Archive dans février 2021

Dominique Méda : « De très nombreux emplois pourraient être créés grâce à la décarbonation de nos économies »

Programme de rénovation d’un immeuble à Lille, en 2012.

Chronique. Pendant que les commissions compétentes de l’Assemblée nationale s’apprêtent à discuter des mesures de la loi Climat et résilience – jugées unanimement insuffisantes –, les alertes des institutions les plus sérieuses se succèdent.

Le 11 janvier, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) publiait une note intitulée « Croissance sans croissance économique », qui rappelait les trois points suivants : la « grande accélération » actuelle de la perte de biodiversité, du changement climatique, de la pollution et de la perte de capital naturel est étroitement liée à la croissance économique ; le découplage entre les premiers et la seconde est probablement impossible ; la décroissance ou la postcroissance sont des alternatives à envisager sérieusement.

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Le 2 février, l’économiste Partha Dasgupta présentait, devant la Royal Academy britannique, un rapport consacré à l’évolution de la biodiversité, dans lequel il constatait que l’humanité se trouve à un véritable tournant et appelait à « réencastrer l’économie dans la biosphère ».

Quelques jours plus tard, le directeur de l’AEE, Hans Bruyninckx, employait exactement ces mêmes termes lors des journées consacrées par l’Institut syndical européen à la nécessité d’un nouveau contrat social-écologique, réunissant des dizaines de chercheurs, partenaires sociaux et responsables politiques. L’ensemble de ces travaux prenait d’une certaine façon acte des résultats scientifiques mettant en évidence que la croissance verte est un mythe et que nous devons reconstruire nos économies et apprendre à produire autrement (« Is Green Growth Possible ? », Jason Hickel & Giorgos Kallis, New Political Economy, 17 avril 2019).

Changement de cap

Renoncer à ce mythe devrait nous permettre de gagner un temps précieux et d’organiser dès maintenant le changement de cap et la bifurcation nécessaires. Car nous savons ce qu’il faut faire : nous devons investir immédiatement, massivement et sans relâche dans la reconversion écologique de notre économie – la vraie, la matérielle – de manière à continuer à satisfaire nos besoins sociaux dans des limites environnementales strictes.

Un tel investissement, qui accroîtra certes notre endettement mais permettra de transmettre aux générations futures un monde habitable, est non seulement une exigence, mais c’est aussi une bonne nouvelle.

Car nous savons que les secteurs dans lesquels il nous faut investir sont créateurs d’emplois et même que plus nous investirons, plus nous aurons d’emplois demain. Il nous faut donc saisir pleinement l’occasion qui nous est aujourd’hui offerte de résoudre en partie la très grave crise de l’emploi dans laquelle nos pays sont – et vont être – plongés.

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Covid-19 : le nombre de petits patrons en danger de burn-out a explosé

Une propriétaire de restaurant sert des plats à emporter, à Marignane (Bouches-du-Rhône), le 1er février 2021.

Quel est l’impact de la crise engendrée par le Covid-19 sur l’état de santé des chefs de petites et moyennes entreprises (PME) ? Quelles conséquences sur la relance économique à venir ? C’est notamment à ces questions que s’intéresse Olivier Torrès, professeur d’économie des petites et moyennes entreprises (PME) à l’université de Montpellier. Celui qui est aussi le fondateur de l’observatoire Amarok, spécialisé dans la santé des travailleurs non salariés, a présenté vendredi 26 février, lors d’une conférence de presse, les résultats d’une enquête réalisée par Amarok et la Fondation MMA du 11 janvier au 2 février auprès de 1 065 personnes – dont 41,87 % de femmes – à la tête d’une société où l’effectif moyen était de 7,2 salariés. Deux précédentes études de ce type avaient déjà été menées et servent de comparaison : la première en mars 2019, la seconde lors du premier confinement, en avril 2020.

