Archive dans 2020

« La crise sanitaire et le confinement ont permis de se rendre compte que la France a continué de tourner grâce à ses services publics »

Tribune. Qu’entend-on exactement par « dignité des métiers » et « valorisation de l’utilité sociale » ? Ne s’agit-il pas tout simplement de reconnaître (à ?) l’homme par son libre arbitre et son professionnalisme, par sa contribution au collectif de travail au sein duquel il gagne ses lettres de noblesse, de respectabilité, et par conséquent sa dignité ?

Il convient, pour être concret, de se concentrer sur deux éléments de réponse qu’il faut considérer comme centraux et donc prioritaires.

Le premier est économique. Car ce qui vient à l’esprit lorsqu’il est question de la valeur de l’utilité sociale, et que tout le monde a en tête aujourd’hui, c’est évidemment le sujet du salaire. Ce salaire qui occupe une place centrale dans notre dialogue social national, qui, par ailleurs, dépasse le contexte que nous traversons. Ce sujet du « salaire juste » renvoie à un débat plus large, à la fois politique, philosophique et éthique. Un débat dont l’énoncé pourrait être le suivant : « combien vaut l’utilité sociale ? »

Croire que le sentiment de dévalorisation pourrait se résoudre, en cette période de crise, par l’unique revalorisation des salaires de telles et telles professions, à commencer par les professionnels de santé parce qu’ils cristallisent l’attention médiatique, serait une erreur.

Fierté

Le second élément est social. Infirmiers, aides-soignants, hôtes de caisse, chauffeurs livreurs, agents de propreté… La liste est longue de ceux que nous avons remerciés et applaudis pendant des semaines et dont les emplois subissent une dégradation durable, antérieure à la crise et exacerbée par cette dernière. Quid, alors, de cette dégradation des conditions de travail, parent pauvre du débat actuel ?

Il est essentiel d’évoquer ce point car c’est de la valeur intrinsèque du travail dont il s’agit, de ce que l’on en obtient indépendamment de son salaire. Et cette dimension couvre des réalités aussi diverses que les moyens mis à disposition des personnes pour réaliser leurs missions, la reconnaissance de leurs compétences, la fierté d’appartenance à un corps de métiers, le sentiment de leur utilité sociale, la valorisation publique des biens accomplis, la qualité des liens unissant un corps social donné, les conditions d’exercice de leur métier, l’autonomie dont elles disposent, etc. Toutes ces notions relèvent d’un projet social.

Prenons l’exemple des professionnels de santé. Le sentiment d’indignité provient des deux facteurs précités.

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« Créons un réseau de sociétés coopératives d’intérêt collectif pour produire les médicaments »

Tribune. Avec ses briques typiques de l’architecture ouvrière des années 1920, le laboratoire Roussel-Uclaf-Sanofi de Romainville était l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique en France. Des générations d’ouvriers, de techniciens de laboratoire, de chercheurs s’y sont rendues chaque jour avec le sentiment d’être utiles. Pourtant, alors qu’il était toujours rentable, le site a définitivement fermé ses portes en 2013. Et trois mille familles ont subi la violence du choc.

Cet exemple, parmi tant d’autres, est révélateur des errements de notre politique industrielle et des conséquences désastreuses de la financiarisation de notre économie. A l’heure de la globalisation à flux tendu et de la finance reine, le médicament a été considéré comme un produit ordinaire, engendrant des choix stratégiques court-termistes, fondés sur la seule maximisation du profit.

Abandon de souveraineté

Pour quels résultats ?

Ce sont d’abord dix mille emplois directs dans le secteur qui ont été détruits au cours des dix dernières années, alors même que ces activités étaient parfaitement viables et rentables comme à Romainville.

Plus grave encore, cette stratégie nous a fait abandonner un large pan de notre souveraineté : 80 % des principes actifs nécessaires à la fabrication des médicaments sont désormais produits en Chine et en Inde. Une situation qui entraîne des ruptures fréquentes d’approvisionnement, déplorées par les soignants depuis des années.

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Et c’est seulement aujourd’hui, alors que nous traversons la plus grande crise sanitaire que nous ayons connue ces cent dernières années, que la réalité reprend le dessus sur les fantasmes néolibéraux : le médicament n’est pas un produit comme un autre. Il est stratégique. C’est un produit relevant du bien commun et de l’indépendance nationale.

