Archive dans octobre 2021

L’argot de bureau : le « reverse mentoring », quand l’élève devient le maître

Tuteur, précepteur, père spirituel à la place d’un père parti en un long voyage : voici le CV de Mentor, l’ami à qui fut confié le fils d’Ulysse, Télémaque. Il lui apprit les belles lettres, la gestion de patrimoine… Mais, sacrilège, Mentor ne connaissait rien à Marbrebook, ces nouvelles tablettes en pierre que s’échangent frénétiquement les jeunes d’Ithaque.

Le mentorat vient donc de Mentor : en entreprise, il désigne l’encadrement des jeunes salariés par des cadres dirigeants expérimentés, pour faciliter l’apprentissage des codes et leur début de carrière. Mais, quelquefois, pour quelques heures par semaine, les juniors passent au tableau : pour apprendre à Jean-Claude comment passer de la télé au Mac, lui montrer comment se servir de Slack, la jeune Suzanne revêtira le costume de mentor. Cette pratique collaborative a un nom : le reverse mentoring (« mentorat inversé »).

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Parentologie : les enfants rééduquent-ils leurs parents ?

L’expression sort de la fin des années 1990 : Jack Welch, le PDG de General Electric, meurt alors d’envie d’apprendre à se servir d’Internet, ce nouveau machin dont tout le monde parle. Il se tourne vers l’un de ses jeunes employés : l’expérience est concluante, et il invite 500 autres cadres dirigeants à en prendre de la graine auprès des « djeuns ». La pratique s’institutionnalise outre-Atlantique dans les années 2000, puis atteint Orange, Danone, Total ou encore Axa, dans l’Hexagone.

Comprendre l’usage des jeunes

Les générations digital natives (« nées à l’ère digitale ») sont donc appelées à partager leur usage quotidien des nouvelles technologies. La méthode cherche à dépasser le choc caricatural entre générations et à créer de nouveaux liens intergénérationnels : ce cher Jean-Claude rangera au placard les expressions du genre : « C’est quoi ce truc-là, “tic-tac” ? Avec ça on élève des futurs imbéciles », et deviendra accro à TikTok au bureau. Axa a d’ailleurs testé les résultats de cet apprentissage avec la stratégie employee advocacy : maintenant qu’ils connaissent les réseaux sociaux grâce aux jeunes, les cadres sont invités à devenir les ambassadeurs de l’entreprise sur le Net, à coups de posts LinkedIn inspirants.

Attention, le programme est sérieux : les mentors sont sélectionnés, pour allier leurs compétences aux besoins de ceux qu’on appelle les « mentees », et l’accompagnement dure généralement six mois, à raison de quelques heures par semaine. Gare à ne pas froisser l’ego du patron qui a de la bouteille et vient tout de même de vous offrir un emploi : Kévin, jeune développeur, cachera donc son agacement quand son boss appuiera sur son clavier avec un seul et unique doigt.

Il vous reste 26.64% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Veillée d’armes pour les candidats à l’acquisition d’Equans

Jusqu’ici tout va bien pour Engie. Trois prétendants sérieux se disputent les services multitechniques, regroupés sous la bannière Equans (Ineo, Axima…), mis en vente par l’énergéticien. Derniers rescapés des sept postulants initiaux, Bouygues, Eiffage et le fonds d’investissement américain Bain Capital ont prévu de déposer une offre ferme le 2 novembre pour racheter ces activités allant de la climatisation à l’installation de la fibre, qui emploient 80 000 salariés dans 17 pays, dont 27 000 en France. Le vendeur a assuré aux prétendants qu’il n’organiserait pas de troisième tour d’enchères. Une exclusivité avec l’un des candidats devrait être signée dans la foulée.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Engie lance la cession d’Equans, un dossier sous haute surveillance

Cette rivalité peut laisser espérer à Engie un prix de vente supérieur à 6 milliards d’euros. Encore faut-il que la compétition soit pleine et entière. « Nous sommes extrêmement vigilants sur la transparence et l’équité du processus d’enchères auquel nous participons. La sécurisation juridique du processus d’examen des offres engageantes est un prérequis pour garantir qu’aucun candidat ne sera favorisé », a prévenu Matthias Boyer Chammard, directeur associé de Bain Capital, dans un entretien aux Echos le 20 octobre.

