Archive dans octobre 2021

En Ile-de-France, la difficile bascule de transports vers la concurrence

Dans le métro, à Paris, le 3 décembre 2019.

Cela commence à faire désordre. Ici, un gros malaise social et une grève qui fait tache d’huile, là des incidents d’exploitation parfois très gênants pour les usagers… Quelques mois après le démarrage effectif des premiers réseaux de transport issus de l’ouverture à la concurrence en Ile-de-France, les couacs se multiplient sur ce marché qui s’ouvre. Le processus va durer presque vingt ans. Il a commencé cette année par les réseaux de bus Optile de la grande couronne parisienne, il continuera par les bus de la RATP (2025), les trains de banlieue SNCF (de 2023 à 2033), les tramways (2030), et se clôturera par les métros et les RER en 2040.

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Le premier gros écueil est cette grève qui a commencé dans des réseaux de bus de l’opérateur Transdev (filiale de la Caisse des dépôts) en Seine-et-Marne, qui s’est étendue à une dizaine de dépôts et vient d’entrer dans sa sixième semaine. Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports dans la région capitale, présidée par Valérie Pécresse (Libres !), a jugé la situation suffisamment enkystée pour décider de nommer un médiateur, lundi 11 octobre, lors de son conseil d’administration. L’ex-président de la RATP et de La Poste Jean-Paul Bailly dirigera « une mission pour faire converger les points de vue » entre les grévistes et la direction de Transdev, afin de trouver un accord là où l’entreprise n’y sera pas parvenue.

M. Bailly devra aussi proposer « des recommandations pour la prise en compte des enjeux sociaux dans les prochains appels d’offres », explique IDFM. Car le conflit social est bien directement issu du basculement dans un système concurrentiel. Tout est parti du lot 18, un réseau de bus dans la région de Melun et Fontainebleau. Transdev y était déjà l’opérateur dans le cadre du système Optile d’avant la concurrence (les marchés étaient attribués de gré à gré). A la suite de l’appel d’offres, Transdev s’est succédé à lui-même, mais avec une nouvelle organisation du travail, issue d’un accord-socle négocié avec les syndicats centraux de Transdev mais qui a fait bondir les salariés sur le terrain.

Conditions de travail brutalement dégradées

« On y a goûté tout le mois d’août, raconte Wynnessa Merabet, déléguée syndicale SUD au dépôt de Melun. Pour les conducteurs, l’amplitude horaire est passée de 7 h 30 à 11 heures ou 12 heures, avec des temps payés différemment selon que c’est considéré comme du travail effectif ou pas. Mais, en cas de bouchon ou de retard, vous vous retrouvez à conduire un bus en étant payé à 50 % parce que vous sortez de votre plage de travail effectif. Et c’est sans compter la fin des chèques-vacances et des primes repas. »

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La fusion Société générale-Crédit du Nord entraînera 3 700 suppressions de postes d’ici à 2025

En septembre 2020, la Société générale révélait son projet d’absorption, par son réseau d’agences, de celui de sa filiale Crédit du Nord, afin de réduire ses coûts de 450 millions d’euros en 2025. Un an plus tard, le groupe a précisé, mardi 12 octobre, les détails de cette fusion, prévue pour le 1er janvier 2023. Elle se traduira par une baisse importante des effectifs, la banque annonçant 3 700 suppressions nettes de postes entre 2023 et 2025, pour ne plus compter dans le réseau unifié que 25 000 collaborateurs. « Soit environ 15 % des effectifs actuels en moins », a réagi la CGT, en déplorant « un projet stratégique risqué et socialement coûteux ».

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Le groupe s’engage à ce que la fusion soit réalisée « sans aucun départ contraint », les suppressions de postes devant s’appuyer sur les départs naturels (retraite, démissions, etc.), estimés à 1 500 par an d’ici à 2025. Il mise par ailleurs sur les reclassements et les mobilités internes. Quelque 100 millions d’euros seront consacrés à un plan pour la formation et l’accompagnement des salariés dont le métier évoluera. La direction reconnaît toutefois que « sur certains métiers et bassins d’emploi, des mesures complémentaires de départs volontaires pourraient être mises en place ».

Réduction très significative

La fusion entraînera une réduction très significative du nombre d’agences, puisque plus de 600 agences Société générale ou Crédit du Nord vont fermer. Le réseau regroupé ne comptera ainsi plus que 1 450 agences en 2025. En 2013, les deux enseignes recensaient ensemble encore 3 158 points de vente. Le maillage aura donc été divisé par plus de deux en une douzaine d’années. La direction du groupe assure cependant que « le regroupement des agences sera réalisé sans quitter de villes, puisqu’il concernera des agences Société générale et Crédit du Nord situées à proximité les unes des autres dans une même ville ».

