Archive dans mai 2021

Un employeur peut-il exiger la vaccination pour recruter ?

Question de droit social. Beaucoup de commerces, et en particulier cafés et autres restaurants attendent avec impatience leur réouverture juste avant un été prometteur. On comprend qu’ils veuillent éviter qu’un collaborateur contamine les autres dès la première semaine ou exerce son droit de retrait en invoquant la toux inquiétante d’une collègue. Si les gestes barrières restent obligatoires, une telle contamination ne peut être exclue. Se pose alors la question d’exiger une attestation dès l’embauche, sachant que la vaccination est possible pour toute personne majeure volontaire depuis le 12 mai. La solution est contestable en droit et son résultat incertain.

Ce n’est qu’après deux semaines qu’une première vaccination réduit drastiquement les risques graves, et la contagiosité. Et l’effet maximum n’intervenant qu’au bout de deux vaccinations séparées d’un ou deux mois, la saison sera finie. C’est donc largement en amont qu’il faut y réfléchir.

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Certes, l’article L. 3111-1 du code de la santé publique impose depuis longtemps des vaccins obligatoires (le BCG par exemple). Et si demain une loi française exigeait des personnes majeures un passeport sanitaire, général ou sectoriel, chaque employeur devrait alors veiller à l’application de ces règles d’ordre public. Mais, en attendant, ce n’est pas le cas.

D’ailleurs, tout salarié peut refuser d’être vacciné, indique le « Questions-réponses » du ministère du travail mis en ligne le 26 avril : « Il peut toujours refuser, et ce refus ne doit emporter aucune conséquence. »

Bon sens et respect

Et ce dès l’étape du recrutement. En effet, en application de l’article L. 1132-1 du code du travail : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (…), en raison de son état de santé ». Discrimination lourdement sanctionnée par le code pénal de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Pourquoi ? Parce qu’en l’absence d’impératif légal, nos choix de santé nous appartiennent. Ensuite, en matière d’informatique et libertés, nos très personnelles données de santé sont parmi les plus sensibles. Dans l’entreprise, elles sont confiées aux services de santé au travail, soumis au secret médical : en particulier à l’égard de l’employeur, même si le médecin du travail procède sur site à des vaccinations.

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Mais si l’on quittait la problématique égotique de notre société d’individus ? Car « l’homme n’est pas une île » et un salarié n’est pas Robinson : il vit au sein d’une communauté de travail. « Il incombe à chaque travailleur de prendre soin (…) de sa santé et de sa sécurité, ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail », énonce l’article L. 4122-1 : rappel de bon sens et respect minimum des collègues, et des clients. Mais cet article commençant par « conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur », ce dernier tenu par sa lourde obligation de sécurité demeure le premier responsable. Et finalement bien démuni face au si contagieux Covid-19, en l’absence d’obligation de vaccination, générale ou sectorielle.

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Temps de travail : négociations atypiques à la Mairie de Paris

Une curieuse négociation sociale est en train de s’achever à la Mairie de Paris. Réunion plénière mardi 18 mai, à l’Hôtel de ville, manifestation intersyndicale jeudi, appels à débrayer une heure par jour durant toute la semaine : les signes extérieurs sont ceux des tractations classiques entre un employeur décidé à revoir l’organisation du travail et des syndicats qui montrent leurs muscles pour défendre les acquis sociaux. Sauf qu’en l’occurrence les élus de Paris et les syndicats semblent d’accord sur l’essentiel. Leur objectif commun est, en quelque sorte, d’arriver à augmenter le temps de travail… sans augmenter le temps de travail.

Tout est parti de la loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique. Son principe est simple : le temps de travail effectif des fonctionnaires territoriaux doit être identique à celui de la fonction publique d’Etat, l’équivalent de trente-cinq heures par semaine. Une question d’égalité, pointée de longue date par la Cour des comptes. Dans certaines collectivités où les agents travaillent moins de trente-cinq heures, ce principe a du mal à passer. En particulier à Paris où, au fil des négociations avec Jacques Chirac, puis Bertrand Delanoë, le personnel de la ville a obtenu d’importants congés.

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« Non, on ne se la coule pas douce »

Pour les quelque 55 000 agents de la ville, le temps de travail de référence se limite aujourd’hui à 1 552 heures annuelles, au lieu des 1 607 heures classiques. « Et, dans de nombreux cas particuliers, ce temps est plus fortement réduit encore », avaient relevé les soutiens d’Emmanuel Macron durant la campagne des municipales. A l’époque, les macronistes militaient pour une remise en ordre de ce dispositif « dérogatoire et extrêmement coûteux », qui se combine avec un absentéisme parfois élevé. En 2017, la chambre régionale de la Cour des comptes avait estimé à 74 millions d’euros par an le coût de ce fort allégement du temps de travail.

