Livre. A lui seul, il est une légende ouvrière, la figure emblématique du combat de Lip, cette entreprise horlogère de Besançon qui occupa le devant de la scène sociale à partir de juin 1973. Face aux menaces de licenciements, les ouvrières et les ouvriers de l’usine remettent la production en marche, sans patron. Leur lutte devient le symbole d’une unique expérience d’autogestion en France, qui s’achèvera par une semi-victoire suivie de moult péripéties. A 92 ans, Charles Piaget, qui, selon sa formule, était rentré après et durant dix ans dans sa « coquille », prend la plume pour livrer son témoignage. Avec humilité et franchise, il raconte, sans utiliser à aucun moment le mot « autogestion », son épopée.
Quarante-huit ans après, la fougue révolutionnaire de Charles Piaget est intacte. « Le salariat, écrit-il, n’est que la suite de l’esclavage et du servage. Il faut changer tout cela. Changer la société pour que chaque être humain soit producteur, à part entière ; citoyenne/citoyen à part entière. » Pour Piaget, la société de demain sera « celle d’une économie au service de toutes et tous ; une économie assurant des biens plus égalitaires ; une économie respectueuse de l’environnement et des êtres vivants ». Militant de la CFDT, il pratique l’unité d’action avec la CGT, mais le conflit va distendre les liens, surtout que Piaget ne veut pas laisser la conduite de la lutte aux syndicats et ne jure que par le « collectif ». Le syndicat, insiste-t-il, « doit pousser les salarié(e)s à se prendre en main, à diriger progressivement la lutte par eux-mêmes ».
« Laisse-nous respirer »
Pour faire plier le patron, Fred Lip, l’arme des salariés, c’est le comité d’action, « une sorte d’école de la revendication concrète et de la négociation » où tous sont « sur un pied d’égalité ». Si le conflit a consacré sa notoriété, Charles Piaget, à l’origine très croyant, ne la recherchait pas. Bien au contraire. « Tout leader, affirme-t-il, homme ou femme, est le signe d’un défaut de démocratie. »« Le leader ne vaut pas le collectif », martèle-t-il. Et il reconnaît ses contradictions : « Je voulais cette prise en charge totale de la lutte par les groupes autonomes de réflexion, de propositions et d’action. Mais, en même temps, je voulais néanmoins tout contrôler, vérifier, car j’étais toujours inquiet. Des Lip m’ont alors remis en place : “Tu parles d’autonomie et tu ne la respectes pas. Laisse-nous respirer.” » Il rappelle même l’épisode d’une négociation avec André Giraud, le ministre de l’industrie, où, s’étant éloigné de la « position commune », il se vit interdire de parole.
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La pratique du mentorat se développe en France avec l’appui du gouvernement. Le modèle, fondé sur une vision sur-mesure de l’orientation, reste limité dans son impact global.
Depuis la fin d’octobre 2020, le protocole national en entreprise prévoyait que pour les salariés qui pouvaient effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance, « le temps de travail effectué en télétravail était porté à 100 % ». Depuis janvier s’était ajoutée une « soupape » avec la possibilité de revenir un jour par semaine.
Depuis le 9 juin, l’assouplissement du télétravail amorce un retour à la normale pour les salariés. Le télétravail participe toujours de « la démarche de prévention » contre le Covid-19, mais n’est plus la règle. Un jour, deux jours, trois jours sur site : les scénarios de rentrée sont aussi nombreux que les réponses des entreprises aux questions d’autonomie de travail, de mobilité territoriale et de santé des salariés.
Si la tendance de fond dessine un retour très progressif et négocié, comment vivez-vous la perspective de retourner quelques jours au bureau ou à temps complet – selon ce qui a ou aura été négocié dans votre entreprise ? et comment vous y préparez-vous ? Avez-vous rencontré votre directeur ou directrice des ressources humaines (DRH), parlé avec vos manageurs afin de faire part de vos appréhensions – temps de transport, open space, bruit, craintes sanitaires, etc.
Votre témoignage, que nous lirons avec attention, pourra être utilisé dans le cadre d’un article à paraître dans Le Monde sur ce sujet. N’oubliez pas de mentionner un numéro de téléphone ainsi qu’une adresse électronique que vous consultez souvent, car nous pourrions être amenés à vous contacter pour des précisions. Votre anonymat pourra être préservé, si vous en faites la demande.
