Archive dans 2021

Un troisième confinement et la fermeture de 110 000 commerces « non essentiels » vont lourdement peser sur l’économie

Dans la guerre contre le Covid-19, il est une bataille que Bruno Le Maire n’aime pas perdre : celle de sacrifier l’économie au nom des enjeux sanitaires. Mais, jeudi 18 mars, à l’heure où une troisième vague, amplifiée par l’arrivée de variants, submerge le pays, le ministre de l’économie a dû se plier au principe de réalité. Pendant quatre semaines, les départements de l’Ile-de-France, des Hauts-de-France mais aussi les Alpes-Maritimes, la Seine-Maritime et l’Eure seront confinés.

Lire notre analyse : Avec un troisième confinement pour une large partie de la France, le gouvernement défend sa « troisième voie »

Là, les écoles resteront ouvertes mais les commerces dits « non essentiels » – c’est-à-dire tous, excepté ceux de l’alimentation, les librairies, les disquaires et les coiffeurs – seront fermés.

Au total, 110 000 établissements, en incluant les commerces déjà clos dans les centres commerciaux, seront concernés. En Ile-de-France, il s’agit de 52 340 boutiques auxquelles s’ajoutent 6 443 magasins logés dans des centres commerciaux de plus de 5 000 m2. Au risque de qualifier de nouveau la France d’« Absurdistan » – une critique qui était apparue lors du deuxième confinement à l’automne –, les rayons de produits « non essentiels » des grandes surfaces seront eux aussi fermés par souci « d’équité », a signalé le premier ministre.

Le point : Ce qui est autorisé, restreint ou interdit en France depuis l’avancée du couvre-feu à 18 heures

« Coup de massue »

« Un nouveau coup de massue » pour les associations professionnelles de commerçants qui se disent « sidérées » par ces annonces alors que leur dernière réunion avec le gouvernement, en début de semaine, portait sur les perspectives de réouverture des commerces fermés. « L’Ile-de-France et les Hauts-de-France, c’est plus de 25 % de nos magasins et, en moyenne, 30 % du chiffre d’affaires », détaille Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, fédération de la distribution non alimentaire, expliquant que les commerçants ne faisaient déjà que « vivoter » avec les contraintes du couvre-feu. « On aura été fermé cinq mois et demi sur quinze mois, soit un jour sur trois. Comment voulez-vous que les magasins s’en sortent ?  », s’énerve-t-il.

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« On est repartis sur la distinction entre produits essentiels et “non essentiels”. Tout le monde disait depuis novembre à tous les niveaux du gouvernement : “plus jamais ça, les Français n’ont pas compris”… et on va repartir sur la distinction entre les pyjamas pour bébé, essentiels, et ceux pour les enfants de 3 ans, “non essentiels”, les collants, les chaussettes… », tempête aussi Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution.

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Malgré la crise, les entreprises ont toujours des difficultés à recruter

Formation de jeunes recrues dans un atelier de la Bergerat Monnoyeur Academy, à Chécy (Loiret), le 6 novembre 2020.

La crise économique ? Ce n’est pas la préoccupation première de Jean-Marie Basset, directeur général de Bergerat Monnoyeur. Covid-19 ou pas, ce concessionnaire de machines Caterpillar, qui emploie 1 700 salariés répartis sur 40 implantations en France, peine à trouver des mécaniciens pour entretenir le parc en expansion continue de pelles hydrauliques, tracteurs et autres concasseurs. « On cherche à recruter 200 personnes par an, c’est un combat permanent », témoigne M. Basset.

Cette grosse PME a pris le parti de mettre en place son propre dispositif de formation, en partenariat avec des écoles. Mais les candidats manquent… « Depuis le début de la crise, la demande est le premier frein à la croissance des entreprises, mais les difficultés de recrutement n’ont pas disparu : elles ont simplement été reléguées au deuxième rang », confirme Philippe Mutricy, directeur des études de Bpifrance, citant les résultats du Baromètre Bpifrance Le Lab et Rexecode publié le 25 février.

