Archive dans novembre 2021

Microtâches contre microgains, le business incontrôlé des sites de clics rémunérés

Voter pour une vidéo sur Youtube : 10 cents (9 centimes d’euros). Suivre quelqu’un sur Twitter : 12 cents. Télécharger cinq photos : 39 cents. Bienvenue dans le monde du « gain au clic » sur RapidWorkers. Revendiquant plus de 100 000 inscrits dans le monde, cette plate-forme de microtravail est l’un des nombreux sites du genre apparus sur le marché ces dernières années.

Le phénomène a pris son envol dans les années 2000 avec le lancement par Amazon de Mechanical Turk, une référence au prétendu automate du XVIIIe siècle, qui dissimulait une personne bien vivante. Sur l’engin d’Amazon, c’est derrière leur écran que les humains sont cachés. Des donneurs d’ordre anonymes leur passent commande pour des missions généralement ouvertes à tous, contre une rémunération modique. Mais, avec ce vivier de recrutement mondialisé, ils mettent en concurrence des travailleurs sur tous les continents.

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Le phénomène a d’abord explosé dans les pays à bas coût : Inde, Chine, Venezuela… Depuis, le microtravail a pris de l’ampleur partout dans le monde. Selon une étude commandée par le moteur de recherche professionnel ReportLinker, parue en octobre, le marché du microtravail devrait atteindre près de 2,5 millions de dollars (2,2 millions d’euros) rien qu’aux Etats-Unis cette année.

Aucun statut professionnel exigé

Ces plates-formes mettent en avant la souplesse du modèle : « Votre plage horaire est flexible et la seule chose dont vous avez besoin, c’est un ordinateur ou un portable avec une connexion Internet », annonce, sur sa page d’accueil, Clickworker, l’une des plus importantes au monde. Selon le sociologue Antonio Casilli, spécialiste de ce sujet, on ne dépasse pas deux dollars de gain par heure en moyenne. La plupart de ces sites se présentent comme des compléments de revenus : ils rémunèrent généralement leurs utilisateurs en utilisant PayPal ou des cartes cadeaux. Aucun statut professionnel, microentrepreneur ou autres, n’est exigé pour s’inscrire.

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Peut-on louer son cerveau comme on loue sa maison ou sa perceuse, en dehors de tout droit du travail ? Selon un expert anonyme, auditionné par le Conseil national du numérique pour le rapport « Travail à l’ère des plates-formes », paru en 2020, la question des revenus des indépendants se voit bouleversée par l’économie numérique, qu’il qualifie d’économie « de la multitude ». Internet a permis l’explosion de cette forme de travail hyperfragmentée, rendue invisible, où des plates-formes mondialisées mobilisent partout des millions de travailleurs, placés en dehors de tout cadre juridique.

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« Le sexisme répété est désormais un risque pour la santé au travail au même niveau que le harcèlement sexuel »

Tribune. Les enquêtes menées depuis 2014 par le Défenseur des droits, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et, plus récemment, la Fondation Jean Jaurès le montrent : le sexisme au travail est aujourd’hui encore une réalité et il entraîne des conséquences néfastes, pour les victimes bien sûr, mais aussi pour l’organisation collective.

La notion d’agissement sexiste est certes entrée dans le code du travail en 2015, mais il aura fallu plusieurs années de maturation pour finalement considérer les comportements et propos sexistes comme un véritable risque professionnel, au même titre que le harcèlement sexuel. En effet, si les discours sur la tolérance zéro et la libération de la parole se multiplient dans les médias, peu nombreux sont les entreprises et les organismes publics à avoir mis en place une politique de prévention et une procédure de traitement du sexisme en entreprise.

Cette lente prise de conscience a franchi un nouveau cap avec la loi sur la santé du 2 août 2021, grâce à l’élargissement de la notion de harcèlement sexuel au travail. Si aujourd’hui le harcèlement sexuel se manifeste par « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », à partir de mars 2022, « les propos ou comportements à connotation sexiste répétés » seront également susceptibles d’être qualifiés de harcèlement sexuel au travail.

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Ainsi, si les notions de violence sexiste et violence sexuelle restent conceptuellement distinctes – la première se traduisant par une conduite dévalorisante ou humiliante basée sur les stéréotypes de genre, la seconde par des propos ou comportements sexualisant la personne ou la réifiant en objet sexuel –, cette nouvelle définition du harcèlement sexuel pointe du doigt le danger que peuvent représenter les agissements sexistes quand ils deviennent systémiques.

