Archive dans 2020

Le groupe Beaumanoir reprend 40 % des salariés de La Halle

Devant l’entrepôt La Halle d’Issoudun (Indre), le 2 juin.

Le verdict est tombé. Sans surprise, le tribunal de commerce de Paris a décidé, mercredi 8 juillet, d’attribuer La Halle, enseigne placée en redressement judiciaire depuis le 2 juin, au groupe Beaumanoir. L’entreprise bretonne reprend 366 magasins et 2 520 salariés de la chaîne d’habillement qui exploite 820 boutiques en France. Le groupe, qui était le mieux-disant des 25 candidats à la reprise, a obtenu le soutien du gouvernement, notamment par le biais de l’obtention d’un prêt garanti par l’Etat. D’un montant de 41 millions d’euros, cet emprunt doit permettre à la société fondée par Roland Beaumanoir en 1985 de financer le rachat, les collections à venir et le plan de relance de l’enseigne. En tout, le groupe, qui emploie déjà 13 600 personnes dans le monde, assure vouloir investir 60 millions d’euros dans La Halle.

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« Nous avons pour cela conçu et proposé un projet global fort et engagé pour la marque qui va pouvoir bénéficier de tout notre savoir-faire et de nos technologies pour lui donner de vrais moyens de développement », a fait valoir Roland Beaumanoir, par communiqué, mercredi. Connu pour son enseigne Cache-Cache, ses jeans Bonobo et ses magasins Morgan, autre marque rachetée à la barre du tribunal, le groupe au 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires avait précisé vouloir maintenir l’enseigne La Halle sur la majorité des points de vente repris. Et il entend transformer une trentaine d’entre eux en Vib’s, enseigne qui distribue plusieurs de ses marques en périphérie des grandes villes.

« L’ampleur inégalée de ces suppressions d’emplois »

Initialement, Beaumanoir s’était associé à la société Besson. L’enseigne de chaussures détenue par le groupe GPG fondé par Philippe Ginestet, repreneur de l’enseigne Tati en 2017, et Weinberg Capital s’était engagée à reprendre 42 magasins et 195 postes. Mais, finalement, les juges du tribunal de commerce de Paris ont choisi d’associer le groupe Beaumanoir à deux autres candidats : Chaussea, qui proposait la reprise de 181 magasins et 1 031 postes de travail et SuperChauss’34, intéressé par 23 points de vente, soit 150 employés. Le premier hérite finalement de 128 magasins, tandis que le second en décroche 14.

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Les élus du personnel de La Halle avaient précisément préconisé cette alliance pour « sauver davantage d’emplois ». En tout, d’après le décompte publié dans la décision du tribunal, ce sont près de 3 300 postes qui sont préservés grâce à ces trois repreneurs. « Près de 2 200 personnes seront licenciées », déplore Karim Cheboub, en soulignant « l’ampleur inégalée de ces suppressions d’emplois » dans le secteur de la distribution d’habillement. Faute de repreneur, les 289 salariés de l’entrepôt d’Issoudun (Indre) seront licenciés. A Châteauroux, le groupe Beaumanoir s’est engagé à reprendre 156 des 166 employés.

La décision du tribunal intervient après des semaines de négociations entre les administrateurs judiciaires et les repreneurs. Mise en redressement à la demande de son actionnaire, le groupe Vivarte présidé par Patrick Puy, La Halle a fait l’objet de nombreuses marques d’intérêt. Des chaînes d’habillement, mais aussi des enseignes alimentaires comme Lidl, Biocoop ou Franprix s’étaient manifestés. Sans succès. Elles pourraient cependant bénéficier de la cession ultérieure d’actifs.

La nomination de Brigitte Klinkert à l’insertion inquiète une partie des associations d’aide aux précaires

Sitôt désignée, sitôt mise en doute. L’entrée au gouvernement de Brigitte Klinkert est regardée avec appréhension par des responsables associatifs. Ils pointent du doigt les antécédents de la nouvelle ministre déléguée à l’insertion. Au cœur des griefs, l’un des volets de l’action sociale du conseil départemental du Haut-Rhin, dont elle est la présidente (divers droite).

