Archive dans mars 2021

L’argot de bureau : le « nudge », une injonction qui ne dit pas son nom

Lorsqu’il a collé au centre de chaque urinoir la photo d’une mouche, le responsable de la propreté de l’aéroport d’Amsterdam ne se doutait pas qu’il venait d’effectuer le « nudge » le plus célèbre de l’histoire. Cette incitation inconsciente à viser une cible a réduit les frais de nettoyage de 20 % !

En management, le « nudging » est une méthode « douce » fondée sur l’encouragement. Dans un stage de remotivation des équipes par le saut en parachute, Corinne, la directrice, choisit de ne pas donner une grande claque dans le dos de Jean-Michel, qui a le vertige. Imprégnée de « nudging attitude », au moment fatidique, elle lui inflige plutôt une poussette indolore, ce petit rien qui lui fera surmonter ses peurs et effectuer le grand saut. Le voilà qui s’élance en criant. Arrivé au sol, il sera pourtant fier de lui.

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Pour saisir le concept, il suffit de se tourner, comme souvent, vers l’origine du mot anglais : « to nudge » signifie « pousser du coude ». En économie comportementale, puis en marketing, en management et même en politique publique, ce « coup de coude » a progressivement acquis une connotation positive.

Oui à la proposition, non à l’injonction

Le but est de provoquer la bonne décision : discrètement, on persuade le salarié d’agir d’une manière raisonnée avec le savoir-faire qu’il possède. L’idéal est qu’il ne s’en rende pas compte et pense qu’il a eu l’idée tout seul. Le nudging joue donc sur les émotions, les instincts, et tous les « biais cognitifs » qui nous éloignent des comportements rationnels, pour que l’on soit plus efficace. Pour paraphraser le père de l’économie Adam Smith, on pourrait donc parler d’une « main invisible » du management.

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Le nudging fait le pari de l’accompagnement plutôt que celui de la subordination, et préfère la proposition à l’injonction. Il est souvent qualifié de « paternalisme libertarien », car il se dit bienveillant et non contraignant. Dans le métro lyonnais, une expérimentation datant de 2014 consistait à afficher des messages d’encouragement sur les marches d’escalier, comme : « Ta bonne santé est au bout de cet escalier »… Opération réussie, cela a permis de mettre « en panne » l’escalator plus souvent, et d’économiser de l’énergie.

L’art du changement inconscient

En entreprise aussi, les changements vertueux pour les salariés le sont surtout pour la boîte. « Le vrai paternalisme, c’est d’aimer les autres pour soi-même », disait Pierre Dac. La pratique vise à accroître l’engagement au travail.

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Danone : le conseil d’administration écarte le PDG Emmanuel Faber

Emmanuel Faber, alors PDG de Danone, au ministère des finances, à Paris, en 2017.

La situation était intenable. Selon nos informations, le conseil d’administration de Danone a acté dimanche 14 mars dans la soirée le départ immédiat du PDG Emmanuel Faber. Depuis des mois, le dirigeant était dans le viseur de certains actionnaires qui le jugeaient responsable des mauvaises performances du géant agroalimentaire face à ses concurrents comme Nestlé ou Unilever.

Gilles Schnepp, ancien patron de Legrand qui vient de rentrer au conseil de Danone, prend la présidence. En attendant le recrutement d’un directeur général, le groupe sera piloté par un tandem formé par Véronique Penchienati-Bosetta, directrice générale international, et Shane Grant, directeur général Amérique du Nord.

Dans une vidéo diffusée en interne début mars, M. Faber dénonçait « des attaques inacceptables d’activistes » contre Danone, contre le conseil d’administration et lui-même. Mais ces derniers jours, les tensions s’étaient exacerbées entre lui et une partie grandissante de son « board ».

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Demi-mesure

Dans un premier temps, le 1er mars, les administrateurs du groupe, très divisés, avaient tenté de trouver un compromis. M. Faber avait promis d’abandonner son poste de directeur général pour devenir président, une fois qu’une pointure serait recrutée à la tête de Danone. Très vite, toutefois, cette solution était apparue comme une demi-mesure.

