Archive dans 2020

Prévention du suicide : « Solitude, qualité de travail “empêchée”, surengagement, surcharge mentale sont au nombre des facteurs de risques suicidaires »

« Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié. »
« Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié. » PhotoStock-Israel/Cultura / Photononstop

Carnet de bureau. La France compte entre 10 000 et 11 000 suicides par an depuis dix ans. Combien d’entre eux sont-ils liés au travail ? Le quatrième rapport de l’Observatoire national du suicide, à paraître prochainement, ne l’indique pas, « parce que c’est impossible, explique Christian Baudelot, sociologue et coauteur du rapport avec le psychiatre Michel Debout. Il y a un blocage énorme des entreprises pour en parler. Les directions se refusent toujours à comptabiliser et à communiquer sur les suicides. Alors même qu’elles sont soumises à des transformations radicales ».

Les drames des dix dernières années (Technocentre Renault, France Télécom, La Poste) n’ont pas suffi à briser le tabou. L’intérêt du rapport de l’Observatoire national du suicide est de parler et de faire parler de ce phénomène multifactoriel en réaffirmant son lien avec les conditions de travail. Solitude, qualité de travail « empêchée », surengagement, surcharge mentale, sont au nombre des facteurs de risques suicidaires. La politique de prévention est au nombre des solutions.

« France Télécom nous a beaucoup appris. Le concours des psychiatres, des psychologues et des syndicalistes a permis de mieux appréhender le sujet, estime M. Baudelot. Ce sont les travailleurs les plus impliqués et les plus attachés à l’éthique de leur travail qui se suicident. Et le suicide est d’autant plus fréquent, qu’il y a une perte des liens sociaux. Or, le management rend les salariés de plus en plus seuls, avec l’injonction de s’investir toujours davantage. Mais la situation n’est pas irrémédiable. La direction et le management de France Télécom ont changé et l’entreprise n’a pas coulé. »

De nombreux obstacles

La prévention des risques dits psychosociaux (RPS) est un problème. Les entreprises ne savent ni anticiper ni la suivre dans la durée, affirment Michel Debout et Jean-Claude Delgènes dans leur essai Suicide. Un cri silencieux. Mieux comprendre pour mieux prévenir (Le Cavalier bleu). Le psychiatre et le directeur général du cabinet Technologia spécialiste des RPS décodent un certain nombre d’idées reçues (Non ! Le suicide n’est pas héréditaire) et montrent en quoi le rôle du DRH est primordial. Le plus souvent, le changement d’organisation du travail n’est ni concerté ni participatif. Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié.

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Les obstacles à la prévention sont nombreux : la difficulté à parler le même langage entre psychologue et manageur pour élaborer des sorties de crise, la méfiance des dirigeants à l’égard des sciences humaines, le respect du secret médical. C’est une fois la tragédie survenue, donc trop tard, que l’entreprise met en place des espaces d’écoute ou de médiation, pour traiter les risques suicidaires au cas par cas. « Au moment du drame, tous les acteurs se mobilisent, préoccupés par les conséquences juridiques et par l’image de l’entreprise. Des projets de prévention voient le jour. Mais avec le temps et le turnover des DRH et des leaders syndicaux, toute cette réflexion se perd », témoigne M. Delgènes.

Pierre-Yves Gomez : «  La rhétorique sur le savoir-être permet d’escamoter la puissance des contraintes dans les organisations »

Chronique. La formation au management et les techniques de recrutement s’enthousiasment pour les soft skills. Ce terme vague et assez fourre-tout désigne les capacités personnelles constitutives du savoir-être d’un collaborateur au nombre desquelles on compte l’agilité intellectuelle, la résilience face à l’échec ou la bienveillance dans les relations. Selon ce point de vue, le savoir-être permet d’affronter les situations concrètes auxquelles sera confronté le salarié et il s’oppose au savoir-faire, suspecté d’enfermer les individus dans des routines. Dit autrement, il s’agit de former ou de recruter des potentiels agiles plutôt que des sachants rigides.

