Archive dans août 2021

Wall Street et la City veulent en finir avec la domination des hommes blancs dans les conseils d’administration

La statue Fearless Girl de Kristen Visbal devant la Bourse de New York, illuminée aux couleurs du drapeau LGBT, le 26 juin 2021.

L’impulsion n’est pas venue de la sphère politique, mais du Nasdaq, la deuxième Bourse américaine (derrière le New York Stock Exchange), où sont notamment cotés les géants de l’Internet ou de l’informatique comme Google, Amazon, Apple ou le chinois Baidu. La place new-yorkaise exige désormais des sociétés cotées sur son marché qu’elles fassent siéger à leur conseil d’administration (CA) au moins une femme et une personnalité issue de minorités sexuelles ou ethniques ; ou bien d’expliquer pourquoi elles ne le font pas.

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Cette nouvelle règle de cotation en faveur de la diversité a d’abord été proposée par le Nasdaq en décembre 2020, quelques mois après la mort de George Floyd, un citoyen noir asphyxié sous le poids d’un policier blanc à Minneapolis (Minnesota), le 25 mai 2020. S’en est suivie une large consultation ouverte aux investisseurs, aux entreprises comme aux élus du Congrès.

Les républicains de la commission bancaire du Sénat s’y sont montrés hostiles, tandis que les sénatrices démocrates Catherine Cortez Masto (Nevada) et Kirsten Gillibrand (New York), ainsi que Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook et militante féministe, y ont apporté leur soutien. Après huit mois de réflexion, la Securities and Exchange Commission, le gendarme boursier américain, a finalement approuvé ce nouveau règlement. Un appui salué le 6 août par un communiqué du Nasdaq, se disant « impatient de travailler avec [les] entreprises pour mettre en œuvre cette nouvelle règle de cotation et établir une nouvelle norme pour la gouvernance d’entreprise ».

De plus en plus de fonds cherchent désormais à investir dans des sociétés présentant une certaine diversité

A partir de la tenue de leurs prochaines assemblées générales, en 2022, les quelque 4 000 entreprises cotées au Nasdaq devront donc publier des statistiques sur la diversité au sein de leur CA, alors que les investisseurs n’avaient jusque-là aucune visibilité en la matière. Or, de plus en plus de fonds cherchent désormais à investir dans des sociétés présentant une certaine diversité.

Les compagnies cotées devront également disposer d’au moins deux administrateurs « issus de la diversité », dont une femme et un membre « s’identifiant comme une minorité sous-représentée ou LGBTQ + ».

Nouvelle norme

Les conseils d’administration de taille restreinte bénéficieront d’une certaine souplesse. L’opérateur boursier a également prévu un délai d’adaptation, de deux à cinq ans, selon le niveau de cotation de la firme. « Une entreprise qui ne peut pas, ou ne veut pas, atteindre l’objectif de diversité recommandé est tenue de publier une explication », précise un porte-parole. Dans le cas contraire, « elle ne sera pas en conformité avec une règle de cotation et pourrait recevoir un avis de radiation ».

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Du stade à la table : la reconversion réussie des « anciens rugbymen » dans le Sud-Ouest

Sculpture d’un rugbyman, à l’entrée de l’hôtel Ibis Styles de Castelnaudary (Aude), dirigé par l’ancien joueur Guy Spanghero.

Devant l’entrée de l’Ibis Styles, à Castelnaudary (Aude), un joueur de trois mètres de haut, figé dans le métal, effectue une passe. A l’arrière de ce bâtiment à l’architecture sans charme, trois autres silhouettes sculptées s’élancent vers le ciel pour effectuer une touche. Dans ce nouvel hôtel, les clins d’œil au ballon ovale sont nombreux. Même la décoration des chambres n’y échappe pas : des poteaux sont détournés en tête de lit et des ballons s’encastrent dans les murs. Les couloirs de l’établissement sont habillés de maillots portés par des joueurs internationaux.

