviel, en 2008 », note un ancien dirigeant de la banque.

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L’argot de bureau : le « personal branding », fabrique d’une identité parfaite

Je suis différent des autres, regardez comme je suis original ! Sur les réseaux sociaux, en particulier professionnels, nous sommes toujours en campagne : en permanence, il faut satisfaire et faire croître une communauté.

Certains vont loin pour attirer l’attention des recruteurs : se vendre comme produit sur un faux site façon Amazon, reprendre tous les codes du journal L’Equipe pour s’y faire embaucher (fausse interview de soi-même à l’appui), faire un montage d’extraits de films pour décliner sa lettre de motivation, ou encore… courir vingt kilomètres dans Paris avec un GPS, pour former les lettres du mot « alternance ».

Au diable la pudeur et l’humilité, il faut prendre les choses en main pour montrer au monde que l’on mérite le boulot de ses rêves. Le personal branding consiste à se mettre en avant de manière organisée, avec en ligne de mire la réussite professionnelle : on le traduit par « marketing de soi ». Le terme vient donc du marketing, et du manuel Positionnement, la bataille de l’esprit. Comment être vu et entendu dans un environnement pléthorique, publié en 1981 par les deux théoriciens américains du management Al Ries et Jack Trout.

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Il s’agit donc de manager ses compétences, sa valeur ajoutée et son public pour organiser un plan de carrière. Pour « obtenir un marché » ou « prendre de la valeur » comme le ferait une bonne vieille entreprise, il faut se démarquer. Le résultat est une image de marque, à la différence que le responsable marketing est lui-même la marque. Cette dernière s’exprime souvent par un intitulé de poste pléthorique en sept mots, une photo de profil sérieuse mais pas trop, avec une tenue classieuse mais tout de même décontractée, et avec en arrière-plan un fond uni mais pas déprimant non plus.

Le CV relégué dans la boutique des antiquités

Dans le monde du travail, deux cas de figure se répètent. Le plus cliché, un cadre supérieur d’une entreprise (qu’elle soit start-up ou membre du CAC 40) se vend sur son blog ou son compte LinkedIn, réalise des publications « inspirantes » et consensuelles sur le droit à l’erreur ou son enfance difficile, qu’il a su surpasser pour émarger désormais à « 100 k » (100 000 euros) de salaire annuel. Cet « influenceur » représente son entreprise. Il est suivi par beaucoup plus de monde que le compte officiel de sa société, mais se construit une réputation qui pourra lui servir s’il souhaite se lancer seul.

L’autre profil est d’ailleurs l’indépendant, le freelance : ce dernier choisira plutôt de mettre en scène son travail et sa disponibilité, pour obtenir de nouveaux clients.

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François Berléand : « J’avais commencé à travailler dans la pub avant de tout quitter pour le théâtre »

François Berléand au Théâtre libre, à Paris, le 24 mars 2022.

François Berléand déboule à notre rendez-vous avec un casque de vélo vissé sur la tête. « Il n’y a pas d’autre moyen de circuler dans Paris aujourd’hui ! », se justifie l’acteur. Aujourd’hui, à 70 ans tout rond, il est partout. A l’écran comme sur les planches. Il est actuellement à l’affiche de Par le bout du nez, une comédie sur le pouvoir avec Antoine Duléry au Théâtre libre, à Paris. En juin, il sera aussi le parrain de la première édition du Festival du cinéma français, à Aix-les-Bains.

Malgré son succès, il n’a pas oublié d’où il venait. Sa notoriété est venue sur le tard, vers l’âge de 45 ans, grâce à son rôle dans le film Le Septième Ciel (1997), de Benoît Jacquot, puis à Ma petite entreprise (1999), de Pierre Jolivet, qui lui vaudra le César du meilleur acteur dans un second rôle. L’acteur a grandi dans une famille « mixte », entre une mère catholique et un père juif russe. Il évoque ses difficultés de lecture, son adolescence tourmentée, ses années d’études en école de commerce dont il a gardé des amis très chers et une appétence pour les pages économiques des journaux. Il revient aussi sur ses débuts dans la pub, écourtés par sa passion pour le théâtre.

« Mon père s’est mis à fabriquer des couvre-téléphones en velours vieil or. C’était affreux, mais ça marchait bien ! »

Dans quel milieu avez-vous grandi ?

Ma mère était issue d’une famille catho. Mon père, juif russe originaire d’Odessa (Ukraine), diplômé de médecine, n’avait pas un sou quand il est arrivé en France, en 1928. Il a dû se faire lui-même. Il a dégotté un petit atelier rue Michel-le-Comte, au cœur du Marais, le quartier le plus pauvre de Paris à l’époque, où il s’est lancé dans une activité de sculpteur sur bois. Le loyer lui coûtait 50 francs par mois, ce qui me semblait une fortune. D’autant qu’il n’y avait même pas l’eau chaude. C’est là que j’ai passé tout le début de mon enfance. Nous avons ensuite déménagé dans un deux-pièces avec salle de bains, avenue de Versailles, dans le 16e arrondissement, avant de migrer vers Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), quand mon père s’est mis à fabriquer des couvre-téléphones en velours vieil or. C’était affreux, mais ça marchait bien ! L’été, je passais mes vacances dans la maison de ma grand-mère à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), où j’ai d’ailleurs été conçu. Je ne sais pas si c’est pour cela, mais j’adore le Pays basque. Pour moi, c’est la plus belle région de France.

Quel enfant étiez-vous ?

J’étais assez perturbé. Un soir, quand j’avais 11 ans, mon père, qui était un peu alcoolique, m’a lancé, au détour d’un dîner arrosé : « Toi, de toute façon, t’es le fils de l’Homme invisible. » Comme je suivais le feuilleton à la télé, j’ai vraiment pris sa boutade au pied de la lettre. Peu à peu, j’ai développé une sorte de paranoïa, de schizophrénie. Dans le métro, dans le bus, je parlais tout seul, je faisais des grimaces aux voyageurs. La nuit, j’échafaudais toutes sortes de scénarios, comme entrer dans une banque pour faire main basse sur une montagne de billets et de lingots d’or et les partager ensuite avec les pauvres, les copains et ma famille, ou m’introduire à l’Elysée pour embarquer des dossiers secrets. Je me suis même inventé une trisomie. Cette petite comédie que je me suis jouée tout seul m’a valu quantité de rendez-vous chez les psys jusqu’en terminale. Mais elle m’a aussi permis, au fond, de prendre de l’avance dans ma carrière, puisque j’avais déjà l’habitude de jouer un rôle.

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