A première vue, cette conception fait écho à l’environnement économique et social au caractère changeant et incertain. Difficile de recruter sur la base de savoir-faire stables, lorsque la transformation permanente des entreprises est considérée comme un principe de gestion, voire comme une condition de survie. L’exaltation du savoir-être traduirait l’impuissance des organisations à anticiper sur le moyen terme les compétences qui lui seront nécessaires, et le besoin d’attirer des collaborateurs avec suffisamment de ressources personnelles pour s’adapter à un monde promis au mouvement permanent.

Mais cette vulgate pourrait masquer une impuissance inverse : loin d’être incertaine, la production des entreprises est, au contraire, de plus en plus contrainte par les règles qu’imposent la globalisation des économies et la transparence exigée par la société. A tous les niveaux hiérarchiques, une part importante des activités est prescrite par des normes et des obligations, qu’elles soient sociales, financières ou techniques.

Standardisation

Au-delà du discours convenu sur la mutation constante du travail, on assiste plutôt à sa standardisation. L’exigence de « conformité » (compliance) en est l’expression patente : depuis l’agent de nettoyage jusqu’à la cadre supérieure, on est appelé à documenter que le travail réalisé est conforme aux listes d’attentes prescrites. La rhétorique sur le savoir-être permet alors d’escamoter la puissance des contraintes dans les organisations et d’attirer des collaborateurs en se centrant sur eux plutôt que sur la réalité du travail qu’ils auront à produire.

Cette dernière interprétation expliquerait le décalage constaté, dans les études sur le travail, entre le discours positif sur les soft skills personnelles et le désengagement croissant à l’égard des activités professionnelles. La déception est inévitable, en effet, sitôt que le collaborateur se heurte à la matérialité des contraintes auxquelles les organisations sont soumises.

« Le travail ne disparaîtra pas à cause de l’intelligence artificielle »

Au Salon Essen Motor Show, à Essen (Allemagne), le 29 novembre 2019.
Au Salon Essen Motor Show, à Essen (Allemagne), le 29 novembre 2019. Martin Meissner / AP

Chronique. La diffusion de l’intelligence artificielle (IA) dans l’ensemble de l’économie laisse entrevoir la possibilité – et, chez un bon nombre de gens, la peur – que les machines finissent par remplacer le travail humain. Certains se félicitent de ces avancées qui, selon eux, réalisent le vieux rêve humain de la libération du travail, tandis que d’autres leur reprochent de priver les gens de l’accomplissement par le travail et de couper le lien entre les prestations sociales et l’emploi.

Notre définition actuelle du travail remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque l’essor de la grande industrie a généralisé la séparation du lieu de travail et du domicile. Le travail dans les régions industrielles s’est réduit à un emploi rémunéré à l’extérieur du domicile, tandis que les travaux ménagers, l’agriculture de subsistance et les échanges de proximité ont été soudainement exclus du calcul de la valeur. Ces activités n’ont pas disparu, ni de la périphérie ni du cœur de l’économie mondiale, mais l’absence de salaire impliquait l’absence de reconnaissance, donc aucun enregistrement statistique ni aucun accès aux prestations publiques.

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Les travaux domestiques et de subsistance non rémunérés, ainsi que l’agriculture paysanne et l’artisanat traditionnel ont été considérés comme résiduels, bientôt remplacés par des techniques modernes et une logique de marchandisation.

Mais cette vision dominante tout au long du XXe siècle ne s’est pas matérialisée. Il est vrai que les relations salariales se sont développées, mais dans de vastes régions du monde, elles étaient insuffisantes pour nourrir une famille.