Une communication claire

Pourquoi élever les agissements « sexistes » répétés au même rang que les agissements « sexuels » répétés ? La logique sous-jacente est de s’attaquer aux comportements irrespectueux quotidiens et banalisés, tels que les remarques ou blagues sexistes, pour créer une culture du respect et de l’inclusion. Ce faisant, il s’agit de prévenir efficacement la potentielle dérive vers des comportements plus graves et nocifs qui pourraient affecter les femmes comme les hommes au travail, en tant que victimes ou témoins.

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« Le contrat social n’est plus respecté, les gens non plus » : la colère salariale gagne la Bretagne

A Ploërmel, le 8 novembre. Les salariés de Cocotine se sont mobilisés pour une revalorisation de leurs salaires.

Une partie de palet bat son plein devant l’entrée de Cocotine. Entre la fumée qui s’échappe d’un baril et la musique à tue-tête, plusieurs dizaines de personnes discutent. A leurs côtés, quelques pancartes en carton avertissent : « Salaires de misère », « En panne »… C’est bien la première fois que l’on observe une telle scène au-devant de cette casserie de Ploërmel (Morbihan), spécialisée dans la fabrication de produits à base d’œufs qui emploie 230 salariés.

« Pour une bonne partie des gens ici, on est à 1 600 euros brut par mois, et ce, peu importe l’ancienneté. Avec l’inflation, le prix de l’essence, c’était plus possible », expose Maryline Etienne, conductrice de ligne depuis plus de vingt-cinq ans. La déléguée syndicale CFDT au visage garni de taches de rousseur se trouvait dans une impasse « après des années d’accords signés pour quoi ? Des cacahouètes ».

« J’ai une famille, des enfants, et je me demande comment je vais faire pour leurs études plus tard avec 1 400 euros net par mois. » Grégory Simon, 35 ans

Ses collègues l’ont poussée, début novembre, à débrayer afin de dénoncer la situation dégradée au sein de l’entreprise, « moi, la petite déléguée syndicale pas très revendicative ». La quasi-totalité l’a rejointe dès le premier jour et réclame une hausse des salaires de 5 %.

Grégory Simon, grand brun svelte de 35 ans, a fait partie des lanceurs du mouvement : « J’ai une famille, des enfants, et je me demande comment je vais faire pour leurs études plus tard avec 1 400 euros net par mois. » Lui transporte chaque jour, à l’approvisionnement, des charges de 25 kilos. Dans une « très bonne » équipe, certes, mais, quand même, « c’était soit la grève, soit je démissionnais ». Florence Vergnaud, bouille sympathique, papote entre les groupes. « Dans notre atelier, il fait trop chaud, tellement que certains font des malaises. J’ai remonté l’information, mais rien n’a changé. On a le sentiment de ne pas être écoutés », se désole cette conductrice de ligne aux vingt-cinq ans d’entreprise.

Mobilisation spontanée et inédite

Reconnaissance. Le mot revient dans toutes les conversations, et pas que chez Cocotine. Depuis le printemps et la saison des négociations annuelles obligatoires, la colère gronde en centre Bretagne, où le secteur de l’agroalimentaire représente pas moins de 74 000 personnes, selon des chiffres de 2019, soit environ 40 % des emplois industriels – avec des pics à 70 % du côté de Carhaix-Plouguer (Finistère).

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Greenyard Frozen à Moréac, Gaillard pâtissier à Locminé, Gelagri à Loudéac… Les débrayages se sont multipliés devant des usines qui connaissaient pas ou très peu la contestation. « En vingt-huit ans dans le secteur, c’est bien la première fois que je vois un tel mouvement sans appel fédéral à faire grève, commente Ronan Le Nézet, secrétaire CGT de l’union locale Pontivy-Loudéac. Le contrat social n’est plus respecté, les gens non plus. »

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Ebranlé par la crise sanitaire, PGM Couesnon, fabricant de cuivres presque centenaire, a encore du souffle

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Publié aujourd’hui à 15h00

Peut-être le défilé annuel de la fanfare de votre village a-t-il été annulé cet été, comme celui d’avant ? Ou était-ce le carnaval qui anime la ville chaque année ? Ou la bravade ? « Eh bien derrière, c’est plein de métiers qui en ont aussi pâti », glisse Sophie Glace, la cogérante, 49 ans, dans le vaste bureau de l’entreprise PGM Couesnon, à une encablure de la gare de Château-Thierry (Aisne).