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Une écrasante majorité des entreprises en France sont des PME et font travailler environ 10 millions de personnes. Or, a noté M. Torrès, « la santé du dirigeant est le premier capital immatériel d’une PME ». La problématique n’est pas exactement la même dans les grands groupes, où les numéros un sont le plus souvent salariés. « Dans une petite entreprise, si le dirigeant meurt, le risque de dépôt de bilan est important », relève le chercheur.

« Des niveaux alarmants »

Le niveau d’épuisement professionnel des chefs de PME – synonyme de risque de burn-out – « s’est significativement accru » depuis près d’un an et il continue d’augmenter, selon l’étude. Si on le compare aux données d’avant crise, il a même doublé : le pourcentage de la population à risque passe de 17,5 % à 34,65 % lors du premier confinement et atteint 36,77 % lors de l’enquête menée en ce début d’année. Quant au pourcentage des petits patrons « en danger de burn-out », c’est-à-dire ceux « à qui il faudrait tendre une main pour éviter qu’ils ne craquent complètement » selon M. Torrès, il atteint « des niveaux alarmants » en passant de 1,75 % à 9,18 % puis 10,41 %.

La nature même de cet épuisement s’est transformée avec l’épidémie de Covid-19 : l’épuisement habituel lié à une suractivité a muté avec les entraves liées aux différents confinements et l’absence de visibilité. « C’est la première fois que nous constatons que le sentiment d’être coincé et le sentiment d’être impuissants sont surélevés », a décrit M. Torrès. Si ces deux facteurs-là impactent tant la santé mentale des chefs d’entreprise, c’est parce que ces derniers sont traditionnellement considérés comme « une population hyperactive » qui a une « forte internalité », comprendre une croyance profonde de pouvoir maîtriser son destin.

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La chaîne internationale Euronews taille dans ses effectifs

La rédaction d’Euronews, à Lyon, en novembre 2018.

Une profonde inquiétude parcourt la rédaction d’Euronews, après l’annonce d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, plan de licenciement) prévoyant une quarantaine de départs nets de la télévision d’information en continue, sur un effectif total de 500 employés réguliers, rassemblés au siège basé à Lyon. Dans le détail, 68 collaborateurs seront licenciés, tandis qu’une trentaine de recrutements sur de nouveaux postes sont prévus.

« Ce plan affecte l’identité de la chaîne, pour la première fois la notion d’information en continue dans la pluralité des langues est mise en cause, alors que l’Europe a plus que jamais besoin d’une information indépendante », redoute un des plus anciens journalistes, qui préfère ne pas être cité, comme la plupart de ses collègues interrogés. Les professionnels craignent l’abandon progressif de la fabrique multilinguistique de l’information, au profit d’une reconversion numérique uniformisée, répondant uniquement à une logique commerciale.

Problèmes récurrents

Le plan social se complète d’une réorganisation de la rédaction renforçant les plates-formes numériques, consistant à produire une offre complète d’information numérique, par thèmes nommés « verticales ». Art de vivre, voyage, culture, business, technologie, figurent parmi les thématiques du nouveau plan d’affaires, proposé aux syndicats.

Ce projet prévoit aussi l’arrêt du service italien d’info télévisuelle continue, avec sa conversion complète sur le Web. La réduction envisagée de l’équipe italienne de 17 à 11 journalistes a fortement choqué la rédaction, qui a vu dans ce choix une atteinte aux origines historiques d’Euronews.

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Lancée en 1993 par une vingtaine de chaînes européennes, en espérant concurrencer l’américaine CNN, Euronews appartient désormais à hauteur de 88 % à la holding Media Globe Networks (MGN), détenue par le magnant égyptien Naguib Sawiris. Les principales chaînes publiques européennes, et plusieurs collectivités, détiennent le reste du capital. Confrontée à des problèmes récurrents de financement, la chaîne a dû recourir à un premier plan social en 2017, avec la suppression de 90 postes, et l’abandon de son multiplexe au profit de douze chaînes linguistiques, juridiquement créées comme autant de franchises.