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Derrière cet établissement qui se présente aussi comme un musée se cachent, sans grande surprise, des professionnels du rugby : Guy Spanghero, ex-troisième ligne du Racing Club de Narbonne, et ses deux fils, également anciens rugbymen, Philippe et Nicolas. « Deux terrains, idéalement situés près de l’autoroute, étaient disponibles. J’ai saisi les opportunités », se souvient M. Spanghero, qui a ouvert un premier hôtel en 2013.

Assurer ses arrières

Mais cet entrepreneur multi-casquettes, rompu au management et à la gestion d’entreprises agroalimentaire et immobilière, ne part pas seul dans l’aventure. Prudent, il s’adosse à Accor pour limiter les risques. « Ce groupe est une machine de guerre. Il est efficace, dispose d’une centrale de réservation et assure la promotion », énumère M. Spanghero, qui investit 6,5 millions d’euros dans ce projet hôtelier, qui comprend également un pub et un restaurant.

Novice dans la restauration, Vincent Clerc, ancien ailier du Stade toulousain, préfère lui aussi assurer ses arrières. Ce jeune retraité du ballon ovale s’est appuyé sur l’enseigne McDonald’s. Après plusieurs mois de formation, il est le patron d’une première franchise dans le quartier Compans-Caffarelli, à Toulouse.

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Que ce soit de la restauration rapide ou du haut de gamme, « il ne suffit pas d’aimer la bonne bouffe et d’amener une image et un nom », prévient Hubert de Faletans, président de la branche restauration de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie de Haute-Garonne. « Ce métier d’une exigence folle ne s’apprend pas en deux secondes et il faut être présent tous les jours. »

« Surfer sur sa notoriété »

« Je leur conseille de mettre les mains dans le cambouis avant de se lancer, en multipliant les expériences, et de se former », complète Thomas Fantini, chef d’entreprise et ancien associé de Clément Poitrenaud, ex-arrière du Stade toulousain, dans un restaurant entre 2010 et 2014 avant que le joueur ne revende ses parts.

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Passe sanitaire : les risques de tension avec les usagers pèsent sur le moral des vigiles

Des agents de sécurité vérifient le passe sanitaire d’un client dans la discothèque La Dune, à La Grande Motte, le 9 juillet 2021.

Le moral des troupes dégringole. Des agents privés de sécurité contrôlent déjà les passes sanitaires à l’entrée de lieux de culture ou de loisirs accueillant au moins 50 personnes, comme les piscines ou les cinémas. Mais avec l’extension, depuis le 9 août, de l’application du sésame aux entrées des bars, restaurants, hôpitaux – sauf en cas d’urgence –, gares, aéroports, etc., voire aux centres commerciaux sur décision du préfet, s’ouvre une période pleine d’ « inquiétude » pour ces personnels, selon Djamel Benotmane, délégué syndical CGT chez Fiducial Private Security, qui dit recevoir « beaucoup d’appels de salariés ».

Les craintes portent notamment sur le risque de conflit avec les usagers que les agents sont amenés à contrôler. Selon le groupement des entreprises de sécurité, dans les lieux touristiques à Paris, par exemple, où le contrôle du passe a débuté le 21 juillet, cela s’est déroulé « plutôt bien entre les clients et les agents de sécurité ».

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Mais comment les agents de sécurité doivent-ils réagir « si l’usager n’a pas de passe ?, s’interroge M. Benotmane. Il risque de se produire un conflit, mais nous, nous n’avons pas le droit d’entrer dans un conflit ». Pourront-ils les éviter ? « Nous n’avons pas de formation en gestion de conflit, soulève Daniel Peltier, secrétaire général du syndicat CFTC des employés de la prévention sécurité. Les agents attendent des consignes sur la conduite à tenir. C’est déjà compliqué parfois de faire respecter le port du masque. C’est pourquoi il y a actuellement beaucoup de démissions. »

« Faire appel aux forces de l’ordre »

Eviter le conflit est impératif : « Nous sommes détenteurs d’une carte professionnelle renouvelable tous les cinq ans, précise Elhadji Niang, chargé de la branche prévention sécurité à la CGT. En cas d’altercation, s’il y a une plainte par exemple, votre carte professionnelle est gelée jusqu’à ce que l’affaire soit réglée. » Sans carte, pas de travail.