Pas question pour Anne Hidalgo d’être accusée de gestion antisociale en pleine précampagne présidentielle

A présent, revenir au droit commun imposerait aux agents parisiens de travailler cinquante-cinq heures de plus par an, l’équivalent de huit jours. Une perspective vivement contestée par l’intersyndicale (CGT, UNSA, UCP, FSU, FO, CFTC), qui y voit une rupture du pacte social. « Non, on ne se la coule pas douce à la Mairie de Paris, s’énerve Simon Le Coeur, un des permanents CGT. Dans mon métier d’assistant social, il y a une charge mentale lourde, et quatre agents des Ehpad de la ville sont morts du Covid. Il faut continuer à diminuer le temps de travail, pas l’augmenter. » Le mot d’ordre de l’intersyndicale est explicite : « Pas une minute de plus ! »

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Après le meurtre de l’une des leurs, la colère des travailleurs sociaux

Audrey Adam, 36 ans, conseillère en économie sociale et familiale employée par le conseil départemental de l’Aube, était, depuis 2018, chargée des dossiers les plus délicats de personnes âgées en perte d’autonomie. C’est en allant, le 12 mai, rendre sa visite mensuelle à Jacques Javelle, ancien agriculteur de 83 ans qu’elle connaissait très bien, dans sa maison de Virey-sous-Bar, qu’elle a trouvé la mort.

Les premiers éléments de l’enquête laissent supposer qu’elle a été abattue alors qu’elle se trouvait sur le seuil de la maison de M. Javelle, d’un tir d’arme à feu tiré de l’intérieur où les gendarmes ont, ensuite, découvert le corps sans vie de l’octogénaire qui se serait, lui, donné la mort.

« C’est un séisme pour la famille d’Audrey Adam, son compagnon et leurs enfants de 9 et 4 ans, pour ses parents et pour notre collectivité tout entière, confie Philippe Pichery, président (sans étiquette) du conseil départemental de l’Aube. Rien ne laissait redouter un tel drame, surtout que les rapports de Mme Adam avec toutes les personnes dont elle assurait le suivi social, notamment ce monsieur, étaient cordiaux : il lui offrait régulièrement des œufs de ses poules ou des légumes de son jardin… Mme Adam était très appréciée de tous, c’était une personne chaleureuse et expérimentée puisque ayant déjà passé trois ans au service des tutelles pour personnes âgées », rappelle M. Pichery.

D’autres événements tragiques

Avant même que l’enquête, confiée à la section de recherches de Reims et à la brigade de recherches de Bar-sur-Aube, ait éclairci les circonstances de ce meurtre, les syndicats de travailleurs sociaux, dont le Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNU-ASFP) ont, dès le 14 mai, exprimé leur émotion et leur colère : « C’est avec stupeur et effroi que nous avons appris le décès d’une collègue assistante sociale (…) dans l’exercice de ses fonctions », expliquent-ils dans un communiqué, déplorant notamment « l’absence de déclaration du gouvernement ». Le texte rappelle d’autres événements tragiques récents, comme le meurtre d’un éducateur spécialisé, à Nantes, en 2015, celui d’une éducatrice spécialisée, à Poitiers, en 2017, ou, le 17 février 2021, celui d’un directeur de centre d’accueil pour demandeurs d’asile, à Pau.

« S’il s’agissait d’un policier, il y aurait eu un déplacement ministériel », regrette Alexandre Lebarbey, représentant CGT

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Danone : les chantiers du nouveau patron, Antoine de Saint-Affrique

Antoine de Saint-Affrique, PDG de Barry Callebaut à Lebbeke, Belgique en 2019.

Le nom du successeur d’Emmanuel Faber à la tête de Danone est désormais connu. A l’issue d’un processus mené en deux mois, Antoine de Saint-Affrique a remporté la mise.

Lundi 17 mai, le conseil d’administration présidé par Gilles Schnepp a adoubé le nouveau directeur général du fleuron de l’agroalimentaire français avec ses marques Evian, Activia, Blédina. Il se sait très attendu. Danone, secoué par une crise de gouvernance inédite, doit, en effet, relever de nombreux défis.