La suppression annoncée du service turc est aussi très mal vécue par la rédaction

« La situation est fragile structurellement, le marché publicitaire paneuropéen est devenu extrêmement concurrentiel, aucun média international ne s’en sort réellement », résume un membre de la direction, pour qui le déploiement sur Internet constitue « la seule solution pour construire un nouveau modèle de développement. » Après une perte de 21,5 millions d’euros en 2019, la chaîne espère retrouver un résultat positif en 2023 en combinant baisse des coûts et recherche de nouvelles recettes publicitaires.

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Chez Danone, un conseil d’administration qui s’annonce sous haute tension

Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, s’exprime lors de l’assemblée générale des actionnaires du groupe, à Paris, en avril 2018.

Les sujets qui fâchent devraient être au menu du prochain conseil d’administration de Danone, prévu le lundi 1er mars. En l’occurrence, la gouvernance du groupe d’agroalimentaire français avec, en filigrane, l’avenir de son PDG, Emmanuel Faber. Des questions délicates, éludées lors de la précédente réunion organisée jeudi 18 février et consacrée aux résultats annuels de l’entreprise.

Entre-temps, mercredi 24 février, des représentants du fonds activiste britannique Bluebell Capital ont rencontré les administrateurs référents de Danone. L’occasion, pour cet actionnaire, détenteur d’une très faible part au capital, d’insister sur le « soutien massif » apporté par les investisseurs à la dissociation des fonctions de président et de directeur général, réunies depuis 2017.

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« Ce serait dangereux, pour le conseil, de s’opposer à la dissociation. C’est une bataille que les actionnaires peuvent facilement gagner en assemblée générale », prévient un financier. La semaine précédente, les mêmes administrateurs avaient reçu la visite d’Artisan Partners, un investisseur américain revendiquant 3 % du capital de Danone. Lui aussi réclamait un changement similaire à la tête du groupe.

Pressions médiatisées

Des noms sont même avancés pour le poste de président. Le conseiller d’Artisan Partners, Jan Bennink – qui a fait une partie de sa carrière chez Danone –, a assuré qu’il était prêt à jouer ce rôle. Bluebell Capital, pour sa part, se dit favorable à la nomination de Gilles Schnepp à ce poste. Ce dernier vient d’entrer au conseil d’administration, sur proposition de M. Faber, avec l’objectif de succéder à Michel Landel en tant qu’administrateur référent.

Les divergences sont apparues lors de la présentation, fin novembre 2020, par Emmanuel Faber de son nouveau plan de réorganisation, baptisé « Local First »

Au sein du conseil, les discussions sur une évolution de la gouvernance se sont engagées bien avant les pressions médiatisées de Bluebell Capital et d’Artisan Partners. Depuis plusieurs mois, le débat se profilait à l’horizon. Il se déroule à présent de manière beaucoup plus frontale. Et ce, dans une ambiance tendue. Le conseil d’administration de Danone apparaît en effet divisé.

Les divergences sont apparues lors de la présentation, fin novembre 2020, par Emmanuel Faber de son nouveau plan de réorganisation, baptisé « Local First ». Officiellement, la direction du groupe affirme qu’il a été voté à l’unanimité par le conseil. Une version contestée par des administrateurs. Ils soulignent qu’il n’a pas été soumis au vote, et que des voix discordantes se sont fait entendre. M. Faber avait annoncé la création d’un comité stratégique chargé du suivi de ce projet.

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Après les titres-restaurant, les « titres-bureaux »

« Afin d’encourager le développement global du télétravail, l’impôt sur les sociétés acquitté par l’entreprise se verrait déduit de 50 % de l’ensemble des frais générés par sa mise en place. »

Afin de lutter contre l’isolement des salariés en télétravail, plusieurs membres du Sénat ont déposé, début février, une proposition de loi visant à permettre la création de « titres-bureaux ». Calqué sur le modèle des titres-restaurant, ce dispositif permettrait aux employeurs de faciliter l’organisation du télétravail dans des bureaux de proximité et aux salariés de financer « à la carte » leur fréquentation d’espaces de coworking.