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Depuis quelques semaines, les 100 000 salariés que compte Nokia partout dans le monde peuvent, s’ils le souhaitent, indiquer leurs pronoms dans leur signature d’e-mails. Désormais fréquente sur les réseaux sociaux, l’inscription de ces « preferred pronouns » (« pronoms préférés ») permet à chacun d’indiquer quels pronoms reflètent son identité de genre. Elle est devenue un moyen de promouvoir l’inclusion des personnes transgenres.
« C’est très simple et très symbolique, par exemple sous ma signature j’ai inscrit “she/her”, explique Florence Dossogne, directrice de cabinet du président de Nokia France. Faire la promotion de cette initiative n’est toutefois pas complètement un long fleuve tranquille. Une petite minorité réagit mal et laisse des commentaires très négatifs sur le réseau social interne de l’entreprise. » Ces réactions véhémentes, signées pour l’essentiel « par des salariés installés hors de France », notamment en Pologne, dénoncent le soutien de l’entreprise à « une idéologie ».
En dépit de résistances, de grands groupes commencent en effet à s’emparer, en France, de la question du genre, en allant plus loin et plus vite qu’une large partie de l’opinion publique. Cette évolution intervient en interne, auprès de leurs salariés, mais aussi à l’adresse de leurs clients. Cette année, la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie (Idahot), célébrée chaque 17 mai, a ainsi été l’occasion pour plusieurs entreprises de s’adresser directement à la communauté transgenre.
« Identité réelle »
A l’instar de BNP Paribas. « Pour les personnes en transition, nous savons à quel point il est violent d’avoir des moyens de paiement qui ne correspondent pas à leur identité réelle, a déclaré lors d’une conférence Antoine Sire, le directeur de l’engagement d’entreprise du groupe. Sur toutes nos cartes bancaires, il est possible de supprimer sa civilité et de choisir le prénom qui doit y figurer. »
Le géant américain du paiement Mastercard a lui aussi annoncé, à l’occasion de l’Idahot, qu’une partie de ses clients transgenres et non binaires (personnes qui ne se ressentent ni strictement homme, ni strictement femme, mais entre les deux, un mélange des deux, ou aucun des deux) pourront désormais faire inscrire leur prénom choisi sur leurs cartes. Cette fonctionnalité (« True name ») se voit proposée en France et en Europe aux clients de Bunq, une néobanque néerlandaise. « Des associations nous ont expliqué que le nom sur la carte bancaire pouvait générer de l’embarras, du stress, voire des situations de violence pour les personnes transgenres ou non binaires. Or la carte n’est pas un papier d’identité, rien n’interdit de changer le prénom et le genre qui y figure », indique Geoffrey Seghetti, directeur marketing Europe de l’Ouest chez Mastercard, et coresponsable du réseau Pride Europe.
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DécryptagesLa montée en puissance des plates-formes musicales et des podcasts représente une menace pour le média préféré des Français, dont les audiences s’érodent. Il compte sur ses 40 millions d’auditeurs pour développer ses propres contenus à la demande et rajeunir son public.
Une semaine durant, entre le 31 mai et le 6 juin, la radio s’est autocélébrée, complimentée, encouragée. Sur toutes les antennes de France, les stations privées et publiques se sont réjouies de fêter le centenaire de la première émission de radio sur Radio Tour Eiffel, en 1921, mais aussi le quarantième anniversaire de la FM, née de la libération des ondes (elles étaient monopole d’Etat depuis 1945) actée par François Mitterrand, en 1981. On a réentendu l’appel de l’abbé Pierre en 1954 sur Radio Luxembourg, les horoscopes de Madame Soleil sur Europe 1 et les gros mots de Difool au micro de Skyrock. On s’est remis dans l’oreille les timbres d’avant les cigarettes de Jean-Luc Hees ou de Macha Béranger, et souvenu qu’il n’y a pas si longtemps, la radio des « Grandes Gueules », RMC, regorgeait de voix pleines de soleil.