Ginette Planson, repreneuse de l'activité et PDG de l'entreprise, à Etampes-sur-Marne (Aisne), le 2 novembre 2021.

Au-dessus de sa tête, suspendue au mur comme un trophée, une trompe de chasse dorée, de la longueur de la pièce ou presque. « 4,54 mètres et demi ! La taille nécessaire pour obtenir un ré majeur », précise-t-elle. Depuis 1827, Couesnon fabrique des cuivres et des percussions. Dans le vaste atelier attenant, les feuilles de laiton se font trompette, tuba, clairon. Pour jouer en mi ou en si bémol, on martèle, on recuit, on repousse, on polit.

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Ils ne sont plus que deux fabricants en France, une trentaine dans le monde. Et les temps sont durs. « Avec la crise sanitaire, les annulations et jauges réduites, nous avons perdu deux années de suite l’équivalent de ce que sont Noël et Pâques pour les chocolatiers : la Fête de la musique, les festivals d’été, les défilés du 14-Juillet… », poursuit Sophie Glace. Le chiffre d’affaires s’est effondré de près de 50 %. « Pour les instruments à vent, qui projettent [des particules], on attend toujours cette reprise dont tout le monde parle à la télé… C’est long », se désole-t-elle. « Moi j’y crois, ça va repartir », l’interrompt, sur un ton presque tranquille, sa mère, Ginette Planson, toujours PDG de l’entreprise à 79 ans. Ici, cela fait longtemps qu’on affronte les tempêtes en famille.

PGM-Couesnon fabrique des instruments à vent depuis 1827.

Elles évoquent ensemble le passé glorieux de Couesnon, qui, il y a un siècle, a compté jusqu’à 1 000 employés sur six sites en France, dont 600 à Château-Thierry. « Un jour, j’avais emmené mes petits-enfants en voyage aux Etats-Unis. On descend dans une boîte de jazz à San Francisco, et là, le hasard : toutes les affiches au mur, c’était des affiches Couesnon ! », raconte Ginette avec fierté. Sidney Bechet, Bill Coleman et d’autres grands noms du jazz ont porté, dans les années 1950, la renommée de l’entreprise. « On était leader du marché ! »

Concurrence des instruments produits en Chine

Ginette Planson a commencé à travailler là en 1960. Elle avait 18 ans ; son mari y avait été embauché quelques années plus tôt. « A “Château”, les gens travaillaient soit chez Belin [les biscuits], soit chez Couesnon. » En 1979, première secousse : un incendie ravage l’atelier. Sur les 165 employés, seuls 20 sont repris. Ginette Planson est licenciée. Alors qu’elle repasse à l’entreprise, elle découvre dans la cour les machines qui partent à la ferraille. « Ça m’a pris comme ça, sur un coup de tête, j’ai dit : “Je vous les rachète au prix de la ferraille !” », raconte-t-elle, encore amusée par son audace. Le soir même, les machines sont installées au sous-sol de sa maison.

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Au Qatar, le processus de réforme des conditions de travail des migrants menacé d’enlisement

Des travailleurs, en février 2018, lors de la construction du stade Al-Wakrah.

Peter est une silhouette esseulée dans la nuit de Doha. Le voiturier ghanéen se tient droit comme un poteau à un carrefour de Msheireb, au pied des tours de bureaux de ce nouveau secteur, construit à l’emplacement d’un quartier indien tombé en décrépitude. Les clients se faisant rares, le quadragénaire, sanglé dans une livrée couleur ocre, accepte de s’ouvrir sur sa vie au Qatar.

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« Mon salaire n’est pas bien haut, 1 250 riyals par mois [300 euros], sans le logement et la nourriture, qui sont pris en charge par mon employeur. Mais c’est mieux qu’au Ghana, c’est pour cela qu’on vient ici. Et puis, la situation s’améliore. Il y a cinq ans, si l’on demandait à changer d’emploi, on était renvoyé dans notre pays. Mais il y a quelques mois, grâce aux réformes du gouvernement, j’ai pu changer d’entreprise sans difficulté. Tous ces progrès, c’est grâce à la Coupe du monde et à la pression que les médias et les ONG de défense des droits de l’homme ont mise sur le Qatar. »