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« Une très forte expérience des métiers de la grande consommation, une dimension internationale, un bilan personnel marqué par la performance, une compatibilité indiscutable avec la culture, les valeurs et les engagements sociétaux de Danone, puis une adhésion au projet [de réorganisation] Local First. » C’est ainsi que M. Schnepp avait dressé le portrait-robot du candidat idéal au poste de directeur général du groupe français, lors de l’assemblée générale des actionnaires, jeudi 29 avril. Après avoir établi une première liste d’une douzaine de prétendants, le cabinet de chasseurs de têtes Spencer Stuart avait réduit sa sélection à quatre noms.

Deux femmes, Nathalie Roos, qui dirigeait l’activité des produits professionnels chez L’Oréal avant de quitter le groupe de cosmétiques en mars à la suite de la nomination du successeur de Jean-Paul Agon ; et Hanneke Faber, qui préside la division alimentaire d’Unilever. Et deux hommes, Max Koeune, président de la société canadienne McCain, une entreprise qu’il a rejointe après avoir travaillé chez Danone, et Antoine de Saint-Affrique, directeur général du Suisse Barry Callebaut, leader mondial du cacao.

Dans la dernière ligne droite, un ultime duel a opposé M. de Saint-Affrique et Mme Roos. Malgré un lobbying intense des milieux souhaitant la nomination d’une deuxième femme à la tête d’une entreprise du CAC 40, l’ex- « loréalienne » s’est fait coiffer sur le poteau.

Concilier économies et croissance

Dès son arrivée, le 15 septembre, le nouveau directeur général aura pour première mission de rassurer les 100 000 « danoners » et remettre les troupes en ordre de marche. Une tâche délicate après neuf mois agités entre crise de gouvernance, critiques virulentes d’actionnaires activistes et tempête médiatique. Le feuilleton s’étant conclu par le départ « avec effet immédiat » de M. Faber, le 14 mars. Depuis, Véronique Penchienati Bosetta et Shane Grant assurent ensemble la direction générale par interim.

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Affaire Terra Fecundis : le procès de la fraude au travail détaché

Après dix années d’enquête, une affaire inédite de fraude sociale est sur le point d’être jugée. Elle met en cause une entreprise de travail temporaire espagnole, Terra Fecundis. Trois de ses dirigeants devaient comparaître, à partir de lundi 17 mai, devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal de Marseille, pour travail dissimulé en bande organisée et marchandage de main-d’œuvre.

Les prévenus se voient reprocher d’avoir mis à disposition des milliers d’ouvriers originaires, pour la plupart, d’Amérique latine, sans les avoir déclarés dans les règles et en violant diverses obligations relatives au salaire minimal, aux temps de repos, aux durées maximales pendant lesquelles les personnels peuvent être employés, etc. Ces infractions se sont traduites par un lourd manque à gagner pour notre système de protection sociale, privé de cotisations qui auraient dû lui être versées : un peu plus de 80 millions d’euros entre le début de 2012 et la fin de 2015 – la période retenue par la procédure pénale. Cette somme, qui n’inclut pas les pénalités de retards (chiffrées, elles, à une trentaine de millions d’euros), va être réclamée par l’Urssaf, l’une des parties civiles dans le procès : son avocat, Me Jean-Victor Borel, confie n’avoir jamais eu connaissance d’« enjeux financiers » aussi importants dans un dossier de cette nature.

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Depuis une quinzaine d’années, Terra Fecundis s’est taillé une place de choix dans l’économie française en fournissant à des agriculteurs tricolores de la main-d’œuvre pour cueillir des fruits et des légumes. En 2019, la société espagnole comptait un peu de plus de 500 clients dans 35 départements. Au cours de certains exercices, son chiffre d’affaires annuel dans l’Hexagone a été estimé à près de 60 millions d’euros, une large partie de ce résultat étant imputable à des contrats signés avec des maraîchers des Bouches-du-Rhône et du Gard.

Organisation très verrouillée

Son activité a commencé à retenir l’attention de la justice dès la fin de 2010, avec un contrôle effectué par des gendarmes dans une exploitation de Saône-et-Loire, qui faisait appel à Terra Fecundis : à cette occasion, diverses entorses à la loi avaient été identifiées, conduisant à l’ouverture d’une enquête. D’autres investigations ont, ensuite, été engagées par plusieurs juridictions, en raison de manquements similaires décelés chez des agriculteurs qui recouraient, eux aussi, aux services de l’entreprise espagnole. Finalement, toutes ces procédures ont été centralisées à Marseille, conduisant le parquet à ordonner des poursuites en correctionnelle.

