Archive dans août 2021

« Le travail ne peut plus être un bunker qui tourne le dos au reste de la vie »

Selon le sociologue Bruno Marzloff, auteur de Sans bureau fixe (FYP, 2013), le télétravail nous dirige vers un grand combat idéologique et des règles de management qui devront être réinventées.

Quel a été l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’organisation du travail ?

Le 15 mars 2020, nous nous sommes affranchis brutalement d’un siècle de fordisme [la production standardisée mise en pratique par Henry Ford aux Etats-Unis]. Ce modèle tenait par ses contreforts : la protection sociale, les congés payés, la retraite. Avec le confinement, on passe d’une structuration temporelle et spatiale encore liée à l’usine avec la routine métro- boulot-dodo à des travailleurs qui quittent massivement leur siège pour être derrière leurs écrans. Le numérique était là depuis vingt-cinq ans déjà, mais c’est comme si sa familiarisation et son intégration avaient surgi tout d’un coup.

A-t-on franchi une étape irréversible ?

Une grande entreprise ne pourra plus ne pas intégrer le télétravail, le fruit est mûr à cueillir. Malgré les difficultés de coexistence dans un même site d’activités familiales et professionnelles, le modèle a fonctionné et s’est même révélé redoutablement efficace en termes de productivité.

Une étude américaine a analysé les mails et agendas professionnels partagés de 3,1 millions d’employés aux Etats-Unis, en Europe et au Moyen-Orient sur une période de seize semaines, dont celles du confinement. Les salariés à distance travaillent en moyenne quarante-huit minutes de plus par jour. Le développement du télétravail permet également de réduire les coûts de l’immobilier. La tour Salesforce, symbole de la puissance de la tech, à San Francisco (Californie), s’est vidée : le géant du cloud n’obligera pas ses 10 000 employés à revenir travailler sur place.

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Des néologismes décrivent déjà le démembrement des espaces de travail : on parle de « firms from nowhere », littéralement « entreprises de nulle part », de « zoom towns » [la tendance à s’installer dans des villes moyennes]. On va vers une évolution de la fonctionnalité du siège, une réduction drastique de la surface des bureaux, accompagnée d’une archipélisation des espaces de travail. Il faut s’attendre à une nouvelle génération de lieux qui permettront de travailler quand on n’est pas au bureau. Le remembrement des activités professionnelles se fera dans une chaîne de localisations diverses à construire entre le siège de l’employeur et les résidences des actifs, avec des effets sur les transports et la localisation résidentielle. Le travail ne peut plus être un bunker qui tourne le dos au reste de la vie.

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Le management va-t-il évoluer avec les organisations hybrides ?

On quitte le modèle fordiste de l’industrie pour un modèle sans doute également fordiste : ce n’est pas parce qu’on n’est plus au siège qu’on n’est plus sous contrôle. Les télétravailleurs peuvent subir une injonction invisible mais prégnante à être devant l’écran, avec des techniques de contrôle du fordisme qui perdurent sous d’autres formes. Le middle management est désarçonné, ses conditions d’organisation sont réduites en poussière face à la débandade des troupes. Les règles du management doivent être réinventées, et ce ne sera pas facile. On se dirige vers un grand combat idéologique, avec d’un côté un management qui accompagne la flexibilité en responsabilisant les collaborateurs et en développant la confiance, et de l’autre un renforcement des pratiques de surveillance à distance.

Du présentiel au distanciel, la révolution silencieuse du travail

« L’évolution n’est pas un long fleuve qui prend son temps. Elle procède avec des périodes de relative stabilité ou de changements progressifs entrecoupées de phases de changements rapides : les ponctuations, ou crises. » Le monde du travail traverse une de ces crises, parole du paléoanthropologue Pascal Picq. Le déploiement massif du télétravail pendant la pandémie de Covid-19 constitue un point de bascule, note le chercheur et professeur au Collège de France, dans son ouvrage Les Chimpanzés et le télétravail (Eyrolles, 252 p., 18 €). La fin de l’été ne marque pas seulement un retour en présentiel chaotique après dix-huit mois de crise sanitaire. La rentrée sera un moment de vérité. En septembre, les entreprises poseront les jalons de l’organisation du travail du futur.

