Archive dans 2021

A Marmande, la reprise réussie d’un « petit patron métallo »

Par et Ugo Amez

Publié aujourd’hui à 03h30, mis à jour à 08h52

« Cinq mille pièces, douze minutes de soudure par pièce, presque six mois de boulot pour un soudeur… » Calculatrice en main, croquis étalés sur son bureau, Alain Bonnet jongle avec les chiffres et les plannings pour établir un devis. Cinq mille inserts métalliques à fabriquer pour des sièges de cinéma. « J’ai intérêt à regarder si je peux le faire avec notre robot, ça diviserait le coût par trois », note-t-il. Par la grande baie vitrée, la brume matinale noie encore la zone pavillonnaire de Marmande (Lot-et-Garonne), au bout de laquelle seul un panneau « Sortie d’usine » signale les bâtiments bas en tôle ondulée de sa PME, Meca d’Aquitaine.

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

Voilà huit ans que cet ancien « ingénieur métallo » a repris cette entreprise en faillite. Chaises et tables pour des chaînes de restaurant, poussettes d’aéroport, lits à barreaux pour hôpitaux pédiatriques ou fauteuils ergonomiques à destination des Ehpad : chez Meca, répondre à une commande demande au dirigeant non seulement de vérifier le calendrier de ses 17 salariés – dont quatre cadres et un apprenti – mais aussi, bien souvent, de concevoir les produits qui seront découpés, soudés et peints à partir de tubes d’acier, avant d’être livrés en pièces détachées ou entiers à ses quelque 80 clients, industriels ou intermédiaires spécialisés. A 61 ans, le patron a abandonné la cravate depuis une dizaine d’années – « mon fils m’a dit un jour : papa, tu es un industriel, pas un banquier ! » –, mais vient tous les matins en chemise et pantalon de costume. « Quand j’ai repris la boîte, un copain chef d’entreprise m’a dit : Bienvenue, tu deviens un connard de patron ! Moi, ça m’a rien changé. Les gens font la différence entre les petits patrons comme nous et ceux du CAC 40 : l’un met ses billes dans sa boutique, l’autre pas. »

Alain Bonnet, repreneur de Meca d’Aquitaine, dans son usine, à Marmande (Lot-et-Garonne), le 23 septembre 2021.

Le bleu de travail de cet ancien d’Usinor-Sacilor, l’un des grands noms de la métallurgie des « trente glorieuses », est d’ailleurs toujours pendu au portemanteau. Au cas où. « En juillet, on a fait notre plus gros mois depuis la reprise de la boîte, il est venu aider. Les gars l’ont un peu chambré, mais ils ont bien aimé. Il a fallu quelques années, mais maintenant ils adhèrent au projet. » Peau burinée, barbe poivre et sel et tee-shirt maculé de sueur, Jean-Louis Barault, le doyen des cadres de Meca, est directeur opérationnel et partage le bureau d’Alain Bonnet. Ce matin, il a surtout aidé un de ses « gars » à porter des supports de groupes électrogènes brûlants, tout juste terminés. « Je n’allais pas le laisser faire ça tout seul ! Si c’est pour qu’il soit en vrac le lendemain… » Les risques du métier, ce Rochelais d’origine, fils de scaphandrier, qui a commencé à travailler dans l’usine en 1982, à l’âge de 18 ans, ne rigole pas avec.

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La longue marche des avocats issus de la diversité

Par et Louisa Ben

Publié aujourd’hui à 03h00

L’avocat Yassine Yakouti se souvient de l’année où il a décidé de se présenter à la conférence du stage. Ce concours d’éloquence très sélect, vieux de deux cents ans, transforme douze jeunes avocats anonymes en rockstars du palais pendant un an. A peine a-t-il été élu secrétaire de la « conf » que, comme le veut la tradition, les gros dossiers criminels lui ont été attribués, le bâtonnier lui faisait la bise. Un monde s’est alors ouvert à lui.

