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Les tiers-lieux, laboratoires du monde d’après

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Publié aujourd’hui à 00h43

« C’est un lieu de citoyenneté où chacun peut s’exprimer et agir. Mais ç’a été longtemps difficile de faire comprendre ce qu’on est, car on sort des cases ! » Ophélie Deyrolle, présidente et cofondatrice du WIP (pour Work in progress), est fière de son bébé. En 2016, un groupe de courageux a retapé l’ancienne grande halle de Colombelles (Calvados), dernier vestige de la Société métallurgique de Normandie, avec sa cheminée réfrigérante aux airs de centrale nucléaire. Ici, à dix minutes en voiture du centre-ville de Caen, on trouve 3 000 m2 de tiers-lieu, réaménagés en bureaux partagés, restaurant local et bio qui affiche complet le midi, ateliers, lieu de représentation d’une troupe d’acteurs déguisés en astronautes, ou encore studio de radio.

Qu’ils soient espace de coworking, campus connecté, atelier partagé, fab lab, garage solidaire, friche culturelle ou maison de services au public, les tiers-lieux explosent, d’après le dernier rapport de l’association France Tiers-Lieux, publié le 27 août. Leur nombre est passé de 1 800 en 2018 à 2 500 en 2021, et atteindra 3 500 fin 2022.

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Les tentatives de définition de ce mot étrange, troisième voie entre la maison et le bureau, sont aussi nombreuses que les activités que l’on peut y trouver : espaces où l’on « crée du commun », lieux de « mobilisation locale pour l’intérêt général », « espaces physiques pour faire ensemble »… « C’est un lieu de partage, c’est un lieu où on fait des choses ensemble. On ne fume pas la moquette, on crée de l’activité économique et sociale », explique Patrick Levy-Waitz, président de l’association France Tiers-Lieux, qui organise depuis 2019 les réseaux de tiers-lieux et les relations avec les acteurs locaux et régionaux.

Dans la salle de coworking du WIP, à Colombelles, le 25 juin 2021.

Modèles hybrides

Ces projets s’inscrivent la plupart du temps dans l’économie sociale et solidaire, et de nombreux acteurs gravitent dans cet écosystème. Les modèles économiques sont variés, parfois hybrides : 62 % ont opté pour le statut associatif, quand 26 % sont des SAS ou SARL. D’après le rapport, les tiers-lieux hexagonaux reposent à 50 % sur des subventions publiques, et à 50 % sur des recettes en propre. Le WIP est une société coopérative d’intérêt collectif. Ses directeurs espèrent obtenir d’ici peu l’agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale. Le bâtiment est toujours détenu par les collectivités locales, et le WIP a obtenu un bail commercial.

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Aux Etats-Unis, le variant Delta contrarie le retour à la normale de la Fed

Le président de la Reserve fédérale, Jerome Powell, à Washington, le 15 juillet 2021.

Aux Etats-Unis, le séminaire des banquiers centraux de Jackson Hole, au pied des superbes montagnes de Grand Teton, dans le Wyoming, marque habituellement la rentrée économique, et cet été devait être celui du retour à la normale. Las, tout est raté, et le séminaire se tiendra finalement à distance, en raison de la prolifération du variant Delta, et essentiellement entre Américains.

Alors que Wall Street n’en finit pas de battre des records, la planète finance attend avec impatience le discours que tiendra vendredi 27 août le président de la Reserve fédérale (Fed, banque centrale américaine), Jerome Powell, alors que l’emploi est bien reparti en juillet, mais que la croissance semble avoir hoqueté en août. En cette rentrée, trois questions se posent : quand la Fed relèvera-t-elle ses taux ? ; quand réduira-t-elle son soutien à l’économie en achetant la dette des entreprises et des banques ? ; qui en sera le capitaine, alors que le mandat de Jerome Powell, un républicain modéré, arrive à échéance début février ?

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La question des taux, c’est celle de l’inflation. Les taux directeurs de la banque sont à zéro depuis le début de la crise engendrée par le Covid-19, tandis que la hausse des prix à la consommation a atteint 5,4 %, sur un an, en juillet. C’est haut, mais des indices montrent que le mouvement décélère. Surtout, cette augmentation des prix est majoritairement due à des goulets d’étranglement, qu’il s’agisse de la pénurie mondiale de microprocesseurs, de la perturbation des chaînes d’approvisionnement ou du manque de matières premières.