« Les changements annoncés par Danone violent les plus basiques des standards de gouvernance d’entreprise, avait répliqué dans une lettre la société de gestion américaine Artisan, se présentant comme le troisième actionnaire du fleuron français, avec environ 3 % du capital. Avec M. Faber comme président, le directeur général à venir n’aura pas la latitude nécessaire pour fixer un nouveau cap. Le nouveau directeur général pourra simplement mettre en œuvre la stratégie déjà établie par M. Faber, et dans ces circonstances, il est très improbable qu’un dirigeant de classe mondiale accepte ce rôle. »

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Egalité des chances : « Aux quotas, ratios, cartes et zonages, privilégions une approche globale »

Afin de réduire les inégalités sociales et territoriales d’accès aux filières d’excellence, Bixente Etcheçaharreta et Cyprien Canivenc, responsables de la fédération nationale Des territoires aux grandes écoles (DTGE), plaident, dans une tribune au « Monde », pour un meilleur accès à l’information, pour un soutien financier des étudiants, ainsi que pour le développement d’une offre de proximité.

Renault met en vente la fonderie de Bretagne, les salariés « ne se laisseront pas faire »

Maël Le Goff (à gauche), délégué CGT, le 29 mai 2020, devant le site Renault de Caudan.

Voilà près d’un an que les 350 salariés de la fonderie de Bretagne à Caudan (Morbihan) redoutaient la nouvelle. Jeudi 11 mars, dans le cadre de son plan d’économies, Renault a annoncé la mise en vente du site de production de pièces automobiles.

Une décision unanimement désapprouvée par les salariés en assemblée générale vendredi. « C’est une poudrière ici, prévient Maël Le Goff, délégué CGT. On ne se laissera pas faire, on repart au combat ».

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Le ciel s’est obscurci le 20 mai 2020 pour la fonderie bretonne : ce jour-là, des éléments du plan d’économies que Renault s’apprête à officialiser pour faire face à une crise majeure fuitent dans Le Canard Enchaîné. L’usine de Caudan figure parmi les quatre sites français menacés de fermeture. L’article fait sur place l’effet d’une bombe, alors que Renault vient d’obtenir un prêt garanti par l’Etat de cinq milliards d’euros.

Les salariés décident d’occuper
le site jour et nuit tandis que les élus locaux montent au créneau

Les salariés décident d’occuper le site jour et nuit tandis que les élus locaux montent au créneau. Selon Le Canard Enchaîné, le ministre Jean-Yves Le Drian, ancien maire et député de Lorient, serait allé jusqu’à menacer de quitter le Quai d’Orsay pour que Renault recule.

Le 29 mai, soulagement. La marque au losange détaille son plan d’économies de plus de 2 milliards d’euros sur trois ans (un milliard d’économies supplémentaire a été annoncé en janvier 2021). Il prévoit 4 600 suppressions d’emplois en France mais pas la fermeture du site breton, pour qui est lancée une « revue stratégique » confié au cabinet Advancy. Une série de réunions avec des élus locaux jusqu’en février 2021 doivent permettre d’analyser la situation du site breton.

« Un repreneur ? Mais qui ?  »

Mais deux jours plus tard, le président de Renault, Jean-Dominique Senard, en déflore l’épilogue, au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI : « Clairement je pense que cette entreprise n’a pas vocation à rester dans le groupe Renault ».

Jeudi 11 mars, Renault a brièvement fait part dans un communiqué des conclusions de la revue stratégique : « Le site doit diversifier ses activités et poursuivre la réduction de ses coûts de production ». Et annoncé faire le choix de chercher un repreneur « plus à même de pérenniser les activités et les emplois et d’adapter l’outil industriel aux évolutions du secteur ».