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

Il a découvert que les gens bien nés commandent une planche de fromages quand ils prennent un verre en terrasse, qu’ils « ne portent pas certaines marques de chemises », chères mais jugées de mauvais goût, mais, éventuellement, en août, à Paris, des espadrilles… Des manières, des usages que l’avocat qui a grandi à Antony (Hauts-de-Seine) dans un milieu ouvrier, 29 ans à l’époque, ne maîtrisait pas. Aujourd’hui associé et à la tête de son cabinet, Yassine Yakouti défend des syndicats, les salariés espionnés d’Ikea, le rappeur Kaaris après une altercation avec son rival Booba à l’aéroport d’Orly et quelques sommités du banditisme parisien…

« J’ai tout fait pour être là, je me suis donné les moyens de mes ambitions », confie sans ciller le pénaliste de 40 ans aux traits enfantins. Soit de longues études de droit à l’université Paris-Saclay, jonglant entre une spécialisation en fiscalité et droit des affaires et des petits boulots de chauffeur-livreur, un double cursus en école de commerce puis une année aux Etats-Unis, avant d’intégrer un grand cabinet anglo-saxon. Une voie royale pour le droit des affaires que ce fan de Jacques Vergès, le défenseur de Klaus Barbie et de Carlos, a pourtant choisi de quitter pour faire du droit pénal.

L’avocat valenciennois Kamel Derouiche, 29 ans, collaborateur au cabinet de Yassine Yakouti, à Paris, le 27 septembre 2021.

Sa réussite se lit sur une image. Sur le cliché immortalisant les 42 élus au conseil de l’ordre du barreau de Paris pour l’exercice 2021-2022, alignés en robes noires autour du bâtonnier Olivier Cousi, sur un bel escalier de pierre, on ne dénombre que deux visages issus des minorités visibles. Les sourires du binôme Clarisse Jurin et Yassine Yacouti ne trahissent ni malaise ni étonnement.

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Cette photo monochrome ou presque du conseil de l’ordre du barreau de Paris prouve combien l’intégration de jeunes avocats issus de la diversité est compliquée. Elle justifie à elle seule de porter un regard sur ces blocages, alors que le métier est très attractif et que son éthique professionnelle devrait le prémunir de toute discrimination. Or, dans le milieu, où la question de l’égalité homme-femme est récemment devenue une préoccupation, le sujet de la mixité sociale et ethnique reste, lui, encore tabou.

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Après la liquidation de l’usine de Saint-Claude, le silence et la crainte d’un effet domino

Par et Raphaël Helle/Signatures

Publié aujourd’hui à 02h00, mis à jour à 08h51

L’usine semble endormie. Sur les chaînes de fabrication, des pièces en file indienne. Au sol, des moules neufs dans leur emballage. Plus loin, des lingots d’aluminium jamais fondus. Pas un homme, pas un bruit.

La fonderie automobile MBF Aluminium de Saint-Claude, dans le Jura, s’est tue le 31 mars. En cause, la gestion des repreneurs successifs – une enquête est ouverte pour abus de bien social – et les baisses de commandes des constructeurs Renault et Stellantis. Blocages, grève de la faim, ses salariés ont tout tenté pour éviter la liquidation, finalement décidée par le tribunal de commerce le 22 juin. Leur cri de rage a résonné sur toutes les ondes.

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

« C’est moins explosif maintenant. Mais c’est toujours aussi violent », témoigne Nail Yalcin, délégué CGT. Il porte aujourd’hui un projet de reprise en société coopérative de production (SCOP) qui verrait s’associer 120 des 260 salariés. En cette fin septembre, dans la cour de l’usine dominée par les monts du Haut-Jura, certains d’entre eux bavardent autour d’une table en bois. Licenciés pendant l’été, ils commencent à toucher leur solde de tout compte.

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« Je sors juste de Pôle emploi, indique Cyrille Chouet, 52 ans. Nous, on est vachement en difficulté avec les ordinateurs et tous ces machins-là…  » A l’heure où la dématérialisation s’accélère, lui n’a même pas de téléphone portable. Elyes Hammani, 41 ans, opine : « J’ai reçu un mail pour une formation : je clique, ça me dit que j’ai refusé le devis ! Mais non ! » « Pareil ! reprend Cyrille Chouet. C’est pour ça que je me suis déplacé, j’avais peur d’être radié… Heureusement, ma femme, elle, à l’habitude de ces trucs… Enfin, je devrais dire malheureusement, parce que ça veut dire qu’elle est souvent au chômage… »

Elyes Hammani, opérateur polyvalent à MBF Aluminium de Saint-Claude (Jura), le  24 septembre 2021.