En 2016, cette collectivité territoriale, pilotée par la droite, avait déclenché une vive controverse en adoptant une délibération qui conditionnait le versement du revenu de solidarité active (RSA) à la réalisation de sept heures de bénévolat hebdomadaire. A l’époque, Mme Klinkert n’était pas à la tête de l’assemblée départementale – le poste étant occupé par Eric Straumann (LR) –, mais elle y siégeait déjà.

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La décision du département avait été critiquée par les associations d’aide aux plus démunis. Portée devant le juge administratif, l’affaire était remontée jusqu’au Conseil d’Etat. Celui-ci avait validé le principe du dispositif, en faisant valoir que des actions de bénévolat pouvaient être demandées aux bénéficiaires du RSA. Mais il y avait mis des conditions : une telle mesure s’applique aux personnes « disponibles pour occuper un emploi » ; elle doit concourir à une meilleure insertion professionnelle, tout en étant cadrée par un contrat liant l’allocataire à la collectivité. Au fil du temps, les élus haut-rhinois avaient amendé le mécanisme, en le basant sur le volontariat – et non plus sur la contrainte.

« Stigmatisation »

Même si elle n’a pas été l’instigatrice de cette politique, Mme Klinkert en est coresponsable, car « elle était membre de la majorité départementale » en 2016, souligne Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité. « Sa nomination est une réelle inquiétude pour les associations de lutte contre l’exclusion, poursuit-il. Le risque est de voir resurgir les contreparties obligatoires aux allocations et la stigmatisation des personnes toujours accusées de ne pas faire d’efforts pour s’en sortir. »

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Ex-président de l’association alsacienne Espoir et personnalité toujours très impliquée dans le soutien aux publics fragiles, Bernard Rodenstein pose un autre regard sur Mme Klinkert : c’est une « humaniste », affirme-t-il, qui « cherche à arrondir les angles » et dont les valeurs sont éloignées du discours consistant à dicter des devoirs aux bénéficiaires de minimums sociaux. M. Rodenstein se sent d’autant plus à l’aise pour le dire qu’il avait vertement critiqué l’initiative du département du Haut-Rhin en 2016.

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« L’anonymisation du CV est une mesure efficace de lutte contre les discriminations raciales à l’embauche »

Tribune. En 2017, avec la promulgation de la loi égalité et citoyenneté, les pouvoirs publics enterrèrent définitivement le projet de rendre obligatoire le CV anonyme dans les entreprises de plus de cinquante salariés. En 2016 à l’occasion du rapport Sciberras, les entreprises, qui ne voulaient pas entendre parler d’obligation, avaient jeté la dernière pelletée sur ce projet moribond.

Mais ce fut la publication en 2011 d’une expérimentation conduite par des chercheurs du Centre de recherche en économie et statistiques (Crest), du laboratoire Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL) et de l’Ecole d’économie de Paris en partenariat avec Pôle emploi qui servit d’abord de prétexte à l’abandon de cette mesure introduite par la loi du 31 mars 2006.

Paradoxe

En effet, à en croire l’écho médiatique, cette expérimentation – la première menée en France – révélait un paradoxe : elle montrait que les demandeurs d’emplois issus de l’immigration étaient défavorisés par l’anonymisation de leur CV. Ainsi Le Monde avec l’AFP titrait le 4 avril 2011 « Le CV anonyme pénalise les personnes issues de l’immigration ». Or les débats sur les résultats de cette expérimentation reposèrent sur un malentendu.

Car l’étude ne s’appuyait pas sur la méthodologie du « testing scientifique », qui consiste à construire des candidatures fictives similaires en faisant varier une caractéristique dont on veut tester l’influence.

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Mais alors que nous apprenait exactement cette expérimentation ? Selon cette étude, l’anonymisation des CV pénalisait les candidats issus de l’immigration parce que les signaux négatifs contenus dans le bas de leur CV (formations, expériences) ne pouvaient plus être interprétés – avec bienveillance – par les recruteurs privés de l’information contenue dans le haut du CV (patronyme, adresse, couleur de peau).