Le retour à un niveau d’activité quasi normal dans l’industrie constaté début 2021 s’accompagne en effet d’un redémarrage des intentions de recrutement. Selon le baromètre de l’emploi publié le 9 mars par Manpower, les perspectives d’embauche pour les chefs d’entreprise sont en progression de 7 % au deuxième trimestre. Les secteurs les plus concernés par ces besoins sont la construction, avec une hausse de 20 % des recrutements en perspective, et l’industrie manufacturière, où les projets de recrutements sont en hausse de 15 %. « Plus la main-d’œuvre est qualifiée, plus les difficultés sont grandes », rappelle M. Mutricy.

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CDI intérimaire

Si Bergerat Monnoyeur a choisi de recruter des personnes qu’elle formera ensuite, d’autres entreprises optent pour une stratégie différente. Fabien Pichereau, directeur des ressources humaines d’AEB (location-vente et maintenance de matériels de chantier et agricoles), recherche lui aussi des mécaniciens ultra-spécialisés pour entretenir le parc de machines. L’entreprise en compte déjà environ 150 sur un effectif total de 430 salariés, ventilés sur tout le territoire. Constituer ce maillage a déjà donné du fil à retordre au directeur des ressources humaines.

« Pour mettre en place des équipes cohérentes et stables sur l’ensemble du réseau, il nous a fallu deux ans et demi », déplore M. Pichereau. Face à un appareil de formation initiale qui ne suffit pas à répondre à ses besoins, il a donc choisi d’expérimenter un dispositif innovant proposé par Adecco. Il s’agit d’un contrat à durée indéterminée (CDI) intérimaire – le contrat est porté juridiquement par Adecco, mais la rémunération est versée par l’entreprise cliente – assorti d’une formation vers l’un des quinze métiers « en tension » recensés par l’entreprise de travail temporaire.

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« J’en vis en réalisant cinq ou six ventes par an » : mandataire immobilier, une reconversion en vogue

Les agences immobilières classiques, avec boutique et agents dûment encartés et assurés, ont du souci à se faire face à l’inexorable essor d’un nouveau métier apparu en 2005 : celui de mandataire immobilier. Cette activité de mise en relation de vendeurs et d’acquéreurs peut s’exercer du jour au lendemain, en indépendant, depuis le domicile, sans diplôme ni expérience ni investissement sinon un smartphone, et s’avérer lucrative.

Pas étonnant qu’elle attire, chaque année, des milliers de candidats, jeunes et moins jeunes, souvent venus d’autres milieux professionnels, anciens cadres commerciaux de l’industrie ou de la finance, retraités voire fonctionnaires et même agriculteurs. « A l’approche de mes 60 ans, en 2014, j’en ai eu assez de produire des céréales, ce qui nous faisait tout juste vivoter, et j’ai décidé de vendre des maisons, dans mon village pour commencer », raconte Dominique Catel, qui vit entre Houdan et Dreux (Eure-et-Loir).

Il a fait des recherches sur Internet, découvert ce métier de mandataire immobilier, et adhéré au réseau A la lucarne de l’immobilier. « Dans un premier temps, j’ai essayé de concilier agriculture et immobilier, mais quand je me suis retrouvé au volant de ma moissonneuse à recevoir le coup de fil d’un client qui voulait faire une visite, j’ai vite compris que ce serait acrobatique ». Il se félicite de son choix : « Ça a très vite marché : j’ai vendu trois ou quatre maisons dès la première année, j’en suis à douze ventes par an et je gagne entre 4 000 et 5 000 euros par mois, soit quatre fois plus qu’auparavant. »

Atout maître pour débuter, Dominique Catel connaît son village, où il est né, et a la confiance des habitants. Depuis, il a bien étendu son champ d’action, et son meilleur coup est la vente d’une belle maison bourgeoise située à Dreux, avec cabinet de radiologie au sous-sol, sur le marché depuis quatre ans lorsqu’il l’a prise en main. Il lui a très vite trouvé un acheteur, un cardiologue qui n’a pas même discuté le prix, plus de 500 000 euros. « Après un coup comme ça, les mandats arrivent tout seuls », assure M. Catel.

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Allègement des frais de structure

L’unique condition pour devenir mandataire est d’adhérer, moyennant une cotisation de 150 à 200 euros par mois, à un réseau qui peut en compter plusieurs milliers. Ils travaillent tous par délégation d’un seul agent immobilier titulaire, lui, de la carte professionnelle délivrée par la chambre de commerce.