Avec l’art d’une formule transformant le moins en plus, le groupe ajoute que « ce maillage représentera à terme plus de points de vente pour nos clients : 15 % de plus pour les clients Société générale par rapport à 2020 et près de trois fois plus pour ceux du Crédit du Nord ».

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Les baisses d’effectifs proviendront aussi largement de fermetures de sites de back-office, ces centres de traitement des opérations bancaires, qui passeront de 24 à 13. La banque ne disposera par ailleurs plus que d’un seul siège, et d’un seul système informatique. Le nouvel établissement entend toutefois capitaliser sur la force du modèle régional du Crédit du Nord, en jouant la carte de la décentralisation. Il sera organisé en 11 régions qui bénéficieront de responsabilités élargies « pour renforcer la rapidité de la décision et la satisfaction client ».

La Société générale va combiner une nouvelle marque pour son réseau fusionné, qui reflétera « l’appartenance à un grand groupe et les spécificités régionales » et sera dévoilée courant 2022

S’inspirant du modèle mutualiste décentralisé, la banque proposera que, « dans l’immense majorité des cas », le choix d’accorder un crédit soit pris « la plupart du temps au niveau de l’agence et des centres d’affaires ». Pour conserver les clients très attachés aux différentes enseignes du groupe Crédit du Nord (composé de neuf institutions régionales, dont les banques Courtois, Kolb, Laydernier, Nuger ou Tarneaud), la Société générale va combiner une nouvelle marque pour son réseau fusionné, qui reflétera « l’appartenance à un grand groupe et les spécificités régionales » et sera dévoilée courant 2022.

Les 10 millions de clients du nouveau réseau constateront d’autres changements : « La joignabilité de nos conseillers sera renforcée, en augmentant de 15 % le nombre de conseillers dans nos centres de relation à distance, et avec une amplitude d’ouverture des agences plus importante », note le groupe. Quant aux clients « consommant essentiellement des services de la banque au quotidien », une nouvelle plate-forme à distance leur sera destinée.

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Alors que les organisations syndicales reprochent à la direction d’avoir engagé cette fusion à la seule fin de réaliser des économies, la direction entend montrer qu’elle porte là un projet « offensif », et se fixe l’objectif très ambitieux de figurer « dans le top 3 de la satisfaction client ». Selon une étude confidentielle BVA menée en 2020 par une banque concurrente, la Société générale figurerait en 2020 au huitième rang – à l’avant-dernière place – d’un classement fondé sur l’indice de recommandation client (IRC). Loin derrière le trio de tête formé par le Crédit mutuel, le CIC et le Crédit agricole.

Dans le numérique, « il faut imposer des quotas sur les recrutements »

Entretien. Membre de l’Academia Europaea et ACM Fellow, lauréate 2011 du prix Montpetit et du Prix 2017 de l’innovation de l’Académie des sciences, Anne-Marie Kermarrec était chercheuse avant de devenir chef d’entreprise. Professeure d’informatique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, et fondatrice de la start-up Mediego, elle défend la présence des femmes dans le secteur.

Dans votre ouvrage « Numérique, compter avec les femmes » (Odile Jacob), vous consacrez un chapitre à Ada Lovelace. Vous avez découvert cette pionnière de l’informatique pendant vos études ?

Après avoir passé un bac scientifique, en 1988, je me suis inscrite en informatique à l’université. Ma mère était féministe avant l’heure : le choix de mes études n’a pas été biaisé par des questions de genre. Pourtant, les stéréotypes étaient bien là. Il n’y avait que 15 % d’étudiantes dans ma formation.

Nous avons entendu parler de Turing (1912-1954), de von Neumann (1903-1957) ou de Babbage (1791-1871), mais Ada Lovelace (1815-1852) n’a jamais été mentionnée, alors même qu’elle est considérée comme la première programmeuse de l’histoire. Cela en dit long sur la crédibilité qu’on accorde aux esprits féminins. Souvenons-nous que la mathématicienne Sophie Germain (1776-1831) devait se déguiser en homme pour accéder aux laboratoires !

Aujourd’hui encore, le ratio de femmes qui choisissent l’informatique à l’université oscille entre 15 % et 20 %. Comment lutter contre la puissance des biais ?