Pas de spirale de l’inflation et des salaires

Il n’y a pas d’indice de spirale de l’inflation et des salaires, au contraire, puisque le pouvoir d’achat des salariés régresse en valeur réelle – seuls les employés du tourisme et de la restauration parviennent à en gagner. D’aucuns s’interrogent sur la durabilité des goulets d’étranglement, mais ce n’est pas avec une hausse des taux qu’on combat un choc d’offre. En juin, sept des dix-huit membres du conseil de la Fed imaginaient une hausse des taux dès 2022, et treize prédisaient une ou deux hausses en 2023.

L’enjeu, à plus court terme, est celui des rachats de titres d’entreprises et financiers réalisés massivement par la banque. Ces opérations, en permettant aux entreprises d’accéder au crédit, ont sauvé de nombreuses sociétés laminées par la crise liée au Covid-19, comme Carnival, leader mondial des croisières, situé à Miami, dont les villes flottantes reprennent progressivement la mer.

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Quand le travail colonise notre vie quotidienne

Livre. Jusqu’à la fin du modèle fordiste dans les années 1960-1980, face au pouvoir et à la direction, les travailleurs tentaient de se protéger, s’organisaient, inventaient des solidarités parallèles. Dans le nouveau modèle d’entreprise qui s’impose désormais, la mobilisation subjective est devenue la matière première de la performance organisationnelle, et les manageurs se sont mués en directeurs de conscience.

Se développent alors des formes plus douces de domination, qui prennent l’allure de l’émancipation individuelle : entreprise libérée des manageurs, organisation agile, valorisation de l’entrepreneuriat de chacun… Le chef autoritaire cède la place à une posture libérale, voire libertaire, de l’entrepreneur. « Nous entrons dans l’ère de la société capitaliste », affirme David Muhlmann dans Capitalisme et colonisation mentale.

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Le terme de colonisation mentale désigne une mutation anthropologique, souligne le docteur en sociologie. Les grands secteurs d’activité de la vie sociale – l’information, les loisirs, les services divers et variés – obéissent désormais à la loi de l’offre et de la demande, et la logique de fonctionnement de l’entreprise est devenue le prototype de la manière dominante d’être au monde : échange et négociation, esprit de calcul, utilité et instrumentalité définissent les coordonnées naturelles de nos façons d’agir, de penser et d’interagir avec les autres. « Les relations sociales même les plus proches se trouvent colonisées par les réflexes de benchmark, de compétition et de réification d’autrui qui se déploient légitimement dans l’entreprise. »

Les compétences comportementales et le savoir-être

L’extension de la préoccupation mentale pour le travail, au-delà du temps légal consacré à celui-ci, affecte l’ensemble des métiers et des populations, et pas seulement les cadres. La sphère domestique est éventrée par l’intrusion du coin bureau, le « laptop » (l’ordinateur portable) et ses soucis ; quant aux temps de repos, ils sont entrecoupés par une connexion au travail maintenue par les nouvelles technologies.

Dans ce contexte, le manageur change de style de commandement : moins autocrate, sérieux et protestant, plus fun, coach et inspirant, il est là moins pour gérer les hommes que pour les développer personnellement, faire qu’ils se réalisent et s’épanouissent au travail. « Dans les entreprises hiérarchisées, le salarié est mis en autonomie, c’est-à-dire en incertitude sur lui-même, sa valeur et sa pérennité dans l’organisation ; mû par l’angoisse de la reconnaissance et la peur, et de moins en moins par une gestion de carrière formalisée et prévisible. »

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Au Danemark, une recette éprouvée pour l’emploi des jeunes

Des lycéens danois fêtent l’obtention de leur diplôme à Copenhague, en juin 2019.