En délocalisant, ce n’est pas seulement les emplois et les savoirs faire qui ont été détruits, c’est notre sécurité sanitaire que nous avons fragilisée.

Echec de la technocratie française

Cette histoire n’est pas seulement celle de la faillite de la mondialisation des échanges et de la financiarisation de l’économie. C’est l’échec de la technocratie française façonnée à l’idée que la verticalité colbertiste et le marché libre font bon ménage. C’est surtout l’échec de notre politique industrielle qui méconnaît les besoins et les dynamiques des territoires.

Il est temps de remettre les choses à leur place.

Le sort du médicament en France doit désormais impliquer toutes les parties prenantes, dans une logique démocratique de l’exercice de notre souveraineté. Place au dialogue et à la coopération entre l’Etat, les personnels de santé, les mutuelles, les territoires, les citoyens….

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La tentation des accords de performance

« Les accords de maintien dans l’emploi de Continental (2010), Bosch (2013), Smart (2015) ont finalement abouti à des suppressions d’emplois » (Manifestation le 3 mai 2011 à Compiègne).

Carnet de bureau. Reprise ou pas, les entreprises préparent « l’après-Covid » en ouvrant les négociations sur les conditions de travail: la durée et l’organisation du temps de travail, la rémunération et la mobilité des salariés. La perspective première des employeurs est évidemment de relancer l’activité, mais elle s’accompagne de mesures d’économies pour anticiper le recul de 11,4 % du produit intérieur brut annoncé pour 2020.

Avant d’être sûr de pouvoir produire davantage… l’idée est de produire à moindre coût pour éviter les licenciements. « Je pense qu’il faut se serrer les coudes dans cette période. Pour se serrer les coudes, on peut aussi négocier des accords de performance collective », a déclaré la ministre du travail, Muriel Pénicaud, le 31 mai sur LCI. « Il peut y avoir quelques cas où il faut un gel provisoire des salaires, pendant une période à déterminer, mais ça ne peut être fait qu’avec un accord », soulignait Geoffroy Roux de Bézieux, le 4 juin sur Europe 1.

Le président du Medef faisait aussi référence aux accords de performance collective (APC), créés en 2017 par les ordonnances Macron. Fusion des anciens « accords de maintien dans l’emploi », « accords de préservation ou de développement de l’emploi » et « accords de mobilité interne », ces accords d’entreprise permettent de modifier le salaire, le temps de travail et la mobilité au nom de la préservation de l’emploi.

Plus de 300 APC ont ainsi été signés en deux ans, indique le ministère du travail. « Actuellement, ce sont les secteurs les plus touchés par la crise qui s’y intéressent : tourisme, transports, aéronautique, BTP », affirme Laurent Termignon, directeur Talents du cabinet de conseil Willis Towers Watson.

Souvent perdants

Depuis la crise due au Covid-19, Derichebourg Aeronautics Services et L’Equipe ont ainsi ouvert les négociations pour supprimer le treizième mois et une part de la rémunération en échange d’une réduction du plan social pour l’un et du maintien de l’emploi pendant quatre à cinq ans pour l’autre. Ryanair, sans négociations, a donné cinq jours aux syndicats pour se prononcer sur cinq ans de baisse de salaires de 10 % pour les hôtesses et jusqu’à 20 % pour les pilotes, s’ils voulaient éviter des licenciements.

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Les APC le permettent sur une durée fixée par la négociation qui peut même être indéterminée. Faute de précisions, les changements seront valables cinq ans. « L’APC peut être efficace pour conserver l’emploi dans la mesure où il donne le temps à l’entreprise de retrouver de l’oxygène pour développer son activité », explique M. Termignon. « La contrepartie, c’est que, quand l’entreprise ira mieux, on gagnera plus », a assuré Muriel Pénicaud sur LCI. A condition que l’accord ait prévu une clause de retour à meilleure fortune.

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Psychologues, coachs, formateurs, consultants : ruée sur la prévention des risques psychosociaux

Les baromètres de santé, habituellement réalisés de façon annuelle, bénéficieront d’un suivi plus rapproché durant les mois à venir.

Le marché est là. La crise sanitaire a engendré son lot d’angoisse chez les salariés : crainte d’être contaminé, risque de tensions avec les clients, peur de perdre son emploi ou d’exercer son métier dans des conditions dégradées.