De l’autre côté de la ville, dans le quartier d’affaires de West Bay, Max Tuñon, le directeur de l’antenne locale de l’Organisation internationale du travail (OIT), ouverte en 2017, tient un discours à peu près similaire : « Il y a encore de nombreux défis, mais en matière de protection des travailleurs migrants, le Qatar a fait des pas remarquables. »

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Les avancées ont été particulièrement lentes à venir. Alors que les autorités de Doha avaient promis d’abolir la kafala en 2015, ce n’est qu’en 2020, dix ans après le vote de la Fédération internationale de football (FIFA) attribuant à l’émirat le Mondial 2022, que ce système enchaînant les migrants à leur employeur, confinant à l’esclavage moderne, a été rayé de la législation.

La loi autorise désormais les deux millions de ressortissants d’Asie du Sud-Est et d’Afrique, à l’origine de la foudroyante modernisation de cette micromonarchie du Golfe, à quitter le pays et à changer d’emploi sans requérir au préalable la permission de leur patron.

« Mise en œuvre faible »

Le Qatar a aussi imposé en 2020 un salaire minimum obligatoire, fixé à 1 000 riyals, auxquels doivent s’ajoutent 300 riyals pour la nourriture et 500 pour le logement, s’ils ne sont pas fournis par l’employeur. « Quand je suis arrivé à Doha pour la première fois, il y a seize ans, j’étais payé 500 riyals par mois », confie Chandra, un Népalais de 35 ans, qui officie comme chauffeur dans une entreprise de détergent. « Aujourd’hui, j’en gagne 3 000 », ajoute ce migrant venu faire ses courses au centre commercial de Labour City.

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Tourisme : le gouvernement lance un plan inédit mais imprécis

Des touristes visitent le Château du Clos Lucé, à Amboise (Indre-et-Loire), le 7 novembre 2021.

Salons internationaux et cyclotourisme. Agences de voyages et start-up. Bases nautiques et petits trains touristiques. Hôtellerie périurbaine et BTS « tourisme ». Au risque du saupoudrage, le plan Destination France, que doit présenter, samedi 20 novembre, le premier ministre, Jean Castex, à Amboise (Indre-et-Loire), couvre la plupart des enjeux du tourisme français, auquel le gouvernement entend fixer un cap à dix ans : se hisser à la première place mondiale en matière de recettes touristiques des visiteurs étrangers, en faisant « monter en qualité » l’offre globale et en s’octroyant le titre symbolique de « première destination de tourisme durable dans le monde ».

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Le plan consiste en 1,3 milliard d’euros de prêts, quelque 350 millions d’euros d’aides à la transformation du secteur, ainsi que des actions de communication (30 millions d’euros) et des aides au départ en vacances pour les jeunes, les seniors et les ultramarins (70 millions). « L’Etat investit à nouveau dans la politique touristique, avec un fil rouge : le tourisme durable », souligne le secrétaire d’Etat au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne.

Depuis six mois, le gouvernement a recueilli les doléances d’un tourisme français en relative perte de vitesse vis-à-vis de ses rivaux, qu’ils soient proches – Espagne, Balkans – ou plus lointains – golfe Persique, Asie du Sud-Est. Il a identifié deux faiblesses majeures : le manque d’attractivité des métiers du tourisme et la qualité de l’offre en milieu de gamme.

Aucune mesure sur la rémunération

Pour pallier la première, il promet une campagne de communication en 2022 et 2023 de l’ampleur de celle menée par le ministère des armées, afin de « faire rêver à nouveau les jeunes sur ces métiers qui permettent l’ascenseur social et sont porteurs de sens ». Un « réseau d’excellence d’écoles et de formations » est également annoncé, alors que les formations se multiplient au détriment d’une cohérence globale et de leur qualité. Il viendra s’ajouter à la Conférence des formations d’excellence au tourisme, créée… en 2015.

Aucune mesure n’est annoncée, toutefois, sur les principaux freins à l’attractivité du métier : les conditions de travail et de rémunération. La première journée de négociations salariales dans l’hôtellerie-restauration, le 18 novembre, a montré le grand écart séparant les propositions du patronat des attentes des syndicats de salariés. Quant aux difficultés de logement pour les salariés dans les stations touristiques, le plan propose d’aider les collectivités territoriales et les employeurs à ouvrir des « guichets physiques d’information » pour les saisonniers.