« On a su passer en télétravail du jour au lendemain sans trop de difficultés. Sortir de dix-huit mois de travail à distance s’avère bien plus complexe », résume Jean-François Ode, directeur des ressources humaines (DRH) chez Aviva France. Pour encourager le retour sur site de ses salariés, la compagnie d’assurances mise sur la convivialité : machines à café gratuites et un été scandé de grillades et jeux de raquette dans le jardin du siège. A la rentrée, les collaborateurs seront accueillis par un discours du directeur général, dans le cadre d’un petit déjeuner.

« La pandémie a changé l’état d’esprit des collaborateurs », affirme le DRH. Les uns se reconvertissent pour avoir moins de contraintes horaires. D’autres ont la phobie des transports. « D’autres encore n’ont donné aucun signe de vie depuis le déconfinement. Et puis il y a ceux qui s’installent à plusieurs centaines de kilomètres de Paris. Les déménagements concernent, pour l’instant, une dizaine de personnes sur 3 000 collaborateurs, mais nous n’avons pas fini d’en entendre parler. Comment réagir ? Notre accord de télétravail permet d’être à distance au maximum deux jours par semaine », précise M. Ode.

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Selon une enquête de l’Association nationale des DRH (ANDRH), publiée le 7 juin, 30 % des DRH ont été confrontés à des salariés qui ont déménagé pendant la crise. « L’individuel prend le pas sur le collectif », s’inquiète Audrey Richard, présidente de l’ANDRH. Jusqu’où ira l’hybridation ? Entre septembre 2020 et avril 2021, le cabinet spécialisé dans les nouvelles pratiques du travail LBMG Worklabs a mené l’enquête auprès de 4 800 collaborateurs de grandes entreprises, organismes publics, PME et TPE. « En moyenne, les répondants souhaitent télétravailler 2,65 jours par semaine. Mais 19 % des personnes penchent pour quatre ou cinq jours par semaine », détaille Nathanaël Mathieu, président de LBMG.

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« A l’hôpital, les services s’en sortent mieux quand les manageurs font confiance à leurs équipes pour construire le soin »

Pionnier, le médecin Philippe Colombat établit dès 1992 une organisation et un management participatifs dans son service d’oncologie médicale au CHRU de Tours. Une réponse à la déshumanisation des soins et à l’épuisement des soignants. Il ne cesse, depuis, de promouvoir la démarche participative, et l’étudie dans l’équipe de recherche en psychologie QualiPsy (université de Tours). Aujourd’hui, l’ancien chef de pôle cancérologie-urologie préside l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social. Un enjeu fort en ces temps de pandémie.

Philippe Colombat, professeur en hématalogie et président de l'Observatoire de la qualité de vie au travail des professionnels de santé, le 27 août 2021.

La crise a donné l’envie de changer de métier à 40 % des infirmiers, selon un sondage, réalisé en mai, de leur ordre national. Après un an et demi de pandémie, comment vont les soignants ?

Mal. Ils sont épuisés. Ils doivent gérer une lourde charge de travail, les incertitudes face à ce nouveau virus, la peur de l’attraper et de contaminer leurs proches… Tout cela sans moyen de se ressourcer. L’envie de changer de métier exprimée par ces infirmiers résulte d’un épuisement professionnel (le burn-out), avec trois composantes : l’épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre et la perte du sens et de l’accomplissement de soi au travail. Sa fréquence était déjà élevée avant la crise, surtout dans la fonction publique hospitalière. Mais la pandémie de Covid-19 a exacerbé les difficultés.

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Quels enseignements tirez-vous de la crise sanitaire ?