« La radio, ce sont 40 millions d’auditeurs quotidiens et deux heures quarante-cinq d’écoute quotidienne en moyenne, s’est félicité Roch-Olivier Maistre, le président du CSA, à l’initiative de ces festivités. Elle est le média préféré des Français. » L’année 2020 a pourtant marqué un tournant. L’assiduité des auditeurs, que rien jusqu’ici ne semblait devoir altérer, s’est amoindrie comme jamais. En un an, plus de 2 millions de fidèles lui ont fait faux bond. Sur le marché de l’attention, les jeux vidéo, les séries de Netflix, les plates-formes musicales, les réseaux sociaux, la télévision, etc. lui disputent âprement le « temps de cerveau disponible » des consommateurs. Or, pour bercer leurs oreilles, ceux-ci se fient de plus en plus aux podcasts : près d’un tiers des internautes (31,3 %) en écoutent chaque mois, soit une progression de 5,3 points en un an, selon l’étude Global Radio de Médiamétrie parue en mai.
Baisse de 4,4 points entre 2020 et 2021
« La crise liée au Covid-19 a accéléré une situation qui préexistait, une tendance de fond que l’on observe depuis une à deux décennies », note Joël Ronez, fondateur du studio de podcasts Binge Audio et président du Syndicat des producteurs audio indépendants (PIA). De fait, le critère de l’audience cumulée, qui comptabilise le nombre (ou le pourcentage) d’auditeurs qui ont écouté au moins une radio au cours d’une journée, a accusé une baisse spectaculaire de 4,4 points entre début 2020 et début 2021, faisant passer la proportion d’auditeurs de 77,6 % à 73,2 % de la population française. Le contexte pandémique n’est pas étranger au phénomène, mais en 2010, ils étaient encore 82,7 %, et au premier trimestre 2003, selon le chiffre le plus ancien (établi avec la même méthode de calcul) que l’on puisse retrouver sur cette période, ils étaient 86,8 %.
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Caissiers, vendeurs, aides à domicile… Afin d’inciter les employeurs à améliorer la situation des « travailleurs de la deuxième ligne », mis en lumière lors de la crise liée au Covid-19, le premier ministre, Jean Castex, avait annoncé la reconduction sous une nouvelle forme de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, à l’issue de la troisième conférence du dialogue social le 15 mars. Les contours de cette nouvelle mouture de la « prime Macron » ont été précisés par le projet de loi de finances rectificatif 2021, présenté en conseil des ministres le 2 juin.
Il s’agit d’un avantage fiscal sous forme d’exonération de charges accordé aux employeurs qui choisissent de verser une prime. Mise en place en 2019 à la suite de la crise des « gilets jaunes », la prime a été prolongée en 2020 afin d’inciter les employeurs à récompenser les salariés continuant à travailler pendant la crise sanitaire du Covid-19. Elle est aussi exonérée d’impôts.
Comme l’année précédente, les employeurs qui décident de l’attribuer à leurs salariés sont exonérés de cotisations sociales sur le montant de la prime, à hauteur de 1 000 euros pour les salariés dont la rémunération n’excède pas trois smic sur les douze mois précédant son versement. Et ce, qu’ils soient ou non considérés comme des travailleurs de la deuxième ligne.
Négociations par entreprise ou branche
Le seuil d’exonération est porté à 2 000 euros si l’employeur a conclu un accord d’intéressement avant la date du versement de la prime, même si cet accord a été contracté des années auparavant. La nouveauté de l’édition 2021 de la prime Macron réside sur ce point : les employeurs engagés dans des « démarches » en vue de valoriser des travailleurs de la deuxième ligne pourront aussi verser à leurs employés une gratification exonérée de prélèvements sociaux et fiscaux jusqu’à 2 000 euros.
Le projet de loi précise qu’il s’agit d’abord d’identifier les salariés concernés ; ceux qui, « en raison de la nature de leurs tâches, ont contribué directement à la continuité de l’activité économique et au maintien de la cohésion sociale, et dont l’activité s’est exercée, en 2020 ou 2021, uniquement ou majoritairement sur site pendant les périodes d’état d’urgence sanitaire».