Dans ce contexte particulièrement anxiogène, les prestataires – coachs, psychologues, consultants et formateurs –, dont certains n’ont pas été épargnés par la crise, sont nombreux à proposer leurs services aux entreprises pour aider leurs salariés à reprendre le chemin du travail plus sereinement. « Tous les jours, je suis assailli de nouvelles propositions ! », témoigne Jean-François Ode, directeur des ressources humaines d’Aviva France, qui se dit sceptique face à cette inflation.

Pour accompagner le redémarrage des entreprises, « les coachs sont particulièrement bien placés puisque leur spécialité est la mise en mouvement, estime Véronique Hénaff, fondatrice et dirigeante d’Avantilt et, par ailleurs, responsable pédagogique au sein de l’école de coaching HEC Paris. Du coaching d’équipe est notamment nécessaire pour recréer des collectifs solides. »

Les 780 psychologues de l’Institut d’accompagnement psychologique et de ressources (IAPR), spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux (RPS), filiale du groupe de conseils Oasys, ne chôment pas. « Un soutien psychologique est nécessaire dans cette situation inédite où tout le monde vit une situation post-traumatique », explique Aude d’Argenlieu, directrice générale d’IAPR.

« Démarche d’anticipation »

L’Institut s’adapte à la nouvelle donne. Les baromètres de santé, habituellement réalisés de façon annuelle, bénéficieront d’un suivi plus rapproché durant les mois à venir. D’autre part, la plate-forme numérique avec ses programmes de soutien (gestion du stress, relaxation…) mise en place durant le confinement va se poursuivre. « Ces programmes restent pertinents dans le temps, mais avec une évolution des sujets traités », précise Aude d’Argenlieu.

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« Aujourd’hui, il est important de ne plus être dans une simple logique d’assistance aux personnes en détresse, mais dans une démarche d’anticipation », avance pour sa part Célia Badet, chargée du développement de HuCare, tout nouveau programme de prévention en matière de santé psychologique au travail mis en place par le cabinet Empreinte humaine. Le but : instaurer une culture de la sécurité psychologique dans l’entreprise.

Les formateurs ne sont pas en reste. Ainsi, Equipage Formation propose une session baptisée « Reprendre le travail en toute sérénité ». « La reprise de l’activité est l’occasion de former salariés et managers aux techniques d’écoute, de partage et de dialogue », justifie Edouard Baudry, gérant et consultant-formateur. La demande est là : « Les stages prévus avant le confinement sur les techniques de vente sont pour la plupart transformés en formations de développement personnel : gestion du stress, confiance en soi… », illustre-t-il.

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Chute d’activité : les entreprises face au choix de la flexibilité interne ou externe

« Signé “en vue de préserver ou de développer l’emploi”, l’accord de performance collective permet de revoir durée du travail et salaires en échange du maintien de l’emploi pendant la durée fixée par l’accord. »

Droit social. Nombre d’entreprises font aujourd’hui face à des graves difficultés économiques. Alors que leur activité est loin d’avoir repris, comment payer leurs salariés ? Le droit du travail leur offre deux possibilités : la flexibilité externe (avec des ruptures de contrat) ou interne voulant maintenir la collectivité du personnel.

La flexibilité externe – et ses licenciements économiques – est la plus classique. Avec obligation, si plus de dix départs sont prévus, de monter un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) soumis à l’avis du comité social et économique (CSE), puis à une validation administrative. Le PSE ne mérite son nom que si sa première partie (« mesures destinées à éviter les licenciements ») aboutit à ce que le nombre de licenciements soit finalement inférieur à celui des postes supprimés, en particulier grâce à l’obligation de reclassement au sein de l’entreprise.

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La flexibilité interne veut maintenir la collectivité du personnel, autant pour des raisons d’intérêt général (exclusions et finances de l’Unédic), que ceux de la société en cause voulant laisser passer l’orage en gardant ses compétences.

Signé « en vue de préserver ou de développer l’emploi », l’accord de performance collective né en mars 2018 par la loi de ratification des ordonnances de 2017 en est l’exemple emblématique. Cet accord d’entreprise majoritaire permet de revoir durée du travail et salaires (ex : augmentation de 35 heures à 39 heures avec maintien du salaire mensuel), en échange du maintien de l’emploi pendant la durée fixée par l’accord.

