Archive dans septembre 2020

« Dans l’OCDE, en dix ans, un quart des créations d’emplois l’ont été dans le numérique »

Entretien. Pour Stefano Scarpetta, responsable de la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE, la crise liée au Covid-19 va donner une accélération à la transition digitale.

En France, le volume d’offres d’emploi est reparti à la hausse depuis le mois de mai. En septembre, les campagnes de recrutements sont relancées. Comment réagissent les autres pays de l’OCDE ?

Certaines évolutions françaises sont partagées en Europe. A très court terme, les entreprises avaient interrompu leurs recrutements. Elles les reprennent, surtout aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où le taux de chômage a grimpé beaucoup plus haut qu’en France et où il n’y avait pas de chômage partiel.

Les Etats-Unis ont utilisé un dispositif de « licenciement temporaire », qui permet de licencier un salarié avec promesse d’embauche si l’activité repart dans les six mois. La moitié de ces « licenciements temporaires » ont été réembauchés. Et le taux de chômage, qui avait atteint 14,7 % en avril, contre 3,5 % en février, est redescendu à 8,4 % en août. Il n’y a pas un pays dans lequel les embauches n’ont pas baissé, mais ce qui a fait la différence, c’est l’ampleur de l’ajustement pendant le confinement.

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En Europe, comment évoluent les embauches par secteur ?

A très court terme, le rebond est similaire d’un pays européen à l’autre. On est dans la première phase de reprise économique des activités qui s’étaient totalement arrêtées. Dans certains secteurs, les embauches sont reparties très vite et très fort : la finance, l’agriculture, les services et même, dans certains cas, l’industrie manufacturière. L’emploi dans la culture, en revanche, est toujours gelé. Dans l’informatique, où les embauches avaient moins baissé que dans d’autres secteurs, la reprise est peu spectaculaire. Mais, à moyen terme, les entreprises qui ont du potentiel vont reprendre les recrutements.

Quelles traces le Covid laissera-t-il sur le marché de l’emploi ?

Pour le moment il est difficile d’identifier des évolutions sociétales majeures car il y a beaucoup trop d’incertitudes. Mais comme toute crise, celle du Covid amène une transition économique et structurelle plus rapide. En dix ans, un quart des créations d’emplois l’ont été dans le numérique dans les pays de l’OCDE. Cette crise va donner une accélération à la transition digitale.

Les entreprises avaient sous-estimé les opportunités du télétravail, qui a été beaucoup plus utilisé que prévu, en Europe comme aux Etats-Unis. Cela pourrait avoir des conséquences à moyen terme sur le recrutement. Mais, le télétravail généralisé n’a pas profité à tout le monde. Les mieux rémunérés avaient 50 % de plus de probabilité de travailler chez eux que les moins rémunérés ; en revanche, ces derniers avaient une probabilité double de s’arrêter de travailler. Certains, peu qualifiés, ont simplement perdu leur travail. Une de nos préconisations est d’utiliser les aides à l’embauche, les encouragements fiscaux pour les jeunes et la formation pour les moins qualifiés, car ils ne vont pas retrouver le job qu’ils ont perdu. La France, sur ce point, est un bon exemple. Lors de la crise financière en 2009, les aides pour les jeunes étaient intervenues un peu tard : le problème était devenu structurel.

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Bridgestone : un « accord de méthode » pour discuter pendant cinq mois, selon Pannier-Runacher

La direction de Bridgestone et les salariés de son usine de Béthune ont signé un « accord de méthode » permettant de discuter pendant cinq mois de « scénarios alternatifs à la fermeture de l’usine », a affirmé dimanche 20 septembre la ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, lors de l’émission « Le Grand Jury » RTL-Le Figaro-LCI.

La fermeture de l’usine de Béthune, qui emploie 863 personnes dans la fabrication de pneumatiques pour voitures, a été annoncée le 16 septembre par le fabricant japonais, qui a fait par de son intention de fermer en 2021 pour sauvegarder sa compétitivité en Europe. Une annonce dont le gouvernement et le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, ont dénoncé le jour même « la brutalité, la pertinence et les fondements ».