Sous contrôle d’huissier

Une allusion à la crainte, soulevée par certains en privé, que l’Etat, premier actionnaire d’Engie avec 23,6 % du capital, ne manifeste, à cinq mois de la présidentielle, une préférence pour Bouygues, propriétaire de TF1. Depuis le 4 octobre, et l’annonce du non-renouvellement de la présidente de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, les milieux d’affaires interprètent cette décision comme une reprise en main du politique pour faciliter le rachat de M6 par TF1. Même si ces suspicions sont balayées par Engie, ce dernier pourrait chercher des garde-fous, du type ouverture des enveloppes sous contrôle d’huissier, afin d’éviter toute controverse.

Des bataillons de quelque 200 juristes, consultants, et autres auditeurs ont été mobilisés par les prétendants, pour un coût estimé entre 2 à 3 millions d’euros par semaine

Le retrait surprise de Spie, le 12 octobre, a contribué à alimenter les interrogations. Le candidat a précisé qu’il n’avait pas eu accès à suffisamment d’informations « pour lui permettre de formuler, dans le délai imparti, une offre ferme ». Le portefeuille d’Equans comportant des milliers de petits contrats, la « data room », qui compile les données de l’entreprise, est la plus importante jamais constituée selon les banquiers d’affaires, avec un million de pages à éplucher. Des bataillons de quelque 200 juristes, consultants, et autres auditeurs ont été mobilisés par les prétendants, pour un coût estimé entre 2 à 3 millions d’euros par semaine.

Il vous reste 53.43% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Assurance-chômage : l’Unédic anticipe un excédent dès 2022

Les comptes de l’assurance-chômage se redressent à vive allure : dès 2022, ils pourraient redevenir excédentaires, à hauteur de 1,5 milliard d’euros, après avoir enregistré un déficit historique en 2021 (− 17,4 milliards d’euros) sous l’effet de la récession déclenchée par l’épidémie de Covid-19. C’est ce que montrent les « prévisions financières » publiées, vendredi 22 octobre, par l’Unédic, l’association coadministrée par les partenaires sociaux qui pilote le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Cette amélioration retient d’autant plus l’attention que, en juin, les gestionnaires du régime tablaient sur un trou de 2,4 milliards d’euros pour 2022.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Assurance-chômage : les comptes de l’Unédic devraient revenir à l’équilibre en 2023

Si la situation s’améliore plus rapidement qu’escompté, c’est, pour une part, imputable au rebond de l’activité, qui est « assez spectaculaire », comme l’a relevé Eric Le Jaouen, le président (Medef) de l’Unédic, lors d’une conférence de presse, vendredi. Au premier semestre, le niveau de l’emploi s’est accru à un rythme qui « a dépassé » tous les scénarios « des différents instituts », indique la note diffusée par les services du régime. Sur l’ensemble de l’année 2021, le nombre de postes créés atteindrait 498 000. Une progression qui stimule les rentrées de cotisations sociales tout en faisant baisser les dépenses d’allocations.

Dans ce contexte, l’Unédic va être de moins en moins mise à contribution pour financer des mesures de soutien aux entreprises et aux actifs : le recours au chômage partiel, pour lequel elle a déboursé 7,5 milliards d’euros en 2020, deviendra résiduel en 2022. Parallèlement, le dispositif de prolongement des droits à indemnisation est appelé à prendre fin. Le fardeau pour le régime va donc s’alléger.