Consensus, transparence et loyauté

Mais il n’est pas certain que, fin 2020, ce dispositif ait le succès attendu, pour plusieurs raisons.

Outre qu’il peut inciter les meilleurs collaborateurs à partir, il nécessite un accord d’entreprise. Or, nombre de syndicats sont réticents à signer : par principe parfois, par réalisme souvent, car des salariés endettés risquent de leur faire payer cette baisse de rémunération aux prochaines élections professionnelles. Plus généralement, enfin, la flexibilité interne repose sur un triptyque qui se construit sur le long terme, mais peut disparaître en un jour : consensus, transparence et loyauté.

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Consensus. Il est de fait dans nombre de PME. Mais là où des syndicats sont présents, le droit exige un accord majoritaire : sur un sujet aussi sensible, la barre reste très haute.

Transparence. Ce fort engagement de toutes les parties pour traverser une période difficile exige que tous les comptes soient sur la table, afin qu’un diagnostic partagé puisse être posé. Le CSE peut donc désigner un expert-comptable « afin d’apporter toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer la négociation relative à l’accord de performance collective ».

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Emploi : à chacun son modèle

« Les Politiques de l’emploi », de Christine Erhel. PUF, « Que sais-je », 128 pages, 9 euros.

Le livre. Les politiques de l’emploi font face à un double défi, à la fois conjoncturel et structurel. D’un côté, la crise de 2008 a entraîné de nouvelles hausses du chômage et creusé les inégalités entre groupes sociaux. De l’autre, la « quatrième révolution industrielle » voit s’amplifier la diffusion du numérique et de formes d’automatisation avancées, et engendre des transformations majeures de l’emploi et du travail.

Depuis la fin des années 1990, les politiques de l’emploi connaissent une histoire mouvementée, rappelle Christine Erhel. La coordination européenne s’affirme, sous la forme d’échanges d’informations et de fixation d’objectifs communs. Quelle est l’efficacité des innovations politiques et institutionnelles ? Comment articuler le maintien de spécificités héritées du passé et l’adhésion à des tendances communes, largement partagées et diffusées notamment par l’Union européenne ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ?, s’interroge la professeure au Conservatoire national des arts et métiers dans Les Politiques de l’emploi (PUF).

L’ouvrage se concentre sur les pays occidentaux et croise plusieurs types d’approches : historique, pour clarifier les fondements des dispositifs existants ; économique, afin de mettre en évidence les effets potentiels des mesures ; et une perspective de science politique qui relève les sources de changement des politiques.

Après avoir précisé les contours des politiques de l’emploi dans un premier chapitre, la titulaire de la chaire Economie du travail et de l’emploi se penche sur l’hétérogénéité des modèles nationaux, qui s’articulent avec une histoire différenciée selon les pays.

Efficacité des réformes

Si le modèle nordique conserve des dispositifs relativement généreux et orientés vers une amélioration à moyen terme des trajectoires individuelles, les pays anglo-saxons développent des mesures centrées sur le retour rapide à l’emploi et des formations d’adaptation au poste de travail. Le troisième chapitre se concentre sur les réformes récentes et les facteurs les favorisant. L’efficacité des dispositifs est enfin discutée dans un dernier chapitre.

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Malgré une baisse du chômage depuis 2013 en Europe, les politiques de l’emploi restent aux prises avec des niveaux de chômage élevés dans certains pays, avec des inégalités selon les groupes sociaux et un accroissement du chômage de longue durée. Elles doivent également prendre en compte des tendances défavorables, amorcées dans les années 2000, et qu’elles ont « sinon générées du moins accentuées ».

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Les aéroports, grands oubliés des plans de soutien

Habituellement très fréquenté, l’aéroport de Toulouse-Blagnac est complètement vide, tandis que la France est confinée, le 17 mars.

Les aéroports sont les grands oubliés des mesures de soutien aux principaux secteurs de l’économie. Ils ne figurent même pas dans le plan de 15 milliards d’euros pour l’aéronautique, annoncé, mardi 9 juin, par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire. « Nous sommes dans l’angle mort », s’inquiète Thomas Juin, le président de l’Union des aéroports français (UAF).