Pour M. Peltier, « la meilleure solution, en cas de conflit, c’est d’exercer son droit de retrait ou de faire appel aux forces de l’ordre ». « Une partie de la population est réticente au passe sanitaire, renchérit Alain Bouteloux, secrétaire fédéral FO chargé de la sécurité privée. Les agents de sécurité vont prendre ces rejets en pleine face. » En Normandie, au Mémorial de Caen, « des personnes à l’accueil qui demandaient leurs passes à des visiteurs se sont fait traiter de collabos », souligne M. Peltier. Il déplore « la mise en place de décisions rapides, sans concertation avec la branche, alors que l’on aurait pu expliquer au ministère de l’intérieur quelles sont les difficultés sur le terrain ».

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Passe sanitaire : les entreprises de sécurité peinent à recruter

Contrôle des passes sanitaires à la gare de Lyon, à Paris, le 9 août 2021.

« Des clients dans le commerce ont pu nous demander jusqu’à 300 agents… Mais aucune entreprise de sécurité ne peut en sortir 300, on est obligé de se partager certains marchés entre plusieurs boîtes tellement on galère à recruter. » Ralph Bonan, président d’Abscisse Sécurité, entreprise lyonnaise spécialisée dans l’événementiel, est mitigé. Restaurants, parcs de loisirs, centres commerciaux… « Il y a eu des demandes de renfort de nos clients un peu partout depuis la reprise, observe Walid Nahra, dirigeant de l’entreprise parisienne Triomphe Sécurité, forte de plus de 3 000 agents. On fait le maximum pour les satisfaire. »

Le contrôle du passe sanitaire, nécessaire depuis lundi 9 août dans un grand nombre d’établissements recevant du public, a fait exploser subitement la demande d’agents de sécurité : lorsque leurs propres salariés n’ont pas le temps, nombre d’établissements se tournent depuis plusieurs semaines vers ce personnel spécialisé, habilité à vérifier le fameux QR code. « Ils sont très demandés, déjà on manquait d’agents le 9 juillet pour la réouverture des discothèques », commente Laurent Lutse, président national de la branche Cafés, brasseries, et établissements de nuit à l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

La machine est repartie

A première vue, le contrôle du passe sonne comme une aubaine pour une profession qui a souffert de la crise du Covid-19. « Toute une partie de la branche a été mise à l’arrêt, notamment la sûreté aéroportuaire et l’événementiel, et le commerce a vu chuter ses besoins d’agents », note Cédric Paulin, secrétaire général du Groupement des entreprises de sécurité, principale organisation patronale de la filière de la prévention et de la sécurité privée. Les plus petites sociétés, nombreuses dans ce secteur aux 180 000 salariés, sont les plus touchées.

Si d’autres tâches ont continué, comme la surveillance des bâtiments la nuit, 65 % des entreprises de la branche ont connu une baisse de leur chiffre d’affaires en 2020 de près de 10 % en moyenne, d’après une étude réalisée pour l’opérateur de compétences AKTO. Ralph Bonan a, lui, perdu 2 millions d’euros entre 2020 et début 2021, soit 25 % de son chiffre d’affaires. « J’ai 190 salariés permanents mais on pouvait être jusqu’à 500 en cas de forte activité. Dans l’événementiel, on a beaucoup de vacataires car la quantité de travail est inégale selon les mois, et depuis le Covid, j’ai peu eu recours à eux. »

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Le travail post-Covid : dans l’entreprise comme à la maison

Le très ergonomique fauteuil à roulettes n’est plus l’apanage du monde du travail depuis que les gamers l’ont adopté. Photo issue de la série « Office », de Lars Tunbjörk.