La dette a explosé

Dernier élément qui concourt à l’assainissement des comptes : la réforme de l’assurance-chômage, qui a été élaborée par le biais d’un décret. Elle se traduit par un nouveau mode de calcul de la prestation, moins favorable pour certains demandeurs d’emploi, et par un durcissement des conditions requises pour bénéficier du dispositif. Résultat : de « moindres dépenses » pour l’Unédic, estimées à 1,86 milliard en 2022 et à 2,22 milliards en 2023. Subsiste toutefois une incertitude sur la poursuite de la mise en vigueur de ces changements : les syndicats s’y opposent, à travers une requête au fond que le Conseil d’Etat devrait examiner avant la fin de l’automne.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Réforme de l’assurance-chômage : les syndicats essuient un revers

Si le retour à meilleure fortune semble bien engagé, l’association paritaire n’est pas au bout de ses peines. « La crise n’est pas une parenthèse prête à se refermer, comme si rien ne s’était passé », a déclaré Patricia Ferrand, vice-présidente (CFDT) de l’Unédic, en ajoutant que la situation n’était « pas simple pour le régime ». La dette, déjà massive avant l’entrée en récession, a explosé : de 36,8 milliards d’euros à la fin 2019, elle pourrait passer à 64,7 milliards en 2021, avant de redescendre légèrement à 60,9 milliards en 2023. Pour combler ses besoins de trésorerie, l’Unédic a contracté des emprunts sur les marchés « dans un environnement de taux bas », si bien que « le coût de la dette demeure faible ». Mais les tensions inflationnistes actuelles sont susceptibles de provoquer une remontée
du loyer de l’argent, dont le régime pourrait faire les frais.

Il vous reste 11.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Assurance-chômage : le Conseil d’Etat valide l’entrée en vigueur du nouveau calcul

Les syndicats avaient déposé un recours en référé pour tenter d’invalider l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance-chômage, effective depuis le 1er octobre. Le Conseil d’Etat a rejeté leur recours, vendredi 22 octobre. Il valide donc la date de l’entrée en vigueur mais se prononcera ultérieurement sur le fond, c’est-à-dire sur le mode de calcul de l’indemnité chômage – que les syndicats dénoncent comme « injuste » pour les demandeurs d’emploi.

Les syndicats avaient obtenu en urgence en juin la suspension des nouvelles règles contestées de calcul de l’allocation-chômage, mesure phare de la réforme qui devait entrer en vigueur au 1er juillet, le Conseil d’Etat arguant des « incertitudes sur la situation économique ». Sans attendre la décision de la plus haute juridiction sur le fond, le gouvernement avait publié un nouveau décret, mettant en avant « le vif rebond de l’emploi depuis mai » et permettant l’entrée en vigueur de la réforme au 1er octobre. La CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC et la CFTC – qui s’était abstenue la fois précédente – avaient rapidement fait savoir qu’elles allaient attaquer le nouveau texte.

Cette fois-ci, le Conseil d’Etat juge que « la tendance générale du marché de l’emploi ne constitue plus un obstacle à la mise en place de la réforme ». « C’est une réforme importante qui va encourager le travail au moment où notre économie repart très fort », a réagi aussitôt la ministre du travail, Elisabeth Borne, auprès de l’Agence France-Presse (AFP).

Tribune : Article réservé à nos abonnés « Le nouveau mode de calcul des allocations chômage met en place un système juste, efficace et cohérent »

« Catastrophe sociale annoncée »

Farouchement opposés depuis le départ à la réforme, les syndicats estiment que le nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), base de l’allocation, va pénaliser les demandeurs d’emploi alternant chômage et activité, « les permittents ».

Dans un communiqué commun, la CGT, FSU et Solidaires indiquaient vendredi faire un recours « contre la catastrophe sociale annoncée ». Les trois syndicats notaient que le nouveau décret est « la copie conforme » du précédent où « tous les éléments démontrant l’injustice et l’inanité de la réforme étaient déjà inscrits ». Ils estimaient que le Conseil d’Etat « ne doit pas céder à la pression gouvernementale ». La CFDT a également déposé son recours vendredi, en commun avec la CFTC, avec des arguments notamment « sur la fragilité de la reprise économique » et sur la question des « inégalités de traitement dans le mode de calcul du SJR », selon la numéro deux de la CFDT Marylise Léon.