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La Cour des comptes plaide pour une reprise par l’Etat d’une partie de la dette de l’assurance-chômage

L’assurance-chômage a encaissé un choc financier d’une telle violence, à cause de la récession en cours, qu’elle ne pourra pas se relever toute seule. Dans son rapport annuel rendu public, jeudi 18 mars, la Cour des comptes aboutit à la conclusion que les pouvoirs publics doivent se porter à la rescousse du système d’indemnisation des demandeurs d’emploi, en endossant une partie de sa dette, qui s’est creusée dans des proportions abyssales en une année. Aux yeux de la haute juridiction, il faut aussi mettre à profit ce renflouement pour revoir la gouvernance du régime administré par l’Unédic, une association paritaire que les partenaires sociaux co-pilotent.

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Avant la crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19, les comptes de l’assurance-chômage n’étaient déjà pas très brillants : fin 2019, l’endettement s’élevait à près de 37 milliards d’euros, à la suite d’une décennie d’exercices déficitaires. Les difficultés se sont accrues durant l’année 2020. D’un côté, les recettes ont plongé, sous l’influence de plusieurs facteurs : report ou exonérations de cotisations, contraction de la masse salariale sur laquelle sont assises les contributions des entreprises, etc. De l’autre, les dépenses ont explosé, en particulier du fait du recours massif à l’activité partielle, que l’Unédic a co-financé avec l’Etat. Résultat : la dette atteindrait un peu plus de 54 milliards d’euros, fin 2020.

Un vaste exercice d’ingénierie financière

Cette somme est « trop lourde à porter pour le seul régime », considèrent les magistrats de la rue Cambon, car elle « représente presque une fois et demie les ressources » que celui-ci a collectées en 2019. Autrement dit, le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi n’est plus en capacité de se désendetter « par ses propres excédents ». C’est l’une des raisons pour lesquelles la Cour des comptes plaide en faveur d’une « reprise » par les pouvoirs publics d’une fraction de la dette de l’Unédic. Un tel geste se justifie d’autant plus que le trou à combler résulte, assez largement, « des mesures exceptionnelles » prises par le gouvernement afin de soutenir l’économie (activité partielle, report de cotisations…).

Tout l’enjeu, maintenant, consiste à déterminer le poids du fardeau confié à l’Etat. Cela doit s’intégrer dans le cadre plus large des mesures arrêtées par le gouvernement afin de « gérer le niveau historiquement haut de l’endettement des administrations publiques », d’après la Cour. Comment procéder concrètement ? Le rapport suggère – entre autres – de s’inspirer d’exemples récents, en mentionnant le transfert d’une partie de la dette des hôpitaux à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

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Couverture chômage des indépendants : la majorité s’impatiente face à l’absence de mesures

Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises lors d’une session de questions au gouvernement à l’Assemblée Nationale, à Paris, le 17 novembre 2020.

Les parlementaires de la majorité attendent désormais des actes sur la couverture chômage des indépendants. Alors que le gouvernement avait exprimé, il y a un peu plus de trois mois, sa volonté d’améliorer la protection de cette catégorie de travailleurs en cas de perte d’emploi, plusieurs députés, membres du groupe La République en marche (LRM) ou alliés aux élus macronistes, viennent de lui faire comprendre – poliment – qu’il serait bienvenu de concrétiser ses intentions.

L’occasion leur en a été donnée, mercredi 17 mars, lors d’une audition, par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, d’Alain Griset, le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises (PME). C’est lui qui avait lancé, le 8 décembre 2020 : « Il faut qu’on arrive à mettre en place une assurance-chômage [pour les non-salariés]. » Une initiative qui vise à resserrer les mailles de l’Etat-providence au profit d’une classe sociale particulièrement touchée par la récession en cours.

Les propos de M. Griset peuvent susciter la surprise puisque l’exécutif avait déjà légiféré sur le sujet. Promulguée en septembre 2018, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a, en effet, créé une allocation pour les travailleurs indépendants qui cessent leur activité, de manière involontaire et définitive. D’un montant mensuel de près de 800 euros et versée durant six mois, cette prestation est censée traduire l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron : transformer l’assurance-chômage pour qu’elle devienne « un droit universel », accessible – en particulier – aux non-salariés.