Bien entendu, ces « titres-bureaux » devraient attendre la fin de la crise sanitaire pour voir le jour. Les sénateurs à l’origine de la proposition de loi partent du principe que le recours aux bureaux traditionnels connaîtra une baisse structurelle, au profit du télétravail. « Le Covid-19, fléau sanitaire, social et économique, a aussi joué pour notre pays le rôle d’accélérateur vers de nouveaux modes de travail, plus agiles, plus déconcentrés », avancent les dépositaires du texte dans l’exposé des motifs.

Reste qu’une partie des salariés, « qui doivent jongler entre travail et enfants, résident dans de plus petites surfaces, ne disposent pas d’une pièce dédiée ou de l’équipement adéquat », supportent mal de travailler de chez eux. Cette formule de financement « à la carte » leur offrirait la possibilité de se rendre, quand ils le souhaitent, dans un espace de coworking, afin de partager à nouveau des conversations autour de la machine à café.

La plupart des tiers-lieux proposent, en effet, des formules souples, allant de l’utilisation facturée à l’heure jusqu’à l’abonnement annuel. Quant à leur entreprise, le développement de ces nouvelles formes de travail à distance lui ferait faire des économies sur les loyers acquittés pour ses propres locaux.

Incitations fiscales

Dans l’exposé des motifs, les sénateurs soulignent que, si ces « titres-bureaux » ne couvrent pas totalement le coût de l’espace de coworking, « le solde relèverait de l’employeur, conformément au principe selon lequel il lui appartient de prendre en charge les frais d’exercice du travail des salariés ». Pour réduire la facture, le texte prévoit plusieurs mesures fiscales incitatives.

Afin d’encourager le développement global du télétravail, l’impôt sur les sociétés acquitté par l’entreprise se verrait déduit de 50 % de l’ensemble des frais générés par sa mise en place. Seraient inclus le recours aux espaces de coworking, mais aussi les abonnements téléphoniques et Internet. Les sociétés de moins de 250 salariés qui achèteraient des « bureaux de proximité » hors de leur commune ou de leur arrondissement pour y installer leurs salariés en télétravail pourraient aussi déduire de leur résultat imposable 40 % de la valeur d’acquisition.

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« Renouveau du syndicalisme : défis et perspectives », un essai qui propose douze pistes pour l’avenir

Livre. En cette période anxiogène peuplée d’incertitudes, où la crise sanitaire bouche l’horizon, voilà un livre roboratif et tonique. Il offre une vision optimiste sur l’avenir du syndicalisme si ce dernier cède à l’obligation de changer. Auteurs de nombreux ouvrages sur les relations sociales, Michèle Millot et Jean-Pol Roulleau, consultants et formateurs, formulent au début de leur essai, Renouveau du syndicalisme : défis et perspectives, un constat incontestable : du fait des transformations du travail et du salariat, « le choc est rude pour le syndicalisme, sa base traditionnelle se restreint, le profil du travailleur se transforme, l’individualisme l’emporte sur le collectif, les nouveaux salariés l’ignorent. De là à conclure qu’il est condamné à se réinventer ou à mourir, il n’y a qu’un pas. Pourtant si le monde change, la raison d’être du syndicalisme demeure ».

Compte tenu de l’indifférence des nouvelles générations à son endroit, Michèle Millot et Jean-Pol Roulleau jugent que « pour assurer son avenir, le syndicalisme a pourtant un besoin vital d’une relève. Les valeurs qui motivent les jeunes seraient-elles antinomiques à celles qui habitent le syndicalisme ? Pour devenir attractif, le syndicalisme doit changer son image, ses structures et son langage ».