A 13 heures, il devra aller la chercher à Chassal-Molinges, à 11 kilomètres, où elle est opératrice sur machine, en intérim. « A 54 ans, elle ne se sent pas de passer le permis », précise-t-il. Alors il fait le chauffeur. Le matin dès 4 h 30. « Fut un temps où elle travaillait à MBF. C’était pratique. Il y a un arrêt de bus juste devant ! » Les passages dans la zone industrielle du Plan-d’Acier étaient calés sur les horaires de l’usine. « C’est aussi pour ça qu’on voudrait que ça reparte : travailler ici, c’est mieux pour tout le monde, lance Cyrille. Sinon, pour moi, à huit ans de la retraite, ça va pas être facile. »

« Un travail, c’est mieux qu’un chèque »

Pour la SCOP, il reste beaucoup à faire, notamment convaincre les clients et les fournisseurs, et trouver l’argent pour redémarrer. « Rien que mettre le contact, ça coûte 1,5 million euros ! », lâche Nail Yalcin. Porter ce modèle où « le partage des richesses est plus équitable » n’est pour lui que la continuité de son rôle de délégué syndical. « Ce seront des emplois préservés. Un travail, c’est mieux qu’un chèque. C’est une vie sociale, être serein dans sa tête. » Il le voit aussi comme un projet pour « le bien commun, pour ce bassin d’emploi fortement sinistré ». « Maintenir 120 emplois, c’est maintenir des sous-traitants, des habitants, c’est faire vivre l’économie ! »

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« C’est beau, mais ça paie pas » : à Limoges, l’usine J. M. Weston peine à recruter

Par et Valérie Couteron

Publié hier à 14h45, mis à jour à 08h52

Il est 16 heures. La sirène de débauche a retenti. Les 140 artisans de la manufacture de chaussures J. M. Weston, située à Limoges, ont éteint leurs machines, donné un coup de balai sous leur table de travail, déposé leur blouse au vestiaire et rejoint le parking. Michael Frangne, lui, est toujours à son poste. Il ponce l’arête de semelles et de talons de bottes cavalières. Tous les jours, une semaine sur deux, il effectue une heure supplémentaire. « Parce que j’ai personne pour fraiser », explique ce responsable de secteur.

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

S’il ne le fait pas, « les collègues n’auront pas de paires à talonner, demain », précise-t-il. Le poste de fraiseur est à pourvoir depuis le printemps. Lundi 13 septembre, un intérimaire s’est présenté pour une mission de remplacement. « En fin de journée, il avait l’air content », se souvient M. Frangne. Mais, le lendemain, il n’a pas « rembauché » et « a averti les RH [les responsables des ressources humaines] » qu’il ne reviendrait pas parce que ses tâches « demandaient trop de précision », dit-il, en soupirant. M. Frangne dit « ne pas comprendre » et regrette que cet intérimaire ne le lui ait pas parlé « en face », parce qu’« il l’aurait rattrapé pour un autre poste ».

Michael Frangne, fraiseur à l’atelier montage de l’usine J.M. Weston, à Limoges, le 16 septembre 2021.

La marque de chaussures de luxe est confrontée à un problème d’embauche dans son unique site de production, situé depuis 1989 dans la zone industrielle nord de Limoges. Le personnel est vieillissant. « 45 % des artisans ont plus de vingt ans d’ancienneté », observe Gaël Coeuret, le nouveau directeur de la manufacture. La moyenne d’âge dans l’entreprise est de 48 ans. En 2020, neuf salariés sont partis à la retraite. Cette année, ils seront douze.

Weston, filiale du groupe EPI, détenu par la famille Descours, fondatrice de l’ex-Groupe André, a anticipé ces départs en formant plusieurs de ses ouvriers du cuir, mais cela reste insuffisant. Les spécialistes de la chaussure manquent à l’appel. Or fabriquer une paire de chaussures Weston exige 150 à 200 étapes et mobilise des dizaines de personnes.

Dans l’usine Weston de Limoges, le 16 septembre 2021.