Cette expérimentation ne délivrait aucune information sur la variation, suite à l’anonymisation du CV, des chances d’accès à l’entretien d’embauche d’un candidat issu de l’immigration qui aurait une trajectoire professionnelle « sans trou ». Autrement dit, elle n’avait pas évalué l’efficacité du CV anonyme comme dispositif de prévention d’une discrimination raciale à l’encontre d’un candidat au CV qui serait semblable en termes de formation et d’expériences à celui d’un candidat sans origine migratoire.

Un premier pas

Cette expérimentation disait simplement que le CV anonyme était susceptible d’accroître, en certaines circonstances (la bienveillance du recruteur), l’impact des inégalités ethno-raciales dans l’éducation et l’emploi sur l’accès à l’entretien d’embauche.

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L’Europe face au risque des « emplois zombies »

Dans une vitrine d’un magasin H&M à Canterbury, en Angleterre, le 15 juin, alors que les commerces qui avaient été jugés non essentiels réouvrent leurs portes après trois mois de confinement.

L’heure est aux « décisions cruciales ». Dans ses « Perspectives de l’emploi 2020 » publiées mardi 7 juillet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévient les gouvernements : pour piloter le redémarrage de l’activité tout en protégeant les secteurs fragilisés, pour réduire les aides d’urgence sans déclencher de faillites massives et, surtout, « pour éviter que la crise de l’emploi ne se mue en crise sociale », ils vont devoir procéder à des arbitrages difficiles. « Ils seront d’autant plus délicats que les incertitudes sont grandes : une deuxième vague de l’épidémie n’est pas exclue », souligne Stefano Scarpetta, spécialiste de l’emploi au sein de l’organisation.

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Selon ses dernières prévisions, le taux de chômage devrait grimper de 8,4 % en mai à 9,4 % fin 2020 dans l’ensemble des pays de l’OCDE, et de 8,1 % à 12,3 % en France. Dans le scénario sombre, où une circulation accélérée du virus contraindrait les Etats à prendre de nouvelles mesures pour la freiner, il flamberait jusqu’à 13,7 % dans l’Hexagone.

« Recalibrer ces mécanismes »

Les économistes sont pourtant unanimes : « Les mécanismes d’activité partielle adoptés en Europe ont efficacement limité l’envolée du taux de chômage », résume Gilles Moëc, chef économiste du groupe Axa. De fait, le contraste est fort avec les Etats-Unis, où le taux de demandeurs d’emploi a culminé à 14,7 % en avril, contre 6,6 % dans l’Union européenne (UE). Au total, près du tiers de la main-d’œuvre dans les cinq premières économies européennes, soit 45 millions de personnes, est passé par ces dispositifs. De quoi amortir une grande partie du choc de la récession, bien plus violente qu’en 2008.

« Maintenant que le confinement est levé et que l’activité repart, il est important de recalibrer ces mécanismes de soutien avec finesse », explique Daniela Ordonez, chez économiste à Oxford Economics. D’abord, parce qu’ils représentent un coût non négligeable pour les finances publiques, ainsi qu’un risque d’abus, lorsque des entreprises qui n’en ont guère besoin en profitent. Selon le ministère du travail, 850 cas de fraudes sont ainsi suspectés en France. « En outre, conserver trop longtemps le chômage partiel, conçu pour amortir des chocs sur le court terme, pourrait empêcher certains travailleurs de se déplacer vers des activités plus viables », ajoute M. Scarpetta.

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Faillites d’entreprises : malgré des « airbags économiques », Bercy et la majorité s’attendent au pire

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, à Bercy, le 7 juillet.

Des couloirs de l’Assemblée nationale aux différents étages de Bercy, la petite phrase revient, implacable. Les conséquences pour les entreprises de la crise sanitaire qui vient de frapper la France ? « On n’évitera pas les faillites. »

« On a le plus dur devant nous. Il va y avoir des difficultés sur l’emploi, les entreprises, l’industrie et les territoires. On le voit avec la multiplication des annonces [de suppressions de postes] », a admis le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, mardi 7 juillet, en marge de la passation de pouvoir à Bercy après le remaniement.