Même si pour l’instant, l’option numérique et sciences informatiques est plébiscitée à 90 % par des garçons, l’introduction de l’informatique dans le secondaire est une excellente initiative : la matière était d’autant plus victime des stéréotypes qu’on ne la connaissait pas. Il faut aussi développer le mentorat. Dans le milieu du numérique où les compétences féminines sont très souvent mises en doute, même la confiance la plus solide finit par être ébranlée. Il est très important d’être encouragée pour se frayer son chemin dans ces milieux parfois hostiles.

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Les universités américaines se penchent régulièrement sur le problème. En 1995, Carnegie Mellon University a augmenté la proportion de femmes de 7 % à 42 % en prenant des mesures de sensibilisation pour changer l’image de l’informatique, en faisant des campagnes agressives de recrutement et en examinant les éléments qui rebutent les femmes à s’engager dans cette voie. L’université de Berkeley qui aborde l’informatique plus par son impact sur la société que par les concepts de base a fait remonter le ratio à près de 50 % d’étudiantes en 2014 !

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Nobel d’économie 2021 : le triomphe de l’expérimentation face à la théorie

Présentation des lauréats du prix Nobel d’économie à Stockholm, le 11 octobre 2021.

Le 53e Prix de la Banque de Suède en sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel, décerné lundi 11 octobre à David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens, trois chercheurs travaillant aux Etats-Unis, acte le basculement de la science économique, à partir des années 1990, dans un « esprit nouveau », pour reprendre les termes de Yannick L’Horty, professeur à l’université Gustave-Eiffel (Paris-Est) : celui d’une science dominée par la théorie à une science basée sur l’expérimentation, plus conforme au modèle des sciences dites « dures », comme la physique ou la biologie.

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Autrement dit, plutôt que de construire des modèles théoriques d’explication des phénomènes économiques (comme la « théorie de l’équilibre général », la « théorie des contrats » ou la « théorie des incitations », etc.) et de les confronter aux comportements et aux terrains réels, l’approche expérimentale essaie de trouver, soit dans la réalité, soit dans une réalité créée pour les besoins de l’expérience, des terrains sur lesquels sont expérimentées des mesures économiques comme une hausse (ou une baisse) de revenus, de qualifications, de formation, d’impôts, de main-d’œuvre, etc.

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Comme pour le test d’un médicament en médecine, l’application de cette variable sur le terrain d’expérimentation est comparée avec un terrain « témoin » où elle n’a pas été appliquée (le « placebo » dans le cas du médicament), ce qui permet d’en mesurer les effets relatifs. Cette méthode est particulièrement utile pour évaluer les politiques publiques, que ce soit pour en mesurer les effets ou pour tenter de les prévoir en menant des expérimentations préalables.

« Expériences naturelles »

L’expérience la plus connue de David Card a été de mesurer l’effet de l’afflux massif de réfugiés cubains en 1980 sur le marché de l’emploi à Miami (salaires, types d’emploi, chômage) en comparant ce dernier à des marchés de l’emploi d’autres villes ayant au départ les mêmes caractéristiques que Miami mais n’ayant pas connu un tel afflux. En l’espèce, cette immigration massive n’avait fait ni baisser les salaires ni monter le chômage.

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Il s’agissait d’une « expérience naturelle », comme l’explique Marie-Claire Villeval, professeure à l’université de Lyon-Saint-Etienne, c’est-à-dire de deux terrains ayant réellement existé. Or, comme le souligne Mme Villeval, « les expériences naturelles posent des défis méthodologiques redoutables car, par définition, et à la différence des expériences de laboratoire et de terrain, elles sont rarement reproductibles ».

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Bercy relève la prévision de croissance en France à 6,25 % pour l’année 2021

Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, à Paris, le 22 septembre 2021.

Conséquence d’une reprise économique plus dynamique qu’anticipé, le gouvernement a relevé, lundi 11 octobre, sa prévision de croissance pour 2021 à 6,25 % – elle était précédemment de 6 % –, s’alignant ainsi sur les prévisions de la plupart des grandes institutions.

« La croissance est forte, elle est solide, elle est dynamique. Nous réviserons donc la prévision de croissance pour 2021, de 6 à 6,25 %. Nous retrouverons en décembre 2021 le niveau d’activité d’avant-crise », a annoncé le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, à l’Assemblée nationale. Les députés y entamaient, lundi après-midi, l’examen du dernier budget du quinquennat.