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L’autofinancement du Musée Rodin, sérieux handicap en temps de pandémie de Covid-19

« L’Homme qui marche », du sculpteur Auguste Rodin (1840-1917), à l’hôtel Biron, qui abrite le Musée Rodin, à Paris, le 12 novembre 2015.

Experte en sculpture du XIXe siècle, Amélie Simier vient d’arriver à la tête du Musée Rodin, après avoir dirigé le musée d’un autre sculpteur, Bourdelle – les deux artistes ayant entretenu d’abord des relations de travail avant une longue amitié. Le musée et son jardin en fleurs rouvriront au public le 19 mai, avec une exposition Picasso-Rodin, dont une thématique complémentaire sera présentée au Musée Picasso, à Paris. Tout est prêt, accroché aux cimaises, et le musée s’apprête à sortir de mois de torpeur. « Avec la jauge imposée de 8 mètres carrés par personne, cinquante visiteurs pourront voir l’exposition en même temps », souligne la nouvelle directrice.

Inauguré en 1919 dans l’hôtel Biron, dans le 7e arrondissement de Paris, le Musée Rodin a pour particularité d’être un musée national, sous la tutelle du ministère de la culture, qui s’autofinance à 100 %. L’artiste a donné ses biens et ses œuvres à l’Etat en 1916 et le musée a hérité du statut d’ayant droit du sculpteur. Il est détenteur du droit moral sur son œuvre et, à ce titre, peut effectuer et vendre des éditions originales de bronzes, produites à partir des moules ou des modèles originaux légués par l’artiste.

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Si « Rodin a été visionnaire en prévoyant les moyens d’autofinancer le musée », comme le souligne Amélie Simier, l’année 2020 s’est avérée financièrement difficile en raison de la pandémie de Covid-19. Selon le rapport annuel, la fréquentation a chuté de 73 %, à 147 846 à Paris, et à 5 217 dans le second site, à Meudon (Hauts-de-Seine), dans la villa des Brillants, où se situait l’atelier de Rodin.

Apports financiers

« La billetterie représente, en année normale, près de 50 % des recettes », rappelle Amélie Simier. Et, comme au Louvre ou au Musée d’Orsay, les trois quarts des visiteurs viennent de l’étranger. Or, le public extra-européen a disparu en 2020 et les voyageurs européens se sont raréfiés. Ce qui s’est traduit par une perte de recettes de billetterie de 2 millions d’euros. Toujours en raison du Covid-19, même si quelques manifestations ont pu se tenir en début d’année, comme le défilé Dior dans le jardin, les revenus des locations d’espace ont fondu de 64 %.

Auguste Rodin avait prévu douze exemplaires au maximum par œuvre, l’un d’eux restant systématiquement dans les collections du musée

Les ventes physiques de la boutique se sont effondrées, mais celles en ligne ont augmenté de 4 %. Amélie Simier se réjouit toutefois que les mécènes aient continué à soutenir le musée. L’appui financier de la caisse de réassurance CCR Re et d’AM Conseil a permis d’acquérir un trésor national, l’assemblage d’origine de la sculpture Je suis belle. Autre apport financier d’importance : deux œuvres monumentales issues du quota d’éditions originales en bronze encore possibles, le Monument à Victor Hugo ainsi que La Défense, ont été produites pour rejoindre les collections du Louvre Abu Dhabi.

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Travailler plus de 55 heures par semaine augmente le risque de décès, selon une étude

Un employée d’une entreprise de design.

Travailler plus pour… mourir plus jeune ? C’est ce que semble conclure une étude publiée lundi 16 mai l’Organisation mondiale de la santé et l’Organisation internationale du travail. Travailler plus de 55 heures par semaine augmenterait ainsi le risque de décès dus aux maladies cardiaques et aux accidents vasculaires cérébraux.

Cette première analyse mondiale des pertes de vies humaines et des atteintes à la santé associées aux longues heures de travail est publiée alors que la pandémie de Covid-19 accélère les évolutions susceptibles de renforcer la tendance à travailler pendant de plus longues heures. L’étude, publiée dans la revue Environment International, ne porte toutefois pas sur la pandémie, mais sur les années précédentes. Les auteurs ont synthétisé les données issues de dizaines d’études portant sur des centaines de milliers de participants.

« Travailler 55 heures ou plus par semaine représente un grave danger pour la santé », a souligné la Dr Maria Neira, directrice du département « environnement, changement climatique et santé » à l’OMS. « Il est temps que tous gouvernements, employeurs et salariés nous admettions enfin que de longues heures de travail peuvent entraîner des décès prématurés », a-t-elle ajouté.