Tribune : Article réservé à nos abonnés Assurance-chômage : « Une réforme inefficace, injuste et punitive »

FO, qui avait déposé son recours dès jeudi soir, a des angles d’attaque qui sont « exactement les mêmes que la dernière fois », a indiqué Michel Beaugas, négociateur assurance chômage au sein du syndicat. « Nous ne souhaitons pas que le débat sur la conjoncture économique occulte le débat de fond sur l’inéquité de cette réforme, arguments que nous développions déjà en 2019 », lorsque la réforme avait été présentée.

L’Unsa a également déposé jeudi un recours axé, selon sa secrétaire générale adjointe Vanessa Jereb, sur l’« inéquité » du salaire journalier de référence, les « contradictions » du gouvernement dans sa présentation de l’amélioration de la situation économique et sur « l’objectif » affiché de lutter contre les contrats courts.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Le durcissement du calcul de l’allocation-chômage, un symbole politique pour Emmanuel Macron

Le Monde avec AFP

Pour le directeur général de l’Organisation internationale du travail, « il faut un consensus social pour que la transition écologique réussisse »

Guy Ryder, le directeur général de l’Organisation internationale du travail, à Pékin, en novembre 2019.

Guy Ryder est directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence des Nations unies, qui regroupe les représentants des gouvernements, des employeurs et des salariés de 187 Etats membres. L’ancien dirigeant syndical britannique explique à quel prix peut se faire la transition écologique de l’économie mondiale.

L’Organisation internationale du travail travaille sur la transition écologique depuis de nombreuses années. Quel en sera le coût en termes d’emplois ?

Il est difficile de donner des chiffres dans l’absolu, car cela dépend évidemment des politiques qui seront mises en œuvre par les gouvernements. Si on se réfère aux objectifs de l’accord de Paris [conclu en décembre 2015, lors de la COP21], et en prenant comme référence 2030, on estimait que la mise en œuvre de l’accord pouvait générer 24 millions de nouveaux emplois. Auxquels on ajoutait 78 millions d’emplois liés au passage à des modes de consommation et de production durables, soit un peu plus de 100 millions, ce qui permettait de dresser un bilan positif de la transition écologique.

Mais ce qui a été fait jusqu’à présent est très insuffisant. Et si les tendances du réchauffement climatique persistent, l’OIT estime que 2,2 % du nombre d’heures travaillées dans le monde seront perdus en raison du stress thermique, soit une perte de productivité équivalente à 80 millions d’emplois à temps plein.

Selon vous, les réponses ne sont pas à la hauteur du défi ?

En effet, et un deuxième élément vient aggraver le tableau. Dans leurs réponses actuelles, les Etats ne prennent pas suffisamment en compte les politiques sociales nécessaires à la mise en œuvre de cette transition. Pour la COP26, la conférence climatique en Ecosse [elle se tient à Glasgow, du 1er au 12 novembre], cette question de la « transition juste », la dimension sociale portée par l’OIT, n’est pas assez présente.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés La pandémie de Covid-19 a fait basculer 114 millions de personnes dans l’inactivité et le chômage

C’est pourtant un élément essentiel pour la réussite de la transition écologique, la décarbonation de l’économie, car les coûts sociaux peuvent en être élevés. Si aucune anticipation n’est faite, les populations réagiront négativement, et cette transition sera bloquée. Il faut un consensus social pour que cela réussisse. Sans mesures fortes d’accompagnement, les situations sur le terrain peuvent devenir dramatiques.