Certains postes requièrent « des mois, voire des années de formation », rapporte M. Coeuret. Une mécanicienne doit savoir « tenir une ligne droite sur un tracé », mais aussi maîtriser « les arrondis, les parallèles », détaille Micheline Mathé, chef d’atelier de la couture. Et piquer une peau de veau ne pardonne pas. « On n’a pas le droit à l’erreur », puisque « dans le cuir, un trou, c’est un trou, contrairement au textile, où on peut défaire une couture et la refaire », note Deborah Ballage, en poste depuis presque cinq ans. « Il faut aimer la difficulté, la minutie », ajoute sa voisine, Sylvie Pithon, 56 ans. Lors des semaines d’immersion en entreprise proposées par Pôle emploi, seuls « deux candidats sur dix » réussissent les tests de dextérité, remarque Mme Mathé. Et les candidats font défaut.

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La RSE, ce n’est pas que du « greenwashing »

Gouvernance. En 2021, la part de la finance spécialisée dans les investissements « verts » dépassera 30 % des encours mondiaux. L’épargne est ainsi dirigée vers les placements ayant un impact sur l’environnement et, plus généralement, vers la transformation écologique, sociale et politique des entreprises.

La réorientation sélective des investissements est un phénomène si massif qu’elle fait craindre la formation d’une bulle spéculative : en effet, les attentes de retours sur ces financements sont survalorisées, et accentuées par une communication excessivement flatteuse sur les engagements des entreprises… par rapport à leurs pratiques réelles.

Sans discuter, ici, du risque de bulle qui menace de manière cyclique un capitalisme devenu structurellement spéculatif, on peut s’arrêter sur la question du blanchiment des résultats (« greenwashing » ou « socialwashing »). Elle est invoquée depuis longtemps pour mettre en doute la sincérité des entreprises qui se livrent à des politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE), et mérite, de ce fait, une attention particulière.

Des collaborateurs engagés, voire militants

Il est certain que toute communication sur la RSE cherche à se faire entendre dans le grand récit écologiste, qui se nourrit, d’une part, de la dégradation objective de l’environnement et du climat due aux activités industrielles et, d’autre part, du besoin de nos sociétés menacées d’implosion de se découvrir un destin collectif dans le salut de la planète. Comme elle est une partie prenante de la société, chaque entreprise cherche à montrer qu’elle alimente ce discours vertueux. De la même manière que la dénonciation du blanchiment des résultats par les activistes qui se donnent la charge de préserver la pureté idéale du récit écologique nourrit celui-ci.

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Mais il serait naïf d’en rester là, comme si les promesses des « grands discours » étaient nécessairement des paravents masquant le vide des pratiques. Dans la réalité, la RSE est assumée par des collaborateurs (et, parfois, des dirigeants) engagés, voire militants.

Ils dessinent des trajectoires de rupture, même à des échelles modestes ; ils déploient des tactiques, des savoirs et des savoir-faire soutenus par d’autres acteurs de la RSE ; ils trouvent des ruses pour contourner les contraintes économiques, les résistances aux conservatismes et les discours purement opportunistes. Ils participent donc aussi au grand récit global mais en produisant une activité quotidienne qui, comme l’a montré Michel de Certeau (L’Invention du quotidien, Union générale d’éditions, 1980), est un discours par les actes.

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Dans les pas des enquêteurs de l’Insee, au chevet de la France

Par et Natalya Saprunova

Publié aujourd’hui à 05h08, mis à jour à 14h47

La petite maison est là, pas très loin de la gare du RER, juste avant l’aéroport de Roissy. Les pavillons sont proprets, accolés les uns aux autres, chacun son petit jardin. Des gamins jouent au foot dans la rue. Il y a bien quelques barres d’immeubles de l’autre côté de la voie ferrée, mais de ce côté-ci, c’est calme, tout le monde le dit. Le portail de la maison est ouvert.

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique publié le 20 octobre.

« Bonjour madame, je viens pour l’enquête de l’Insee.

– C’est pour savoir par rapport aux gens qui travaillent et ceux qui sont au chômage ?, demande la dame, qui a accepté le rendez-vous sans trop savoir.

