Julia de Funès : « Avoir un chef, c’est une source d’émulation »

La philosophe Julia de Funès, coautrice de La Comédie (in)humaine (L’Observatoire, 2018), analyse comment concilier l’autonomie et l’autorité en entreprise, tout en alertant sur les « impostures » que représentent selon elle les modes managériales.
Croyez-vous en l’efficacité d’une entreprise sans chef ?
Je ne suis pas binaire sur le sujet, il y a du bon à prendre dans l’entreprise libérée : je suis d’accord pour supprimer le management intermédiaire qui déresponsabilise les salariés, et pour leur donner plus d’autonomie. En revanche, je ne crois pas en l’entreprise sans chef à grande échelle, même s’il y a des exceptions aux Etats-Unis. Je pense que ce sont les patrons qui ont un complexe d’autorité qui se réfugient dans ce type de modèle. En fait, je ne crois pas en l’absence d’autorité : on le voit dans la famille, à l’école… Avoir un chef, c’est une source d’émulation. La mode de l’entreprise libérée s’explique structurellement, car on vit une crise de l’autorité dans tous les domaines sociaux.
Pourquoi l’autorité paraît-elle primordiale à vos yeux ?
Sans autorité, il est d’abord difficile de prendre une décision : il faut bien qu’une personne tranche, choisisse entre le moins pire et le plus souhaitable. Deuxièmement, ce n’est que comme cela que l’on obtient la responsabilité des salariés. Enfin, vient l’émulation : ce leadership facilite aussi le courage en entreprise, l’initiation d’un projet commun. Quand il n’y a pas de chef ni de charisme véritable, c’est difficile d’emmener les salariés dans la même direction.
La figure d’un « leader libérateur » convient-elle ?
C’est une usurpation qu’il y ait quand même un chef dans ces entreprises. Le flou et l’hypocrisie de ne pas désigner les choses me semblent nocifs, et le management libéré a rajouté des couches pour édulcorer le rapport au « chef suprême ». Ça fait bien en apparence, mais est-ce que les choses changent vraiment ?
Ce sont donc les mots de ce nouveau management qui vous dérangent ?
Je critique ces impostures de sens. Ce sont des modes langagières assez proches des modes sectaires, par ces mots-là on a l’impression de faire bien et dans la réalité, ce n’est pas forcément ce qui correspond. Il y a une dérive nominaliste sur l’injonction au bonheur des salariés : or, la plupart des gens sont heureux parce qu’ils accomplissent quelque chose, pas parce qu’ils travaillent de manière fun et cool. Ce qui compte, c’est d’obtenir un résultat.
Travailler pour le bien d’un collectif et non d’un chef peut donc mener à des dérives ?
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