« Quand mon meilleur ami du lycée m’a avoué qu’il n’avait pas de petit job après les cours, il m’a choqué : je ne connaissais personne dans ce cas », raconte Anna Toullec. A 19 ans, elle vit à Fredericia, petite bourgade portuaire du Jutland, la péninsule danoise reliée au continent européen. Et comme tous les jeunes Danois, elle travaille après ses journées de classe ou le week-end depuis ses 14 ans : dans un café, dans un supermarché ou dans une boulangerie. Tous les jeunes Danois ? « Oui, tous : ici c’est la norme. Pas chez vous ? »

Petits boulots dès la fin du collège, autonomie précoce : voilà l’un des ingrédients expliquant la bonne insertion professionnelle des moins de 25 ans au Danemark. Comme dans l’ensemble des pays nordiques, la proportion des 15-29 ans ni en emploi, ni en éducation, ni en formation (les « NEET », en anglais) est plus basse que dans le reste de l’Europe. Au premier trimestre 2021, elle était de 7 % en Suède et 9,5 % au Danemark, contre 13,2 % en France, 15 % en Espagne et 24,2 % en Italie, selon Eurostat.

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« Les résultats des pays nordiques en matière d’accompagnement des jeunes vers le marché du travail sont impressionnants, tout comme la fluidité entre l’emploi et la reprise des études, a déclaré la ministre du travail, Elisabeth Borne, le 24 août, en visite dans le Pôle emploi de Fredericia. Nous souhaitons nous inspirer de leurs bonnes pratiques ». Pour lutter contre le phénomène des NEET, encore aggravé par la pandémie de Covid-19, le gouvernement français prévoit d’instaurer un « revenu d’engagement », dont les modalités seront annoncées en septembre. Ciblé sur les jeunes précaires, il devrait élargir l’actuelle garantie jeunes (497 euros par mois) versée aux 16-25 ans en difficultés, avec un accompagnement vers l’emploi mené par les missions locales.

Philosophie très différente de l’approche française

Le Danemark, à l’instar de la Suède, déploie des dispositifs similaires, axés sur les jeunes en difficultés. Mais pour le reste, l’ensemble de leur système, tout comme la place des jeunes dans les sociétés nordiques, relève d’une philosophie très différente de l’approche française. En effet, les aides tricolores ont été façonnées par la tradition familialiste, où la famille prend en charge les 18-25 ans, considérés comme de grands enfants.

Voilà pourquoi le montant des bourses étudiantes dans l’Hexagone est défini en fonction du revenu des parents, qui bénéficient en outre d’une demi-part fiscale ou de l’aide personnalisée au logement quand leur enfant de moins de 25 ans est encore rattaché à leur foyer. Voilà aussi pourquoi le RSA n’est pas ouvert aux moins de 25 ans – de crainte, en particulier à droite, qu’un « RSA jeune » décourage le travail et les études.

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Salaire minimum européen : comment Paris tente de convaincre les pays nordiques

Le secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, Clément Beaune, et la ministre du travail, Elisabeth Borne, à Stockholm, le 23 août 2021.

Le ton est amical, mais ferme. Calme, mais déterminé. « Nous ne voulons pas passer pour le pays du “non, non, non”, assure Therese Guovelin, vice-présidente de la centrale syndicale suédoise LO. Nous désirons contribuer à une discussion productive, mais pas que l’Europe interfère dans notre modèle social. » Voilà qui résume la position des pays nordiques à propos de l’Europe sociale en général. Et, en particulier, du projet de directive européenne sur les salaires minimums, contre laquelle ils bataillent depuis des mois.

Lundi 23 et mardi 24 août, le secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, Clément Beaune, et la ministre du travail, Elisabeth Borne, ont rencontré les partenaires sociaux suédois et danois – dont Mme Guovelin – ainsi que leurs homologues ministériels. Une opération de déminage, visant à comprendre les réticences de ces pays à propos du smic européen, défendu par la France. Mais aussi, à entamer les préparations de la présidence française du Conseil de l’Union européenne – la « PFUE », dans le jargon –, qui se déroulera lors du premier semestre 2022. Une série d’autres rencontres bilatérales suivront ces prochaines semaines.

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Car, pour Paris, l’enjeu est grand : faire avancer un maximum de dossiers concrets, notamment sur les questions sociales et environnementales, avant que l’élection présidentielle d’avril 2022 n’éclipse la PFUE tricolore. « Il est essentiel que le marché unique s’accompagne d’un socle de droits sociaux minimums, afin d’éviter le dumping social de certains Etats et la désillusion de certains Européens », a notamment défendu Elisabeth Borne devant les partenaires sociaux suédois, le 23 août, puis danois, le 24.