D’après nos remontées de terrain, dans les services qui s’en sortent le mieux, les manageurs font confiance à leurs équipes pour construire le soin. Cela confirme une chose : il faut avoir confiance en l’intelligence collective. L’après-crise devra être l’occasion de changer de système. Au vu des derniers rapports, j’ai le sentiment que les étoiles s’alignent dans ce sens. Le plan d’actions pour les métiers du grand âge et de l’autonomie, issu du rapport El Khomri [2019], veut réduire la sinistralité dans les Ehpad et améliorer la qualité de vie au travail [QVT]. La loi Rist d’avril, qui reprend des préconisations du rapport Claris sur la gouvernance hospitalière [2020], repositionne le service comme échelon de référence et promeut le management participatif. Depuis peu, le projet de gouvernance et de management participatif des établissements est même inscrit dans le Code de la santé publique. Aujourd’hui, tout le monde parle de la qualité de vie au travail – soit la perception d’une personne concernant l’adéquation entre ses attentes et son vécu physique, psychologique et social au travail –, du management participatif et de leurs liens avec l’attractivité des métiers, la fidélisation du personnel, la qualité et la sécurité des soins.

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Dans les entreprises, la délicate mise en place des nouvelles règles de télétravail

Un salarié lors d’une visioconférence de chez lui, à Vertou, près de Nantes (Loire-Atlantique), le 14 mai 2020.

En 2020, après des mois de télétravail obligatoire, confinée dans son appartement parisien avec ses deux jeunes enfants, Christine (le prénom a été modifié) a pris une décision radicale : partir vivre sur la côte normande, dans une maison qui offrirait à sa progéniture espace, jeux dans le jardin et air marin à profusion. Onze mois après son déménagement, ce scénario idéal se heurte à une nouvelle réalité.

En effet, son employeur lui demande de revenir au bureau, au cœur de Paris, deux jours par semaine. « Deux heures de train matin et soir, plus les transferts de la gare à la maison, cela fait cinq heures de transport par jour, calcule Christine. Pour moi, ce n’est pas jouable. » Les discussions avec son employeur sont en cours, mais elle n’exclut pas, si celles-ci devaient échouer, un divorce à l’amiable.

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« Le sujet que l’on voit poindre en cette rentrée dans les entreprises, c’est celui de la mise en place des nouvelles règles de télétravail, qui était en quelque sorte “en open bar” jusqu’à présent, confirme Benoît Serre, vice-président national délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines. Cela va demander beaucoup de capacités d’adaptation, sans compter les problèmes de cohésion interne dans les entreprises, lorsqu’un manageur se montrera plus souple qu’un autre. »

Question de l’indemnisation des frais de transport

Certes, pour environ un tiers des salariés, exercer son activité de chez soi s’est traduit par une dégradation des conditions de travail, qu’il s’agisse d’un manque de place, d’un environnement bruyant ou de l’obligation de concilier tâches ménagères et missions professionnelles. Mais pour les deux tiers restant, l’opération semble avoir été plutôt gagnante. Convaincre ces employés d’abandonner le confort de leur séjour ou de leur résidence secondaire pour retrouver les charmes de l’open space ne sera pas aisé. Cela risque d’être encore plus complexe pour ceux qui, à l’instar de Christine, se sont éloignés géographiquement. Un phénomène qui concerne davantage l’Ile-de-France ainsi que les grandes villes, et qui pourrait perdurer.

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Selon une étude menée par Cadremploi, et publiée mercredi 25 août, 38 % des cadres franciliens envisageraient de faire des allers-retours entre Paris et la province pour aller travailler. « Nous avons tous, dans nos entreprises, quelques salariés qui se sont installés loin de Paris, confie Sabine Parisis, DRH du groupe Effy, spécialisé dans la rénovation énergétique. Ce n’est pas la majorité, certes, mais ceux-là seront difficiles à mobiliser. » La question de l’indemnisation de leurs frais de transport peut également se poser.

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L’Etat injecte 130 millions d’euros pour développer les tiers-lieux

Dans la grande nef du WIP, à Colombelles (Calvados) où se déroulent les événements culturels, le 25 juin 2021.

Conscient du « phénomène de société » que représentent les tiers-lieux, l’Etat décide de renforcer, à hauteur de 130 millions d’euros, son soutien financier envers leur écosystème. A l’occasion d’un déplacement à Colombelles, dans le Calvados, vendredi 27 août, en compagnie de quatre ministres, le chef du gouvernement, Jean Castex, devait annoncer plusieurs mesures pour accompagner le développement de ces espaces, où des acteurs très variés travaillent et réalisent des projets à vocation économique ou sociale.