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Préparer au maximum la vague de plans sociaux qui risque de grossir à l’automne, alors que le produit intérieur brut (PIB) devrait plonger de 11 % cette année et que de nombreux secteurs (tourisme, hôtellerie, culture…) portent encore les stigmates du confinement, c’est le défi auquel va devoir s’atteler l’exécutif. « Pour les entreprises, cela a été un “blast” [effet de souffle] de tout arrêter pendant deux mois. On sait que la vague est monumentale. On ne peut pas dire qu’il y aura zéro licenciement. Le risque est réel à la rentrée, il faut dire la vérité aux Français », abonde Laurent Saint-Martin, député LRM du Val-de-Marne et rapporteur général du budget.

« Il faudra un nouvel élan »

Pour le moment, députés de la majorité et ministres estiment que les dispositifs en place ont porté leurs fruits. Plan massif de chômage partiel, fonds de solidarité pour les petites entreprises, annulation de cotisations sociales et fiscales, prêts garantis par l’Etat (PGE)… « On a mis des airbags économiques. On fait en sorte qu’il y ait le moins de plans possible », indique M. Saint-Martin.

Lire l’analyse : L’Etat est « vigilant » sur l’emploi… et soutient les restructurations

Et après ? « Après les mesures immédiates puis la relance ciblée pour les secteurs les plus sinistrés, le troisième volet de notre réponse, ce seront des mesures ambitieuses pour l’emploi », assure Bruno Le Maire, en référence aux annonces attendues la semaine du 13 juillet, notamment des primes à l’embauche ou des exonérations de cotisations pour les jeunes. « Puis, quand on entrera dans le dur de la crise, il faudra un nouvel élan », indique l’ex-LR. Le plan de relance doit être annoncé fin août. Bercy plaide plus que jamais pour une baisse des impôts de production, ces taxes sur le chiffre d’affaires des entreprises, collectées majoritairement par les collectivités. « Si on veut arrêter l’hémorragie industrielle, il faut s’attaquer aux impôts de production, notamment la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) », précise le ministre, pour qui le manque à gagner pourrait être « pris à leur charge par les régions pour attirer de l’industrie ».

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Entreprises : « Eriger les testings en méthode ultime de preuve est-il pertinent ? »

Tribune. Chaque mobilisation contre le racisme déclenche de nouvelles polémiques sur l’opportunité de réaliser des statistiques ethniques pour évaluer l’ampleur des discriminations. Comme pour mieux faire oublier cette idée, qui heurte les valeurs républicaines, le gouvernement propose alors de réaliser un testing [Le gouvernement a annoncé dans un communiqué le 17 juin le lancement d’une vague de testings sur les grandes entreprises]. Ce scénario vient à nouveau de se produire, en réponse aux manifestations contre les violences policières dirigées contre les populations d’origine immigrée.

Des vagues de testings déferlent ainsi périodiquement sur les entreprises françaises, afin d’évaluer les discriminations à l’embauche dont souffrent ces populations. S’il ne fait aucun doute que ces discriminations relèvent d’une actualité aussi permanente que scandaleuse devant faire l’objet de politiques réellement offensives, est-il pertinent d’en chiffrer la mesure de cette manière et de dénoncer publiquement les entreprises considérées comme de mauvais élèves ? Cela mérite amplement discussion, d’autant que l’on a tendance à ériger les testings en méthode ultime de preuve.

Des candidatures fictives sont envoyées deux à deux dans les entreprises, en réponse à de réelles annonces d’offre d’emploi. Elles sont semblables en tout point, sauf au regard d’une caractéristique que l’on cherche à tester : l’influence d’un nom à consonance étrangère (souvent maghrébine), d’un lieu de naissance, d’une domiciliation dans un quartier sensible, etc. La comparaison des taux de réponse obtenus par la candidature de référence (dite « hexagonale ») et celle que l’on teste, semble ainsi pouvoir donner directement la mesure recherchée.

Mais cela n’a rien d’évident, malgré toutes les précautions prises par les auteurs des expérimentations.

