Archive dans avril 2021

« Se poser la question de jeter l’éponge, c’est terrible » : les entrepreneurs face à la tentation de l’abandon

« Personnellement et psychologiquement, c’est un poids en moins. Je ne passe plus mes journées devant mon ordinateur, en me demandant comment je vais payer mes factures. C’était un métier passion, je l’ai exercé pendant vingtcinq ans, mais, pour moi, désormais, l’événementiel, c’est terminé. » Martial Berger fait partie de ces entrepreneurs à bout de souffle qui ont préféré, après un an de crise, poser les crayons et passer à autre chose.

Ce passionné de musique et d’image, qui travaillait autant pour des réceptions privées que pour des événements comme le Tour de France, gagne désormais sa vie comme manutentionnaire en intérim. Un soulagement, paradoxalement. Sa société, MB Prod, est en sommeil. Il s’apprête à licencier ses deux salariés et l’entreprise sera liquidée en juin, « s’il ne se passe toujours rien » sur le front des concerts, spectacles et autres festivals, ajoute-t-il, avec une vague nuance d’espoir.

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Le choix de Martial Berger, d’autres l’ont fait, dans un contexte parfois moins douloureux. Laetitia Tarabelli, à la tête de Bubbly Event, organisait des événements culturels ou des expositions temporaires, souvent pour le compte d’entreprises. Entre les salles fermées, les rassemblements interdits et les budgets de « communication corporate » (promotion de l’image d’une entreprise en interne) revus à la baisse, elle a vite compris qu’elle avait mangé son pain blanc. « Cet hiver, je me suis dit : cela fait huit mois que je me bats, à un moment, je vais m’épuiser physiquement et mentalement. Il a fallu dire stop pour mon bien-être. »

Soutien de l’Etat

Le hasard faisant – parfois – bien les choses, Mme Tarabelli reçoit, le jour de son 50anniversaire, un coup de fil providentiel : une amie lui parle du projet de start-up de son frère, un nouveau concept de salons virtuels pour rapprocher viticulteurs, négociants et cavistes, en l’absence des traditionnels événements. Il y a une place à prendre pour s’associer dans le projet. Tentant… « [Mais] il m’a fallu un mois pour me décider à les rejoindre », concède la quinquagénaire. Finalement, elle saute le pas. Désormais chargée d’aider les clients de VinoVirtual à organiser leurs événements, elle a mis Bubbly en sommeil. « Nous sommes quatre dans ma nouvelle entreprise, on forme une belle équipe…, confie-t-elle. Je crois que j’ai maintenant fait le deuil de mon ancienne société. Voir au jour le jour, c’est au moins une chose que le Covid m’aura apprise. »

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Le recentrage du câblier Nexans sur l’électricité inquiète les salariés

Photo de bobines prise le 11 juin 2002, à Bourg-en-Bresse, dans l'entreprise Nexans.

Pertes financières, plans sociaux à répétition, menaces d’OPA, crise de gouvernance : depuis une dizaine d’années, le câblier Nexans a connu de multiples difficultés et n’est pas passé loin de la disparition. Redevenu bénéficiaire en 2020, l’entreprise entre désormais dans une nouvelle ère : un recentrage stratégique de ses activités sur les câbles et les solutions pour le transport et la distribution d’électricité, un secteur porté par la transition énergétique. Ce virage se traduira par un désengagement de l’automobile, des télécoms et de l’industrie (automatismes, ferroviaire, maritime…) qui inquiète les salariés.

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La nouvelle politique de Nexans avait été annoncée, mi-février, lors de la présentation de résultats 2020 marqués par un bénéfice net de 80 millions d’euros (– 118 millions d’euros en 2019). Son directeur général, Christopher Guérin, a précisé ses « intensions stratégiques » et tenté de lever les fortes inquiétudes des salariés, jeudi 15 avril, lors d’un comité de groupe européen. « Il n’y a pas d’agenda caché, il n’y aura ni restructurations ni fermetures d’usines », indique-t-il au Monde, en rappelant que l’entreprise, qui emploie 26 000 personnes (2 300 en France) et réalise 6 milliards de chiffre d’affaires, a bien traversé la crise économique et sanitaire.