Paris va notamment débloquer 30 millions d’euros du plan « France Relance » pour soutenir la création de 100 « manufactures de proximité » et inciter des porteurs de projets à se lancer avec l’appui de l’Etat : ces ateliers partagés accueilleront des artisans qui souhaitent mutualiser leurs outils, notamment des machines coûteuses à commande numérique. Le pâtissier Pierre Hermé parrainera ces manufactures, qui feront très prochainement l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI). Elles seront ensuite sélectionnées par le Conseil national des tiers-lieux.

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Dans le cadre de son déplacement, le premier ministre devait se voir remettre le dernier rapport de l’association France Tiers-Lieux, par son président, Patrick Levy-Waitz. Cette association, née il y a un peu plus d’un an, est le fruit d’un premier rapport publié en 2018, consacré à l’émergence du coworking : il avait abouti au programme interministériel « Nouveaux lieux, nouveaux liens », déployé par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Ce dernier comprenait notamment le financement à hauteur de 45 millions d’euros, depuis 2019, de 300 « fabriques de territoire », tiers-lieux modèles qui permettent de structurer la filière dans leur région. Quelque 252 fabriques ont reçu 150 000 euros sur trois ans, et le Conseil national des tiers-lieux devait relancer un AMI pour 30 lieux supplémentaires.

« Lien social »

Le gouvernement souhaite insister sur la dimension locale de ces espaces, souvent soutenus par des collectivités territoriales. Les 100 manufactures de proximité seront réparties dans tout l’Hexagone, et chaque département en possédera une. « Un tiers-lieu, c’est d’abord un lieu situé dans un territoire et le fruit d’un projet porté par des acteurs locaux, qui crée du lien social », indique-t-on au ministère de la cohésion des territoires.

Le gouvernement entend également investir 50 millions d’euros pour y développer la formation professionnelle, 20 millions pour financer le service civique de 3 000 jeunes, et 15 millions pour le recrutement de conseillers numériques et acheter de l’équipement. Plus largement, les tiers-lieux peuvent être au carrefour de divers aspects de la relance, estime le gouvernement : ils accueillent des campus connectés pour permettre aux jeunes diplômés d’étudier en ligne un cursus universitaire, des salles qui peuvent héberger les Micro-Folies (centres culturels) du ministère de la culture, et d’autres des guichets rattachés aux maisons France Service (centres de service public).

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Les salariés, victimes collatérales du réchauffement climatique

« Lors des canicules de l’été 2020, douze accidents du travail mortels en lien possible avec la chaleur ont été reconnus officiellement par l’Inspection médicale du travail, selon Santé publique France.  Cinq de leurs victimes exerçaient un métier dans l’agriculture ou la sylviculture. »

Incendies dans le Var, températures dépassant 50 °C en Turquie, inondations ravageant le sud-est de l’Allemagne… Cet été aura été terni par un enchaînement d’événements climatiques extrêmes. Appelés à se produire de plus en plus fréquemment, comme l’a rappelé récemment le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les vagues de chaleur et autres événements consécutifs au réchauffement climatique ont des conséquences parfois dramatiques sur l’activité des entreprises et des salariés qu’elles emploient.

Lors des canicules de l’été 2020, douze accidents du travail mortels « en lien possible avec la chaleur » ont été reconnus officiellement par l’Inspection médicale du travail, selon Santé publique France. Peu d’informations ont filtré sur les victimes : onze hommes et une femme, âgés de 28 à 61 ans. Celles-ci travaillaient « principalement » à l’extérieur au moment de l’accident. Cinq d’entre elles exerçaient un métier dans l’agriculture ou la sylviculture.

Comme les fortes chaleurs, les fortes pluies apportent leur lot de victimes. Les professionnels intervenant sur des zones inondées le paient parfois de leur vie. En octobre 2020, la tempête Alex a notamment provoqué la mort d’un pompier, emporté par les eaux, dans les Alpes-Maritimes, et celle de deux ouvriers venus déblayer la zone du côté italien, rapporte France 24.