Accords de branche

Un objectif que les nations nordiques affirment partager. Notamment la Suède, où le socle européen des droits sociaux fut adopté en 2017. Seulement voilà : « Si nous comprenons la volonté d’améliorer la condition des travailleurs, nous sommes opposés à tout texte européen qui nous forcerait à imposer un salaire minimum par la loi », a résumé Jacob Holbraad, directeur général de la Confédération des employeurs danois.

« Ce modèle reposant sur le compromis nous a apporté harmonie et stabilité depuis la seconde guerre mondiale », explique Mattias Dahl, vice-président du patronat suédois

Au Danemark, comme en Suède et en Finlande, il n’existe pas de smic national uniforme. Les salaires sont négociés tous les un à trois ans au sein de chaque branche dans le cadre d’accords collectifs, en fonction du secteur, de l’âge et de la profession. Il existe près de 700 accords de ce genre en Suède, couvrant presque 80 % des travailleurs. Et le gouvernement n’a pas son mot à dire.

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A la Deutsche Bahn, la grève s’achève, mais les tensions perdurent

A la gare de Munich (sud de l’Allemagne), le 24 août 2021.

Le dernier mouvement de grève des cheminots de la Deutsche Bahn (DB) s’est achevé mercredi 25 août, au petit matin. Dans l’après-midi, le trafic a repris normalement, après trois jours de fortes perturbations. Cependant, les tensions sont loin d’être apaisées.

Malgré ce deuxième épisode de grève depuis le début du mois d’août, aucun accord n’a été trouvé entre la direction de la compagnie ferroviaire, propriété de l’Etat fédéral, et le syndicat des conducteurs de train GDL – qui réclamait notamment pour eux des hausses de salaire 3,2 % sur deux ans ainsi qu’une prime « Corona » de 600 euros.

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La situation laisse craindre de nouvelles turbulences au cours des semaines à venir. Par le passé, les mouvements de grève des cheminots se sont parfois étirés pendant des mois, comme en 2014-2015. Une exception au regard du dialogue social qui prévaut outre-Rhin, où les interruptions de travail dites d’« avertissement » se limitent le plus souvent à quelques heures, et suffisent en général à accélérer les négociations.

Enjeu de pouvoir

Pour motiver son refus, la direction de la Deutsche Bahn argue de la situation précaire dans laquelle elle se trouve. Difficile de le nier, l’année qui vient de s’écouler a été l’une des plus éprouvantes de son histoire. La chute du trafic consécutive à la pandémie de Covid-19 a entraîné une perte de 5,7 milliards d’euros en 2020. Le premier semestre 2021 a certes permis une amélioration, mais le bilan reste peu enviable.

Ainsi, la compagnie devrait afficher une perte opérationnelle de 2 milliards d’euros cette année, ont annoncé les dirigeants du groupe lors de la présentation des résultats, fin juillet. Et cela sans compter les coûts liés aux inondations catastrophiques de l’été dans l’ouest du pays, qui ont provoqué des dommages estimés à 1,3 milliard d’euros. La dette du groupe s’élève à 32 milliards d’euros.

Toutefois, ces chiffres révèlent aussi que la direction de la DB avait toutes les raisons d’éviter une nouvelle interruption du trafic – nécessairement onéreuse –, pour une augmentation de salaire inférieure à l’inflation attendue en 2021 et 2022. Les discussions avec Claus Weselsky, le président du syndicat GDL, sont depuis longtemps empreintes de défiance réciproque.

En Allemagne, la législation dite de l’« unité tarifaire » avantage le syndicat majoritaire dans une entreprise au niveau des négociations salariales

Au-delà des désaccords sur le tarif, le conflit comporte également un enjeu de pouvoir. En effet, le petit GDL (37 000 membres, dont 80 % de conducteurs de train) cherche à attirer de nouvelles recrues face à l’EVG, l’organisation concurrente plus nombreuse et d’ordinaire plus conciliante, pour représenter les salariés du ferroviaire. En Allemagne, la législation dite de l’« unité tarifaire » avantage le syndicat majoritaire dans une entreprise au niveau des négociations salariales.