Pourtant, sur les tarmacs, c’est l’état d’urgence. « Les aéroports sont pour la plupart à l’arrêt depuis deux à trois mois. C’est sans précédent », se lamente Thomas Juin. Un paysage sinistré. L’activité des plates-formes aéroportuaires s’est effondrée. Un repli de 60 %, en moyenne, avec, parfois, des baisses de 70 % pour certaines, précise le patron de l’UAF. Alors qu’ils ont vu transiter 206 millions de passagers en 2019, les aéroports prévoient une baisse du trafic de 42 % en 2020.

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A Toulouse-Blagnac, qui frôlait les 10 millions de passagers ces deux dernières années, l’aéroport d’Airbus, la sixième plate-forme de France, vit ses jours les plus sombres. Le trafic a chuté à moins de 1 % en avril et mai. A Nice, la situation était aussi catastrophique, avec une activité tombée à 2 % par rapport à la normale.

Maintenant que la pandémie recule, les plates-formes craignent le pire, car les caisses sont vides. Thomas Juin évalue « le manque à gagner à environ 5 milliards d’euros », dont 2,5 milliards pour Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), qui représente à lui seul 50 % du trafic. Le groupe, dont le PDG est Augustin de Romanet, a annoncé avoir perdu 98 % de son chiffre d’affaires pendant les deux mois de fermeture. Un véritable drame pour un secteur « aux coûts fixes très importants, dont le modèle économique repose sur des charges fixes [80 %] et des investissements lourds financés par l’activité. Quand l’activité s’arrête, les coûts continuent de courir », déclare M. Juin.

Des licenciements se profilent

Déjà tenus à l’écart des grands plans de relance, les aéroports n’ont même pas eu droit « à la prolongation de l’activité partielle » au-delà du 1er juin. C’était pourtant l’une de leurs principales revendications. Ils voulaient bénéficier « de ce dispositif au même titre que la filière touristique », s’étonne le président de l’UAF.

Déjà, des licenciements se profilent. A Nice, les syndicats s’inquiètent pour les milliers d’emplois secondaires qui découlent de l’activité aéroportuaire. « Cela représente entre 6 000 et 8 000 personnes », précise Laury Bouhachi, l’un des responsables de la CGT du commerce de l’aéroport Nice-Côte d’Azur. A Toulouse, la zone aéroportuaire, qui entoure l’aéroport, enregistre 9 000 emplois indirects.

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Médecins, directeurs, agences régionales de santé : à l’hôpital, qui doit gouverner ?

Une infirmière, dans un couloir de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, le 28 mai.

« Un hôpital, c’est fait pour soigner des patients. Du coup, quand tout le monde est focalisé là-dessus, ça râle beaucoup moins », plaisantait, mi-avril, un directeur d’établissement hospitalier de l’est de la France, en pleine crise due au Covid-19. Il se disait surpris par « la diminution des dissensions et par la synergie autour d’un objectif commun » : lutter contre l’épidémie.

Paradoxalement, cette période de crise sanitaire a souvent constitué un moment d’union et d’apaisement des tensions dans une communauté hospitalière structurée par l’éternelle opposition entre soignants et administratifs. Une question « archaïque » pour Jérémie Sécher, président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), qui veut croire que le problème n’est plus là. « C’est le dixième ou le vingtième épisode d’un faux nez », estime-t-il.

Forte pression financière

La répartition du pouvoir entre administratifs et soignants est en effet un débat vieux comme l’hôpital, qui a balancé au fil des époques. Depuis les réformes de 2005 et de 2009, la structure hiérarchique d’un hôpital public est partagée entre médical et administratif.

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D’un côté, une direction administrative, chapeautée par un directeur nommé par le ministre et soumis aux consignes des agences régionales de santé (ARS) et du ministère. Le directeur siège au sein d’un conseil de surveillance, composé d’élus locaux, de représentants du corps médical, du personnel et des publics. Il préside également le directoire.

De l’autre, la commission médicale d’établissement (CME), qui représente le corps médical et dont le président élu siège lui aussi au directoire. La CME est composée des chefs de pôle, de service et de représentants, pour partie élus, des divers pôles et corps de métiers médicaux.