D’un côté, il leur faut multiplier les tests pour obtenir des résultats significatifs et les envoyer de manière rapprochée ; de l’autre, il faut éviter de se faire repérer pour ne pas fausser les résultats. Or les entreprises, et a fortiori les cent vingt que les pouvoirs publics ont choisi de tester, sont sur leurs gardes. Leurs offres ne sont pas si nombreuses et portent sur des emplois trop divers pour opérer des comparaisons rigoureuses. Même lorsque les candidatures élaborées sont bien ciblées, les taux de réponses restent bas.

Manque de représentativité

Faut-il assimiler les non-réponses à des refus d’embauche ? Pour contrer la rareté des convocations à un entretien en réponse à des annonces, les expérimentateurs ont imaginé d’envoyer des candidatures spontanées aux entreprises et finalement de formuler des demandes d’information plutôt que des demandes d’entretiens. Mais à qui les envoyer ? Et que comptabilise-t-on ainsi ?

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Vigilance et soutien aux restructurations : le « en même temps » de l’Etat face aux plans sociaux

Dans les rues de Paris, le 8 juin.

Ces dizaines de milliards d’euros accordés par le gouvernement aux entreprises en difficulté… pour déboucher sur des milliers de suppressions d’emplois chez Renault, Airbus ou Air France ! Depuis quelques semaines, les syndicats et les oppositions politiques font le rapprochement et s’indignent d’une opération qui leur apparaît comme un jeu de dupes dont les salariés des entreprises concernées, l’Etat – et les contribuables – seraient les grands perdants. Est-ce aussi simple ? Et jusqu’où peut aller la puissance publique pour éviter la casse sociale tout en préparant l’avenir – sans disposer d’une grande visibilité ?

« La question est plus politique qu’économique, analyse Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L’intervention de l’Etat était nécessaire. Mais le choc est structurel. Et des secteurs comme l’aéronautique et le transport aérien ne retrouveront peut-être jamais leur niveau d’activité d’avant-crise. L’Etat peut-il continuer à subventionner ? La question de la rentabilité se pose. » Et sans son intervention, l’hémorragie d’emplois aurait été plus forte. La faillite même, comme dans le cas d’Air France, qui a perdu 90 % de son activité au plus fort de la pandémie.

« Rien de plus faux »

Une accusation circule dans les syndicats : les dirigeants chargent la barque pour décrocher plus d’aides de l’Etat. « Rien de plus faux », s’indigne Guillaume Faury. Le président exécutif d’Airbus, qui a dégagé 10 milliards de bénéfices entre 2015 et 2019, assure avoir calibré au mieux, avec ses clients et ses sous-traitants, les 15 000 suppressions d’emplois annoncées début juillet. Même s’il a vite admis qu’environ 3 500 d’entre eux pourraient être sauvés. « Si nous avions suivi la pure logique mathématique, explique-t-il dans Le Figaro du 2 juillet, ce sont 36 000 des 90 000 emplois d’Airbus Aviation commerciale que nous aurions dû supprimer ». Soit le « quota » pour s’adapter à une baisse de 40 % de l’activité.

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Autre accusation : les entreprises profitent de la crise pour faire des restructurations qu’elles ont longtemps différées, comme chez Air France pour des vols dans l’Hexagone. A la demande de l’Etat, la compagnie doit fermer les liaisons intérieures où la durée d’un trajet en TGV n’excède pas 2 h 30, ce qui condamne en partie les lignes d’Orly vers Bordeaux, Lyon et Nantes. Une aubaine pour la compagnie, puisque ces dessertes subissent la concurrence du train. Et que certaines pourront être reprises et exploitées à moindre coût par sa filiale low cost, Transavia.

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Une lueur d’espoir pour l’emploi handicapé soufflée par le Covid

«  Les entreprises adaptées, souvent multi-activités ont ainsi pu, selon la nature du handicap, transférer des travailleurs d’une activité sinistrée, comme la sous-traitance de l’aéronautique par exemple, à une autre comme la production de gel hydroalcoolique. »

Alors que le chômage des personnes en situation de handicap avait enregistré un très léger mieux en 2019, avec un premier retournement de la courbe, d’un point de pourcentage sur un an à 18 % (contre 9 % pour l’ensemble des actifs), le Covid a assombri l’horizon.