La question des compétences est essentielle, pour préparer les jeunes, stimuler l’innovation et pouvoir exploiter les possibilités d’emplois

Enfin, il faut dire que les 100 milliards de dollars [86 milliards d’euros], un objectif fixé par la COP21 de Paris, n’ont jamais été atteints. Or, cette question du financement de la transition écologique, du Nord vers le Sud, est essentielle. L’accord n’a pas été respecté. Si on veut que cette transition réussisse, il faut identifier les zones concernées et en répartir la charge, le coût.

Il vous reste 56.38% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Pour que ce ne soit plus un sujet » : des « rôles modèles » LGBT en entreprise

C’est lors d’un dîner avec un groupe de Texans, lorsqu’elle travaillait pour un grand groupe pétrolier, qu’Agathe Weil a eu le déclic : après avoir « louvoyé » toute la soirée pour ne pas utiliser de pronoms ou de noms féminins indiquant qu’elle vivait avec une femme, de peur de choquer ses compagnons de table, « je me suis effondrée à mon hôtel », se souvient l’actuelle directrice de la communication déléguée du groupe Foncia.

Dès le lendemain, la jeune femme fait le choix d’« assumer » : pour ne pas subir à nouveau le poids des faux-semblants, plus question de se sentir obligée de cacher son homosexualité. Quelques années plus tard, la directrice décide de candidater auprès de l’association L’Autre Cercle pour être officiellement désignée en tant que « rôle modèle » LGBT. L’objectif de cette démarche : que ses collègues, à leur tour, ne se sentent plus obligés de mentir sur ce qu’ils sont en la voyant afficher ouvertement son homosexualité.

Rarement un choix délibéré

Cette initiative a été lancée par L’Autre Cercle, qui œuvre à l’inclusion des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres au travail. La troisième édition des Rôles modèles LGBT + et Allié·e·s, organisée par l’association le 12 octobre, a ainsi mis sur le devant de la scène 94 personnalités, telle Agathe Weil. A travers cette célébration, qui s’est tenue en présence de la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, Elisabeth Moreno, l’association veut banaliser l’homosexualité et les questions autour de l’identité de genre en entreprise.

Enquête : Article réservé à nos abonnés Au travail, l’homophobie se dévoile

Si la visibilité des personnes homo, bi ou trans dans le cadre professionnel demeure un non-sujet pour beaucoup de salariés, les témoignages, forts, qui se sont succédé en vidéo lors de cette cérémonie, montrent qu’il n’en est rien.

Un homme explique ainsi avoir caché son homosexualité à ses collègues pendant dix-huit ans. Une cadre dirigeante dans l’industrie publicitaire ne veut pas prendre le risque de faire « perdre des budgets » à son entreprise, si son homosexualité venait à se savoir. Une autre manageuse explique avoir fait son « coming out » devant ses collègues assemblés à table, après avoir entendu son N + 2 tenir des propos homophobes : « Je me suis dit : si je me tais maintenant, je ne pourrai plus jamais en parler (…) et je valide, d’une certaine manière, ses propos ».

« Afficher » ses préférences de genre en entreprise reste rarement un choix délibéré. Mais à un moment de leur carrière, tous les participants se sont retrouvés confrontés à ce dilemme : parler ouvertement de leur homosexualité ou mentir le restant de leur vie professionnelle. Lors de la cérémonie, la ministre Elisabeth Moreno a rappelé le « poids trop lourd à porter » de la dissimulation identitaire, « qui peut avoir des conséquences psychologiques et médicales ».

Il vous reste 37.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Aux bons soins du capitalisme » : le coaching, une religion libérale

Le livre. Réconcilier capitalisme et humanisme, rien de moins : les promesses du coaching sont séduisantes. Resté longtemps discret, d’abord exercé par des consultants à l’image aussi énigmatique que charismatique, associé aux élites, le coaching fait l’objet d’une fascination tenace en France, à la fois laudative et critique.