Les tensions sociales à répétition au sein des hôpitaux se sont accompagnées d’une volonté de redonner plus de pouvoir aux médecins face aux administratifs

Le climat austéritaire de la décennie écoulée, avec une forte pression financière exercée sur les directions hospitalières, a conduit à un mouvement de balancier vers ces dernières, parfois mal vécu par les médecins. « Tout est toujours vu par ce prisme de la contrainte budgétaire », soupire ainsi Rémi Salomon, qui préside la CME de l’Assistance publique-Hopitaux de Paris (AP-HP), pour qui la crise démontre qu’un fonctionnement apaisé est avant tout affaire de moyens.

Les tensions sociales à répétition au sein des hôpitaux se sont accompagnées d’une volonté de redonner plus de pouvoir aux médecins face aux administratifs. « Ces derniers mois, on ne parle pas de moyens en plus, mais de comment médicaliser la gouvernance », notait déjà un directeur en novembre 2019. Un mois plus tard, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, chargeait le professeur Olivier Claris, président de la CME des Hospices civils de Lyon (HCL), d’une mission autour de la « médicalisation de la gouvernance », suscitant l’inquiétude des directions hospitalières. « Macron veut nous pendre. On va devenir consultant à 1 500 euros par jour pour les médecins qui deviendront directeurs », plaisantait alors un directeur.

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Chez Volkswagen, un conflit éclate entre direction et syndicat

A Dortmund, le 25 mai 2020.

Volkswagen (VW), premier constructeur automobile mondial, est menacé d’une grave crise de gouvernance, à un moment particulièrement délicat de son histoire. Deux ans après son arrivée à la tête du groupe, le PDG Herbert Diess subit le désaveu du Betriebsrat, l’instance de représentation des salariés, qui joue traditionnellement un rôle très important chez VW. Lundi 8 juin dans la soirée, le groupe a annoncé un changement inattendu au sein du directoire : Herbert Diess renonce à diriger la marque Volkswagen, et le directeur des achats, Stefan Sommer, doit quitter l’entreprise un an avant la fin de son contrat.

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La perte de confiance entre les salariés et la direction pourrait être le prélude de nouveaux blocages chez VW. Depuis plusieurs jours, les dissensions entre le PDG Herbert Diess et le président du Betriebsrat, Bernd Osterloh, s’étalent au grand jour dans la presse. Au point que la question du maintien en poste du PDG a été posée au sein du conseil de surveillance, où siègent pour moitié des représentants du personnel.

Problèmes de logiciels

M. Osterloh reproche à M. Diess des erreurs de management qui ont conduit à des retards importants sur deux projets clé : la Golf 8 et la voiture électrique ID.3. Ces deux modèles, censés incarner l’avenir électrique et connecté de VW, souffrent de graves problèmes de logiciels, qui ne sont pas la spécialité du groupe allemand.

Sur le fond, le bras de fer entre les deux hommes est aussi lié à une lutte d’influence pour l’avenir de Volkswagen. Le groupe allemand se distingue de ses concurrents par l’originalité de sa structure, héritée de son histoire : le Betriebsrat, dominé par le syndicat IG Metall, se considère comme un co-dirigeant de l’entreprise. Il défend le maintien des emplois en Allemagne, et en particulier au siège du groupe à Wolfsburg, contre un excès de délocalisations. Il bénéficie le plus souvent dans les arbitrages du soutien du land de Basse-Saxe, qui détient 20 % du capital. En face, la direction opérationnelle doit négocier ses réformes davantage qu’ailleurs, avec le soutien de la famille actionnaire. Le respect de cet équilibre est une condition de réussite des dirigeants, il a souvent pour corollaire une lenteur et un certain conservatisme.

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Or Volkswagen, déjà ébranlé par l’affaire des moteurs diesel truqués en 2015, doit faire un énorme effort pour s’adapter à l’évolution rapide du marché automobile. Herbert Diess s’est hissé au printemps 2018 à la tête du groupe avec l’objectif de faire passer en quelques années le constructeur traditionnellement spécialiste du moteur à explosion en un leader mondial de la mobilité électrique et connectée. Porté par la famille actionnaire, il a également bénéficié à l’époque du soutien du Betriebsrat, conscient de la pression de la concurrence chinoise et californienne.