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Le gouvernement s’aligne ainsi sans surprise sur la prévision de l’Insee et se rapproche de celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques et de la Banque de France (chacune à 6,3 %) publiées en septembre. Dans un point de conjoncture, publié lundi, la Banque de France estime que l’activité « se situerait en octobre presque à 100 % de son niveau d’avant-crise ».

Le taux de chômage pourrait retomber à 7,6 %

Ce rebond de l’économie française survient après une récession historique en 2020 du fait de la crise sanitaire, qui a provoqué une chute de 8 % du produit intérieur brut. Si le gouvernement affichait une volonté de « prudence » jusqu’ici, le succès de la campagne de vaccination et la mise en place du passe sanitaire cet été, qui n’a pas eu d’effets importants sur l’activité, lui permettent désormais de revoir légèrement ses ambitions.

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Après un début d’année 2021 atone, du fait du maintien des restrictions sanitaires, l’activité est fortement repartie depuis la mi-mai. Elle devrait désormais retrouver d’ici à la fin d’année son niveau de la fin de 2019, avancent les économistes comme le gouvernement. Outre un rebond mécanique avec la réouverture de nombreuses activités, Bruno Le Maire y voit aussi le succès de « la politique économique » du gouvernement, des mesures de soutien au plan de relance, en passant par les choix économiques d’avant-crise.

Signe révélateur mis largement en avant par l’exécutif ces dernières semaines : l’emploi se situe à des niveaux inédits. Le taux de chômage pourrait retomber à 7,6 % au troisième trimestre, du jamais-vu depuis la crise financière de 2008.

Nouveaux investissements avec le plan France 2030

Alors que le risque sanitaire semble s’éloigner pour l’instant, Bruno Le Maire a relevé trois nouveaux dangers pour l’économie française, dont le risque de conflit « exacerbé » entre les nations, qui doit conduire la France et l’Europe à reconstruire leur « indépendance », notamment industrielle. Emmanuel Macron présentera mardi dans cette optique un plan d’investissement, baptisé « France 2030 », qui vise à financer le développement de technologies et de secteurs porteurs (hydrogène, biotechnologies, espace, nucléaire, etc.).

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Les autres risques pointés par le ministre de l’économie sont l’inflation, dont la poussée, tirée par les prix de l’énergie, grève le pouvoir d’achat des Français, et les difficultés de recrutement croissantes dans un certain nombre de secteurs (restauration, bâtiment, etc.). « Le plein-emploi, nous pouvons y arriver sous deux ans », a affirmé Bruno Le Maire devant les députés, dans un discours aux accents de campagne électorale, à six mois de l’élection présidentielle.

Il a aussi défendu le sérieux budgétaire du gouvernement, malgré l’explosion de la dette publique et du déficit durant la crise. Ce dernier, attendu jusqu’ici à 4,8 % du PIB l’an prochain (après 8,4 % cette année), devrait finalement avoisiner 5 %. Le gouvernement doit encore prendre en compte les dépenses engendrées par le plan France 2030, le futur revenu d’engagement promis pour les jeunes, que le gouvernement peine à concrétiser, et les mesures de compensation face à la hausse des prix de l’énergie.

Le Monde avec AFP

Le Nobel d’économie attribué à un trio de spécialistes de l’économie expérimentale

Le prix Nobel d’économie a récompensé lundi 11 octobre trois spécialistes de l’économie expérimentale, le Canadien David Card, l’Américano-Israélien Joshua Angrist et l’Américano-Néerlandais Guido Imbens.

Le trio « nous a apporté de nouvelles idées sur le marché du travail et montré quelles conclusions peuvent être tirées d’expériences naturelles », a salué le jury Nobel. Les expériences naturelles, aussi appelées expériences involontaires, sont des études menées à partir de situations réelles – et non en laboratoire, dans des espaces contrôlés. Elles tirent ainsi parti des événements politiques ou économiques qui touchent une partie aléatoire de la population.

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Economie expérimentale

Le Canadien David Card, né en 1956, est ainsi récompensé « pour ses contributions empiriques à l’économie du travail ». A l’aide d’expériences naturelles, Card a analysé les effets du salaire minimal, de l’immigration et de l’éducation sur le marché du travail. « Ses études du début des années 1990 ont remis en question les idées reçues, ce qui a conduit à de nouvelles analyses et à de nouvelles perspectives », selon le jury Nobel. Les résultats de ses recherches ont notamment montré que l’augmentation du salaire minimal n’entraîne pas nécessairement une diminution des emplois.