Accroissement des risques

Hormis les décès, l’impact des fortes chaleurs et des catastrophes naturelles sur les conditions de travail des salariés reste difficile à mesurer, le lien n’étant pas évident à établir. Le rapport annuel de l’Assurance-maladie ne donne pas de détails sur les accidents du travail potentiellement en rapport avec des événements climatiques extrêmes. « Sur tout ce qui touche à l’articulation entre environnement et travail, on est sur des enjeux nouveaux », fait valoir Sébastien Millet, avocat associé spécialiste du droit du travail et de la protection sociale au sein du cabinet Ellipse avocats. Il faut dire aussi que les conséquences du réchauffement climatique ont longtemps été sous-estimées, voire niées.

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Pourtant les experts en santé publique s’accordent à dire que la multiplication annoncée d’épisodes climatiques extrêmes risque d’engendrer davantage de malaises et un accroissement des risques pour l’ensemble des travailleurs. Dans un rapport publié en 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) lançait déjà l’alerte sur un « accroissement des risques liés à la charge physique de travail », mais aussi une « moins bonne récupération nocturne, [une] baisse de la vigilance et, en conséquence, davantage d’accidents du travail » : en période de fortes chaleurs, la fatigue accumulée par les individus les expose davantage à l’accident, pointe le rapport de l’Anses.

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Covid-19 : le retour total au bureau s’éloigne encore

Le variant Delta fait peser une nouvelle menace sur la perspective d’un retour au bureau à 100 %, pour les métiers exercés en télétravail (total ou partiel) depuis près d’un an et demi. « Au regard des chiffres et des risques, on n’envisage plus un retour total sur site en septembre, comme on l’avait prévu avant la période estivale, mais de poursuivre le télétravail, comme on l’a fait avant l’été, par précaution, autour de deux jours par semaine », explique Audrey Richard, présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH).

Au siège de la marque de vêtements Kaporal, qui compte 140 personnes, la possibilité de télétravailler deux jours par semaine continuera après la fin septembre, « qu’il y ait le Delta ou non » : « il faut continuer à protéger nos collaborateurs, on est encore dans une période de télétravail contraint », affirme sa DRH, Emmanuelle Germani. Fin juin, les règles avaient été assouplies pour faciliter le retour massif au bureau, mais beaucoup d’entreprises avaient projeté le véritable retour à la normale en septembre.

« Les grosses ou moyennes structures ont en tête de rester dans un modèle hybride, avec une diminution du nombre de jours de télétravail à la rentrée », Marie Bouny, cabinet de conseil LHH

Après plusieurs confinements et déconfinements, nombre d’entre elles avaient pourtant prévu que l’épidémie de Covid-19 jouerait les prolongations. « Les entreprises qui anticipaient un retour total à la normale étaient très optimistes, affirme Marie Bouny, codirectrice de l’équipe Stratégie et performance sociale chez LHH, cabinet de conseil en RH. La normalité même a changé : globalement, les grosses ou moyennes structures ont en tête de rester dans un modèle hybride, avec une diminution du nombre de jours de télétravail à la rentrée. »

« Il n’y aura pas de durcissement des règles »

L’assureur Axa, déjà habitué au télétravail avant la crise, a opté pour une division des équipes en deux au fil des retours sur site, d’abord sur la base du volontariat, puis de manière obligatoire à partir du 1er juillet : « Les équipes rouges viennent sur site lundi et mardi, les équipes bleues jeudi et vendredi et le mercredi une semaine sur deux, décrit Sibylle Quéré-Becker, directrice du développement social, de la diversité et de l’inclusion. Le variant Delta ne change pas nos plans. »

Pour le moment, c’est le protocole sanitaire en entreprise du mois de juin qui fait foi : chaque société doit déterminer, par le dialogue social, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine pour les activités qui le permettent, avec une recommandation à deux jours par semaine. Au ministère du travail, qui consulte actuellement les partenaires sociaux, on se montre rassurant : « il n’y aura pas de durcissement des règles », notamment car la vaccination avance. La généralisation du passe sanitaire à toutes les entreprises est également exclue. Le protocole de juin pourrait être prolongé si la situation sanitaire le nécessite, ou le gouvernement pourrait laisser carte blanche aux groupes.