Nouvelles exigences

A partir des années 1980, le travail non rémunéré a fait son retour dans les économies développées. La rationalisation, la financiarisation et l’externalisation des productions à forte intensité de main-d’œuvre vers les pays de la périphérie mondiale ont brisé le lien entre l’emploi à vie et la sécurité sociale. Les employeurs ont introduit des contrats de travail de plus en plus flexibles. Les travailleurs pauvres, qui ne peuvent pas vivre de leur salaire, ont à présent plusieurs emplois ou contrats ; dans les zones rurales, ils répondent à leurs besoins alimentaires et de logement en partie grâce à l’agriculture de subsistance et aux travaux de construction. Mais l’augmentation de l’activité non rémunérée ne concerne pas que les pauvres. Afin de répondre aux nouvelles exigences de l’ère de la machine, les personnes aisées doivent aussi travailler sur leurs performances physiques et mentales, en particulier leur apparence, leur motivation et leur endurance.

Comment repérer le burn-out et y faire face

Le burn-out est encore mal appréhendé par les pouvoirs publics et les entreprises. Défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2019 comme « un syndrome résultant d’un stress chronique professionnel qui n’a pas été correctement managé », le burn-out est caractérisé par « un sentiment d’épuisement, du cynisme et une perte d’efficacité ».

Face au burn-out, la prévention est primordiale. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle, et quels outils mettre en œuvre. Explications, en dessins, par la psychologue Catherine Vasey, avec notre partenaire Sydo.

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Chez Engie, la querelle de gouvernance vire au pugilat public

Le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’énergéticien, Isabelle Kocher, le 7 janvier, au ministère de l’économie, à Paris.
Le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’énergéticien, Isabelle Kocher, le 7 janvier, au ministère de l’économie, à Paris. ERIC PIERMONT / AFP

Combien de temps Isabelle Kocher peut-elle tenir à la tête d’Engie ? Le mandat de la directrice générale du géant de l’énergie expire en mai, mais la guerre de tranchées qui dure depuis des mois sur la question de son renouvellement vire au pugilat.

« Tout dérape complètement », confie une source haut placée au sein d’un groupe où l’atmosphère devient irrespirable – les acteurs du conflit n’ont accepté d’évoquer le sujet avec Le Monde que sous de strictes conditions d’anonymat. D’un côté, Isabelle Kocher, unique femme à la tête d’un groupe du CAC 40, se targue d’avoir réussi la transformation de l’ancien GDF Suez en groupe ancré dans la transition énergétique. De l’autre, son conseil d’administration, présidé par Jean-Pierre Clamadieu, estime que la directrice générale n’est plus la bonne personne pour piloter cette stratégie.

L’Etat, premier actionnaire d’Engie avec 23,64 % du capital, avait fait savoir jusque-là qu’il entendait laisser le conseil d’administration faire son travail. Mais dimanche 2 février, dans un entretien au Journal du dimanche, Mme Kocher a dénoncé une « campagne » contre elle et a insisté sur le fait qu’elle s’inscrivait dans la ligne droite des engagements du président de la République sur le climat.

Seule femme à diriger une entreprise du CAC 40

Un assemblage baroque de soutiens s’est ensuite fait entendre dans les médias. Le député européen écologiste Yannick Jadot a d’abord appelé M. Macron à la soutenir. « Je soutiens cette femme qui est en train de faire changer un grand groupe énergétique français vers ce que nous portons, la révolution climatique, la révolution énergétique, l’efficacité dans nos logements », a-t-il expliqué, lundi 3 février, sur LCI. Dans la foulée, un collectif allant d’Anne Hidalgo à Xavier Bertrand en passant par Cédric Villani, a publié une tribune dans Les Echos pour vanter la « réussite » de Mme Kocher, leader « indispensable » à Engie.

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Ce déballage en place publique a pour objectif avoué de pousser les pouvoirs publics à intervenir. « L’Etat ne voulait pas s’en mêler, analyse un soutien de la directrice générale. Et bien, on va l’obliger à le faire ! Si Macron veut la sortir, qu’il l’assume. » Il est vrai que mettre fin au mandat de la seule femme à diriger une entreprise du CAC 40 peut avoir valeur de symbole pour les pouvoirs publics, qui préparent une loi visant à favoriser la féminisation des instances dirigeantes.