L’économiste de Berkeley (Californie) s’était notamment penché sur l’« exode de Mariel » : en 1980, 125 000 Cubains expulsés par le régime de Fidel Castro par le port de Mariel se sont installés aux Etats-Unis, dont près de la moitié à Miami. L’économiste a étudié comment la ville de Floride a « absorbé » cet afflux, en comparant l’évolution des indicateurs économiques avec ceux de quatre autres villes témoins. Résultat ? Ce choc migratoire n’a pas fait exploser le chômage, ni fait plonger les salaires, selon lui.

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Apports méthodologiques

L’Américano-Israélien Joshua Angrist, 61 ans, et l’Américano-Néerlandais Guido Imbens, 58 ans, ont, eux, conjointement été récompensés « pour leurs contributions méthodologiques à l’analyse des relations de cause à effet ». Au milieu des années 1990, ils ont réalisé des percées méthodologiques en permettant de tirer des conclusions solides sur les causes et les effets pouvant être tirés d’expériences naturelles, par exemple en matière d’éducation.

Ils ont ainsi pu conclure qu’une année supplémentaire d’étude faisait augmenter en moyenne le salaire de 9 %, ou encore que les Américains nés en dernière partie d’année faisaient de meilleures études.

Joshua Angrist, accompagné d’Adriana Kugler, avait notamment montré en 2003 que le chômage augmentait d’autant plus fortement que les institutions du marché du travail et du marché des biens et services sont rigides, en étudiant l’immigration yougoslave des années 1990 en Europe.

Peu de lauréates

Parfois qualifié de « faux Nobel », le « prix de la Banque de Suède en sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel » a été créé par la banque centrale suédoise plus de soixante ans après les cinq autres (médecine, physique, chimie, littérature et paix).

Avec seulement deux lauréates parmi les désormais 89 récipiendaires du prix (l’Américaine Elinor Ostrom en 2009 et la Française Esther Duflo dix ans plus tard), soit 97,7 % d’hommes sur le total, il est le moins féminin des six, alors même qu’il a un demi-siècle de moins que les autres prix. Il est aussi largement monopolisé par des économistes américains : il faut remonter à 1999 pour une année sans que les Etats-Unis aient eu un lauréat en économie. L’an passé, le prix avait ainsi récompensé les Américains Paul Milgrom et Robert Wilson, deux experts des enchères dont les travaux novateurs ont notamment servi aux attributions des fréquences télécom.

L’économie vient clore une saison Nobel marquée notamment par le prix de la paix à deux journalistes d’investigation, la directrice du média philippin Rappler, Maria Ressa, et le rédacteur en chef du journal russe Novaïa Gazeta Dmitri Mouratov.

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Le Monde

Les « nouveaux vulnérables », ces quatre millions de Français fragilisés par la crise

La France semble sortir de la pandémie et de ses conséquences économiques, la reprise de l’activité est vigoureuse, chômage et pauvreté reculent, le pouvoir d’achat s’améliore mais tous les Français ne sortent pas indemnes de ces deux ans de crise qui auraient fragilisé quatre millions d’entre eux.

C’est l’une des conclusions que tire le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) d’une enquête originale menée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de 3 202 personnes, du 4 au 21 mai, et à paraître mardi 12 octobre.

Avec le soutien financier de la Fondation Sanofi Espoir et en partenariat avec plusieurs associations, dont Emmaüs Convergence, et des chercheurs, le Crédoc a lancé l’Institut vulnérabilités et résiliences et dressé un premier état des lieux au sortir de la crise sanitaire, s’appuyant aussi sur ses enquêtes menées trois fois par an, depuis 1978, sur les conditions de vie des Français.

Une bénévole du Secours populaire accueille une nouvelle bénéficiaire, à Châtellerault (Vienne), le 7 octobre.

Selon l’étude à paraître, 31 % des personnes interrogées se sentent, aujourd’hui, en situation de vulnérabilité, soit 10 points de plus qu’en 2018, et le quart d’entre elles attribuent cette situation à la crise du Covid-19. En extrapolant ce résultat à l’ensemble de la population, ce sont donc 8 % des personnes de plus de 15 ans, soit quatre millions de Français, qui ont, ces deux dernières années, basculé dans une situation préoccupante à plusieurs titres (emploi, finance, santé, logement) aggravée par l’isolement.