« Un repreneur ? Mais qui ? Liberty, qui ferme en ce moment la fonderie du Poitou ? Ça ne va pas se bousculer ! Et nous, on a déjà donné, on a vu nos conditions de travail dégringoler », rappelle Maël Le Goff. Renault avait déjà revendu la Fonderie de Bretagne en 1999 à Teksid-Fiat, avant de la reprendre en 2009.

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Contre les géants Deliveroo ou Uber, des livreurs en liberté

Par

Publié aujourd’hui à 14h59

Antoine Hosin, livreur à vélo et co-fondateur de Beefast, le 13 février, à Amiens. Mathieu Farcy/Signatures pour M Le magazine du Monde.

Un vendredi soir à Amiens, par temps d’épidémie. La nuit et le couvre-feu ont vidé depuis 18 heures les rues de la préfecture de la Somme. Sous l’éclairage public, seules quelques ombres, à vélo ou à scooter, battent encore le pavé, le dos bossué par un sac cubique. Au pied de la cathédrale Notre-Dame, ces porteurs des temps modernes ne sont pas sans évoquer les portefaix du Moyen Age, ployant sous leur volumineux ­fardeau. Il y a quelques heures encore, ils étaient indistincts dans l’intense circulation et la cohue des piétons et des cyclistes. Des quidams qu’on ne remarquait ni ne regardait. Des invisibles, malgré leur protubérance isotherme et leur difformité physique. Ils se fondaient dans le paysage urbain. Désormais, on ne voit qu’eux, ces coursiers. Amiens leur appartient.

Au Sushi Shop de la joliment nommée rue des Corps-Nuds-Sans-Teste, les clients ne sont en effet plus que des êtres sans tête. A 18 heures pétantes, une femme est repartie avec la dernière vente à emporter de la journée, il n’y a désormais plus que des fantômes numériques qui clignotent sur les écrans d’ordinateur. Les commandes affluent par dizaines, par l’intermédiaire des ­multiples plateformes de livraison. La mécanique est admirablement huilée dans le restaurant. Pas un cri, peu de mots, une économie de gestes.

Les sacs en papier sont posés sur un bout de table, près de la porte d’entrée. Les coursiers vérifient les références sur leur téléphone et sur le colis, les enfouissent dans leur baluchon et filent. Sur un plan électronique de la ville, des épingles lumineuses indiquent les adresses à servir, afin de rationaliser les parcours mais aussi de surveiller le temps mis pour les accomplir. Contraste entre la décontraction de l’ambiance, la désinvolture des tenues et la pression permanente qu’imposent l’outil informatique et la dictature des algorithmes. Les plateformes promettent que ne s’écoule pas plus d’une demi-heure entre la commande et la livraison. Même sans bleu de chauffe, en cuissard et en blouson en Gore-Tex multicolore, il reste là quelque chose de la chaîne d’usine, du taylorisme et des Temps modernes, version XXIe siècle.

Local, éthique, écologique et social

Antoine Hosin, 23 ans, avait déjà soixante kilomètres dans les jambes quand on l’a retrouvé en fin d’après-midi. Lui s’est rebellé contre cette exploitation. En 2020, il a décidé de créer sa propre plateforme, 100 % picarde, baptisée BeeFast. Une application qu’il veut « locale, éthique, ­écologique et sociale ». Il a lancé également une association du même nom et trouvé une poignée de coursiers prêts à mutualiser les efforts. Des initiatives semblables, il s’en crée dans d’autres villes : Cyclôme à Clermont-Ferrand, Naofood à Nantes, Kooglof ! à Strasbourg. CoopCycle, une fédération qui compte 41 adhérents, tente de coordonner ces initiatives locales. Le temps des formalités administratives, BeeFast est enfin opérationnel en ce début de 2021. Les « abeilles rapides » rêvent désormais de populariser dans les rues d’Amiens leurs sacoches jaune et noir et leur nouvelle façon de travailler.