Les uns vantent les mérites de cette pratique hybride, qui emprunte ses techniques à la psychothérapie mais se déploie dans le champ du conseil et de la formation. Les autres dénoncent l’empire des coachs et l’injonction au bonheur toute-puissante. Le coaching est-il le fer de lance d’une instrumentalisation de la subjectivité par le capitalisme ? Ou, à l’inverse, dans un étrange renversement de miroir, le signe que la société, et plus précisément le travail, va mal ? Dans Aux bons soins du capitalisme (Les Presses de Sciences Po), Scarlett Salman s’interroge.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Psychologues, coachs, formateurs, consultants : ruée sur la prévention des risques psychosociaux

Depuis son émergence dans les années 1990, le coaching a conforté sa place dans le monde de l’entreprise et contribué à deux figures majeures du néocapitalisme : celle, interne, du manageur-coach ou du leader, et celle qui se prolonge à l’extérieur des organisations, de l’entrepreneur de soi. « La promesse du coaching est de développer le potentiel d’individus réputés autonomes, tout en les invitant à entretenir des relations harmonieuses aux autres et un rapport sain au travail », rappelle la sociologue, maîtresse de conférences à l’Université Gustave Eiffel.

Métamorphoses des relations

Ce dispositif individualiste-libéral postule que l’individu au travail n’est pas seulement mû par des critères économiques, mais que ses relations de travail ont un impact sur son engagement et sur sa performance. « Le coaching est la version la plus individualisée et la plus personnalisée des dispositifs de gestion qui ont pris la dimension humaine comme objet. Il s’adresse résolument aux cadres, ces salariés de confiance auxquels est demandé un investissement extensif dans le travail et auxquels est promise en retour la plus grande des récompenses, cette fameuse réalisation de soi. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés « Le manageur doit être plus que jamais un artiste de la relation humaine » : les nouvelles pratiques managériales à l’heure du Covid-19

Ce discours accompagne un renouveau de l’indépendance et de l’entrepreneuriat. Les coachs exercent eux-mêmes leur activité sous des formes diverses d’indépendance. Fruit d’une enquête au long cours, engagée au début des années 2000 et combinant ethnographie et statistiques, l’ouvrage s’intéresse aux métamorphoses des relations entre management et psychologie, et à l’essor d’une hygiène psychique au travail porteuse d’une responsabilisation individuelle accrue.

Il vous reste 31.58% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Daniel Kahneman : « Les choix des juges et des experts reposent excessivement sur l’intuition »

Daniel Kahneman, psychologue et économiste.

Pourquoi nos jugements, personnels comme collectifs, sont-ils si souvent défaillants ? Parce que nous sommes perturbés par des « bruits », aux conséquences parfois désastreuses pour nos vies, explique le psychologue et prix Nobel d’économie (2002) Daniel Kahneman, dont les travaux ont eu une grande influence sur les sciences comportementales.

Dans un nouvel ouvrage coécrit avec le spécialiste en stratégie Olivier Sibony et le juriste et économiste Cass R. Sunstein (Noise. Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter, Odile Jacob, 464 pages, 27,90 euros), il explique comment les bruits perturbent le fonctionnement d’institutions, comme la justice ou la médecine, et quelles stratégies permettent de les limiter.

Vos travaux sur les biais cognitifs ont été fondateurs pour l’économie comportementale. En quoi les bruits s’en distinguent-ils ?

Nous constatons une chose : selon le moment de la journée, un expert prend des décisions radicalement différentes sur un même sujet. Et deux experts disposant des mêmes informations émettent des jugements parfois opposés. Cette variabilité est engendrée par ce que nous appelons le bruit, et qui se différencie des biais cognitifs [comme l’aversion à la perte ou le besoin d’adhérer aux normes].

Comment le bruit perturbe-t-il le fonctionnement de nos institutions ?

Nous aimerions qu’une institution comme la justice, par exemple, parle d’une voix unique, à savoir que les juges délivrent les mêmes verdicts pour des affaires similaires. Mais ce n’est pas ce que l’on observe statistiquement. C’est ce que nous appelons le bruit systémique.