La grève sans précédent à Radio France suspendue jusqu’à début mars

Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris.
Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Après soixante-trois jours de grève, des salariés de Radio France réunis en assemblée générale ont décidé, lundi 3 février, de suspendre le mouvement jusqu’au début du mois de mars.

La grève, d’une durée sans précédent dans l’histoire de l’audiovisuel en France, doit être suspendue à partir de minuit. La mesure a été adoptée avec 25 voix pour, 16 contre et 29 abstentions. Il s’agit de la deuxième pause décidée depuis le début du mouvement, après une suspension d’une dizaine de jours observée fin décembre.

Lire notre récit : A Radio France, le conflit s’enlise

Des concessions de la direction

Si les autres syndicats du groupe public ont appelé ponctuellement à des arrêts de travail depuis le début du mouvement, la Confédération générale du travail (CGT) est la seule organisation qui avait lancé un préavis d’une durée illimitée, reconduit jusqu’ici de jour en jour.

La grève avait commencé après l’annonce, en novembre 2019, d’un plan prévoyant 299 suppressions de postes, sur un effectif total de 4 600 équivalents temps plein environ. En janvier, la présidente-directrice générale de Radio France, Sibyle Veil, avait cependant accepté de transformer, à la demande de plusieurs syndicats (à l’exception notable de la CGT), ce plan de départs volontaires en rupture conventionnelle collective. Par ailleurs, 76 postes, en majorité liés au numérique, doivent être créés dans le cadre du plan.

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« Le rapport de force a changé »

Dans la foulée, quatre des six syndicats de Radio France, qui représentent la majorité des salariés, ont entamé des négociations avec la direction. Et vendredi, pour la première fois depuis le début du mouvement, le ministre de la culture, Franck Riester, a reçu l’ensemble des syndicats et la direction de Radio France. « Le problème, c’est comment on se bagarre. Le rapport de force a changé » avec l’ouverture de ces négociations, a estimé un représentant de la CGT lors de l’AG de lundi.

Suspendre la grève permettra aux personnels de « réemmagasiner des forces » et de « se remobiliser », a-t-il souligné, précisant que son organisation continuerait, en attendant la reprise du mouvement, d’appeler à la grève lors des journées interprofessionnelles de mobilisation contre la réforme des retraites, dont celle du jeudi 6 février. Une nouvelle réunion de négociation doit se tenir vendredi et la CGT organisera une nouvelle AG le 11 février pour faire le point sur ces discussions.

Retraites : « La question de la pénibilité au travail ne peut pas être abordée en silo »

« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. »
« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. » Ingram / Photononstop

Tribune. Les études européennes indiquent que les salariés français sont parmi ceux qui aspirent le plus à partir à la retraite. Le souhait exprimé par nos compatriotes de cesser de travailler dès que possible est à mettre en relation avec d’autres études qui indiquent qu’ils sont parmi les plus stressés au travail.

La question de la pénibilité au travail est certes abordée dans le débat sur la réforme des retraites, mais elle se focalise sur la seule pénibilité physique des métiers qui y sont exposés avec la possibilité d’un départ du travail plus précoce. La pénibilité psychologique n’est absolument pas prise en compte, alors que, depuis plusieurs années, les grandes institutions (Organisation mondiale de la santé, Bureau international du travail) soulignent que le stress est devenu le premier risque pour la santé des travailleurs.

Selon les données les plus récentes, entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. Dans une étude couvrant la dernière décennie, Santé publique France s’inquiète de la progression des souffrances psychologiques liées au travail.

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Comment alors peut-on imaginer que l’hypothèse de reculer l’âge de départ à la retraite puisse être acceptée quand le travail est encore vécu par un nombre important de nos concitoyens comme source de mal-être ?