Premier facteur de risque de maladie professionnelle

L’étude conclut que le fait de travailler 55 heures ou plus par semaine est associé à une hausse estimée de 35 % du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) et de 17 % du risque de mourir d’une cardiopathie ischémique par rapport à des horaires de 35 à 40 heures de travail par semaine. L’OMS et l’OIT estiment qu’en 2016, 398 000 personnes sont mortes d’un AVC et 347 000 d’une maladie cardiaque pour avoir travaillé au moins 55 heures par semaine.

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Entre 2000 et 2016, le nombre de décès dus à des cardiopathies liées aux longues heures de travail a ainsi augmenté de 42 %, un chiffre qui s’établit à 19 % pour les AVC. La plupart des décès enregistrés concernaient des personnes âgées de 60 à 79 ans, qui avaient travaillé pendant 55 heures ou plus par semaine lorsqu’elles avaient entre 45 et 74 ans.

En résumé, indique l’OMS, « maintenant que l’on sait qu’environ un tiers du total de la charge de morbidité estimée liée au travail est imputable aux longues heures de travail, cela en fait le premier facteur de risque de maladie professionnelle ». « Nous n’avons donc trouvé aucune différence entre les sexes en ce qui concerne l’effet des longues heures de travail sur l’incidence des maladies cardiovasculaires », a déclaré Frank Pega, expert à l’OMS, en conférence de presse.

La pandémie pourrait accentuer la tendance

Toutefois, la charge de morbidité est particulièrement importante chez les hommes (72 % des décès les concernent) car ces derniers représentent une grande part des travailleurs dans le monde. Elle est aussi plus importante chez les personnes vivant dans les régions du Pacifique occidental et de l’Asie du Sud-Est, où, a expliqué M. Pega, il y a davantage de travailleurs du secteur informel susceptibles d’être obligés de travailler pendant de longues journées.

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L’OMS est d’autant plus inquiète face à ce phénomène que le nombre de personnes travaillant de longues heures est en augmentation. Il représente actuellement 9 % du total de la population mondiale. La pandémie ne devrait guère aider à renverser la tendance. Au contraire. « Le télétravail est devenu la norme dans de nombreux secteurs d’activité, estompant souvent les frontières entre la maison et le travail. Par ailleurs, de nombreuses entreprises ont été contraintes de réduire ou d’interrompre leurs activités pour économiser de l’argent et les personnes qu’elles continuent d’employer finissent par avoir des horaires de travail plus longs », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS.

Mais, a-t-il averti, « aucun emploi ne vaut que l’on prenne le risque d’un accident vasculaire cérébral ou d’une maladie cardiaque. Les gouvernements, les employeurs et les travailleurs doivent collaborer pour convenir de limites permettant de protéger la santé des travailleurs ».

Le Monde avec AFP

En Moselle, la très lente reconversion des friches sidérurgiques

Un site de sidérurgie à Hagondange en 2014.

170 millions d’euros d’investissement, 500 emplois créés à terme dans les secteurs de la logistique, de la production d’énergie verte et de la recherche. En dévoilant son projet de reconversion de la partie nord de l’ancienne aciérie de Talange-Hagondange (Moselle), le groupe alsacien Beck a redonné de l’espoir au bassin d’emploi.

Pourtant, dans les allées du marché du vendredi, à Hagondange, il n’y a pas d’euphorie. Comme souvent, ici, « on attend de voir ».

En Lorraine, la reconversion des friches industrielles est un défi qui occupe élus et fonctionnaires depuis une bonne cinquantaine d’années. Dans cette aventure, il y a eu de nombreux mirages et espoirs déçus. Le site de l’aciérie de Talange-Hagondange est à ce titre emblématique. Bâtie par l’industriel Thyssen au début du XXe siècle, l’aciérie a été la plus importante d’Europe. Spécialisée en produits longs, elle était l’une de ces nombreuses cathédrales qui dessinaient la ligne d’horizon du Texas lorrain.