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Les travailleurs des plates-formes numériques devraient élire des représentants en 2022

Les livreurs à vélo et les conducteurs de voiture de transport avec chauffeur (VTC) vont bientôt sortir du désert syndical dans lequel ils errent aujourd’hui. Vendredi 12 mars, plusieurs recommandations ont été remises au gouvernement afin de structurer le dialogue entre ces travailleurs indépendants et les plates-formes numériques qui ont recours à eux. Les préconisations émanent d’une mission coordonnée par Bruno Mettling, ancien directeur des ressources humaines de l’opérateur de télécommunications Orange. Elles ont vocation à être reprises dans une ordonnance que l’exécutif devrait présenter dans la deuxième quinzaine d’avril, au plus tard. L’objectif est d’améliorer le sort d’une catégorie dont les conditions de travail et la couverture sociale sont nettement moins bonnes que celles des salariés.

L’une des idées saillantes défendues par la mission vise à faire « émerger des représentants légitimes des travailleurs », selon la formule de M. Mettling. Au printemps 2022, une élection nationale sera organisée, présentant deux opérations distinctes : l’une pour les livreurs, l’autre pour les chauffeurs VTC. Il s’agira d’un vote électronique à un tour, qui aura lieu tous les deux ans : pourront y participer les travailleurs affichant au moins trois mois de chiffre d’affaires durant les six mois précédant la date à laquelle la liste électorale sera arrêtée.

Lire aussi la tribune : « Il est temps que la loi reconnaisse le droit des travailleurs des plates-formes numériques d’être représentés »

Le scrutin sera ouvert à toutes les organisations, c’est-à-dire aux syndicats, mais aussi aux collectifs de travailleurs indépendants qui ont vu le jour au cours des dernières années. « C’est une innovation forte par rapport aux règles prévalant à l’heure actuelle dans le privé », souligne M. Mettling, faisant allusion au monopole de désignation dont bénéficient les confédérations de salariés : celles-ci sont, en effet, les seules à pouvoir se présenter au premier tour d’élections professionnelles dans les entreprises, les listes non syndiquées ne pouvant concourir qu’au second tour (s’il a lieu).

Création d’une nouvelle instance

Les candidats devront avoir recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés pour être considérés comme représentatifs et avoir ainsi la possibilité de s’asseoir à la table des négociations. Les sujets de discussion susceptibles d’être abordées s’inspirent de suggestions formulées par Jean-Yves Frouin, ex-président de la chambre sociale de la Cour de cassation, dans le rapport qu’il avait remis à Matignon en décembre 2020 sur la régulation des plates-formes numériques. Plusieurs de ces thématiques sont extrêmement sensibles : fixation du prix de la prestation, qui joue un rôle déterminant sur le revenu du livreur et du chauffeur ; règles relatives au temps de travail ; circonstances justifiant la rupture de la relation entre la plate-forme et le travailleur ; partage des informations, en particulier en ce qui concerne les algorithmes qui orchestrent les livraisons et les courses, etc.

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Statut des chauffeurs VTC : le syndicat INV a saisi le tribunal administratif

« Madame la ministre, allez-vous enfin saisir l’inspection du travail pour protéger ces travailleurs plutôt que les plates-formes ? », a lancé Olivier Jacquin, sénateur (groupe socialiste, écologiste et républicain, SER) de Meurthe-et-Moselle, à l’intention d’Elisabeth Borne, ministre du travail, le 10 mars, lors des questions au gouvernement. Depuis début 2020, l’Intersyndicale nationale VTC (INV), qui déclare rassembler 2 000 chauffeurs Uber, tente, en vain, d’obtenir un contrôle de l’inspection du travail dans cette plate-forme.