« Il n’y a pas d’agenda caché, il n’y aura ni restructurations ni fermetures d’usines », Christopher Guérin, directeur général de Nexans

« Avec le conseil d’administration, nous n’avons pas fait des choix financiers mais stratégiques. C’est la pérennité de l’entreprise qui est en jeu à un horizon de dix ans », insiste M. Guérin. A moins d’avoir une taille critique qui permet d’être généraliste, comme l’italien Prysmian, numéro un mondial du secteur, l’avenir est désormais à des « méga-spécialistes » capables d’investir dans la recherche et développement, les usines et la force de frappe marketing et commerciale sur un marché de plus en plus concurrentiel.

Un pure player de l’électricité

Nexans ne possède cette taille critique que dans l’électricité, qui représente déjà 60 % de son activité. Il ne l’a pas dans d’autres secteurs, pourtant très rentables, ce qui lui fait perdre de nombreux appels d’offres. Pour l’heure, ses parts de marché s’érodent face à Prysmian, deux fois plus gros, ou à d’autres concurrents, dont deux sociétés chinoises qui l’ont déjà dépassé par la taille sur un portefeuille d’activités pourtant plus ciblées.

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Méconnues, les écoles du paysage sensibilisent les étudiants à un urbanisme durable

Les élèves de master 1 de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles travaillent sur les liens ville-campagne.

Ce vendredi matin, la trentaine d’étudiants de l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSP), bottes en caoutchouc aux pieds, papotent devant les locaux historiques de l’école. Derrière eux, le potager du roi étale ses formes géométriques. L’ambiance est à la rigolade : malgré le mauvais temps, ils sont impatients à l’idée de la séance « d’arpentage » du jour, qui vient clore cette semaine d’atelier. Dans cette année de cours en grande partie à distance, chaque jour de terrain est précieux pour ces amoureux de grand air.

Anciennes mais peu connues, les sept écoles du paysage françaises accueillent au total quelque 600 élèves. Parmi elles, quatre préparent au diplôme d’Etat de paysagiste (DEP), qui confère le grade de master (bac + 5) : l’ENSP, située à Versailles (Yvelines) et Marseille, les Ecoles nationales supérieures d’architecture et du paysage de Lille et de Bordeaux, et l’Ecole de la nature et du paysage de Blois (Loir-et-Cher).

La formation démarre par un cycle de deux ans, accessible après le bac via Parcoursup (dossier et entretien). La majorité des étudiants intègrent ensuite, sur dossier, le cycle DEP, en trois ans, jusqu’au master 2. Il est également possible d’intégrer ces écoles à bac + 2 par un concours commun, dont les épreuves viennent d’être remaniées. Soixante-six places sont proposées cette année – pour un taux de réussite avoisinant les 30 %. Un système d’admissions sur dossier permet également à une trentaine d’étudiants d’entrer directement en master.

Un recrutement diversifié

Les trois autres écoles de paysage sont plus scientifiques. Accessible sur concours à bac ou bac + 3, la formation d’Agrocampus Ouest (Angers), en cinq ans, débouche sur un diplôme « d’ingénieur du paysage ». Tout comme celle de l’Itiape, à Lille : cet établissement privé, rattaché à l’ISA-Lille, forme en trois ans après un bac + 2 des ingénieurs du paysage par la voie de l’alternance. A Paris, l’Ecole supérieure d’architecture des jardins (ESAJ), privée également (comptez 8 250 euros l’année), est axée sur l’étude du vivant. Elle délivre en trois ans après le bac un bachelor d’assistant paysagiste, et en cinq ans un mastère paysagiste.

Entre la sensibilité plus forte de la jeunesse au réchauffement climatique et l’intérêt renouvelé, en ces temps de pandémie, pour le cadre de vie, la filière « a le vent en poupe », veut croire Michel Audouy, secrétaire général de la Fédération française du paysage. « Si, pour l’instant, le nombre de candidats est relativement stable », remarque-t-il, les écoles ont en revanche « diversifié leur recrutement », avec des jeunes qui viennent de licences de géographie ou d’environnement, d’écoles d’architecture, d’horticulture, mais aussi des arts appliqués.