« Avec qui changer le monde ? »

S’appuyant sur de nombreuses expériences d’entreprises, où la CFDT a souvent joué un rôle de pionnière, les auteurs identifient douze défis à relever : « Etre partie prenante de l’entreprise ; être acteur dans la gestion de l’entreprise ; s’engager pour trouver un repreneur ; le bien-être au travail ; l’éloignement des centres de décision (avec nombre de grandes entreprises qui ont leur siège à l’étranger) ; la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise ; le défi du numérique ; le syndicalisme de services ; la syndicalisation des non-salariés ; le défi jeune ; le choix entre l’engagement et la carrière. »

L’ultime défi consiste à répondre à la question : « Avec qui changer le monde ? » Plusieurs syndicats ont mis en avant leur volonté, au-delà du cadre de l’entreprise, de transformer le modèle de développement et de bâtir une nouvelle société. En mars 2019, la CFDT, la CFTC et l’UNSA, rejointes ensuite par 58 associations, ont lancé un « pacte pour le pouvoir de vivre ». Un an plus tard, sur un mode plus contestataire, la CGT a élaboré avec Attac et Greenpeace un plan dit de « sortie de crise » intitulé « Plus jamais ça ». La cause écologique suscite de nouvelles vocations. En mai 2020, une association, le Printemps écologique, fondée par le jeune Maxime Blondeau, a initié (encore timidement) des « écosyndicats », avec pour but d’« adapter les modes de gouvernance à l’impératif écologique ».

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« Quelque chose est possible ici, même avec un salaire modeste » : dans les Cévennes et sur l’Aubrac, la revanche des épiceries et des arrière-pays

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Publié aujourd’hui à 02h29, mis à jour à 09h56

Le camion manque à nouveau déraper dans un tournant, il se rattrape puis s’arrête le long de la rivière, tout secoué encore des cahots de la route. L’aube pointe à peine. Des arbres lourds de neige se devinent dans l’obscurité, la route luit de verglas. Accoudés au petit pont, deux hommes parlent chèvres et châtaignes. Toutes les semaines, le véhicule de la société Magne s’engage dans les à-pics pour approvisionner l’épicerie de Sainte-Croix-Vallée-Française, 272 habitants en Lozère, à une heure trente de Mende. Nous y voilà. Murs peints en blanc, citation de Voltaire au-dessus du rayon fromages : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. » Un bouddha sourit du côté des légumes, on décharge des granulés de bois devant la porte.

Voilà bientôt cinq ans que Marisa et David ont repris ce magasin. Ils encaissent aussi les amendes, envoient les Colissimo, vendent les billets de train depuis que l’Etat a fermé ses propres guichets. Tous les deux viennent d’Alès : elle travaillait dans un hypermarché, lui était restaurateur. Un divorce chacun, la quarantaine, et ce comptoir au bout de la route, l’anti-start-up par excellence. Dans la famille de Marisa, on s’est étonné : « Mais qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ? »

Pascal Bosio, propriétaire de l'épicerie des Plantiers (Gard), le 5 février 2021.

Il y a une décennie encore, pas une banque n’aurait suivi un dossier comme le leur. A l’époque, « on constatait plus de fermetures que d’ouvertures, le secteur était au plus bas », commente Pierre Bonnefoy, patron de Magne, l’entreprise familiale qui assure la distribution alimentaire en camion depuis Mende. Spécialisé dans les petits commerces, Magne ravitaillait alors 300 épiceries dans la Haute-Loire, l’Aveyron ou la Lozère. « On s’est accrochés, on a continué à livrer là où personne ne voulait plus aller. » Aujourd’hui, ses tournées comptent 450 petits commerces, son chiffre d’affaires a grimpé de 16 millions à 23 millions d’euros en trois ans. L’avancée se remarque surtout dans les villages reculés, les arrière-pays, les territoires oubliés d’hier.

« Base arrière »

Certes, ce ne sont pas les Marisa et les David de Sainte-Croix qui vont repeupler la région. Difficile même de risquer un pronostic à moyen terme. Pourtant, à sa façon, la France des épiceries se retrouve maintenant à l’épicentre d’une migration discrète mais têtue des villes vers les villages. Le mouvement s’est amorcé et amplifié de crise en crise : celle des subprimes en 2008, puis celle des attentats en 2015. Cette fois, la pandémie a donné un coup d’accélérateur.

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A San Francisco, le télétravail lié au Covid-19 a vidé la ville de ses salariés et… des milliers de mètres carrés de bureaux

L’entrée de la tour Salesforce, à San Francisco, le 23 février.