Lire le reportage : « On prend tout parce qu’on n’a pas le choix » : l’angoisse des chauffeurs VTC

Cette dernière, estime l’INV, pratique du travail dissimulé en recourant à des autoentrepreneurs au lieu de salariés, et ne respecte pas les règles de santé et de sécurité au travail. Après une année 2019 où « trois chauffeurs, qui travaillaient dix à quinze heures par jour selon leurs épouses, sont morts subitement en rentrant chez eux », explique-t-il, Brahim Ben Ali, secrétaire général de l’INV, est très inquiet. En pleine crise sanitaire, et alors que la Cour de cassation a reconnu, le 4 mars 2020, que le statut d’autoentrepreneur d’un chauffeur VTC d’Uber était « fictif », il alerte par e-mail, le 5 juin, l’inspection du travail sur les problèmes de pénibilité et de santé au travail et sur l’existence de travail dissimulé.

La crise du Covid-19 ayant raréfié la clientèle des VTC, ils doivent travailler beaucoup plus pour espérer gagner de quoi vivre. « Enormément de nos collègues sont épuisés, s’alarme M. Ben Ali. Le compteur dans les véhicules limite les heures de conduite à dix heures par jour. Mais les chauffeurs restent connectés dans leurs voitures quinze ou seize heures pour ne pas rater de courses. Certains dorment même dedans ! »

« Décision implicite de rejet »

Il saisit donc officiellement l’inspection du travail pour qu’elle mène un contrôle. « Les services de l’inspection du travail n’ont pas compétence pour intervenir » car « les chauffeurs concernés n’ont pas le statut de salariés », lui est-il répondu dans un mail du 9 juin. Même une « mise en demeure hygiène et sécurité » pour faire cesser un danger, comme cela s’est fait chez Amazon en avril, est impossible. « Après échanges avec ma direction, cette mesure n’est pas envisageable, car les chauffeurs concernés n’ont pas le statut de salariés », écrit l’inspectrice saisie.

Jérôme Giusti, avocat au cabinet Metalaw, qui représente 167 chauffeurs Uber et l’INV, écrit alors à Elisabeth Borne, ministre du travail, le 27 octobre. Il estime que la réponse de l’inspectrice constitue « un raisonnement par l’absurde ». Certes, l’inspection du travail n’exerce en principe sa mission qu’à l’égard d’employeurs ayant des salariés. Mais en cas de soupçon de travail dissimulé, il en va autrement. Sinon, comment pourrait-elle remplir son rôle de contrôle du respect de la législation en matière de travail dissimulé ? Il demande donc à la ministre de diligenter un contrôle.

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Covid-19, un an après : « Il faut construire un néosyndicalisme pour les travailleurs de plate-forme »

Tribune. Ils travaillent souvent dans des conditions difficiles, voire dangereuses, et cela pour des salaires de misère (500 euros par mois pour 250 000 d’entre eux). Ils ne bénéficient d’aucune couverture sociale, donc pas de droit à des congés à de la formation, à des points de retraite. Des sans-papiers ? Non, des sans-statut. Ils sont environ 1,3 million en France : livreurs de repas, chauffeurs ubérisés, travailleurs à domicile réalisant des microtâches sur leur ordinateur, de plus en plus nombreux à l’heure du couvre-feu et du télétravail.

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Tous, néanmoins, ont un point commun : ils ne peuvent avoir du travail que apr le biais d’une plate-forme. Là aussi, le numérique a transformé les relations du travail. Grâce à la plate-forme, plus aucun lien entre une entreprise qui a ponctuellement un besoin et un demandeur de travail. L’entreprise s’affranchit ainsi des contraintes contractuelles : pas de salariés, donc pas de charges ni contraintes juridiques, pas de problème de recrutement, de formation, de licenciement. C’est la plate-forme qui fixe au travailleur les plages de disponibilité, les critères d’efficacité, de qualité de la prestation. Les optimistes y voient le retour à la liberté de l’artisan. Le coursier répond aux missions qui lui conviennent. Pas de contrat de travail, donc pas de lien de subordination. La liberté oui, mais aussi la précarité. Le coursier qui se retrouve à l’hôpital, jambe cassée, immobilisé pour deux mois, de quelles ressources dispose-t-il ?