A la rentrée, on va changer la déco. Si, dans la vraie vie, le minimalisme a pu être le fin du fin (rien de plus chic que de montrer qu’on a trop de place), à l’ère de la visio, il importe de montrer qu’on a quelque chose derrière soi au bureau. Au premier confinement, on avait appris à ajouter des livres — beaucoup. Depuis le printemps, le recours au fond d’écran s’est uniformisé, des visios mettent parfois en contact des gens qui ont choisi le même (le modèle blanc dans son cadre noir chic et sobre, ou le grand open space vitré pour ceux qui trouvent leur espace de travail trop petit).

Comme certaines directions ont compris qu’on pouvait faire la promo de son entreprise à distance, le troisième confinement a vu l’explosion d’arrière-plans aux couleurs criardes avec nom de l’entreprise incrusté. Cela donne au cadre de chez Athos des airs de Monsieur Sylvestre, de la World Company, comme le moquait « Les Guignols de l’info ». Pour la rentrée, on cogite sur la façon de communiquer avec de véritables arrière-plans. « On devrait voir, par exemple, une forêt de maquettes derrière nous », avance l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Nos bureaux vont ressembler aux murs de sponsors des sportifs lors de leurs conférences de presse.

Fonte des stalagmites de dossiers

A la rentrée, l’usage du faux fond pour des discussions internes sera surtout interprété comme un aveu d’absence du bureau. Il arrivera que des gens portent un masque devant un fond d’écran pour faire croire qu’ils sont sur site. Le nec plus ultra consistera à montrer une porte de placard ouverte, ou les carrés gris du faux plafond. N’importe quel détail qui affirme que « moi, je ne suis pas à Noirmoutier ».

« Le Covid a été un énorme accélérateur de la réduction des espaces de rangement. » Karin Gintz, directrice des ventes Vitra

Les stalagmites de dossiers sur les bureaux, elles, continueront à fondre. Dès 1975, dans un numéro de Business Week consacré à l’espace de travail du futur, des experts imaginaient la disparition du papier. On s’était habitué à ce que cela ne se produise pas : dès qu’une entreprise s’aventurait vers le « zéro papier », on savait que les dossiers étaient planqués dans les armoires, les casiers, voire les coffres de voiture.

Cette fois, ça y est. On a réduit la circulation des documents à l’époque où l’on croyait le Covid-19 essentiellement manuporté. Le dossier suspendu qui, à partir des années 1980, révolutionna la vie de bureau, pourrait disparaître, et avec lui son réglet plastique à étiquette impossible à enfiler. « Le Covid a été un énorme accélérateur de la réduction des espaces de rangement », reconnaît Karin Gintz, directrice des ventes Vitra. La spécialiste du meuble de bureau prédit un retour du casier, où l’on laisse ses affaires le soir.

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« Démocratiser l’accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur n’est pas renoncer à l’excellence ! »

Les voies empruntées pour diversifier socialement le recrutement des grandes écoles sont parfois décriées, alors qu’en réalité, le problème n’est pas le risque d’accepter des candidatures médiocres, mais celui de l’embarras du choix devant une masse d’excellents candidats explique, dans une tribune au « Monde », le professeur agrégé de philosophie Michel Delattre.

L’économiste Michel Husson est mort

Michel Husson, ancien staticicien et économiste, décédé le 18 juillet 2021.

Michel Husson est mort le 18 juillet, à Corvara in Badia (Italie), à l’âge de 72 ans. La mort subite de cet économiste-statisticien atypique, marxiste non dogmatique, est une lourde perte pour la communauté hétérodoxe. La finesse de ses analyses, son humour et sa compétence étaient très appréciés et uniques.