C’était le symbole de la puissance de la tech – ou de l’hubris, selon certains : 61 étages, 326 mètres de haut, le deuxième gratte-ciel le plus élevé à l’ouest du Mississippi, ouvert en fanfare en janvier 2018, à San Francisco. Depuis près d’un an, la tour Salesforce est vide. Le quartier est désert, les restaurants en berne (Salesforce s’était fait un devoir « civique » de ne pas avoir de cafétéria pour obliger les employés à sortir dépenser leur argent dans le quartier).

Le 9 février, le géant du cloud (l’informatique dématérialisée) – et premier employeur de la ville californienne – a annoncé qu’il n’obligerait pas ses 10 000 employés à revenir travailler sur place. San Francisco a compris qu’une page était tournée. L’avant-pandémie de Covid-19 ne reviendra pas.

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Le président de Salesforce, Brent Hyder, l’a expliqué : le travail de 9 heures à 17 heures est « mort » ; les employés sont en quête d’autre chose que « des tables de ping-pong et des snacks ». Moins de temps dans les transports, par exemple. Des logements moins chers. Un jardin. L’une après l’autre, de Twitter à Pinterest, en passant par Square et Facebook, les entreprises technologiques ont annoncé un même futur de flexibilité. Les employés viendront au bureau une, deux ou trois fois par semaine – et encore, s’ils le souhaitent (plusieurs, dont Twitter, ont autorisé le travail à distance pour une durée indéfinie).

Après s’être dotés de sièges sociaux pharaoniques, du Googleplex de Mountain View à la « navette spatiale » d’Apple, à Cupertino, les titans de la tech semblent prêts à les délaisser au profit du nouveau paradigme : le travail « distribué », la main-d’œuvre « répartie ». Le nouveau quartier général se situera surtout dans le cloud. Les contacts humains seront occasionnels et organisés dans des hubs décentralisés.

Personne n’est physiquement indispensable

Jusqu’au 15 mars 2020 – date de début du confinement en Californie –, San Francisco occupait les rêves des « techies ». Il fallait en être. Participer à l’exubérance technologique, à la certitude que, du hasard des rencontres, naîtrait une idée fabuleuse ou, mieux, un financement et cela, quoi qu’il en coûte : burritos à 15 dollars pièce (12,30 euros), ou « coloc » à 2 000 dollars la chambre. Désormais, personne n’est physiquement indispensable. Plus besoin de Silicon Valley.

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Covid-19 : Bercy resserre les contrôles autour du fonds de solidarité d’aides aux entreprises

La générosité de l’Etat a ses limites, notamment celles de la légalité. Après avoir dépensé sans compter pour aider les entreprises mises en difficultés par l’épidémie de Covid-19, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a fait état, mercredi 24 février, du tour de vis imposé pour dénicher les fraudeurs aux aides d’Etat. « Quand les sommes en jeu sont aussi importantes, il est indispensable de garantir au contribuable que l’argent va aux entreprises qui en ont réellement besoin », a expliqué le locataire de Bercy, évoquant 15 milliards d’euros distribués à 2 millions d’entreprises au titre du fonds de solidarité.

Depuis mars 2020 et la mise en place du premier confinement mettant à l’arrêt des pans entiers de l’économie, en particulier dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des loisirs et du tourisme, l’Etat a déployé un arsenal d’aides (prêts garantis, exonérations de charges…), parmi lesquelles le fonds de solidarité reste le plus populaire.

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Ce dernier instrument, inédit, d’abord destiné à sauver les plus petites entreprises (de moins de dix salariés), a évolué au fil des mois et de l’aggravation de la crise pour soutenir des entreprises plus conséquentes, faisant grossir les sommes distribuées : d’abord plafonnée à 10 000 euros, l’indemnisation peut désormais atteindre jusqu’à 200 000 euros par mois. Aujourd’hui, chaque mois, le fonds coûte à l’Etat quelque 4,5 milliards d’euros. « Le jeu en vaut la chandelle », assure M. Le Maire.