En termes quantitatifs, les personnes en situation de handicap ne sont pas épargnées par « la chute historique de l’emploi salarié au premier trimestre, de 485 000 emplois dont 170 000 hors intérim », confirmée le 2 juillet par l’Insee. « Il faudra attendre les chiffres du deuxième trimestre pour se faire une idée de l’impact réel du Covid, mais on prévoit une baisse des entrées en emploi », confie Marlène Cappelle, déléguée générale de Cheops (le Conseil national han­dicap & emploi des organismes de placement spécialisés), l’association qui représente Cap emploi (le Pôle emploi « handicap »). 68 % des handicapés chômeurs sont pessimistes quant à leurs chances de retrouver un emploi, selon le dernier sondage Agefiph-IFOP publié fin mai.

« La dégradation de l’emploi s’est concentrée sur les plus précaires », souligne l’Insee. Or, la population handicapée est majoritairement peu qualifiée et l’intérim, qui s’est littéralement effondré en mars, « est un de nos leviers de retour à l’emploi », précise Mme Cappelle. En revanche, leur présence dans tous les secteurs amortit le choc. Les entreprises adaptées, souvent multi-activités ont ainsi pu, selon la nature du handicap, transférer des travailleurs d’une activité sinistrée, comme la sous-traitance de l’aéronautique par exemple, à une autre comme la production de gel hydroalcoolique.

Nouveaux besoins d’adaptation

L’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des ­personnes handicapées (Agefiph), qui a fait des projections par secteur d’activité, estime à plus de 270 000 le nombre de handicapés potentiellement en activité partielle entre mars et mai, auxquels s’ajoutent 400 000 personnes en arrêt-maladie, dont 250 000 vulnérables, sur une population totale de 2,8 millions. « On n’a paradoxalement pas noté de hausse du nombre de demandeurs d’emploi fin mars (489 000). Mais on s’y attend pour septembre. Le risque de perte d’emploi sera important ; certains vont s’enkyster dans le chômage de longue durée ; et l’entrée sur le marché du travail sera plus difficile, affirme Véronique Bustreel, la directrice innovation, évaluation et stratégie de l’Agefiph. Les entreprises vont chercher de la mobilité et de la polyvalence, ce qui peut pénaliser les personnes en situation de handicap. »

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En France, LDLC est conquis par la semaine de quatre jours

« Le groupe LDLC, qui travaille sur les questions de qualité de vie au travail et d’organisation depuis trois ans, n’en n’est pas à sa première initiative hors des sentiers battus »

Dès 2021, la société de vente en ligne d’équipements informatiques devrait offrir à ses salariés de passer à 32 heures travaillées en quatre jours, sans renoncer aux augmentations de salaire. Tandis que des économistes recommandent de faire travailler davantage les salariés, afin de compenser la baisse d’activité consécutive à la crise du Covid-19, cette annonce vient à contre-courant.

Une décision indépendante des récents événements liés à la pandémie, assure le fondateur de LDLC, groupe français de commerce en ligne, Laurent de la Clergerie : « L’idée a germé dans mon esprit suite à un article sur Microsoft au Japon. » En août 2019, le géant américain de l’informatique a en effet testé la semaine de quatre jours pour les salariés de sa filiale japonaise. Selon Microsoft, cette expérience a permis d’augmenter leur bien-être au travail, tout en augmentant leur productivité de près de 40 %. « Je suis convaincu que donner un jour de plus aux équipes, afin qu’elles puissent faire tout ce qu’elles n’ont pas eu le temps de faire dans la semaine, tout en bénéficiant d’un vrai week-end en famille, permettra d’améliorer leur efficacité », argumente le dirigeant de LDLC.