Afin d’améliorer les conditions de travail de ces salariés, souvent des femmes, exerçant des métiers difficiles et mal rémunérés, l’entreprise ou la branche doivent ensuite ouvrir des négociations en vue d’un accord portant sur au moins deux de ces cinq thèmes : rémunération et classification de cette catégorie de salariés (notamment au regard de l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes), nature du contrat de travail, santé et sécurité au travail, durée du travail et articulation entre la vie professionnelle et personnelle, formation professionnelle.
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Charles Touboul vient de passer un grand oral dont il se souviendra. Directeur des affaires juridiques des ministères sociaux, c’est principalement lui qui a défendu la position du gouvernement, jeudi 10 juin, lors d’une audience au Conseil d’Etat consacrée à la réforme de l’assurance-chômage. Durant un peu plus de trois heures de débats, le haut fonctionnaire a croisé le fer avec les avocats de sept syndicats et de quatre organisations de guides-conférenciers qui avaient saisi en référé la haute juridiction dans le but d’obtenir la suspension du décret du 30 mars, relatif à l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Avec trois autres membres de l’administration, il a dû également affronter les questions très précises d’Anne Egerszegi, la présidente de la séance : une mise à l’épreuve, par moments, puisque la magistrate est allée jusqu’à dire qu’elle était « un peu dubitative » sur certaines des réponses apportées par les représentants de l’exécutif.
L’audience de jeudi constitue l’énième épisode d’un affrontement, vieux de deux ans, entre le gouvernement et les centrales de salariés. A l’origine du différend, il y a la volonté du pouvoir en place de réaliser des économies tout en combattant la prolifération des contrats courts, qui serait favorisée par certaines des règles de l’assurance-chômage. Dans cette optique, un décret a été publié en juillet 2019 : il modifie en profondeur le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) – le paramètre servant à déterminer le montant de l’allocation versée aux demandeurs d’emploi. La mesure entraîne une baisse substantielle des sommes octroyées aux personnes alternant petits boulots et inactivité, par rapport à ce qu’elles auraient perçu avant la réforme : un choix justifié par la lutte contre la « permittence » – ces situations où les salariés travaillent continûment de façon intermittente. Le dispositif est couplé à un autre mécanisme appelé « bonus-malus » : il allège les cotisations des entreprises dont la main-d’œuvre est stable et majore les contributions des employeurs qui se séparent fréquemment de leurs collaborateurs.
Initialement programmée le 1er avril 2020, l’entrée en vigueur du nouveau SJR a été repoussée en raison de la crise sanitaire. Puis le Conseil d’Etat s’en est mêlé, à la suite d’un recours engagé par quatre syndicats (CFE-CGC, CGT, FO, Solidaires) : la haute juridiction a annulé, en novembre 2020, les dispositions sur les modalités de calcul au motif qu’elles portaient « atteinte au principe d’égalité », avec des écarts pouvant aller « du simple au quadruple » entre deux individus affichant un même nombre d’heures de travail. C’est pourquoi un autre décret, en date du 30 mars, a été pris : il entend corriger le tir grâce à un plancher qui atténue la diminution des prestations.
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Toute la journée jusque tard dans la nuit, Mouminy Sylla, 23 ans, et ses amis traînent autour d’un thé à Damdemayo, quartier populaire de Kédougou, ville enclavée du sud-est du Sénégal, à 700 km de Dakar. D’une main experte, le jeune homme remue la petite théière en ferraille avant de la reposer sur les braises, tandis que résonne l’appel à la prière.
« On ne fait rien, on attend que les sociétés minières qui exploitent l’or nous embauchent… J’ai déjà postulé plusieurs fois à un emploi non qualifié, mais même là on nous demande des diplômes. C’est très difficile, je suis l’aîné de la famille et je ne ramène pas d’argent à la maison », se désole Mouminy Sylla sous le regard de ses camarades, qui acquiescent de la tête.
Non diplômés et sans emploi, ils ont tous participé aux marches de protestation qui ont eu lieu dans la ville le 9 avril puis le 23 mai, à l’initiative de l’Association des élèves et étudiants ressortissants de Kédougou (Aeerk). L’objectif : tenter de bénéficier eux aussi d’une petite partie de la richesse locale en intégrant les sociétés minières étrangères installées dans la région.