– Oui c’est ça. On a par exemple des situations de chômage partiel, l’Etat veut savoir combien de gens ça représente… »

Michel Razafimanantsoa, enquêteur pour l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), est venu plusieurs fois faire son repérage dans le coin. Il recommence tout juste les enquêtes de terrain, interrompues au début de l’épidémie de Covid-19.

Michel Razafimanantsoa, enquêteur pour l’Insee, sonne chez des personnes qu’il doit interroger, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), le 16 septembre 2021.

Depuis la fin de l’été, ils sont 800 comme lui à avoir repris la route, sonnant chez les gens pour les faire parler de leur vie et collecter des milliers de données qui deviendront des chiffres désincarnés. Ce sont les derniers à faire encore du porte-à-porte, visitant les campagnes, les banlieues cossues ou les cités, le cœur de Paris ou les zones rurales oubliées. Peu d’experts en savent autant sur l’état du pays, ses difficultés, ses angoisses, son rapport à l’Etat et aux institutions.

Ici, tout semblait indiquer que ce serait facile. Ce n’est pas toujours le cas. Des gens se méfient, et, souvent, ne connaissent pas l’Insee. Ou l’associent à l’Etat, dont l’image s’est abîmée. « Vous êtes de la Gestapo ! », a lancé une dame grincheuse à l’une de ses collègues en Bretagne. Ceux qui se cachent ne sont pas nécessairement ceux qu’on imagine. Les familles en situation irrégulière se dérobent autant que les avocats d’affaires parisiens, qui font mine d’être débordés de travail.

Pour faciliter le contact, l’enquêteur a simplifié son nom d’origine malgache, qu’il trouvait trop long, et se présente comme « Michel Raza ».

Questions intrusives et formelles

Pour le couple de trentenaires avec deux enfants qui habite ce pavillon, la vie est plus simple que pour d’autres, dans le quartier. Lui a une petite couette au sommet du crâne, une barbe sous son masque, et porte un maillot du PSG. Les deux sont en CDI, elle dans la logistique, lui chauffeur routier, catégorie « super poids lourd », précise-t-il, ajoutant qu’il va travailler en trottinette électrique. Il gagne plus qu’elle. Ils sont à l’aise, insérés, en bonne santé et vaccinés. Ils proposent même un café.

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Prêt-à-porter masculin : Celio et Jules changent de modèle

Un magasin Celio, à Caen, en novembre 2019.

En 1990, Celio avait pour slogan : « La mode, je m’en fous. » Trente et un ans plus tard, l’enseigne d’habillement masculin renoue avec cet esprit. « Be normal » (« soyez normal »), affirme sa dernière campagne, qui met en scène un homme incapable de rentrer dans son jean « après trois confinements et une vingtaine de barbecues ». « Il s’agit d’équiper tous ceux qui veulent s’habiller sans être une victime de la mode », affirme Sébastien Bismuth, son président depuis août 2020.

Celio entend redevenir une « enseigne populaire et accessible », affirme-t-il. En juin 2020, quelques semaines après la fin du premier confirment dû à la pandémie de Covid-19, le leader du prêt-à-porter masculin en France a demandé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde auprès du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). « C’était une question de survie », affirme M. Bismuth, en rappelant que l’entreprise était alors confrontée à des difficultés d’endettement, de modèle d’activité ainsi qu’à la chute de ses ventes.

Lire aussi Celio demande à être placé sous procédure de sauvegarde

Son plan de restructuration a été « drastique ». Elle a, depuis, fermé 102 magasins, dont ceux consacrés au costume, pour ramener son parc à 350 points de vente dans l’Hexagone et ce, au prix de 380 suppressions d’emplois.

La direction de l’enseigne détenue par ses fondateurs, Laurent et Marc Grosman, depuis 1978, a annoncé, jeudi 14 octobre, sortir de cette procédure de sauvegarde. « Cette étape était nécessaire », note Joannes Soënen, directeur général de Celio, en admettant devoir « maintenant transformer l’essai ». Le chiffre d’affaires de la marque devrait s’établir à 500 millions d’euros en 2021.