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Un rêve pour de nombreux salariés : selon une étude réalisée par ADP, 50 % des travailleurs français interrogés préféreraient prolonger leurs journées afin de ne plus travailler que quatre jours par semaine. Le groupe compte arriver à ce résultat en adaptant les plannings de chacun. Toutefois, difficile de trouver un système susceptible de satisfaire tout le monde : « D’après les premiers retours qu’on a eus, 80 % des collaborateurs souhaitaient que ce jour supplémentaire soit le vendredi », constate Laurent de la Clergerie.

Manageurs et cadres expriment quelques réticences

Afin de ne léser personne, tout en permettant à l’entreprise de tourner sans encombre, le patron a imaginé un système d’alternance entre semaines paires et impaires. « Il y aura aussi des recrutements, prévoit M. de la Clergerie. Pas forcement dans tous les métiers, mais nous envisageons une embauche pour deux postes. » Des perspectives motivées aussi par la bonne santé du groupe, qui a plutôt bénéficié de la crise liée au Covid-19, assure le dirigeant.

Si l’annonce a été bien accueillie par l’ensemble des salariés, des manageurs et des cadres ont exprimé quelques réticences : « Certains estimaient qu’il était impossible de gérer leurs équipes sur seulement quatre jours. D’autres m’ont dit qu’il était impossible de faire tenir leur travail dans quatre jours. A ceux-là, va leur falloir apprendre à déléguer », souligne M. de la Clergerie.

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Le luxe, les inégalités et le politiquement correct

« Kering illustre ainsi, par sa réussite même, les contradictions du grand théâtre du monde qui provoquent les tremblements sociaux actuels »

Gouvernance. Alors que se multiplient des manifestations sous le label Black Lifes Matter, que la parité entre les hommes et des femmes dans les instances économiques est devenue une exigence politique, que les engagements pour sauver le climat et l’environnement alimentent les causes nobles et les démarches citoyennes ; alors que, dans le même temps, les tensions liées aux différences sociales sont exacerbées à l’extrême, que le niveau de vie des classes moyennes est menacé et que l’inquiétude sur l’avenir économique des plus pauvres s’accroît, il est instructif de porter le regard décalé sur l’actualité du conseil d’administration du groupe français Kering.

Kering est une entreprise de luxe qui, par des achats successifs, s’est créé un portefeuille de marques très haut de gamme, incluant Gucci, Saint Laurent, Balenciaga ou Boucheron. Avec 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, près de 38 000 collaborateurs et 1 500 magasins, c’est un groupe international dont l’activité se répartit entre l’Asie (42 %), l’Europe (32 %) et les Amériques (26 %).

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Le 16 juin 2020, l’assemblée générale des actionnaires du Groupe a approuvé la nomination comme membre du conseil d’administration d’Emma Watson, célèbre actrice britannique trentenaire qui fut l’interprète d’Hermione Granger dans la série cinématographique d’Harry Potter. Militante engagée pour l’égalité des hommes et des femmes, elle rejoint un conseil composé de huit femmes et de cinq hommes, dans un éventail de six nationalités et de quatre continents, Afrique comprise.

Le groupe Kering prône « un luxe durable »

L’équilibre des cultures se joue aussi entre le capital et le travail, puisqu’une administratrice représente les salariés du groupe, tandis qu’une autre est la déléguée d’Artémis, la holding de la famille Pinault. Equilibre symbolique certes, car celle-ci détenant 41 % du capital, son PDG, François-Henri Pinault a tout pouvoir. Reste que huit membres du conseil sur treize sont extérieurs à l’entreprise et forment un casting de stars aux parcours professionnels exceptionnels tant dans de grandes sociétés, que dans l’entrepreneuriat ou dans la création artistique.

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Le conseil d’administration de Kering répond ainsi à tous les critères de la « bonne gouvernance », tels que les codes les formalisent : diversité, inclusion, ouverture, compétence. Sa composition traduit aussi l’implication spectaculaire de l’entreprise dans le développement durable et les grandes causes sociétales du moment. Prônant « un luxe durable », Kering publie chaque année un compte de résultat environnemental, et sa stratégie lui vaut régulièrement les applaudissements et les distinctions internationales décernées par des ONG ou des agences de notation.

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