« Les réseaux sociaux sont des amplificateurs de différences extrêmement puissants, inédits dans l’histoire de l’humanité »

Le juge Marvin Frankel [1920-2002], le premier à s’être penché sur le sujet en 1973, a ainsi observé que les peines pour un même délit peuvent varier de plusieurs années selon les juges : cette loterie déterminant le destin des individus est insupportable. Il en va de même avec la médecine. Le diagnostic délivré pour une même maladie ne devrait pas dépendre du médecin, de son humeur ou de s’il a bien dormi. Ce bruit est rarement évoqué parce qu’il est largement sous-estimé, mais il a des conséquences potentiellement graves sur nos vies.

Quand l’avez-vous mesuré pour la première fois ?

Lors d’une enquête au sein d’une grande compagnie d’assurances, il y a sept ans. Nous nous sommes intéressés aux souscripteurs, dont le métier est de déterminer la valeur d’un risque. Nous avons demandé aux dirigeants de la compagnie à combien ils évaluaient l’écart entre les estimations des souscripteurs, censées être très proches. Ils ont répondu 10 %. Mais la différence observée était en vérité de 52 % ! Personne ne s’y attendait.

Il vous reste 71.2% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’éviction du rédacteur en chef de « Bild » secoue les médias allemands

A Berlin, le 26 septembre 2021.

C’est sous la forme d’un bref entrefilet que le tabloïd allemand Bild a informé ses lecteurs, mardi 19 octobre, qu’il y avait du changement à la tête de sa rédaction. « A la suite des investigations parues dans la presse, [le groupe] Axel Springer a relevé Julian Reichelt, 41 ans, de ses fonctions de rédacteur en chef de Bild. (…) Pour Mathias Döpfner, patron d’Axel Springer, “Julian Reichelt a formidablement développé Bild sur le plan journalistique et, grâce à Bild Live [un canal d’information en continu diffusé en streaming depuis le 22 août], en a fait une marque tournée vers l’avenir” ».

Lire aussi Le tabloïd allemand « Bild » limoge son rédacteur en chef

Pour connaître les raisons de cette mise à l’écart, ce n’est pas Bild qu’il fallait lire, mais ses concurrents, dont beaucoup ont consacré de longs articles à cette affaire qui secoue le paysage médiatique allemand depuis une enquête publiée, dimanche 17 octobre, dans le New York Times. Selon celle-ci, Julian Reichelt a notamment promu à un poste à responsabilités une journaliste avec laquelle il avait une liaison. « S’ils découvrent que j’ai une relation avec une stagiaire, ils vont se débarrasser de moi », avait-il confié à cette femme en 2016, selon des propos rapportés par celle-ci à une commission d’enquête, et cités par le quotidien américain.

Prises de position très droitières

Si l’article du New York Times a précipité les choses – le limogeage de Julian Reichelt a été annoncé vingt-quatre heures après sa publication –, il n’a toutefois constitué qu’une demi-surprise. Nommé à la tête de la rédaction numérique de Bild en 2014, puis, trois ans plus tard, rédacteur en chef de l’ensemble du journal, cet ancien correspondant de guerre, connu pour ses prises de position très droitières et en lutte permanente contre la politique d’Angela Merkel, jugée trop centriste, avait déjà été inquiété en raison de son comportement vis-à-vis des femmes.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés En rachetant « Politico », Axel Springer parie sur le renouveau du journalisme numérique

En mars, il avait ainsi été suspendu pendant douze jours, après que le Spiegel eut révélé, dans un article intitulé « Coucher, promouvoir, virer », qu’il faisait l’objet d’une enquête, confiée à un cabinet externe, par le groupe Axel Springer. A l’époque, il avait toutefois très vite retrouvé son poste, son employeur ayant estimé que les « erreurs de management identifiées dans le cadre de cette investigation [n’étaient] pas de nature criminelle ».