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La première manifestation est, bien sûr, professionnelle, avec 42 % de ces « nouveaux vulnérables », comme les désigne le Crédoc, pour qui l’accès à l’emploi est difficile : 34 % sont en contrat à durée déterminée, contre 16 % des non vulnérables, et 14 % sont au chômage, contre 6 % des autres. L’étude précise : « Ce sont des actifs jeunes, travaillant plutôt dans le privé (74 %) notamment les secteurs du commerce, de l’hébergement-restauration, des activités culturelles et des services aux ménages, peu diplômés puisqu’un sur deux n’a pas le baccalauréat et, le plus souvent, chargés de famille. Cette précarité concerne en majorité des Franciliens (21 %) et des habitants de villes de plus de 100 000 habitants (34 %). »

Précarité sanitaire

Parmi les autres enseignements de cette enquête : 61 % estiment que leur situation financière s’est dégradée à cause de la crise, contre 24 % en population générale, et cela en dépit des soutiens de l’Etat, par exemple au chômage partiel.

Cela se manifeste par la difficulté à payer ses factures, d’électricité (22 % contre 7 % pour les autres), d’abonnements téléphoniques et à Internet (20 % contre 5 %), d’honorer leur loyer ou de rembourser un emprunt immobilier (18 % contre 4 %), d’acquitter leurs impôts (18 %), leur assurance habitation ou véhicule (17 %), de régler les frais de scolarité (17 %).

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L’argot de bureau : la « performativité », ou le pouvoir des effets d’annonce

« Vous êtes viré, Jean-Kévin ! » « Madame, j’ai le regret de vous annoncer que, malgré l’évidente qualité de votre CV, nous ne pouvons donner suite à votre candidature. » Quelquefois, les phrases font mal dans le monde du travail : lorsqu’elles annoncent un changement ou une évolution professionnelle, elles sont souvent « performatives ».

Il faut se tourner vers la linguistique pour trouver les origines de la « performativité ».

Le terme est inventé par le linguiste anglais John Austin (1911-1960), qui développe la théorie des actes de langage performatifs (« performative ») : pour lui, certains discours créent, par le simple fait de les énoncer, une réalité. C’est, par exemple, un maire qui agit en une fraction de seconde sur la situation fiscale de deux administrés en les déclarant « mari et femme ». Le titre du livre d’Austin est d’ailleurs très clair : How to do things with words (1962), comment faire des choses avec des mots.

Des chercheurs puis des dirigeants zélés ont transposé le concept au management, en se demandant comment l’énonciation d’un mode d’organisation du travail peut effectivement changer le travail à long terme. C’est Charles-Edouard, ce « chief executive officer » d’une start-up innovante, qui propose un management révolutionnaire : désormais, chaque jour, chaque salarié découvrira un nouveau métier, les comptables deviendront responsables marketing et inversement. Lors de son discours inaugural, ce « maker », comme il aime à s’appeler, entend « impacter » de manière « durable » la « vie en entreprise » et le « bien-être au travail ». Ce qu’il dit performera le monde… Ou pas.

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Une manière de voir le monde

Les exemples de modes et de mots du travail remués dans tous les sens ne manquent pas : au-delà du jargon, ces énoncés sont parfois réellement « performatifs », et influencent le comportement des salariés dans le sens qu’ils prédisent leur engagement futur.

En déclarant que sa filiale devient une « entreprise bienveillante », la directrice « développement durable » Marie-Christine espère susciter de l’engagement dans ses équipes, qui auront en tête ce mantra et travailleront pour appliquer ces bonnes intentions. Des chercheurs en gestion ont mis en évidence que le fait de parler de nouvelles technologies ou de coaching avait contribué à les normaliser en entreprise.

Plus largement, la multiplication des usages de la performativité rappelle la capacité du discours à imposer une manière de voir le monde… C’est le cas du traditionnel plan social édulcoré en « plan de sauvegarde de l’emploi », ou de la précarité énoncée ainsi : à l’avenir, les gens « occuperont de plus en plus d’emplois différents au cours de leur carrière ». La sociologue du travail Danièle Linhart parle de « tour de passe-passe sémantique » (La Comédie humaine du travail, Erès, 2015) pour évoquer ce mouvement qui fait porter par des mots nouveaux l’injonction à l’adaptation.

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« Les établissements d’enseignement supérieur doivent être réellement autonomes et responsables »

Pour insuffler « l’ambition collective et la confiance » qui manquent à la recherche, celle-ci a besoin de façon urgente de moyens et d’une gouvernance des établissements repensée et décentralisée, préconise Thierry Coulhon, le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, dans une tribune au « Monde ».