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Assurance-chômage : le gouvernement veut revoir sa copie pour ne pas pénaliser les femmes parties en congé maternité

Tous ceux qui aiment être tenus en haleine par la réforme de l’assurance-chômage peuvent se réjouir : un épisode supplémentaire, non prévu au programme, vient de pimenter ce feuilleton qui dure depuis trois ans et demi. Alors que les nouvelles mesures sur l’indemnisation des demandeurs d’emploi ont été édictées dans un décret du 30 mars, le gouvernement envisage déjà de revoir sa copie. A l’origine de cette énième péripétie, il y a – une fois de plus – les nouvelles modalités de calcul de l’allocation, dénoncées par les syndicats : devant entrer en vigueur le 1er juillet, elles risquent de pénaliser – entre autres – les femmes parties en congé maternité et les personnes placées au chômage partiel. Le ministère du travail se dit prêt à reprendre le décret « s’il le faut ». « Ça donne une impression de brouillon », lâche un responsable d’une centrale de salariés.

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Le casse-tête auquel se heurte l’exécutif porte un nom : salaire journalier de référence. Il s’agit d’un élément central dans l’assurance-chômage – « le cœur du réacteur », selon la formule de Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacle –, puisqu’il sert à déterminer le montant de la prestation. Le gouvernement a voulu modifier les termes de l’équation permettant de fixer le salaire journalier de référence car ceux qui prévalaient jusqu’à maintenant engendrent, d’après lui, des « iniquités » : en agissant ainsi, « nous mettons fin au fait que le salarié qui travaille tous les jours à mi-temps a une allocation qui est quasiment la moitié de celui qui travaille un jour sur deux ou une semaine sur deux », comme l’a redit la ministre du travail, Elisabeth Borne, dans Le Monde du 8 avril.

Les transformations appliquées au salaire journalier de référence sont susceptibles d’avoir des incidences préjudiciables sur les ressources d’une partie des demandeurs d’emploi : durant la première année d’application de la réforme, quelque 1,15 million d’individus pourraient se voir octroyer une indemnisation inférieure de 17 % en moyenne à celle qu’ils auraient touchée en vertu des règles antérieures, selon l’Unédic, l’association paritaire qui pilote le régime. La baisse affecterait en particulier ceux qui alternent petits boulots et périodes d’inactivité.

Des diminutions moins fortes que prévu

Précision importante : les diminutions du niveau mensuel de la prestation seront moins fortes que celles qui se seraient produites si la réforme avait été mise en œuvre dans sa version originelle, par le biais d’un décret paru en juillet 2019. Ce texte a finalement été réécrit, pour atténuer la baisse et pour tenir compte d’une décision du Conseil d’Etat, qui avait annulé, en 2020, les dispositions prises un an plus tôt sur le salaire journalier de référence, au motif que celles-ci portaient « atteinte au principe d’égalité ». D’où l’élaboration d’un nouveau décret, évoqué précédemment, en date du 30 mars.

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Assurance-chômage : le gouvernement reconnaît un « problème » dans le calcul des allocations

Elisabeth Borne a déclaré : « J’ai demandé à mes services de prendre contact avec l’Unédic pour qu’on règle ce problème et c’est ce qu’on va faire. »

Comme l’a révélé une étude réalisée par l’Unédic, il y a bien un « problème » dans le calcul des allocations liées à la réforme de l’assurance-chômage concernant les personnes ayant été en chômage partiel ou en congé maternité. La ministre du travail, Elisabeth Borne, l’a elle-même reconnu jeudi 15 avril sur CNews : « J’ai demandé à mes services de prendre contact avec l’Unédic pour qu’on règle ce problème et c’est ce qu’on va faire. »

L’organisme paritaire qui gère l’assurance-chômage a effectué des simulations sur les conséquences de la réforme, qui doit entrer en vigueur au 1er juillet, avec un nouveau mode de calcul des allocations moins favorable aux demandeurs d’emploi qui alternent régulièrement périodes de chômage et d’activité.