Administrateur de l’INSEE, Michel Husson a travaillé à la Direction de la prévision du ministère de l’économie pendant les années 1980, avant de rejoindre, en 1990, l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), organisme au service des syndicats. Il était aussi un militant. Politique d’abord : il a été l’un des piliers du groupe de travail économique de la Ligue communiste révolutionnaire de 1980 à 2006, avant de rompre avec elle, pointant sa responsabilité dans l’échec de la recomposition politique à la suite de la victoire du non au traité constitutionnel européen, en 2005. Il a ensuite soutenu les campagnes du Front de gauche puis de Jean-Luc Mélenchon, en 2017. Associatif, ensuite : il s’est impliqué dans Attac, la Fondation Copernic, Les Economistes atterrés…

Lire aussi notre archive (2007) : Michel Husson, « économiste officiel » de la LCR, claque la porte de son parti

Depuis vingt ans, il a régulièrement mis sur son site des dizaines de publications – une précieuse mine d’informations. La visée centrale de son œuvre est d’« assurer à toutes et tous un emploi et/ou un revenu décent, l’accès à des services publics de qualité et (…) une planète décente ». Cela passe par « l’emploi d’abord », mais aussi par un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires. En matière d’emploi, il a clairement démontré l’inefficacité des politiques de baisse de coût du travail menées depuis les années 1980, et notamment des exonérations de cotisations. Il soutenait d’ailleurs la cotisation comme salaire socialisé.

Dépasser le capitalisme

Rejetant les méthodes néolibérales du temps partiel contraint et du revenu universel, tous deux régressifs entre autres par rapport au droit à l’emploi des femmes, et reconnaissant l’efficacité des lois Robien et Aubry sur la réduction du temps de travail, Michel Husson souhaitait aller plus loin, avec une RTT sans perte de salaire, avec obligation d’embauches proportionnelles et sans la flexibilité accrue qui a accompagné ces lois. Selon lui, il faut intervenir sur la répartition primaire des revenus et non, comme le voudraient des économistes comme Thomas Piketty, sur la redistribution et la fiscalité.

Ces mesures s’inscrivent dans une volonté assumée de dépasser le capitalisme. Le néolibéralisme, avec ses conséquences économiques, sociales et écologiques, en constitue l’aboutissement cohérent, mais cette cohérence est source d’instabilité et de crises récurrentes. Depuis les années 1980, les capitalistes utilisent les profits de manière non productive (dividendes, rachat d’actions, etc.). La cause est l’insuffisance des débouchés et l’absence d’occasions de valorisation suffisante du capital, qui induisent une faiblesse des investissements productifs, se combinant à la baisse de la part des salaires et à l’augmentation des taux de profit. La financiarisation, donc.

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Le travail post-Covid : dans les petits espaces naissent les grandes idées

« Bureau des notaires », série « Office » de Lars Tunbjörk.

A la rentrée, on ne va pas cesser de se cogner les uns dans les autres. C’est en tout cas ce qu’aimeraient les architectes chargés de la réorganisation des bureaux. Les directions d’entreprise leur ont posé deux questions : combien de mètres carrés peut-on gagner dans les sièges d’entreprise avec la régularisation du télétravail ? Qu’est-ce qui encourage l’innovation chez les salariés ?

Dans chaque cas, ça passe par se serrer un peu plus, ce qui, paradoxalement, ne va pas dans le sens des recommandations sanitaires. Chez PayPal, on a renoncé à un étage. Chez Kiabi, à des projets d’extension. Mais en amenant à rétrécir les bureaux et à mutualiser les postes de travail, l’épidémie réussira peut-être à accoucher du Graal des architectes depuis des années : des télescopages créatifs.

A la recherche de ce qu’on ne cherche pas

« En une journée au bureau, 75 % des informations s’attrapent de façon informelle », rappelle Alexandra Corric, présidente fondatrice d’Archimage. Dans la biographie de Walter Isaacson consacrée à Steve Jobs (Lattès, 2011), John Lasseter, son associé chez Pixar, décrit l’agencement de leurs bureaux. Si un bâtiment n’encourage pas les rencontres imprévues, lui aurait dit Jobs, « vous perdrez beaucoup d’innovations et l’étincelle magique de la sérendipité », cet art de découvrir ce qu’on ne cherche pas.