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La plate-forme Emmaüs, « un pied de nez à l’économie classique »

Maud Sarda et Thomas Marcotte ont cofondé la coopérative Label Emmaüs il y a 5 ans.

« Je ne sais pas ce que je ferais sans Emmaüs », lance Maud Sarda dans un éclat de rire partagé avec Thomas Marcotte. Les comparses ont cofondé la coopérative Label Emmaüs il y a 5 ans. Ces deux-là se connaissent bien et sont heureux de se retrouver « en vrai » après plusieurs mois au loin. Depuis début 2021, Thomas a quitté les locaux de Noisy-le-Sec pour suivre sa femme dans le Lot-et-Garonne et lancer une nouvelle plate-forme logistique Label Emmaüs sur la petite commune de Damazan. En arrivant au Village du réemploi de ValOrizon, la directrice du label raconte : « On avait en tête depuis quelques années de se déployer dans les territoires. C’est souvent comme ça avec nous, on a plein d’idées et c’est l’opportunité qui va tout débloquer ».

Depuis 2016, Maud Sarda déploie toute sa créativité au sein de la coopérative qu’elle a créée et qui compte désormais plus de 1 000 sociétaires. Au point de bousculer parfois un peu trop fort et trop vite les habitudes bien installées du Mouvement Emmaüs, qui a fêté ses 70 ans en 2019. Au départ de cette aventure, il y a la mise en ligne d’une plate-forme d’e-commerce éthique et solidaire réservée aux boutiques Emmaüs et aux acteurs du réemploi de l’Economie sociale et solidaire « pour tenir tête aux géants de l’e-commerce ». Puis l’équipe a créé Label Ecole, pour former des personnes éloignées de l’emploi aux métiers de l’e-commerce et plus récemment Trëmma.co, une sorte de Vinted solidaire, qui permet aux particuliers de vendre des objets et de financer des projets associatifs.

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Pour la prochaine étape de développement, l’infatigable Maud Sarda prévoit d’ouvrir des petites plates-formes logistiques, « au moins une par région », pour développer des filières de réemploi spécialisées. L’équipe a déjà l’expérience d’un premier site à Noisy-le-Sec, qui rachète en gros les livres invendus dans les boutiques Emmaüs, pour les mettre en ligne et leur donner une dernière chance d’être lus avant de partir au recyclage. Ici, dans les locaux de Damazan, l’équipe réunie autour de Thomas Marcotte est en place depuis le début de l’été et se spécialise sur la récupération de mobilier de bureau pour les entreprises et de meubles neufs invendus.

La loi AGEC interdisant désormais la destruction des invendus, tout le secteur du réemploi est en train de se restructurer. « Les acteurs locaux nous ont accueillis à bras ouverts, raconte Thomas Marcotte. Il y a à la fois un fort besoin de création d’emplois dans les territoires ruraux, avec du chômage de très longue durée plus ancré et des politiques territoriales qui s’orientent vers le soutien au développement de la filière. »

Redonner le pouvoir d’agir

Maud Sarda a eu le coup de foudre pour le Mouvement Emmaüs il y a plus de dix ans. Elle le rejoint d’abord en tant que responsable nationale des structures d’insertion. Dans sa vie d’avant, elle était consultante au sein du cabinet Accenture « pour rembourser son prêt étudiant ». Un grand écart qui en étonne toujours plus d’un mais qui lui permet d’affirmer ses choix et de s’investir dans du mécénat de compétences au sein de la Fondation Accenture. Son combat pour l’inclusion et la solidarité, lui, s’ancre dans l’enfance et des valeurs de tolérance transmises par ses parents. « J’ai grandi en Guadeloupe et mes parents ont toujours fait des choix de vie marginaux par rapport à la norme bien pensante. J’ai vu des parcours chaotiques, je sais ce que c’est. »

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Pendant ses études, elle est présidente de l’association humanitaire de son école de commerce, « s’interroge sur l’aide qui fait à la place des gens, adopte une posture descendante ». Et lors d’une mission dans un village en Inde où elle accompagne des porteurs de projets par la mise en place de microcrédits, elle comprend qu’aider les autres, c’est leur donner les moyens de leur autonomie, les remettre dans l’action et le pouvoir d’agir. « Donne-moi ton aide pour aider les autres », dit la célèbre maxime de l’abbé Pierre. « Mon moteur principal, ce sont les gens, confie l’entrepreneuse. Chez Emmaüs, nous sommes écoresponsables presque par défaut. Le cœur du projet reste la réinsertion de personnes qui ont connu des coups durs. »