L’or non monétaire est le produit sénégalais le plus exporté en 2019 (19 % des exportations totales), en quasi-totalité à destination de la Suisse. L’extraction se faisant principalement à Kédougou, le métal précieux est devenu un pilier de l’économie locale, avec une vingtaine desociétés minières présentes sur place – dont deux en exploitation effective –, mais aussi des milliers d’orpailleurs artisanaux et clandestins venus tenter leur chance.
Frustrations et incompréhension
Malgré cela, la région figure parmi les plus pauvres du Sénégal : on y enregistreun taux de chômage de 26,3 % (contre 15 % au niveau national). Les raisons de cette situation ? « Le manque de main-d’œuvre qualifiée comparé à la demande sur le marché du travail et un énorme défi de gouvernance », pointe un rapport du Timbuktu Institute sur cette zone frontalière du Mali et de la Guinée.
Ce contraste entre la précarité des populations et la richesse des sols nourrit les frustrations et l’incompréhension. Amadou Tidiane Sy est en train de terminer son master 2 en économie rurale et politique agricole à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (UCAD). Dans la capitale sénégalaise, il est logé dans l’un des trois immeubles que financent les sociétés minières en soutien aux étudiants de la région de Kédougou – une concession obtenue lors de précédents mouvements de revendications.
Mais lui aussi passe sa journée à discuter avec ses amis dans les rues de sa ville d’origine. « Nous avons des capacités. Même si nos diplômes ne correspondent pas toujours aux besoins directs des compagnies minières, elles font des formations en interne pour les personnes recrutées, auxquelles nous voudrions avoir accès », explique le jeune homme, qui se plaint du manque de transparence et d’accès à l’information dans les processus de recrutement. « J’ai envoyé mon CV, on m’a dit que j’aurais une réponse trois semaines plus tard. Et des mois après, j’attends toujours», raconte-t-il, défaitiste.
Des démarches que son camarade Mohamed Touré a aussi tentées pendant trois ans. Diplômé d’un master 2 en anglais à l’UCAD, il espère encore travailler comme interprète dans une des sociétés minières. « On nous a dit qu’on manquait de diplôme, donc on est allés à l’université, et maintenant on n’a toujours pas accès à l’emploi ! », s’exclame le jeune homme vêtu d’un maillot de football aux couleurs du Barça. Sa crainte est notamment que les parents hésitent désormais à investir dans les études de leurs enfants puisque leurs aînés, pourtant diplômés, sont contraints de travailler aux champs, faute d’emploi.
« Des postes à hauteur de nos diplômes »
Pourtant, selon les chiffres de l’inspection du travail, 56 % des 1 216 employés de la société australienne Petowal Mining Company (PMC), qui exploite la mine de Mako depuis 2018, sont résidents de la région de Kédougou. Le reste de la masse salariale vient à 35 % d’autres régions du Sénégal et 9 % sont des expatriés. Des ratios similaires sont observés dans la mine de Sabodala, exploitée depuis 2009 et rachetée par la multinationale canadienne Endeavour Mining en 2020, où 43 % des 1 690 employés sont des locaux.
Des chiffres qui ne convainquent pas Karamokho Samoura, président de l’Aeerk et étudiant en master 2 de géologie à l’UCAD. «Les emplois créés ne sont pas qualifiés. Les ouvriers travaillent dur, sont surexploités, et cela pour seulement 150 000 francs CFA par mois [229 euros]. Nous souhaitons un accès aux postes stratégiques à hauteur de nos diplômes », explique le jeune homme.
Inspecteur général du travail de la région, Mamadou Mbengue tente de modérer le propos. Il souligne que les entreprises mettent en place des comités locaux de recrutement et des ateliers de formation pour que les employés gagnent en compétences et puissent construire un plan de carrière. « Je connais des salariés embauchés comme ouvriers et qui sont devenus managers ou chefs d’équipe», assure-t-il, tout en reconnaissant que l’équation est difficile. Les sociétés recrutent surtout parmi les villages à proximité des sites miniers. « Le chômage se ressent donc davantage au niveau du centre urbain», admet Mamadou Mbengue.
Face à ce manque de perspectives dans le secteur minier, certains jeunes tentent de lancer leur propre entreprise. C’est le cas de Souleymane Diallo. Ce diplômé en économie et gestion a ouvert sa boutique multiservices de photocopie et de paiement mobile sur une des routes principales de Kédougou. « J’ai perdu espoir après avoir déposé des demandes d’emploi à plusieurs reprises. J’ai alors investi dans mon propre business afin de me débrouiller et avoir mon gagne-pain », témoigne-t-il.