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« Au début des années 1980, c’était la première usine de cette envergure à fermer en France, se souvient le maire de Talange, l’ancien sénateur Patrick Abate (Parti communiste français). A l’époque, ce n’était pas forcément un choc social car la sidérurgie avait mis beaucoup d’argent dans des dispositifs de départs avantageux. En revanche, le choc psychologique était violent. Cette première fermeture, c’était un symbole. »

« Ce parc avait suscité un tel espoir »

L’Etat-providence mitterrandien promet alors une intervention puissante pour offrir une reconversion. Le projet retenu ne sort pas de l’esprit d’un énarque ou d’un polytechnicien. Mais de l’imagination de deux commerçants hayangeois qui rêvent d’implanter ici un Disneyland à la française. Des dizaines de millions de francs sont alors débloquées, de grandes entreprises publiques mobilisées. C’est la naissance de l’un des premiers grands parcs d’attractions de France, Big Bang Schtroumpf, inauguré le 9 mai 1989… Et en faillite seulement deux ans plus tard !

Ce qui devait être le symbole de la reconversion industrielle illustrait en fait les difficultés qui s’annonçaient en la matière

Depuis, le parc a changé de nom et de propriétaires plusieurs fois, sans jamais approcher de l’objectif des 1,8 million de visiteurs et 1 000 emplois directs promis. En 2019, avant la crise sanitaire du Covid-19, à peine 300 000 personnes avaient visité le complexe, rebaptisé Walygator Grand-Est. « Ce parc avait suscité un tel espoir, se souvient Patrick Abate. Je me souviens de discussions avec des collègues au cours desquelles on se demandait s’il ne fallait pas élargir les places de nos parkings, pour pouvoir accueillir les grosses voitures des Américains… »

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« On est là pour l’entreprise, pas pour l’actionnaire » : vingt-quatre heures de la vie d’un administrateur judiciaire

Maître Eric Etienne-Martin (au centre), associé au sein du cabinet d’administrateurs judiciaires AJ UP, avec son équipe, à Lyon, le 4 mai 2021.

Ce mardi de la fin d’avril, confinement et vacances scolaires ont plongé le quartier de bureaux autour de la Part-Dieu, à Lyon, dans une torpeur digne d’un 15 août. Mais, à l’inverse des Lyonnais qui semblent avoir déserté la ville, Eric Etienne-Martin est « descendu » de Saint-Etienne, où il réside, pour une journée chargée. Associé au sein du cabinet d’administrateurs judiciaires AJ UP, qu’il a créé en 2017, il doit conduire deux réunions avec les dirigeants de sociétés en procédure de sauvegarde afin de préparer les prochaines audiences au tribunal de commerce.

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A 10 h 30, tout est en place pour la première réunion autour de Dominique L. (le prénom a été modifié), patron d’une entreprise industrielle confrontée à une double difficulté. Manifestement tendu, celui-ci est venu accompagné de son experte-comptable, qui va mener les discussions. Son avocat est également présent, en visioconférence. La société de Dominique L. évolue sur un marché en déclin et peine à compenser la perte de chiffre d’affaires consécutive à cette baisse structurelle d’activité, avec 300 salariés. La crise liée au Covid-19 n’a rien arrangé.

Se faire accepter par des dirigeants qui n’ont pas choisi leurs interlocuteurs est l’un des enjeux de ce métier

De surcroît, il est en conflit avec l’ancien actionnaire de son entreprise, qui estime que le prix de cession a été sous-valorisé et réclame aujourd’hui des sommes importantes à titre de complément. Une procédure de sauvegarde a été ouverte en novembre 2020, dans la douleur. Le dirigeant aurait préféré régler ses difficultés sans passer par la case tribunal de commerce. « Je lui ai dit : “Ce n’est pas une procédure amiable qu’il vous faut, c’est une procédure judiciaire”, relate Me Etienne-Martin. Cela a été très difficile de lui faire entendre. »

Se faire accepter par des dirigeants en grande difficulté et qui n’ont pas choisi leurs interlocuteurs est l’un des enjeux de ce métier, qui souffre parfois d’une réputation sulfureuse. « Avoir recours à l’administrateur judiciaire, c’est une boîte à outils comme une autre, qu’il faut dédramatiser, explique-il. Mais les dirigeants ont peur. Ils se disent : “Je vais perdre le contrôle, ils vont vendre ma boîte, je ne sais pas quels intérêts ils servent…” »

Trouver des solutions concertées

Dominique L. l’admet, c’est bien de la méfiance qu’il a ressentie au départ. « J’ai eu le sentiment de mettre le doigt dans un engrenage et de perdre mon autonomie », confie-t-il. « Mais les discussions en amont m’ont rassuré. J’ai compris, après quelques jours de réflexion, que c’était la bonne voie. On a décidé d’y aller. Quatre mois après, on a fait le bon choix, on est en capacité de trouver des solutions et de travailler sur la restructuration de la société. »

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