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La croissance du numérique se heurte au manque de candidats

Au siège de Doctolib, plate-forme de réservation de rendez-vous médicaux en ligne, à Paris, en avril 2019.

« Depuis juin, avec ma compagne, qui travaille aussi dans le numérique, nous avons été très sollicités par des cabinets de recrutement ou d’autres boîtes, raconte Simon Loubris, directeur des contenus dans une agence de marketing numérique. J’ai eu trois demandes en trois semaines et elle, cinq ou six. C’est un marché de l’emploi hyperdynamique, avec beaucoup de turnover. »

Cette rotation de personnel, Aurélie Ambal la connaît bien : depuis sa sortie d’école, en 2015, cette développeuse a changé d’employeur tous les ans, avec, à chaque fois, une augmentation salariale de 5 % à 10 %. « Je n’ai jamais envoyé de CV. J’ai trouvé sur LinkedIn [un réseau social à usage professionnel]. Des recruteurs me contactaient. J’avais plusieurs demandes par jour, toute l’année, et je choisissais ce qui m’intéressait. Comme on a le choix, on peut être exigeant. »

Pour la majorité des profils du numérique, le plein-emploi est la règle. « Tout le monde est chassé, remarque Simon Loubris. Dans mes équipes, on est quarante, et il y en a une dizaine qui ont claqué la porte depuis le début d’année. » Sur 530 000 emplois recensés par la fédération Numeum, première organisation professionnelle du secteur, 80 % sont des postes de cadre et 93 % sont en CDI. Si l’activité a fortement reculé au printemps 2020, elle s’est rapidement redressée au second semestre (4 600 emplois salariés créés), et les métiers du développement informatique sont restés très demandés.

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« On recrute massivement, et les budgets numériques des organisations augmentent de 10 % en 2021, note Soumia Malinbaum, administratrice de Numeum. Il manque chaque année 10 000 ingénieurs. » « On a une croissance moyenne de 30 % par an, indique Julien Broue, cofondateur d’Easy Partner, une agence de recrutement spécialisée dans le numérique. Dès le deuxième semestre 2020, les besoins ont repris. Les clients avaient besoin de numériser leurs activités. »

Exigence des employeurs

La crise liée au Covid-19 a généralisé le télétravail et les projets de transformation des entreprises : migration de leurs applications dans le cloud (l’informatique dématérialisée), sécurisation des solutions pour leurs employés en travail à domicile, numérisation des commerces… Numeum annonce une croissance de 5 % pour le secteur au premier semestre 2021, et 95 % des sociétés ont relancé leur recrutement. Soumia Malinbaum insiste sur le secteur de la cybersécurité : « En 2020, la cybercriminalité a été multipliée par quatre. Il nous faudra 75 000 experts d’ici à 2025. On en est très loin. » Yaëlle Leben, DRH pour l’Europe du Sud de l’éditeur de logiciels de gestion de relation clients Salesforce, constate la pénurie. « Nous avons plus d’une centaine de postes ouverts, mais il y a 2 450 offres avec le mot Salesforce, donc c’est l’écosystème autour de nous qui est en demande. »

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Pour recruter, l’urgence est d’adapter la formation

Editorial du « Monde ». Les cassandres anticipaient un effondrement de l’emploi et une cascade de faillites. Chaque mois qui passe vient démentir ce catastrophisme prédictif. En France, l’Insee table désormais sur une croissance de 6 %, et le taux de chômage a déjà retrouvé son niveau d’avant-crise, de sorte que le gouvernement espère que l’impact de la crise sur le plan macroéconomique sera effacé dès la fin 2021.

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Le soutien financier extraordinaire de l’Etat, en maintenant sous cloche l’économie, a limité les fermetures d’entreprises et les licenciements, permettant au taux d’emploi de revenir à son plus haut depuis dix-huit ans. Toutefois, le violent à-coup subi par l’économie a accentué les difficultés des entreprises pour recruter, alors que la demande repart.