Privilégier la main-d’œuvre locale
Les revendications des habitants ne concernent pas seulement le travail direct avec les mines. Il s’agit aussi d’obtenir davantage de retombées pour l’économie locale dans son ensemble.
A une trentaine de kilomètres de Kédougou, le village de Tomborokoto et ses cases en paille aux toits pointus sont tout proches de la mine de Mako, exploitée par PMC. C’est ici qu’habite Idrissa Diallo, qui travaille dans le bâtiment et le commerce. Avec d’autres jeunes du village, il milite pour que la société minière achète ses produits de consommation localement au lieu de se fournir à Dakar ou à l’étranger. « Que ce soit dans la restauration, le transport, l’hébergement ou la vente de volaille et de produits maraîchers, de nombreux emplois indirects pourraient être créés», assure-t-il.
Face à ce malaise, le gouverneur Saer Ndao a décidé de mettre tous les acteurs autour d’une même table. « Les sociétés minières ont fait des efforts pour endiguer le sous-emploi, mais si elles peuvent offrir des opportunités, elles ne peuvent pas tout résorber, estime-t-il. Elles doivent donc mieux communiquer auprès des jeunes et des autorités et être plus transparentes concernant les procédures de recrutement, qui doivent se faire en fonction du mérite et en privilégiant la main-d’œuvre locale. »
Contactées par Le Monde Afrique, les compagnies minières en cours d’exploitation n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Bonne nouvelle sur le front de l’emploi : malgré le Covid-19, les créations d’emplois ont enregistré un rebond plus fort qu’attendu dans le secteur privé au premier trimestre, progressant de 0,5 %, soit 88 800 créations nettes, selon l’estimation définitive publiée jeudi 10 juin par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
L’Insee a revu à la hausse son estimation provisoire du 7 mai, qui faisait état de 57 300 créations nettes d’emplois dans le privé (+ 0,3 %) entre la fin de décembre 2020 et la fin de mars 2021. Dans l’estimation provisoire, « on voyait que l’emploi privé augmentait au premier trimestre et c’était une surprise, parce qu’on avait prévu qu’il diminuerait. Et là, on confirme cette hausse et elle est même revue encore en hausse », a commenté Sylvain Larrieu, chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l’Insee. Dans une note de conjoncture, en mars, l’institut avait de fait prévu une légère baisse de l’emploi salarié au premier trimestre.
Avec l’emploi public, qui ne figurait pas dans la publication du début de mai et se stabilise quasiment (− 2 700 emplois), l’emploi salarié progresse globalement au premier trimestre de 0,3 % (+ 86 100 emplois), après − 0,1 % (− 22 800) au trimestre précédent. Mais au total, l’emploi reste encore « bien en dessous de son niveau de fin 2019 », avant la crise du Covid-19, rappelle M. Larrieu.
A la fin du premier trimestre, l’emploi salarié privé se situe 1,2 % sous son niveau de la fin de 2019 (soit − 243 400 emplois), tandis que l’emploi public dépasse son niveau d’avant crise de 0,6 % (+ 33 600). Au total, l’emploi salarié se situe au début de 2021 à un niveau comparable à celui du début de 2019, explique l’Insee.
La construction et la santé dépassent leur niveau d’avant crise
Au 1er trimestre 2021 et après de fortes fluctuations en 2020, l’intérim, boussole du marché de l’emploi, se stabilise quasiment (+ 0,3 %, soit + 2 400 emplois). Mais l’emploi intérimaire se situe en mars 2021 à 5 % sous son niveau de la fin de 2019 (− 39 600 emplois).
Hors intérim, l’emploi est quasi stable dans l’industrie (+ 0,1 % au 1er trimestre, soit + 1 900 emplois), mais reste là aussi inférieur à son niveau d’avant crise (− 1,8 % soit − 55 600 emplois). Dans le tertiaire marchand, hors intérim, l’emploi salarié progresse modérément (+ 0,4 %, soit + 47 900). Il reste nettement inférieur à son niveau de la fin de 2019 (− 2 %, soit − 239 600).