L’image du patron écornée

Pour le groupe Axel Springer, qui a annoncé, le 26 août, le rachat du site d’information politique américain Politico, présenté comme « la plus grosse acquisition de son histoire » (environ 850 millions d’euros), cette affaire tombe au plus mal. D’autant plus qu’elle écorne par ricochet l’image de Mathias Döpfner : le Spiegel a révélé, lundi 18 octobre, un SMS qu’il avait envoyé à un ami, au printemps, après un article paru dans Bild contre les restrictions anti-Covid. Dans ce SMS, Mathias Döpfner saluait Julian Reichelt comme « le dernier et le seul journaliste du pays qui lutte courageusement contre le nouvel Etat autoritaire de RDA », allusion à l’ex-régime communiste d’Allemagne de l’Est, auquel les opposants à la politique sanitaire – notamment à l’extrême droite – aiment comparer le gouvernement actuel.

Il vous reste 26.27% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Ehpad, hôpitaux : les ressources humaines au défi de l’obligation vaccinale

Le raz de marée tant redouté n’est pas arrivé. Au centre hospitalier intercommunal (CHI) d’Elbeuf-Louviers-Val-de-Reuil (Seine-Maritime), le DRH Benjamin Galle a poussé un ouf de soulagement le 15 septembre. Ce jour-là, l’obligation de se vacciner contre le Covid-19, imposée par les pouvoirs publics dans les établissements de santé et médico-sociaux, entrait en vigueur.

Il a pu constater qu’elle avait été massivement respectée au sein de son organisation. En conséquence, seuls trois agents devaient être suspendus sur les 2 200. « Nous étions inquiets quelques semaines auparavant, reconnaît-il. Nous savions que nous risquions de nous séparer potentiellement de bien plus de membres du personnel. » Des données de juillet indiquaient seulement 76 % d’agents vaccinés. Les dernières semaines auront donc vu nombre de professionnels venir grossir les rangs des vaccinés.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés L’Assemblée nationale adopte le projet de loi sanitaire après quarante-huit heures de vifs débats

La situation observée à Elbeuf se retrouve dans de nombreux établissements à travers la France. Il existe bien sûr des centres hospitaliers où la mobilisation antivax a été plus structurée, entraînant une proportion importante de suspensions et de démissions, et provoquant, parfois, la fermeture temporaire de lits, voire de services.

Pas de chute brutale des effectifs

Mais dans la majorité des cas, les services de ressources humaines ont évité la chute brutale des effectifs qu’ils craignaient. C’est le cas notamment au CHU de Nice où l’on s’était « préparé au pire », explique Karine Hamela, la directrice du pôle RH, en simulant, en amont de l’obligation vaccinale, des réorganisations de plannings avec un nombre important de suspendus. « Cela a favorisé une prise de conscience collective des impacts possibles de cette obligation et permis à l’encadrement de mener un travail de sensibilisation. »

Finalement, 4 % du personnel a été suspendu au 15 septembre. Une situation qui s’est améliorée depuis : ils n’étaient plus que 0,6 % le 5 octobre, en grande partie du fait de nouvelles vaccinations – mais aussi de quelques dizaines de départs.

Les chiffres

94 % des Ehpad interrogés dans le cadre d’une enquête de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissement et services pour personnes âgées (Fnadepa) avaient au moins 90 % de leurs professionnels vaccinés au 24 septembre.

31,1 % se disaient alors face à un risque de rupture d’accompagnement.

25 % ont fermé des lits en raison de la situation dégradée (enquête menée du 21 au 24 septembre auprès des 1 300 directeurs de structures pour personnes âgées adhérents de la Fnadepa ; 282 directeurs ayant répondu).

Le constat est le même dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « L’impact de l’obligation vaccinale n’est pas aussi important que ce que l’on craignait », indique Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Selon une enquête menée auprès des adhérents de la fédération, les établissements déploraient, au 24 septembre, en moyenne de 2 % à 3 % du personnel absent en raison de cet impératif – 48,4 % des structures ne signalant aucune absence.

Il vous reste 58.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.