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Les tiers-lieux, laboratoires du monde d’après

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Publié aujourd’hui à 00h43

« C’est un lieu de citoyenneté où chacun peut s’exprimer et agir. Mais ç’a été longtemps difficile de faire comprendre ce qu’on est, car on sort des cases ! » Ophélie Deyrolle, présidente et cofondatrice du WIP (pour Work in progress), est fière de son bébé. En 2016, un groupe de courageux a retapé l’ancienne grande halle de Colombelles (Calvados), dernier vestige de la Société métallurgique de Normandie, avec sa cheminée réfrigérante aux airs de centrale nucléaire. Ici, à dix minutes en voiture du centre-ville de Caen, on trouve 3 000 m2 de tiers-lieu, réaménagés en bureaux partagés, restaurant local et bio qui affiche complet le midi, ateliers, lieu de représentation d’une troupe d’acteurs déguisés en astronautes, ou encore studio de radio.

Qu’ils soient espace de coworking, campus connecté, atelier partagé, fab lab, garage solidaire, friche culturelle ou maison de services au public, les tiers-lieux explosent, d’après le dernier rapport de l’association France Tiers-Lieux, publié le 27 août. Leur nombre est passé de 1 800 en 2018 à 2 500 en 2021, et atteindra 3 500 fin 2022.

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Les tentatives de définition de ce mot étrange, troisième voie entre la maison et le bureau, sont aussi nombreuses que les activités que l’on peut y trouver : espaces où l’on « crée du commun », lieux de « mobilisation locale pour l’intérêt général », « espaces physiques pour faire ensemble »… « C’est un lieu de partage, c’est un lieu où on fait des choses ensemble. On ne fume pas la moquette, on crée de l’activité économique et sociale », explique Patrick Levy-Waitz, président de l’association France Tiers-Lieux, qui organise depuis 2019 les réseaux de tiers-lieux et les relations avec les acteurs locaux et régionaux.

Dans la salle de coworking du WIP, à Colombelles, le 25 juin 2021.

Modèles hybrides

Ces projets s’inscrivent la plupart du temps dans l’économie sociale et solidaire, et de nombreux acteurs gravitent dans cet écosystème. Les modèles économiques sont variés, parfois hybrides : 62 % ont opté pour le statut associatif, quand 26 % sont des SAS ou SARL. D’après le rapport, les tiers-lieux hexagonaux reposent à 50 % sur des subventions publiques, et à 50 % sur des recettes en propre. Le WIP est une société coopérative d’intérêt collectif. Ses directeurs espèrent obtenir d’ici peu l’agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale. Le bâtiment est toujours détenu par les collectivités locales, et le WIP a obtenu un bail commercial.

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Aux Etats-Unis, le variant Delta contrarie le retour à la normale de la Fed

Le président de la Reserve fédérale, Jerome Powell, à Washington, le 15 juillet 2021.

Aux Etats-Unis, le séminaire des banquiers centraux de Jackson Hole, au pied des superbes montagnes de Grand Teton, dans le Wyoming, marque habituellement la rentrée économique, et cet été devait être celui du retour à la normale. Las, tout est raté, et le séminaire se tiendra finalement à distance, en raison de la prolifération du variant Delta, et essentiellement entre Américains.

Alors que Wall Street n’en finit pas de battre des records, la planète finance attend avec impatience le discours que tiendra vendredi 27 août le président de la Reserve fédérale (Fed, banque centrale américaine), Jerome Powell, alors que l’emploi est bien reparti en juillet, mais que la croissance semble avoir hoqueté en août. En cette rentrée, trois questions se posent : quand la Fed relèvera-t-elle ses taux ? ; quand réduira-t-elle son soutien à l’économie en achetant la dette des entreprises et des banques ? ; qui en sera le capitaine, alors que le mandat de Jerome Powell, un républicain modéré, arrive à échéance début février ?