La France a beau compter encore un peu moins de 6 millions de chômeurs, près de la moitié des entreprises peinent à trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin, selon la dernière enquête de la Banque de France. Les pénuries sont particulièrement fortes dans les cafés-restaurants, le BTP, la logistique, l’aide à la personne ou bien encore dans le numérique. Cette inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois existe aussi aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Royaume-Uni. Mais, avec un taux de chômage de près du double de celui de ces pays, la situation française apparaît encore plus paradoxale.

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Les tensions sur le marché du travail existaient avant la pandémie, mais le phénomène s’est amplifié, touchant désormais plus de secteurs. La crise a accéléré certaines tendances comme la numérisation de l’économie. Prises de court, les entreprises cherchent les mêmes profils au même moment, provoquant des goulets d’étranglement.

Un ressort s’est cassé

Parallèlement, les confinements, la généralisation du télétravail et le recours massif au chômage partiel ont incontestablement changé le rapport à l’emploi. Cette pause forcée a conduit beaucoup de salariés à prendre du recul sur leur carrière, la pénibilité de leur poste ou le sens de leur métier, certains décidant de changer de vie. Un ressort s’est cassé. Jusqu’à quel point ? Il est trop tôt pour le dire, mais les entreprises auraient tort de négliger le phénomène.

Témoignages : Chef de rang, cuisinier ou barman… ils ont choisi de quitter le secteur de l’hôtellerie-restauration

Ce n’est pas un hasard si les métiers mal payés, peu considérés et n’offrant que de médiocres perspectives d’évolution sont sous tension. C’est le cas dans la restauration ou dans l’aide à la personne. Dans ce dernier secteur, le plan d’action lancé en 2020 par le gouvernement, qui vise à revaloriser salaires et diplômes, va dans la bonne direction, mais l’ajustement entre les besoins et les moyens prendra du temps.

Pour les salariés les plus qualifiés, comme dans le numérique, les entreprises se heurtent à une pénurie de diplômés, qui pousse à une inflation salariale. Mais il ne faut pas trop rêver. Celle-ci restera cantonnée à quelques métiers, la grande majorité des entreprises n’ayant pas les moyens de se livrer à une surenchère. Pour certaines, le regain d’attractivité passera par un rapport de force plus équilibré avec les salariés avec la signature de contrats plus favorables à ces derniers. D’autres accéléreront l’automatisation de leur activité, quand celle-ci est possible.

Côté salariés, les jeunes ne sont pas assez formés pour les métiers qui embauchent. Quant aux adultes, la crise a perturbé la mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle lancée en 2019 par le gouvernement, au moment où les défis posés par les transitions écologique et numérique s’annoncent gigantesques. Il n’a jamais été aussi urgent d’adapter notre système de formation.

Le Monde

Logistique, hôtellerie, bâtiment… A travers l’Europe, la grande pénurie de main-d’œuvre

Une étudiante en hôtellerie, à Saint-Genis-Laval, dans le sud-ouest de la métropole lyonnaise (Rhône), le 11 juin 2020.

Avec la reprise économique au printemps, déconfinement oblige, Andrew Baxter explique ne pas avoir eu le choix : « J’ai dû augmenter le salaire de ma cinquantaine de chauffeurs routiers de 20 %, simplement pour les garder. » Le directeur général d’Europa Worldwide, une entreprise britannique de logistique, n’avait jamais vu ça en vingt-sept ans de carrière. « Sans la hausse du salaire, ils seraient partis ailleurs. » Avec les heures supplémentaires, la plupart d’entre eux gagnent désormais autour de 50 000 euros par an.

De l’autre côté de la Manche, au Meurice, le palace parisien, recruter du personnel en cuisine relève aujourd’hui de la mission impossible. « D’habitude, nos petites annonces sur notre site attirent les candidats. Mais en ce moment, on ne reçoit pas de CV, raconte Amel Ziani Orus, sa directrice des ressources humaines. On a fait appel à trois cabinets de recrutement et aucun n’a réussi à nous proposer un CV. »

Les petites annonces débordent de partout

Drôle de période économique. Côté pile, le marché de l’emploi n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant la pandémie : le chômage dans l’Union européenne restait de 7,1 % en juin, un demi-point au-dessus de décembre 2019, soit quand même 800 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Même constat au Royaume-Uni, où le chômage était de 4,7 % d’avril à juin, en hausse de presque un point. Rien de catastrophique par rapport à l’ampleur du choc de la pandémie, mais a priori pas une situation propice aux difficultés de recrutement.