Pixar fut donc conçu de sorte que les gens aient besoin de passer par l’atrium central, où des cafés et salles de réunion furent installés. « Jobs alla jusqu’à décréter qu’il n’y aurait que deux toilettes dans le bâtiment, pour chaque genre, connectés à l’atrium, raconte Lasseter. (…) Ça marchait, je n’arrêtais pas de me cogner dans des gens que je n’avais pas vus depuis des mois. »

Lire aussi John Lasseter, patron de Pixar : « Un studio d’animation n’est pas un studio comme les autres »

Si l’idée est régulièrement attribuée à Steve Jobs, comme toutes celles qu’on veut associer à un visionnaire patenté, voilà plus d’un demi-siècle qu’architectes et anthropologues cherchent à théoriser les conditions de la rencontre fortuite et créative. Dès 1950, Mervin Kelly, le PDG de Bell Labs, expliquait que si son entreprise avait pu inventer le transistor et mille autres choses, c’est parce que tout le monde, chimistes, mathématiciens, ingénieurs, travaillait sous le même toit. Les couloirs du bâtiment de Murray Hill, dans le New Jersey, étaient assez longs pour qu’en chemin vers la cantine, on soit certain de tomber sur des collègues avec lesquels on inventerait la cellule photovoltaïque ou n’importe quoi qui s’invente en allant à la cantine.

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Travail : « Rémunérer des activités auparavant réalisées sans contreparties matérielles n’est pas neutre »

Tribune. « Les applaudissements ne paient pas les factures », pouvait-on lire sur les pancartes des soignants entre deux vagues de la crise sanitaire. Si « le travail paie toujours », selon la formule consacrée, paie-t-il toujours suffisamment et que paie-t-il, au juste ?

Le couple rémunération et travail semble si exclusif et ancré dans le temps qu’il est difficile de concevoir l’un sans l’autre. Qu’elle soit monétaire ou symbolique, sous forme de salaires, d’honoraires, de traitement, de gratification, de pourboire, de primes, de stock-options, la rémunération vient reconnaître et récompenser un travail réalisé et, par là, lui donne ses contours.

Une minorité de superstars

Pour autant, cette relation a priori simple soulève de nombreuses questions, posées et discutées par des chercheuses et chercheurs en sciences sociales dans le numéro que la revue Regards croisés sur l’économie consacre à la rémunération du travail. Parmi elles, celles propres aux frontières de ce qu’on entend par « travail ». Peut-on penser le travail sans rémunération ? Faut-il rémunérer toute activité productive ? Comment adapter les rémunérations aux transformations du travail ?

Etiqueter des photos sur [la plate-forme participative] Foule Factory, s’improviser chauffeur le temps d’un trajet grâce à Blablacar, ou encore obtenir des sponsors pour un blog de cuisine… Autant de possibilités nouvelles de générer des revenus à côté d’un emploi principal. Les plates-formes numériques changent le rapport au loisir et au temps libre.

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Tous ne tirent pourtant pas le gros lot : comme le souligne l’économiste Pierre Rondeau à propos des footballeurs, les revenus colossaux tirés d’un simple « post » Instagram ne sont accessibles qu’à une minorité de superstars, à l’instar de Cristiano Ronaldo et de ses photos à un million d’euros. Les autres se contentent d’exercer leur métier de sportif… sur le terrain. « Autrement dit, au-delà même du talent et du niveau, plus un joueur est connu, quelle qu’en soit la raison, plus il pourra bénéficier d’un pouvoir de marché important et prétendre à une rémunération élevée. »

Pour les politiques publiques, de nouveaux problèmes s’imposent : comment tenir compte de ces inégalités dont la dynamique est structurée et soutenue par les plates-formes ? Mais aussi, comment réguler ces formes inédites de concurrence aux travailleurs traditionnels, soumis aux contraintes fiscales et légales déjà existantes ?

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