« J’ai envie de croire que le besoin de cohérence va frapper les consommateurs et que c’est tout le système qui va progressivement se remettre en question »

Le Mouvement Emmaüs France est une grande famille, avec les bons et les mauvais côtés de la famille. En 2015, le conseil d’administration lui fait confiance et lui laisse un an pour élaborer un concept de plate-forme en ligne avec les acteurs du réseau. Label Emmaüs est mis en ligne en décembre 2016 et reçoit un accueil très mitigé des boutiques qui voient encore, pour certaines, d’un mauvais œil cette entrée sur Internet du mouvement ou se sentent menacées par la professionnalisation du secteur. « Les premiers mois, il y avait tellement peu de ventes, qu’on connaissait le nom de chacun de nos clients. Les jours où il n’y avait aucune activité, je sortais ma carte bleue pour acheter un produit et déjouer le mauvais sort », se rappelle Maud Sarda avec humour. Après 5 ans d’existence, la plate-forme n’a toujours pas trouvé son seuil de rentabilité mais devrait l’atteindre » d’ici un ou deux ans », espère la fondatrice.

Un rôle exemplaire

« Même si l’équilibre financier est plus long à trouver, nous sommes un pied de nez à l’économie classique, estime Maud Sarda. La preuve que l’on peut faire de l’économie avec des valeurs humanistes, d’inclusion et une prise en compte de notre impact. J’ai envie de croire que le besoin de cohérence va frapper les consommateurs et que c’est tout le système qui va progressivement se remettre en question. » Fidèles aux valeurs du mouvement, Maud Sarda et ses cofondateurs ont fait le choix du statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), à mi-chemin entre l’association et l’entreprise. « Un moyen pour nous de dire que nous sommes une vraie entreprise mais de garantir la poursuite du bien commun. L’enrichissement personnel, c’est le ver dans le fruit » , tranche-t-elle.

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Afin d’assurer l’alignement du projet de Label Emmaüs, un comité éthique a vu le jour il y a deux ans pour sélectionner les structures qui peuvent vendre sur la plate-forme d’e-commerce. Avec le temps, Label Emmaüs évolue vers un rôle de plaidoyer auprès des entreprises traditionnelles et du grand public, que Maud Sarda prend plaisir à incarner. « Elle est notre influenceuse, la taquine Thomas Marcotte. L’Economie sociale et solidaire n’est pas une économie parallèle, nous sommes bien là pour faire bouger les lignes. Sur l’activité mobilier professionnel, nous commençons à travailler avec la célèbre marque Haworth de sièges de bureau. Nous allons innover ensemble, être sous-traitant pour leur activité de reconditionnement. »

Sur le site de Noisy-le-Sec, dans le 93, c’est le groupe United B – qui détient les enseignes Boulanger, Electro Dépôt… – qui se rapproche de Label Emmaüs pour renouer avec l’activité historique de réparation et reconditionnement des frères Boulanger dans les années 1950. Des évolutions positives qui cachent aussi une concurrence accrue sur le marché du réemploi et une baisse de la qualité des dons. Les grandes marques qui se lancent sur les offres de seconde main ? « Du greenwashing, juge Maud Sarda. Toutes proposent des bons d’achats aux consommateurs en échange de la récupération des articles usagés. Ce n’est pas ça l’économie circulaire. On continue de pousser à la consommation de produits neufs. »

Maud Sarda participera à la conférence organisée par le Monde « Quand la campagne réinvente la ville » sur le thème de l’Economie sociale et solidaire et ruralité, le 25 novembre à Guéret, dans la Creuse et en ligne.

Seront également présents à cette conférence : Marie-Laure Cuvelier, secrétaire générale de France Tiers Lieux, cofondatrice de la coopérative des Tiers-Lieux, Dominique Guerrée, président de Railcoop, Florence Delisle-Errard, fondatrice et directrice de Habitat des Possibles. Ainsi que Eva Sadoun, cofondatrice et présidente de LITA.co et coprésidente du Mouvement Impact France et la sociologue Isabelle Ferreras, maître de recherches du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS), professeure à l’Université de Louvain (UCLouvain).