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Et pourtant, côté face, partout à travers le continent – et le phénomène est le même aux Etats-Unis –, les entreprises font face à de sévères pénuries de main-d’œuvre. Dans l’hôtellerie et la restauration, le transport, la manutention, le BTP, l’industrie, l’aide à domicile, la santé, le nettoyage, les commerces ou encore l’informatique, il n’y a aujourd’hui pas assez de candidats.

Sur le site de recrutement Indeed, les petites annonces débordent de partout : en Italie, leur nombre est 30 % au-dessus de son niveau d’avant la pandémie ; en Allemagne et au Royaume-Uni de 22 % ; aux Pays-Bas de 19 % ; en France de 9 %. Seule l’Espagne, plus dépendante du tourisme international et où le soutien du gouvernement à l’économie a été plus limité, n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant 2020.

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Même constat tiré par StepStone, un groupe qui possède des sites de recrutement dans toute l’Europe. En Allemagne, il parle de « Jobwunder » (« le miracle de l’emploi »), avec des demandes particulièrement fortes dans le commerce et le transport routier.

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Dans l’aide à domicile, une hausse des salaires bienvenue au 1er octobre

Une aide à domicile chez une personne âgée à Dingsheim (Bas-Rhin), en janvier 2019.

« Qu’une personne âgée ou dépendante ne soit pas levée de son lit ou alimentée faute de bras, jamais cela ne [lui] était arrivée » depuis la fondation de son association d’aide à domicile, en 2011. Mais avec le manque de personnel, dont l’accroissement se profile avec le prochain départ probable de quarante salariées sur 130, Aline Burguete, présidente du Collectif associatif réseau d’entraide national caritatif contre l’exclusion des seniors (Carences), à Anglet (Pyrénées-Atlantiques), redoute de se trouver dans cette situation. « Ça m’empêche de dormir, lance-t-elle, en colère. J’ai des bénéficiaires grabataires, en fauteuil roulant. Beaucoup de personnes sont seules, explique-t-elle. Comment va-t-on faire ? » Elle n’arrive plus à recruter depuis des mois.

Aide-soignant, auxiliaire de vie sociale, agent à domicile… Ces métiers, exercés sept jours sur sept au sein d’associations, d’entreprises, de structures publiques ou directement auprès des particuliers, n’attirent pas. Des professions marquées par une forte pénibilité physique et psychique, mal rémunérées, peu considérées, souvent en temps partiel subi.

« Quand on reste avec le smic comme seule perspective de carrière, ce n’est pas très motivant. Ces métiers ont bien d’autres dimensions que faire le ménage. Ils sont très professionnels, très responsabilisants », souligne Marc Dupont, vice-président de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), un réseau d’associations qui emploient 78 000 salariés. Dans ce secteur, cofinancé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et les départements par le biais de l’allocation personnalisée d’autonomie, la masse salariale est contrainte par cette enveloppe et par le reste à charge supportable par les bénéficiaires.

Lire le reportage : « On se rend compte qu’on n’est pas seules » : des aides à domicile en mal de reconnaissance font leur tour de France

Cette pénurie d’aides à domicile n’est pas nouvelle. De multiples rapports ont été consacrés à cette problématique ces dernières années. Celui de l’ancienne ministre du travail Myriam El Khomri, daté d’octobre 2019, précise qu’afin de répondre aux besoins liés au vieillissement de la population et pourvoir les postes vacants « 260 000 professionnels devront être formés » sur la période 2020-2024 pour travailler dans les établissements et au domicile.

Exaspération vis-à-vis des conditions de travail

Rien que dans le réseau associatif ADMR, qui emploie 90 000 salariés à domicile, soit 70 000 équivalents temps plein, « on recrute 10 000 personnes par an, dont 7 000 pour remplacer les départs et 3 000 pour répondre aux nouvelles demandes d’aide, précise Thierry d’Aboville, son secrétaire général. Mais, faute de personnel suffisant, nous ne pouvons pas honorer bon nombre de nouvelles demandes, ce qui représente 10 % de l’activité. » A l’UNA, on évalue à 20 % ce taux dit de « renoncement à intervenir ».

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