L’Unédic étudie le cas de deux salariés avec les mêmes périodes d’emploi et des rémunérations égales mais dont l’un aurait été placé en chômage partiel. Ce dernier se retrouverait avec une allocation mensuelle réduite d’un tiers par rapport à celle du second salarié.

Même scénario pour les salariés ayant bénéficié d’un congé maternité ou maladie, avec un écart d’allocation à peu près similaire. « On n’a pas choisi d’être en activité partielle, et donc l’objectif, c’est qu’on ne soit pas pénalisé », a rappelé Mme Borne. « Il y a un effet qui ne correspond pas à ce qu’on souhaite faire donc on va le corriger », a-t-elle ajouté. La ministre a insisté sur le fait qu’il n’y avait « aucune raison d’être pénalisé dans son allocation-chômage si on a été en congé maternité ou en activité partielle ».

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Référé de la CFDT devant le Conseil d’Etat

Invité de RMC un peu plus tôt dans la matinée, le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Laurent Berger, a assuré avoir « alerté le ministère » des conséquences de la réforme.

Il a annoncé que la CFDT allait déposer prochainement un recours en référé devant le Conseil d’Etat contre le décret d’application de la réforme modifiant les règles de calcul.

« A vouloir réformer à tout prix de façon anachronique, (…) on tape sur les chômeurs et on a fait une politique du doigt mouillé », a déploré M. Berger.

Dans un communiqué, la CFDT rappelle « plusieurs points de contestations possibles » du décret. « Les nouvelles modalités de calcul du salaire journalier de référence pourront conduire à une inégalité de traitement entre deux demandeurs d’emploi ayant travaillé le même nombre d’heures mais selon un rythme différent », insiste-t-elle.

« Par ailleurs, il existe entre autres un risque de discrimination indirecte au détriment des salariés en arrêt maladie, en congé parental ou placés en activité partielle pendant la crise, qui percevront, du fait de ces périodes, des allocations moindres. »

Lire l’entretien : « Les demandeurs d’emploi concernés vont avoir un lourd sentiment d’injustice »

Le Monde avec AFP

Cadres : les entreprises en veulent moins

Les cadres sont inhabituellement la cible de plans de départ des grandes entreprises en pleine transformation organisationnelle. Quelques exemples : dans la sidérurgie, chez ArcelorMittal, « l’accord d’aménagement du temps de travail des seniors ne précise pas qui est ciblé, mais il vise indirectement cadres, agents de maîtrise et tous les cols blancs, le personnel support et les chercheurs », indique Frédéric Weber, représentant Force ouvrière du Comité restreint européen d’ArcelorMittal.

Dans les services, Orange, qui compte gagner en productivité et en simplification sur les métiers intellectuels, veut poursuivre la diminution de ses effectifs en stimulant les outils de mesure d’âge, afin de cibler davantage les fonctions de pilotage que les emplois proches du terrain. Enfin, dans l’automobile, Michelin, qui prévoit 2 300 suppressions de postes d’ici à 2023, aimerait bien réduire les strates des manageurs.

Surtout des départs non remplacés

Pour l’instant, rien de visible dans les statistiques de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) sur les prévisions de recrutement en 2021. « On n’observe pas de redémarrage, mais ça ne replonge pas », estime Pierre Lamblin, directeur du pôle études de l’APEC. Le volume d’offres d’emploi de cadres au premier trimestre n’est plus en recul que de 24 % par rapport à la même période en 2019 (2020 n’étant pas une année comparable à cause du Covid-19).

Les habituelles locomotives du recrutement que sont les services informatiques, la recherche et développement, le conseil et la bancassurance affichent une baisse de, respectivement, 30, 29, 44 et 31 % en mars. Les seuls secteurs qui n’ont pas réduit leurs embauches sont, sans surprise, la santé et l’action sociale (+ 28 %), l’industrie pharmaceutique (stable) et la gestion des déchets (+ 4 %). Mais excepté ceux de la santé, tous les métiers sont touchés par la baisse du recrutement. « Après 2008, il a fallu sept ans pour revenir au niveau de volume d’offres d’avant crise », relativise M. Lamblin.