Règles très strictes

Mais la mesure n’a absolument pas atteint sa cible. Depuis son entrée en vigueur, début novembre 2019, jusqu’à la fin février 2021, l’allocation a été versée à seulement 911 personnes, alors que les études d’impact tablaient sur un peu plus de 29 000 bénéficiaires – ce qui était déjà peu, rapporté aux quelque 3,2 millions d’indépendants. Cet échec tient notamment au fait que les règles prévues pour être éligible à ce « revenu de remplacement » sont très strictes : avoir exercé une ­activité non salariée pendant au moins deux ans, afficher un chiffre d’affaires annuel de 10 000 euros au minimum, être placé en ­liquidation ou (à certaines conditions) en redressement judiciaire, etc.

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Mercredi, plusieurs députés ont exhorté l’exécutif à corriger le tir. Les « critères d’application de l’allocation pour les travailleurs indépendants (…) doivent être, je pense, rapidement assouplis », a déclaré Dominique Da Silva, élu LRM du Val-d’Oise. « Il est plus que jamais nécessaire (…) d’être à la hauteur de l’ambition portée par Emmanuel Macron », a enchaîné sa collègue (LRM) du Loiret, Caroline Janvier. Le dispositif « a besoin d’être réformé », a renchéri Valérie Six (UDI, Nord), en ajoutant que le niveau de l’allocation – 800 euros, donc – « semble insuffisant ». Paul Christophe (Agir ensemble, Nord) a, pour sa part, demandé des précisions sur le projet du gouvernement.

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Le reconfinement redouté en Ile-de-France, dont l’économie est déjà très affectée par la crise

Patrouille de policiers aux abords du magasin Printemps à Paris, le 31 janvier 2021.

Sur le parcours du jeu de l’oie qui se joue depuis un an, entre confinements, couvre-feux, fermetures administratives et autres mesures pour éloigner le virus, l’Ile-de-France s’apprête à reculer de quelques cases. Les dés ne devaient être jetés que jeudi 18 mars dans la soirée, quand l’exécutif annoncera quelles mesures supplémentaires sont prises pour la région-capitale, mais personne n’imaginait mercredi échapper à un nouveau confinement, au minimum le week-end, avec les conséquences économiques que cela implique.

« Cela fait quinze jours qu’on s’y attend », soupire, fataliste, Didier Kling, le président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Ile-de-France, qui n’imagine pas pour autant un « confinement absolu ». « Si on doit rester chez soi le soir et le week-end, on le fera, parce qu’il faut bien faire quelque chose mais ce qui m’inquiète surtout aujourd’hui, ce sont les 1 500 appels que l’on reçoit tous les jours de chefs d’entreprise qui sont au bout du rouleau. »

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Car l’Ile-de-France, qui génère environ 30 % du PIB du pays alors qu’elle n’occupe que 2 % du territoire, a déjà payé un lourd tribut à la crise du Covid-19. « En 2019, la région rassemblait 23,4 % de l’emploi salarié et 16,9 % des chômeurs inscrits à Pôle emploi, mais depuis le début de la crise sanitaire, elle concentre 30,6 % de la baisse de l’emploi et 40,2 % de la chute des embauches dans l’ensemble du pays en 2020, rappelle l’économiste Bruno Coquet dans un article en date 12 mars, publié sur le site de l’OFCE. C’est donc, pour le moment, le marché du travail francilien qui subit l’essentiel des difficultés consécutives à la situation sanitaire. »

Le week-end, primordial pour les commerces

La région souffre notamment de sa spécialisation sectorielle : très tournée vers les services, elle pâtit plus que d’autres de la baisse historique des flux touristiques et de l’arrêt des secteurs de la culture et des loisirs. L’Ile-de-France concentre grands événements, foires et salons, eux aussi à l’arrêt : 420 manifestations commerciales ont été annulées en 2020. La présence des deux grands aéroports internationaux que sont Orly et Roissy, dont le trafic a chuté de près de 70 % en 2020, explique également la situation « inhabituellement dégradée » de la région, selon les termes de Bruno Coquet.

Un confinement supplémentaire ne fera qu’aggraver ce bilan déjà lourd au détriment des entreprises déjà les plus en difficulté. « Pour les secteurs comme l’industrie, les services aux entreprises, il n’y aura pas d’effet de surprise, explique Daniel Weizmann, président du Medef Ile-de-France. Les entreprises se sont organisées, structurées pour poursuivre leur activité, et d’ailleurs, celle-ci est déjà quasiment revenue à la normale. » Ce n’est pas le cas en revanche pour le commerce, les services à la personne, le tourisme, la restauration, la culture… « Malheureusement, ce sont ceux qui sont déjà les plus impactés qui vont souffrir le plus », poursuit M. Weizmann.