Pour s’inscrire : https://www.adi-na.fr/agenda/etape-de-linnovation-novaq-economie-sociale-et-solidaire-quand-la-campagne-reinvente-la-ville

Cet événement est organisé dans le cadre des Etapes de l’innovation NOVAQ, en partenariat avec ADI Nouvelle-Aquitaine et la région Nouvelle-Aquitaine.

En Aveyron, nouveau sursis pour la fonderie Sam

Les traits sont tirés, le visage fermé, les yeux rougis. « Je ne peux pas parler de soulagement », signale, d’emblée, au sortir de l’audience, Ghislaine Gistau, déléguée syndicale CGT de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), située à Viviez (Aveyron). Sur le perron du tribunal de commerce de Toulouse, qui devait se prononcer ce vendredi sur l’intention de reprise portée par l’ancien patron de la fonderie Patrick Bellity, cette salariée prend le micro pour se faire entendre des salariés attentifs. « On laisse trois jours à Renault, jusqu’à mercredi 24 novembre, pour qu’il se positionne », rapporte-t-elle, des trémolos dans la voix. « Soit il accepte de s’engager et le tribunal donne du temps pour concrétiser l’offre. Soit, il refuse et le tribunal fixera, vendredi prochain, une nouvelle audience pour annoncer la liquidation sèche ».

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Une décision inattendue qui laisse les salariés sous le choc. « Je ne sais pas quoi dire », témoigne du bout des lèvres Sandrine, les larmes aux yeux. « C’est terrible ». David Gistau, représentant CGT du personnel, lui, est gagné par la colère. « Ce n’est plus possible », s’emporte-t-il. « On veut du concret, sauver nos 340 salariés, leurs familles et notre territoire. On veut éviter des drames sociaux et on ne lâchera rien. »

Face à cette situation incertaine, les salariés de ce fabricant de pièces automobiles placé en redressement judiciaire en décembre 2019 puis en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité jusqu’au 10 décembre, votent à l’unanimité, à main levée, le blocage de l’usine dès lundi, 5 heures du matin.

« Il faut faire de la Sam un exemple de relocalisation »

Pourtant, la veille, l’espoir animait encore les employés. Car M. Bellity, l’ancien dirigeant de la Sam jusqu’en juin 2016, obtenait le soutien financier de l’Etat, à hauteur de 5,5 millions d’euros, dont 4,5 millions d’euros sous forme de prêts. La région Occitanie s’était aussi montrée favorable à cette ébauche de reprise. Carole Delga, sa présidente PS, avait fait savoir au Monde qu’elle apporterait un soutien financier global de 3,3 millions d’euros.

Mais ces engagements sont conditionnés à l’accord du constructeur automobile Renault, le client quasi unique de la fonderie, qui doit fixer la feuille de route en volume de commande. En mai, le constructeur garantissait un volume d’activité de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires jusqu’au printemps 2022 et le maintien de 250 emplois. « On veut que Renault respecte ses engagements », insiste Sébastien Lallier, délégué syndical CGT et secrétaire du comité social et économique. « On a été les premiers à produire des carters de qualité pour la Clio 5 hybride, livrés dans les délais. Et aujourd’hui, notre remerciement c’est ça ? Il faut faire de la Sam un exemple de relocalisation. »

Plan de relance France 2030 : où sont les emplois ?

C’est la promesse implicite des plans de relance et d’investissement annoncés dans le sillage du Covid : réindustrialiser, renforcer la souveraineté économique, recréer de l’emploi. « Si nous ne prenons pas ce virage de l’innovation et de l’industrialisation, nous continuerons de dégrader nos déficits extérieurs, parce qu’on continuera de dépendre et d’importer, et nous continuerons de créer trop peu d’emplois, trop peu d’opportunités pour nos jeunes et donc de les réparer par de la dépense publique », a défendu Emmanuel Macron lors de la présentation du plan France 2030 le 12 octobre.

L’industrie comme source de prospérité pour le pays, cela fait rêver tous les candidats à la présidentielle. Au cœur de cette mythologie : la France des « trente glorieuses », son plein-emploi, sa croissance et ses usines. Et surtout sa classe moyenne, bâtie sur l’industrie dont les salaires sont traditionnellement plus élevés que dans les services, et les emplois mieux protégés.