En revanche, il augmente nettement dans la construction (+ 1,4 %, soit + 19 800), dépassant amplement son niveau d’avant crise (+ 3,5 % par rapport à la fin de 2019, soit + 50 800). Enfin, l’emploi dans le tertiaire non marchand augmente de 0,2 % (+ 17 700). Il dépasse là aussi son niveau d’avant crise (+ 1 % par rapport à la fin de 2019, soit + 76 500), principalement dans le secteur de la santé (+ 3,5 %, soit + 55 900 emplois).
La répartition par secteurs est « relativement logique » au vu des effets de la crise, observe M. Larrieu. Deux d’entre eux ont un niveau d’emploi « nettement plus élevé qu’avant crise » : la construction et la santé, avec dans chacun de ces secteurs « environ 50 000 emplois de plus par rapport à avant la crise », la santé progressant à la fois dans le public et le privé, note-t-il. « Les pertes les plus importantes sont sans surprise dans l’hébergement, la restauration et les activités arts, spectacles, culture », très touchés par le Covid-19, autour de « − 10 % par rapport à leur niveau d’avant crise », poursuit l’expert.
A moins d’un an de l’élection présidentielle, l’avenir reste incertain sur le front de l’emploi, alors que le gouvernement compte sortir progressivement du « quoi qu’il en coûte ». L’Insee prévoit des prévisions au début de juillet sur l’évolution de l’emploi d’ici à la fin de l’année, qui permettront de voir « le chemin de retour à la normale ».
« On ne comprend toujours pas. » Quatre mois après l’annonce « brutale » de la fermeture de leurs usines de Roanne (Loire) et Schiltigheim (Bas-Rhin) et de leur délocalisation en 2022 à Singapour, les salariés de Bio-Rad ont encore du mal à y croire. Ce spécialiste de la conception et de la fabrication d’équipements de diagnostic en immuno-hématologie et pour le diabète « avait des commandes dans le monde entier. On faisait parfaitement notre travail, tout allait bien. Ça fait mal de se faire jeter dehors comme ça », se désole Thierry Vichot, technicien méthodes et secrétaire du comité social et économique (CSE) du site de Roanne.
Mercredi 9 juin, cet ancien de la maison, embauché il y a plus de trente ans par Noviloire − avant que l’entreprise ne soit cédée à Diamed, puis rachetée en 2007 par le groupe de biotechnologies américain Bio-Rad −, est venu, avec près de 70 autres salariés, manifester sa colère devant le siège français de l’entreprise à Marne-la-Coquette (Hauts-de-Seine). « On est résignés, les deux sites vont fermer, mais on veut simplement obtenir des conditions de départ dignes», explique Christian Berry, technicien.
Les 230 salariés (116 à Roanne et 114 à Schiltigheim) réclament notamment des indemnités financières plus généreuses, « à la hauteur d’un groupe en croissance qui fait 2,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires », glisse Franck Gaudier, gestionnaire de stock, ainsi que la mise en place d’un dispositif de départs anticipés. Mais à quelques jours du point final des négociations, prévu le 15 juin, le dialogue reste tendu, malgré quelques « maigres avancées » sur les indemnités de départ.
« Rester compétitif »
« Nos propositions sont pourtant raisonnables, c’est décevant », regrette Julien Coublé, technicien de contrôle qualité. Une désillusion de plus pour les salariés, encore choqués par la façon dont ils ont appris leur licenciement. « Ils ont installé des écrans géants, nous ont convoqués, et ont annoncé pêle-mêle dans une présentation les très bons résultats de l’entreprise puis nos licenciements. Un mois plus tôt, ils nous offraient des tee-shirts de l’entreprise et nous traitaient de héros pour notre travail pendant la crise sanitaire », raconte l’un d’eux.
Le groupe Bio-Rad, qui prévoit également une cinquantaine de licenciements à son siège français, explique de son côté « procéder à une transformation de certaines de ses activités afin de rester compétitif ». Un discours qui passe mal. « Notre carnet de commande est plein, ils nous ont même demandé récemment de faire des heures supplémentaires. Mais ils voient juste qu’ils font 15 % de profits avec nos machines, là où ils en feront 25 % en délocalisant à Singapour », analyse un salarié.
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