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La question des taux, c’est celle de l’inflation. Les taux directeurs de la banque sont à zéro depuis le début de la crise engendrée par le Covid-19, tandis que la hausse des prix à la consommation a atteint 5,4 %, sur un an, en juillet. C’est haut, mais des indices montrent que le mouvement décélère. Surtout, cette augmentation des prix est majoritairement due à des goulets d’étranglement, qu’il s’agisse de la pénurie mondiale de microprocesseurs, de la perturbation des chaînes d’approvisionnement ou du manque de matières premières.

Pas de spirale de l’inflation et des salaires

Il n’y a pas d’indice de spirale de l’inflation et des salaires, au contraire, puisque le pouvoir d’achat des salariés régresse en valeur réelle – seuls les employés du tourisme et de la restauration parviennent à en gagner. D’aucuns s’interrogent sur la durabilité des goulets d’étranglement, mais ce n’est pas avec une hausse des taux qu’on combat un choc d’offre. En juin, sept des dix-huit membres du conseil de la Fed imaginaient une hausse des taux dès 2022, et treize prédisaient une ou deux hausses en 2023.

L’enjeu, à plus court terme, est celui des rachats de titres d’entreprises et financiers réalisés massivement par la banque. Ces opérations, en permettant aux entreprises d’accéder au crédit, ont sauvé de nombreuses sociétés laminées par la crise liée au Covid-19, comme Carnival, leader mondial des croisières, situé à Miami, dont les villes flottantes reprennent progressivement la mer.

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Quand le travail colonise notre vie quotidienne

Livre. Jusqu’à la fin du modèle fordiste dans les années 1960-1980, face au pouvoir et à la direction, les travailleurs tentaient de se protéger, s’organisaient, inventaient des solidarités parallèles. Dans le nouveau modèle d’entreprise qui s’impose désormais, la mobilisation subjective est devenue la matière première de la performance organisationnelle, et les manageurs se sont mués en directeurs de conscience.

Se développent alors des formes plus douces de domination, qui prennent l’allure de l’émancipation individuelle : entreprise libérée des manageurs, organisation agile, valorisation de l’entrepreneuriat de chacun… Le chef autoritaire cède la place à une posture libérale, voire libertaire, de l’entrepreneur. « Nous entrons dans l’ère de la société capitaliste », affirme David Muhlmann dans Capitalisme et colonisation mentale.

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Le terme de colonisation mentale désigne une mutation anthropologique, souligne le docteur en sociologie. Les grands secteurs d’activité de la vie sociale – l’information, les loisirs, les services divers et variés – obéissent désormais à la loi de l’offre et de la demande, et la logique de fonctionnement de l’entreprise est devenue le prototype de la manière dominante d’être au monde : échange et négociation, esprit de calcul, utilité et instrumentalité définissent les coordonnées naturelles de nos façons d’agir, de penser et d’interagir avec les autres. « Les relations sociales même les plus proches se trouvent colonisées par les réflexes de benchmark, de compétition et de réification d’autrui qui se déploient légitimement dans l’entreprise. »

Les compétences comportementales et le savoir-être

L’extension de la préoccupation mentale pour le travail, au-delà du temps légal consacré à celui-ci, affecte l’ensemble des métiers et des populations, et pas seulement les cadres. La sphère domestique est éventrée par l’intrusion du coin bureau, le « laptop » (l’ordinateur portable) et ses soucis ; quant aux temps de repos, ils sont entrecoupés par une connexion au travail maintenue par les nouvelles technologies.

Dans ce contexte, le manageur change de style de commandement : moins autocrate, sérieux et protestant, plus fun, coach et inspirant, il est là moins pour gérer les hommes que pour les développer personnellement, faire qu’ils se réalisent et s’épanouissent au travail. « Dans les entreprises hiérarchisées, le salarié est mis en autonomie, c’est-à-dire en incertitude sur lui-même, sa valeur et sa pérennité dans l’organisation ; mû par l’angoisse de la reconnaissance et la peur, et de moins en moins par une gestion de carrière formalisée et prévisible. »

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