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La difficulté, c’est que l’industrie a changé. Non seulement une grande partie des emplois les moins qualifiés ont été délocalisés vers les pays à bas salaires, mais la robotisation se généralise avec les nouvelles technologies, et elle frappe large. « Les activités manufacturières sont moins riches en emplois qu’il y a vingt ou trente ans, note Vincent Vicard, directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, rattaché à Matignon. Les chaînes sont de plus en plus automatisées. »

La démographie industrielle a changé : l’époque des usines à 30 000 ouvriers, comme celle de Renault à Boulogne-Billancourt dans les années 1960, est révolue. « Aujourd’hui, une usine qui ouvre, c’est en moyenne 50 personnes, confirme François Bost, professeur de géographie économique et industrielle à l’université de Reims. Les élus locaux sont souvent déçus quand ils le découvrent, et peuvent avoir tendance à préférer accueillir un entrepôt Amazon qui emploie 2 000 personnes, cela éponge la pauvreté et le mal-emploi. »

La France n’est pas un cas à part. Dans une étude de 2019, les analystes d’Oxford Economics ont estimé que d’ici 2030, près de 20 millions d’emplois industriels pourraient disparaître à l’échelle mondiale du seul fait de la robotisation, dont 2 millions en Europe, cinq fois plus qu’au cours des vingt dernières années. Pour la plupart des experts, l’objectif des pouvoirs publics avec France 2030 n’est donc pas la création d’emplois, mais une contribution plus élevée de l’industrie dans la richesse du pays – à 11 % du produit intérieur brut en France, elle est deux fois moins élevée qu’en Allemagne. L’Elysée s’est d’ailleurs abstenu d’accoler un objectif de création d’emplois à l’annonce du plan.

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Avec la reprise, le nouvel horizon du plein-emploi

Retransmission du discours d’Emmanuel Macron dans un bar, à Lille, le 9 novembre 2021.

En une phrase, Emmanuel Macron a transporté son auditoire vers un âge d’or que la France a quitté depuis des décennies : il faut « viser (…) le plein-emploi », a déclaré le président de la République durant son allocution du 9 novembre. La formule ne peut que frapper les esprits dans un pays où le chômage de masse est profondément enkysté. Elle suggère aussi que des ambitions nouvelles se font jour au plus haut sommet de l’Etat.

Durant la course à la magistrature suprême en 2017, M. Macron avait tracé un cap : ramener de 9,5 % à 7 % la part des chômeurs dans la population active, d’ici à la fin de la mandature. Cet engagement, qui semblait tenir de la gageure avec la récession déclenchée par l’épidémie de Covid-19, est redevenu crédible, grâce à la vigueur de la reprise. « Le programme prévoyait 1,3 million d’emplois supplémentaires en cinq ans », rappelle l’économiste Jean Pisani-Ferry, qui joua un rôle-clé dans l’équipe de campagne du candidat d’En marche ! Or, « à l’été 2021, on n’est pas loin d’1 million d’emplois [en plus] depuis le début du quinquennat », ajoute-t-il, en additionnant les progressions enregistrées pour les travailleurs salariés et non salariés : « Cela laisserait augurer à l’arrivée un résultat assez en ligne avec le chiffrage initial », avance M. Pisani-Ferry, tout en précisant que des « aléas » demeurent.

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Quant au taux de chômage, il se situe aujourd’hui à 8,1 % pour l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte) et pourrait refluer jusqu’à 7,6 % sur les trois derniers mois de l’année, selon les prévisions de l’Insee. Un ratio qui est proche du but que s’était fixé M. Macron. Mais le locataire de l’Elysée entend faire mieux : « Nous ne devons pas viser seulement 7 % de chômage », a-t-il dit, le 9 novembre. Son horizon, c’est donc le plein-emploi, désormais.

« Chômage incompressible »

Jusqu’à quel pourcentage faut-il descendre pour se retrouver dans une telle configuration ? La réponse, que le chef de l’Etat s’est abstenu de livrer, est tout sauf évidente. « Il est très difficile d’identifier le niveau où se situe le plein-emploi », confie Jean-Luc Tavernier, le directeur général de l’Insee. Bien que cette notion ait des connotations idylliques, elle « ne signifie pas que tous les actifs ont du travail », enchaîne Yannick L’Horty, professeur à l’université Gustave-Eiffel (Paris-Est). « Subsiste, en effet, un chômage “frictionnel” imputable au fait qu’un minimum de temps est nécessaire pour se faire embaucher, après avoir quitté un poste ou au moment de démarrer une carrière professionnelle », explique-t-il.

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