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Pour la plupart des plates-formes Internet, « le salariat, c’est le grand Satan »

Un livreur Uber Eats lors d’une manifestation à Nantes, le 12 mars 2021.

En France, la Cour de cassation a rendu, en mars 2020, une décision comparable à celle de la Cour suprême de Londres : elle a requalifié le contrat de prestataire d’un chauffeur de VTC Uber en contrat de travail. Pour autant, dans l’Hexagone, Uber poursuit sa route avec des autoentrepreneurs. En conséquence, les chauffeurs de VTC désirant être requalifiés comme salariés doivent porter leur affaire devant les tribunaux, avec des fortunes diverses.

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Le 4 mars 2020, l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui a jugé que le statut d’indépendant d’un chauffeur de VTC d’Uber était « fictif » et que sa relation relevait, en réalité, d’un contrat de travail avec Uber, avait fait l’effet d’une bombe. La Cour avait traduit l’arrêt en plusieurs langues et l’avait assorti d’un communiqué, signe que, pour elle, la messe était dite.

Mais cela n’a pas eu le résultat escompté. L’arrêt « n’a entraîné ni requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs » Uber « ni même eu une conséquence sur la jurisprudence en la matière », se félicite-t-on chez Uber. En effet, les tribunaux ne se sont pas tous alignés sur la position de la Cour de cassation.

« C’est une absurdité »

Le 23 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a confirmé que le contrat de huit chauffeurs avec Uber était commercial. Le 31 juillet, il a renvoyé une autre affaire en départage (formation avec un juge professionnel), les quatre conseillers n’ayant pu dégager une décision majoritaire. A l’inverse, le 23 novembre, le conseil de prud’hommes de Nantes a requalifié le contrat d’un chauffeur en contrat de travail. Uber a fait appel.

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Le 15 janvier 2021, la cour d’appel de Lyon, elle, a confirmé le statut d’indépendant d’un chauffeur Uber, qui se pourvoit en cassation. « Elle a repris tous les critères relevés par la Cour de cassation pour les tordre, déplore Stéphane Teyssier, l’avocat du chauffeur, qui en représente 200 autres devant les prud’hommes. Et, dans le même temps, elle reconnaît la compétence du conseil de prud’hommes, qui juge les affaires de salariés. C’est une absurdité. » Un mois plus tard, le conseil de prud’hommes de Paris a rejeté la requalification en salarié d’un chauffeur d’Uber.

Des travailleurs d’autres plates-formes ont saisi la justice. Ainsi, la cour d’appel de Paris a reconnu, le 18 février, l’existence d’un contrat de travail entre un chauffeur de VTC et la société Bolt, qui peut encore se pourvoir en cassation. Chez les livreurs de repas, plusieurs décisions leur étant favorables sont intervenues. Le 4 février 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné Deliveroo pour travail dissimulé et requalifié le contrat d’un livreur en contrat de travail. Le dossier est en appel. Des dizaines de décisions de requalification de livreurs de l’ex-Take Eat Easy par les prud’hommes continuent de tomber.

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A travers l’Europe, les droits des travailleurs des plates-formes Internet s’améliorent

Des chauffeurs Uber saluent la décision de la Cour suprême britannique leur reconnaissant le statut de « travailleurs », à Londres, le 19 février.

Les travailleurs des plates-formes Internet (Uber, Deliveroo, Frichti, Bolt, Foodora…) en Europe sont-ils en train de vivre un tournant pour leurs droits ? Ces derniers mois, au Royaume-Uni, en Italie ou aux Pays-Bas, une série de décisions de justice leur a permis d’être requalifiés en tant que salariés. En Espagne, grâce à un changement dans le code du travail, il a été décidé, le 11 mars, que ces précaires du XXIe siècle seraient, par défaut, considérés comme des salariés.

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Au Danemark et en Suède, des conventions collectives viennent d’être signées, pour mieux couvrir ces travailleurs. En France, en mars 2020, la Cour de cassation avait reconnu, dans le cas d’un chauffeur Uber, que son statut d’autoentrepreneur était « fictif ». Quant à la Commission européenne, elle a ouvert, le 24 février, une consultation visant « à améliorer les conditions de travail » du secteur.