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La réduction du nombre de cadres annoncée par les transformations numériques et les réorganisations passe par des départs non remplacés, plutôt que par une baisse des embauches. Ainsi, chez Orange encore, le renouvellement de l’accord générationnel vise à accroître les opportunités de départ. « Les postes ne sont pas supprimés par anticipation, mais tous les départs ne sont pas remplacés », confirme la direction du groupe.

Covid-19 et « perte de capital humain » : l’exemple du Japon

Chronique. Cent mille morts du Covid-19 en France, un million en Europe, trois millions dans le monde… Au deuil des familles s’ajoute ce que les économistes appellent, avec une distanciation suspectée de cynisme calculateur, la « perte de capital humain ». Toute perte de vie humaine implique en effet une perte de force de travail, de compétence professionnelle, de créativité potentielle – et donc de facteurs de production et d’enrichissement économique.

Le spécialiste du marché de travail japonais Ryo Kambayashi, professeur à l’Institut de recherches économiques de l’université Hitotsubashi (Tokyo), et Kentaro Asai, doctorant à l’Ecole d’économie de Paris, ont eu l’idée de croiser les données sur la reconstruction et le développement économique de chacune des « préfectures » (départements) japonaises après la seconde guerre mondiale avec les données sur les pertes militaires subies par chacun de ces départements, mesurées par l’évolution du ratio entre hommes et femmes (« Consequence of Hometown Regiment », présentation au séminaire d’histoire économique de l’Ecole d’économie de Paris, 31 mars, non publié).

2 millions de soldats morts sur 7 millions mobilisés

En effet, comme la France et la Grande-Bretagne au début de la première guerre mondiale, le Japon recrutait ses unités militaires sur une base géographique : tous les hommes d’une même communauté (village, ville, quartier) se retrouvaient dans le même régiment. Par conséquent, si celui-ci se trouvait envoyé en première ligne et anéanti, c’était toute la population masculine âgée de 18 à – plus ou moins – 35 ans d’une même communauté qui disparaissait. Pour éviter cette catastrophe des « pals regiments » (régiments de copains), les armées alliées de la première guerre mondiale firent bientôt « tourner » les unités sur le front et leurs zones de recrutement à l’arrière, mais ce ne fut pas le cas de l’armée nippone pendant la seconde guerre mondiale, qui perdit 2 millions de soldats sur 7 millions mobilisés, soit 2 % de la population totale et… 12 % des hommes en âge de travailler.

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Les pertes étaient donc très inégalement réparties : si les régiments en garnison sur les îles du Pacifique, qui furent les cibles des batailles d’anéantissement lancées par les Américains, ou bien en Mandchourie, face à l’offensive soviétique d’août 1945, disparurent presque entièrement, ceux qui étaient sur les atolls contournés et isolés par la stratégie américaine de « saute-mouton » ou qui combattaient en Chine furent partiellement épargnés. Ce qui met à mal le mythe, largement partagé au Japon, de l’égalité de la nation face aux désastres de la guerre…

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« On se rend compte qu’on n’est pas seules » : des aides à domicile en mal de reconnaissance font leur tour de France

« C’est bon pour la salle ? » Smartphone dans une main, stylo dans l’autre, cahier sur les genoux, Aurore (les personnes citées dont le nom n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat) tente de résoudre les derniers problèmes logistiques, en utilisant la banquette arrière de la voiture comme bureau. Des sachets de brioches Pitch témoignent de la longueur du voyage et du peu de temps accordé aux pauses déjeuner. De toute façon, les restaurants sont fermés et les budgets, serrés. Et puis, ces trois-là ont l’habitude : quand on est aide à domicile, « on vit un peu dans sa voiture ».