Dépression, burn-out, voire suicide

Malheureusement, la France est aussi le pays qui a le moins pris en compte la prévention des risques psychosociaux, à l’origine de cet hyperstress et des nombreuses conséquences qui y sont liées : dépression, burn-out, voire suicide. Là encore, les comparaisons internationales ne sont pas en notre faveur. Le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail sur les risques professionnels (Esener-2, 2014) indique que seulement 29 % des entreprises françaises ont mis en place des actions de qualité pour prévenir les risques psychosociaux, alors qu’elles sont plus de 50 % en moyenne en Europe.

La tendance est de traiter indépendamment les thèmes du chômage, des retraites, de l’emploi des seniors, de la qualité de vie au travail, etc. Il faut davantage réfléchir à une approche globale du travail, car tous ces thèmes sont intriqués entre eux

Quant à la formation des manageurs sur cette question, elle n’est mise en place que dans 46 % des entreprises françaises, contre 73 % en moyenne en Europe. C’est ainsi, sans surprise, que 35 % des salariés français pensent que leur employeur ne s’intéresse pas du tout à leur bien-être psychologique contre 16 % en Suisse ou en Allemagne.

Le gouvernement finalement favorable à l’allongement du congé suivant la perte d’un enfant

Le gouvernement fait un virage à 180 degrés. Jeudi 30 janvier, Muriel Pénicaud s’était opposée à l’allongement du congé qui suit la perte d’un enfant, tel que proposé par le groupe UDI à l’Assemblée nationale. Dimanche, au lendemain d’un recadrage du président Emmanuel Macron, la ministre du travail annonce dans Le Parisien que la majorité va finalement défendre cette extension de cinq à douze jour de congé lors de la prochaine lecture du texte au Sénat.

Muriel Pénicaud confie ainsi que « la décision prise collectivement [de refus du texte] n’était pas la bonne », et précise que « l’allongement à douze jours va revenir au Sénat sous la forme d’un amendement gouvernemental », à une date pas encore fixée. Samedi, à la suite d’une levée de boucliers allant de La France insoumise au Medef, le président de la République avait « demandé au gouvernement de faire preuve d’humanité » dans ce débat, provoquant la volte-face de la majorité.

« Après la perte d’un enfant, qui est le pire drame auquel on peut être confronté, on ne se reconstruit pas en quelques jours, dit aujourd’hui Muriel Pénicaud. Il faut des mois et des années. » Elle dit étudier les possibilités pour « aller plus loin », notamment en termes de financement.

« Nous allons travailler à un accompagnement psychologique sur la durée. Nous voulons aussi regarder la question des frais d’obsèques qui ne doivent pas être un poids supplémentaire. Enfin, nous allons ouvrir ces mesures aux fonctionnaires. »

« Pas à la hauteur pour reprendre pied »

Le vote sur la proposition de loi avait eu lieu jeudi, son rapporteur, le député (UDI-Agir) du Nord Guy Bricout, jugeant que les cinq jours donnés actuellement ne sont « pas à la hauteur » pour « reprendre pied suite à la mort d’un enfant ».

En réponse, la députée (La République en marche, LRM) du Var Sereine Mauborgne avait défendu la « possibilité pour l’employeur de créer un compte de don » de RTT par les collègues du salarié endeuillé. De son côté, la ministre du travail avait aussi mis en avant que le texte tel qu’il était rédigé ne reposait pas sur la solidarité nationale, mais sur un congé « payé à 100 % par l’entreprise ».

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Ces propos ont soulevé l’indignation dans l’hémicycle. « On parle de la tragédie des tragédies », a lancé François Ruffin, dénonçant une majorité « mesquine », tandis que le député (apparenté Les Républicains, LR) des Ardennes Pierre Cordier dénonçait une « honte ». Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, a lui indiqué qu’il proposerait « à l’ensemble des groupes politiques du Sénat de déposer en commun et de voter cette proposition de loi ». « Une question d’humanité » a-t-il ajouté.