« L’année 2021 a débuté de façon très positive pour les travailleurs des plates-formes », se réjouit Natalia Walczak, de la Fédération européenne des travailleurs du transport (FET). « Il y a un vrai alignement des décisions, qui vont vers la requalification en un statut de salarié. Le mouvement est franc », corrobore Sophie Robin-Olivier, professeure à l’Ecole de droit de la Sorbonne.

Pour comprendre le contexte : Le modèle d’Uber menacé par une décision de la justice française

La tendance concerne un secteur qui croît très rapidement, en particulier depuis le début de la pandémie de Covid-19, comme le rappellent les livreurs qui sillonnent les villes d’Europe. Sur le continent, il y a désormais 3 millions de personnes dont le travail pour une plate-forme est la principale activité (1,4 % de la population active), 9 millions qui l’utilisent comme une source de revenus secondaires (4,1 %), et 12 millions comme une source marginale. En Espagne ou au Portugal, entre 8 % et 9 % de la population active en dépend entièrement ou largement. En France, c’est environ 4 %.

« L’annonce d’Uber n’est pas la fin du combat »

Le dernier jugement marquant vient du Royaume-Uni, le 19 février, quand la Cour suprême a estimé, à l’unanimité, que les chauffeurs d’Uber ne pouvaient pas être considérés comme des autoentrepreneurs. Après des années de bataille judiciaire, le groupe californien en a pris acte et annoncé, mardi 16 mars, que ceux-ci seraient désormais considérés comme des « travailleurs ».

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Ce statut du droit anglais, qui existe de longue date, est à mi-chemin entre celui de salarié et celui d’autoentrepreneur. Concrètement, les 70 000 chauffeurs britanniques recevront 12 % de salaire supplémentaire au nom des congés payés. Ils auront accès à un fonds de pension, auquel Uber contribuera à hauteur de 5 % du salaire. Le nouveau statut leur garantit enfin le salaire minimum, de 8,72 livres sterling de l’heure (10,17 euros). N’étant pas salariés, les chauffeurs n’auront cependant pas le droit à des congés maladie ni à des congés de maternité ou paternité.

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Uber : vers une conduite plus sociale

Depuis une dizaine d’années, la « gig economy », ou « économie à la tâche », celle des petits boulots proposés par les plates-formes collaboratives sur Internet, a prospéré sans trop se préoccuper de droit social. Profitant de vides juridiques et de l’explosion de la demande pour de nouveaux services, les exploitants de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les sociétés de livraison à domicile ont pris une importance grandissante, en imposant des conditions de travail précaires à leurs collaborateurs.

Si ces emplois permettent d’offrir des possibilités à des personnes qui ont du mal à entrer sur le marché du travail traditionnel ou qui ont besoin de revenus complémentaires, ils n’assurent pas le minimum de protection sociale auquel peuvent prétendre ceux qui les occupent. La flexibilité et la liberté qu’ils peuvent rechercher ne doivent pas être incompatibles avec le droit de travailler dans la dignité.

Lire aussi Uber reconnaît à ses chauffeurs britanniques un statut de travailleur salarié, une première

Heureusement, la situation en Europe est en train de se normaliser, même si les progrès restent lents. Un peu partout, des procédures juridiques poussent les plates-formes à lâcher du lest. Mardi 16 mars, Uber a ainsi fini par accorder à ses chauffeurs au Royaume-Uni le statut de « travailleurs salariés ». Le groupe américain était sous la pression de la Cour suprême britannique, qui, le 19 février, avait estimé que les chauffeurs ne devaient plus être considérés comme des travailleurs indépendants et qu’ils avaient le droit d’accéder à certains avantages sociaux. Uber en prend acte en leur accordant le salaire minimum, des congés payés et l’accès à un fonds de retraite.

Représentation syndicale à l’étude

Cette décision est de nature à encourager un mouvement plus vaste déjà à l’œuvre. Ces derniers mois, en Espagne ou en Italie, des décisions de justice ont obligé les plates-formes à réviser le statut de leurs collaborateurs. Au Danemark et en Suède, des conventions collectives plus favorables ont été signées. En France, la Cour de cassation a requalifié un chauffeur Uber comme salarié. Plusieurs centaines de dossiers réclamant les mêmes droits sont en cours d’instruction. En attendant, le gouvernement a lancé une mission dans le but d’instaurer un dialogue social au sein des plates-formes. Une ordonnance doit être publiée d’ici à la fin du mois d’avril, afin que les chauffeurs et les livreurs puissent bénéficier d’une représentation syndicale.