« Le week-end, je fais parfois 8 heures-21 heures sans pause. Je mange entre deux bénéficiaires en conduisant, si j’y arrive ! Sinon, je me gave de pastilles Vichy ! », explique, avec son accent niçois, Marie, 51 ans, assise à l’avant. Elle fait ce métier depuis vingt ans.

« Aurore, elle, son truc, c’est les Pitch ! » A 40 ans, elle est devenue employée à domicile en 2019, dans des villages des Pyrénées : « J’ai répondu à l’annonce le jeudi ; le lundi suivant, je commençais, sans aucune formation. » Au volant, c’est Anne, 50 ans, assistante de vie depuis cinq ans à Bordeaux : « Depuis peu, je fais des nuits. C’est “hard” la nuit, il y a toutes les angoisses qui remontent et tu ne peux appeler personne. »

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Ces femmes se sont lancées dans une drôle d’aventure : un « road trip » comme elles disent, à la rencontre de leurs collègues aides à domicile, mais aussi d’élus à même de relayer leur cause. En février, sur leurs congés, elles ont sillonné le Sud et l’Ouest, de Tarbes à Nice, de la Lozère au Morbihan, en passant par le Loir-et-Cher.

Fin mars, à la veille du troisième confinement, elles ont repris la route pour le Grand-Est, dormant chez l’habitant, et même dans le théâtre occupé de Dijon. Ce jour-là, elles ont rendez-vous dans une salle associative de Saint-Dié-des-Vosges (Vosges).

Clés de voiture serrées dans la main, Christelle s’arrête, hésitante, sur le pas de la porte : « C’est bien ici pour la réunion ? » A 48 ans, elle est auxiliaire de vie depuis cinq ans pour une association, à raison de 104 heures par mois. « Enfin, je suis payée 104, mais j’en fais plus… » Elle souffle. « Pourquoi tu es venue, toi ? », questionne Anne de sa voix douce. « Bah, il faut que ça bouge. Sur les salaires, les conditions de travail… Sur tout, quoi ! Y a encore cinq filles qui ont démissionné ce mois-ci, pour une seule embauche. Si on reste le cul sur notre chaise, rien ne bougera. » Un bon résumé de ce qui a poussé Anne, Aurore et Marie à prendre la route pour venir jusque-là.

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Transport aérien : « Supprimer les vols intérieurs revient à exposer les territoires à des risques de délocalisation, à des suppressions d’emplois »

Tribune. Comment réduire les effets néfastes du transport aérien ? Telle était la question posée aux membres de la convention citoyenne pour le climat. Les réponses ne se sont pas fait attendre : interdire et taxer. Les représentants du secteur aérien sont en droit de se demander ce que l’on a bien pu raconter aux membres de cette convention pour voir traité de la sorte un secteur fort de plus de 320 000 salariés, aussi vital pour l’économie des territoires, la vie des entreprises et la mobilité des citoyens.

Le projet de loi Climat et résilience en cours d’examen au Parlement s’inscrit dans la même logique : le seul moyen de réduire les émissions du transport aérien, c’est d’arrêter de prendre l’avion. Cette logique de décroissance appliquée uniquement à la France est mortifère et déconnectée des réalités d’un transport aérien mondialisé. Tout concourt à ce que l’usage de l’avion se développe d’abord et surtout en Asie, en Afrique et en Amérique latine. En Europe, le trafic est plus mature, mais l’avion reste incontournable.

En France, la suppression des vols intérieurs repose sur l’idée que le train peut devenir un substitut à l’avion. Ceci est illusoire, car le report modal a déjà eu lieu à la mise en service des lignes à grande vitesse (LGV) principalement depuis et vers Paris, entraînant dès lors la fermeture des lignes aériennes sans besoin de légiférer.

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La croissance du trafic des vols domestiques s’est majoritairement effectuée sur les liaisons région-région, là où le train est incapable de proposer une réponse aux besoins de mobilité rapide et efficace des Français (+ 70,8 % entre 2009 et 2019). Cette situation ne changera pas, à moins de quadriller le territoire français de nouvelles LGV, aussi inconcevables d’un point de vue écologique qu’intenables pour les finances publiques.