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Un rapport sénatorial réclame la revalorisation du métier de directeur d’école

Peut-on encore ignorer le rôle « à part » des directeurs d’école, en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire puis du déconfinement scolaire ? La commission de la culture et de l’éducation du Sénat a décidé de prendre appui sur cette actualité, dans un rapport rendu public le 9 mai. Le texte, cosigné par Max Brisson (Les Républicains) et Françoise Laborde (Parti radical de gauche), veut rouvrir ce chantier laissé en suspens, en soulignant la « position ambiguë » de ce poste de directeur, mise en lumière par la crise du Covid-19 : celui-ci doit assurer le fonctionnement de l’école, sans avoir de véritable autorité, ni d’autonomie, tout en assurant souvent une charge d’enseignement.

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La vague d’indignation qui a suivi, à l’automne 2019, le suicide de Christine Renon − une directrice de Pantin (Seine-Saint-Denis) retrouvée morte dans son école maternelle − a déjà poussé l’éducation nationale à annoncer mi-novembre des mesures d’« urgence », dont un moratoire sur les enquêtes administratives et l’ajout d’une journée de décharge supplémentaire pour les directeurs.

Ces mesures sont jugées peu efficaces par les sénateurs. Ils notent une charge de travail accrue et la multiplication des interlocuteurs, qui, associés à une faible reconnaissance financière, engendrent une baisse générale de l’attractivité du métier. Selon des sources syndicales citées dans le rapport, 4 000 postes de directeur peinent à trouver preneur chaque année, sur les 44 902 écoles publiques en France.

Les sénateurs proposent donc d’abaisser le seuil des « décharges », soit le fait, pour un enseignant, d’être remplacé sur tout ou partie de son temps de classe, dans les grandes écoles. La mesure est réclamée par la profession : dans une enquête menée du 13 novembre au 1er décembre 2019 par l’éducation nationale auprès des directeurs, l’abaissement du seuil de décharges était spontanément cité par 36 % des 29 007 répondants parmi les pistes d’amélioration des conditions de travail.

Besoins exprimés par la profession

Mais l’évolution la plus forte proposée par les sénateurs tiendrait à la création d’un « emploi fonctionnel » pour les directeurs. Le mot renvoie, dans la fonction publique, à des contrats temporaires de direction. Il permettrait d’offrir une plus grande autonomie et un régime d’indemnité plus favorable que la prime actuelle (entre 200 et 400 euros par mois, selon l’ancienneté et la taille de l’école).

En proposant la création d’un « détachement » renouvelable plutôt que d’un « statut », le Sénat espère donner l’autorité à la fonction et non à la personne − à l’inverse d’un enseignant qui entrerait dans un « corps » de directeurs d’école. Ce faisant, le Sénat ajuste sa position aux besoins exprimés par la profession.

Au printemps 2019, les sénateurs avaient en effet tenté de créer, par amendement, un « statut hiérarchique » des directeurs d’école dans la loi « pour une école de la confiance ». Cette initiative avait provoqué l’ire des organisations syndicales avant d’être retoquée par l’Assemblée. Attachés au fonctionnement en équipe, les enseignants du primaire ne souhaitent pas la création d’un statut comparable à celui des « chefs d’établissement » du second degré. Beaucoup tiennent aussi au cumul avec le travail en classe.

La création de postes de mission de direction − sans toucher au statut − est aussi au cœur d’une proposition de loi de la députée Cécile Rilhac (La République en marche), qui sera débattue dans l’Hémicycle « la semaine du 22 juin », selon l’élue du Val-d’Oise. Un hasard de calendrier qui n’en est pas vraiment un. La proposition de loi, « soutenue par la majorité », assure Cécile Rilhac, a été mise à l’ordre du jour « pour tirer les leçons de la crise » du Covid-19. « D’un point de vue politique, tout cela est très bien joué, commente Dominique Bruneau, en charge du premier degré au SGEN-CFDT. Avec la crise, il est devenu impossible de nier que le directeur n’est pas un enseignant comme les autres. »

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Dans les rangs syndicaux, les avis sont partagés sur l’ouverture de ce nouveau front parlementaire, alors que l’agenda social, suspendu par le confinement, va reprendre sur le sujet. Le SGEN-CFDT soutient de longue date l’idée des « emplois fonctionnels », mais le SNUipp-FSU, majoritaire dans le premier degré, est plus réservé. « L’idée d’une mission signifie qu’on renouvelle les directeurs régulièrement, ce qui a des bons et des mauvais côtés », souligne Francette Popineau. La CGT, elle, dit déjà craindre le retour, sous une autre forme, du « statut » des directeurs.