Dans tous les pays, le législateur s’efforce de clarifier la situation de ces nouveaux travailleurs. En France, à l’occasion de la loi d’orientation des mobilités, l’Etat s’en est mollement préoccupé. La justice constitue-t-elle une voie de recours ? Des actions sont intentées. Les dossiers se révèlent complexes pour obtenir une requalification en contrat de travail. Aucune action de groupe n’a pour l’instant vu le jour.

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Sans doute pour prévenir une loi plus contraignante, certaines plates-formes tentent d’améliorer la situation, soit en prenant en charge une partie des frais d’entretien des vélos de leurs coursiers, soit, comme Deliveroo, en mettant en place une couverture maladie. Just Eat France vient de secouer le monde des plates-formes en créant un réseau de livreurs salariés, en CDI de surcroît. Quelque 350 coursiers en bénéficient à Paris. La formule pourrait s’étendre aux grandes villes de France, avec 4 500 recrutements possibles. En contrepartie, quelques exigences, comme une tenue et un comportement corrects, l’image du restaurant qui fait livrer étant en jeu.

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« La croyance selon laquelle le mérite détermine la réussite est fausse »

Tribune. Ouvrant une séquence visiblement destinée à rééquilibrer l’axe politique du quinquennat de droite à gauche, le président de la République, Emmanuel Macron, a multiplié les annonces liées à l’égalité des chances : le 11 février, un millier de places supplémentaires créées dans des « Prépas Talents » et des parcours spécifiques dans certaines grandes écoles, le 12 février lancement d’une plate-forme « anti-discriminations », le 1er mars un programme d’incitation au mentorat.

L’intention, à l’évidence, est louable. Oui, il faut permettre à chacun de ne pas être assigné au milieu social dans lequel il est né. Oui, il est absolument nécessaire de redémarrer l’ascenseur social qui, dans notre pays, est en panne depuis des années. Les chiffres sont éloquents. Les deux tiers des étudiants des grandes écoles sont issus des catégories sociales très favorisées (« Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », Rapport n° 30, Institut des politiques publiques, janvier 2021).

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A l’inverse, les étudiants issus des catégories défavorisées ne représentent que 9 % des effectifs. Ce ne sont plus des titres de noblesse, mais des diplômes que la classe dominante transmet à ses bambins, et le fossé entre les étudiants riches et pauvres s’apparente aujourd’hui à un véritable apartheid social. Le pire est sans doute que cela dure depuis longtemps.

Le revers de la méritocratie

Ainsi, dans le même rapport, on découvre que les chiffres n’ont que très peu varié depuis vingt ans. Nous vivons dans un système d’héritiers, décrit par le sociologue Pierre Bourdieu en… 1964. Aucun signe, aucune statistique ne peut accréditer une autre thèse. L’échec scolaire est déterminé à la naissance. Fort de ces constats, on pourrait se féliciter que notre président s’empare du sujet.

Mais il n’y a à mon sens aucun motif de s’en réjouir. Car Emmanuel Macron croit en la méritocratie. Pour lui, les privilèges dans la vie sont dus au talent et à l’effort. Moralement, le système méritocratique est présenté comme l’inverse de l’hérédité aristocratique, où les places sociales étaient occupées en fonction de la naissance. Il voudrait nous faire croire, comme tous ses prédécesseurs du reste, que nous sommes dans un système dans lequel les avantages sont acquis grâce au mérite, et sont donc justes.

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« Rien ne m’a été donné. Ce que j’ai arraché, je l’ai conquis et je l’ai fait fructifier », expliquait ainsi François Hollande dans son discours du Bourget (« L’Obs », 22 janvier 2012). Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, de l’autre côté de l’échiquier politique, ne disait pas autre chose : « Je suis contre l’égalitarisme, l’assistanat, le nivellement ; pour le mérite, la juste récompense des efforts de chacun, et la promotion sociale » (« Le Figaro », 31 Janvier 2007).

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