15 % des dossiers rejetés

Encore sonnés par la stratégie d’Emmanuel Macron de soutien des victimes de la crise « quoi qu’il en coûte », les services de Bercy n’en oublient pas leur mission première : veiller à la rectitude des comptes publics. Ils scrutent désormais plus scrupuleusement les dossiers qui leur sont transmis. Après le premier confinement, 92 000 contrôles ont été menés a posteriori sur des « cibles » jugées suspectes. Parmi elles, un tiers (33 000) avaient effectivement fraudé, à hauteur de 43,6 millions d’euros.

Les entourloupes les plus fréquentes consistent à gonfler les montants réclamés via la TVA, à envoyer cinq à six dossiers pour la même entreprise en espérant recevoir autant de compensations, à ressusciter miraculeusement une entreprise qui avait disparu en 2019, ou à réclamer de l’aide pour une société déjà en défaut. Depuis le mois d’octobre, les contrôles sont aussi menés a priori, pour mieux examiner les demandes. A ce stade, 15 % des dossiers ont été rejetés, évitant le paiement indu de 2 milliards d’euros, se félicite le ministre.

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Elisabeth Borne et Ambroise Méjean : « La réponse à la précarité des jeunes n’est pas le RSA »

Tribune. La crise sanitaire et économique que nous traversons touche particulièrement la jeunesse : marché du travail sous tension, isolement, détresse psychologique, précarité… Face à l’urgence, le gouvernement se tient à ses côtés.

Avec 7 milliards d’euros investis, le plan « 1 jeune, 1 solution » est d’une ampleur sans précédent. Avec ses primes à l’embauche et à l’apprentissage, il a permis d’obtenir des résultats inédits malgré la crise. En 2020, la France a dépassé la barre des 500 000 apprentis pour la première fois de son histoire et près de 1,2 million de jeunes de moins de 26 ans ont été embauchés en CDI ou en CDD de plus de trois mois entre août et décembre, soit presque autant qu’en 2018 et 2019 à la même période.

Mais nous devons continuer d’agir contre la précarité qui frappe notre jeunesse. C’est pourquoi nous défendons la généralisation de la « garantie jeunes » plutôt que l’ouverture du RSA aux 18-25 ans.

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La raison est profonde. A 20 ans, on souhaite pouvoir tracer le chemin de son avenir. Bien sûr, les aides financières peuvent venir combler certains manques. Mais elles ne sont pas et ne doivent pas être une fin en soi. Aucun jeune en situation de précarité n’aspire à des prestations comme seul horizon. Il souhaite surtout pouvoir trouver une formation ou un emploi pour en sortir. Et c’est cet accompagnement que nous devons à chaque jeune.

Devenir autonomes

La réponse tient-elle dans un RSA jeune ? Nous ne le croyons pas. Car le volet « insertion » qui devait être le pendant de ce revenu de solidarité a disparu. En 2019, plus d’un allocataire sur deux au RSA depuis moins de six mois ne bénéficiait pas d’accompagnement vers l’emploi. Ce n’est pas cet horizon que nous voulons donner à notre jeunesse. Car si le RSA ne joue plus son rôle d’outil d’insertion, il ne peut devenir facteur d’émancipation. Force est de constater que les défenseurs du RSA jeune ferment les yeux sur cette réalité. Pourtant, notre jeunesse demande à s’en sortir durablement, pas qu’on lui permette uniquement de survivre.

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C’est pourquoi, à celles et ceux pour qui le RSA jeune est devenu un réflexe pavlovien, nous répondons que nous avons mieux à proposer aux jeunes : la généralisation de la garantie jeunes à toutes celles et ceux qui en ont besoin. Nous sommes convaincus qu’elle permettra de répondre à l’impératif d’offrir un soutien financier pour faire face à l’urgence, tout en proposant un véritable accompagnement humain vers l’emploi, pour permettre aux jeunes de devenir autonomes et de s’en sortir pour de bon.

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