Vendredi matin, c’est le président du Medef lui-même, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a demandé un nouveau vote en faveur des douze jours. « C’est une évidence et c’est lancé », a-t-il répondu dans un tweet à l’ancienne présidente de l’organisation patronale Laurence Parisot, qui avait estimé un peu plus tôt que « le Medef s’honorerait à demander un nouveau vote de cette proposition ».

Chaque année en France, 4 500 enfants meurent avant d’avoir atteint leur majorité.

Mise à jour le 2 février à 21h35 : Contrairement à ce qui était indiqué précedemment, Sereine Mauborgne est députée du Var et non de la Sarthe.

« J’en étais arrivée à un point où je ne savais même plus dans quelle ville je me réveillais » : les épuisés de l’hypermobilité professionnelle

Roissy 2011. Photo extraite de la série « Les failles ordinaires », de Géraldine Lay.
Roissy 2011. Photo extraite de la série « Les failles ordinaires », de Géraldine Lay. GERALDINE LAY / GALERIE LE REVERBERE

Le moment de la valise revient à chaque fois. Certains l’expédient le plus vite possible, y jettent machinalement le nécessaire habituel. Pas question d’y perdre plus de temps, la semaine de déplacement qui les attend va déjà leur en voler assez. D’autres y consacrent plus d’une heure, dans une espèce de rituel pénitentiel au cours duquel il ne faut surtout pas les déranger. Les voilà déjà projetés dans le lever à 4 heures, le trajet pour la gare, l’aéroport, les halls, l’attente, les réunions, les dîners…

« Cette valise, c’est à la fois toute ma vie et mon enfer », lâche Antoine (les prénoms ont été changés à la demande des intéressés). « La planquer pour ne plus la voir » est son premier réflexe lorsqu’il rentre le vendredi soir. Cet objet renferme dix ans d’une hypermobilité professionnelle qui aura conduit ce cadre dirigeant d’une grande entreprise nationale à passer plus de temps dans les TGV, les avions et les hôtels que chez lui, auprès des siens, dans le Finistère.

« Quand vous passez vos semaines loin des vôtres, vous ratez tout, vous n’êtes là pour personne, vous ne vous impliquez nulle part » Antoine, cadre dirigeant

Dans le 5-étoiles où il a ses habitudes parisiennes, un grog pour venir à bout d’un rhume, le quinquagénaire, col roulé et blazer, raconte cette mécanique implacable qui « vous oblige à répondre aux impératifs de mobilité » si vous voulez obtenir promotions et fonctions stratégiques. « Quand, par malheur, vous avez choisi d’habiter en région, c’est la double peine. » Il décrit le paradoxe de ces discours managériaux prêchant la flexibilité, tenus par des PDG « dont les trajets se résument à Levallois-La Défense en berline ».

Parce que son travail compte, Antoine a choisi de « jouer le jeu ». Au risque de finir par tout perdre : femme, famille, amis. « Quand vous passez vos semaines loin des vôtres, vous ratez tout, vous n’êtes là pour personne, vous ne vous impliquez nulle part. Et ce n’est pas FaceTime qui permet d’y remédier. Le week-end, de passage auprès de votre femme et de vos enfants, vous tentez de rattraper l’irrattrapable. » Dans sa société, il constate un taux de divorces et de burn-out tristement élevé. Lui-même n’a échappé ni à l’un ni à l’autre. « Cette hypermobilité peut détruire l’unité familiale et la vie sociale, en plus de vous disloquer. »

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Bataillons d’actifs aux mines affairées

Dans le confort des salons grands voyageurs, le dirigeant se surprend à mépriser cette image à laquelle il aspirait, pourtant. Cette armée de cadres « en uniforme », suspendus à leur smartphone, absorbés par leurs mails, qui se frôlent mais ne se parlent pas, valeur travail et statut social chevillés au costard, dans « ce théâtre de l’élite mondialisée » dont chacun choisit de rejouer la partition. Les mêmes qu’il retrouvera peut-être, le soir, dans la solitude de l’hôtel. « Aime-t-on nos boulots ou le fait de se sentir important ? », s’interroge-t-il.