Pression sur les prix

Son principal concurrent, Jules, filiale d’Happychic, groupe que possède l’Association familiale Mulliez (AFM), doit aussi réussir sa mue, amorcée en 2018. Un plan de sauvegarde de l’emploi avait alors conduit à la suppression de 466 postes. L’enseigne a fermé 80 de ses boutiques. Aujourd’hui, elle en exploite 475. Après une année 2020 marquée par une perte de chiffre d’affaires de 130 millions d’euros, 2021 devrait se solder par « de 90 millions à 100 millions d’euros » en moins, précise Franck Poillon, son directeur général. En 2019, ses ventes atteignaient 574 millions d’euros.

Les Français n’ont plus envie d’acheter des vêtements neufs. Beaucoup se tournent vers l’achat de seconde main, notamment sur l’application Vinted

Ces deux figures de la mode masculine – Celio et Jules détiennent respectivement 5,8 % et 5,2 % de part de marché – sont confrontées à la mutation radicale du secteur. « Le marché français ne se porte pas bien depuis plusieurs années. Et il peine aujourd’hui à se redresser », rappelle Hélène Janicaud, responsable des études sur la mode chez Kantar. Evaluées à 6,6 milliards d’euros, les ventes annuelles s’affichaient en recul de 11,8 % fin août 2021 dans l’Hexagone par rapport à 2019.

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« Il est désormais illégal, en Californie, de “réduire au silence” les salariés victimes de harcèlement ou de discrimination »

La lanceuse d’alerte Frances Haugen lors de son audition au Sénat, le 5 octobre 2021, à Washington.

Chronique. Il y a une éternité – au milieu des années 2010 –, la tech terrorisait ses employés. Les géants de la Silicon Valley interdisaient à qui que ce soit de parler à la presse, fût-ce du beau temps, un comble au pays de la liberté d’expression. Essayer de questionner des techies aux arrêts de bus des navettes Google était une expérience frustrante : des robots, le regard vide, les oreilles bouchées par leurs écouteurs. Ceux qui acceptaient de souffler un mot prenaient des airs de dissidents de régime autocratique : « On n’a pas le droit de parler »

Les employés étaient paralysés par les désormais célèbres NDA (non disclosure agreements), ces accords de confidentialité que les salariés sont obligés de signer à leur embauche, officiellement pour protéger les secrets des start-up. Il se trouve aussi que les techies croyaient à leur mission (changer le monde, connecter les Terriens jusqu’au dernier, etc.). Dix ans plus tard, le temps est venu de la rébellion contre la loi du silence. Une vague de lanceurs d’alerte est en train de déferler sur les entreprises de la Silicon Valley. Rien n’est aussi dangereux que les missionnaires défroqués.

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Frances Haugen, ex-data scientist de Facebook, est devenue le visage le plus médiatisé des nouveaux whistleblowers, mais elle est loin d’être unique. En avril, Sophie Zhang, autre data scientist, avait révélé la tolérance de Facebook pour les faux comptes entretenus par les gouvernements étrangers qui cherchent à manipuler leurs opinions publiques. Ces dernières années, rares sont les entreprises qui n’ont pas connu leurs protestataires, déçus du double langage de leur messianique fondateur.

« Toxicité » de la culture d’entreprise

Coïncidence : au moment même où Frances Haugen témoignait devant le Congrès, une autre lanceuse d’alerte, Ifeoma Ozoma, publiait un guide pour les employés des entreprises technologiques tentés de révéler les méfaits qu’ils constatent. Son Tech Worker Handbook s’adresse aux livreurs et aux petites mains de l’économie numérique aussi bien qu’aux project managers. Loin de les inciter à jouer les justiciers, il met en avant les risques. Et offre des conseils. Quelles institutions contacter ? Comment parler à la presse ? Comment se préparer à la perte de son salaire et de son assurance santé ? A la vague de discrédit qui ne va pas manquer d’être orchestrée par l’entreprise incriminée ? Comme le dit Ifeoma Ozoma, quand on connaît la capacité des outils de surveillance de la tech, il y a de quoi devenir parano…

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Le paradoxe des « transclasses », héros malgré eux

Les récits de « coming out social », qui racontent les difficultés rencontrées lors du passage d’un milieu à un autre via les études supérieures, se multiplient dans le monde de l’édition ou sur les réseaux sociaux. Au risque de masquer la réalité d’un système toujours peu inclusif pour les jeunes issus de milieux défavorisés.