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Parallèlement, une « autorité nationale des relations sociales des plateformes d’emploi » (ARPE) est en passe d’être créée pour faire des propositions de régulation du secteur. De son côté, la Commission européenne vient de lancer une consultation des partenaires sociaux pour réfléchir à l’amélioration du sort de ces travailleurs.

Il est temps de se préoccuper de ce nouveau prolétariat urbain, qui, sous des dehors de modernité, renvoie à des pratiques sociales d’un autre âge. En l’espace de dix ans, le nombre de plates-formes collaboratives a été multiplié par cinq, avec la création de nombreux emplois à la clé. Chacun de nous, d’un simple geste à partir de son smartphone, a désormais accès à de nombreux services qui facilitent notre quotidien. Ceux qui le permettent méritent un minimum de considération.

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Pour les plates-formes, il s’agit d’un défi majeur, alors que la plupart ne gagnent toujours pas d’argent. En 2020, Uber a perdu 6,8 milliards de dollars (environ 5,7 milliards d’euros), légèrement moins que les 8,5 milliards de l’année précédente. Pour ce secteur, la recherche du modèle économique ne peut être opposée à l’amélioration des conditions de travail, les chauffeurs et les livreurs ne peuvent être considérés comme sa variable d’ajustement.

Le Monde

Chez Sanofi, le grand malaise des chercheurs

Des employés de Sanofi protestent contre la restructuration de l’entreprise devant le ministère de l’économie à Paris, le 11 mars.

Ce matin de l’été 2012, Renaud M. (qui n’a pas souhaité donner son nom) est en plein déménagement, lorsqu’il entend à la radio que son employeur, le groupe pharmaceutique Sanofi, a l’intention de se désengager du site de Toulouse, où il doit prendre un poste à la rentrée. « Comme mon activité à Strasbourg allait être interrompue, on m’avait orienté vers une autre spécialité, installée à Toulouse, se rappelle le chercheur. Pendant un an, j’ai suivi un master à la fac de Toulouse la semaine, je retrouvais ma femme et mes enfants à Strasbourg le week-end… Tout cela pour apprendre par hasard que le centre censé m’accueillir allait fermer ! » La famille reste un an et demi dans le Sud-Ouest, puis regagne Strasbourg, où Renaud M. est de nouveau invité à changer d’activité.

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Rebelote en 2019, quand la direction demande à la cinquantaine de collaborateurs de recentrer leurs recherches sur l’immuno-oncologie. Il faut s’adapter, encore.

Et voilà qu’en juin 2020, le groupe annonce que dans le cadre d’un plan de restructuration global, dont un volet porte sur la recherche et développement (R&D), le projet « Evolve », il entend se séparer du site alsacien pour favoriser la « colocalisation » des équipes − les Strasbourgeois qui le souhaitent seront transférés sur le site de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où le maintien de leur poste est garanti. « Cela a été un choc », se souvient Renaud M., qui préfère « attendre de connaître le nom du repreneur avant de choisir entre déménager en région parisienne ou quitter Sanofi ».

Lassitude, stress

Des parcours mouvementés comme celui-ci, la R&D de Sanofi n’en manque pas. Il y a cette cadre de laboratoire, « toujours au mauvais endroit au mauvais moment », qui a été affectée sur trois bassins d’emploi différents en dix ans. Ce biochimiste contraint de se reconvertir dans la formation, et qui travaille aujourd’hui à 700 km de sa famille.

Pour rester chez Sanofi, les chercheurs doivent être « acteurs de leur mobilité », aiment à dire les ressources humaines, se réinventer au gré des changements de directeurs généraux (quatre depuis 2008), des revirements de stratégie et des plans de restructuration (cinq depuis 2009, rien que pour la R&D), dont la seule constante semble être la réduction des effectifs, divisés par deux en France en treize ans (d’environ 7 000 collaborateurs en R&D répartis sur douze sites en 2008, à 3 800 sur quatre sites à l’issue du plan en cours).

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