Régression de la mobilité

Supprimer les vols intérieurs revient à exposer les territoires à une régression de la mobilité des Français, à des risques de délocalisation d’entreprises, à des suppressions d’emplois. Et tout cela pour quoi ? Les lignes visées par le législateur représentent 0,04 % des émissions de C02 générées par les transports.

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De plus, dès 2022, les émissions des vols intérieurs seront entièrement compensées et, dans quelques années, les futurs avions, hybrides ou électriques, seront utilisés en premier lieu sur les lignes régionales. Alors, que faire pour concilier l’utilisation de l’avion avec la nécessité de réduire l’empreinte carbone du secteur ? Avant de parvenir à l’objectif ultime de l’avion zéro carbone, il faut rapidement prendre des dispositions pour réduire à plus court terme les émissions.

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Pour attirer les jeunes diplômés, les entreprises doivent montrer qu’elles se battent pour l’emploi

« Après m’avoir obligée à venir au bureau alors que ce n’était pas nécessaire, ma chef m’a finalement accordé la possibilité de télétravailler depuis le domicile de mes parents. Et encore, parce qu’elle m’a fait une faveur », souffle Léopoldine (son prénom a été changé). Depuis son entrée dans l’entreprise, en décembre 2020, elle regrette que sa supérieure n’ait pas voulu adapter son management aux nouvelles conditions de vie imposées par la crise sanitaire. On ne l’y reprendra plus : cette jeune diplômée de l’Essec et de l’école du Louvre cherche un nouveau travail. Et elle y regardera désormais à deux fois pour savoir comment les entreprises se sont occupées de leus ressources humaines depuis l’arrivée du Covid-19.

Les crises économiques sont un révélateur de la culture des entreprises. « Elles mettent en valeur leurs défauts, leurs avantages, et surtout leurs pratiques en matière de ressources humaines », pointe Christine Erhel, la directrice du centre d’études de l’emploi et du travail au Conservatoire national des arts et métiers.

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Pour parfaire leur réputation auprès des jeunes diplômés, Mathieu Gabai, président d’Epoka, un cabinet de conseil auprès des entreprises spécialisé dans la stratégie de ressources humaines et de communication, leur recommande de rassurer les candidats. « Les jeunes diplômés sont dans l’attente. Il y a moins d’offres et plus de candidats. Mais ce n’est pas parce qu’il y a plus de postulants que ce sont de bons profils. Il est indispensable de continuer à attirer les meilleurs », note-t-il.

Gare au retour de bâton

D’autant qu’avec une croissance du PIB de 5,8 % annoncés par le Fonds monétaire international pour la France en 2021, ces jeunes devraient être particulièrement convoités dans les mois à venir. « En sortie de crise, la croissance va avoir une répercussion sur l’emploi : les employeurs vont se battre pour aller chercher les meilleurs candidats », anticipe Arnaud Bioul, associé senior du cabinet de recrutement Michael Page. Et de rappeler, en guise d’avertissement, que « dans les années 1990-2000, les entreprises qui se sont mal comportées en termes d’emploi ont connu un fort retour de bâton. A l’échelon d’un bassin d’emploi, une entreprise peut difficilement cacher qu’elle n’investit pas dans ses ressources humaines ».

En période de vaches maigres, les entreprises ont tout à gagner à montrer qu’elles se battent pour préserver l’emploi. Quitte à proposer des choses inimaginables avant la pandémie, comme chez Disneyland Paris, où a été expérimenté le « CDI poly-compétence ». Cette formule permet à un employé d’être formé à plusieurs métiers dont il pourrait être amené à assurer les fonctions selon les besoins. Cette innovation, qui permet de limiter le recours à l’activité partielle, a été favorablement accueillie par la CFDT, majoritaire au sein du parc d’attractions. « L’adaptation à une situation de crise est favorablement perçue. Lorsque la négociation est bien menée, le dialogue social peut témoigner de la capacité de rebond de l’entreprise, ou au contraire, montrer ses limites », note Christine Ehrel.