« La direction est en train de s’organiser dans un processus de négociation », s’est félicitée Mme Pannier-Runacher, estimant que « cinq mois, ça rend les choses possibles. Le dialogue social est essentiel, il doit être fondé sur la confiance ».

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« Mobilisation absolue pour ce site »

La ministre a toutefois fustigé la méthode adoptée jusqu’ici par la direction du géant japonais. « Ce qui est inadmissible (…), c’est de ne pas avoir ouvert la discussion en amont de cette annonce brutale », a-t-elle jugé. « On savait que l’usine était en perte de vitesse » et les autorités avaient convié « la direction de Bridgestone à la table de discussions pour justement regarder comment on pouvait regagner de la productivité, de la compétitivité ».

Mme Pannier-Runacher a toutefois exclu que l’Etat rentre au capital de l’entreprise, une « fausse solution » qui ne « résout rien ». « Le cœur du sujet c’est d’avoir un projet industriel qui tienne la route », selon elle. Avec la ministre du travail Elisabeth Borne, elles se rendront lundi 21 septembre au matin à Béthune, « pour voir tout le monde (…) : les élus locaux, la direction locale » et « parler à la direction européenne [de l’entreprise] », a rappelé la ministre. « Il y a une mobilisation absolue pour ce site », selon le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, qui « croit à la pression politique » et souligne « une forme de concorde politique autour de ce dossier ».

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Le Monde avec AFP

L’hôtellerie essaie de s’adapter à l’essor du télétravail

Le siège du groupe hôtelier Accor, à Issy-les-Moulineaux (Haus-de-Seine), près de Paris, le 27 mai.

Les enfants perturbateurs seront-ils la bouée de sauvetage de l’hôtellerie ? C’est l’espoir d’un secteur qui, dans les villes, peine à remplir ses milliers de chambres et tente d’attirer les télétravailleurs en se fondant sur le postulat suivant : si cet usage se développe durablement, les employés ne tiendront pas longtemps dans leur intérieur. Et les espaces de coworking ont, comme les transports en commun, tous les atours d’une fabrique à « clusters ». Dès lors, pourquoi ne pas commercialiser leurs chambres en espaces de travail individuel ?

En France, les étages des grands hôtels d’affaires demeurent vides. La reprise espérée des déplacements professionnels au mois de septembre n’a pas eu lieu, et les grands salons continuent d’être annulés les uns après les autres. La crise pousse les grandes chaînes à se réinventer.

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Le leader européen, Accor, commercialise depuis août ses chambres de 9 heures à 18 heures à des fins de télétravail. Au total, 250 hôtels du Royaume-Uni sont concernés ainsi que 70 hôtels dans le reste de l’Europe du Nord. Le déploiement en France est prévu d’ici à la fin du mois.

La pratique de louer des chambres en journée n’est pas nouvelle, mais elle était rarement prévue pour un moment de travail. Preuve en est, le site français Dayuse propose des plages horaires plus courtes et des chambres invitant davantage à la détente.

Désertion des suites

Les prix de Hotel Office, à Bruxelles ou Berlin, oscillent entre 50 et 133 euros. Accor affirme qu’il est trop tôt pour évaluer le succès de ce programme et réfléchit à la possibilité de suggérer des abonnements aux entreprises qui souhaiteraient proposer ce service à leurs salariés.

Le Bristol, à Paris, a transformé des chambres en salles de fitness privées, et plusieurs palaces n’imposent plus d’heure d’entrée ni de sortie

A Londres, où la colocation entre adultes n’est pas rare, « le télétravail met énormément de pression », estime Karelle Lamouche, directrice commerciale Europe chez Accor. « Avec le poids de notre réseau, il est probable que vous ayez un hôtel à proximité de chez vous, sans besoin de prendre les transports, si vous avez un travail à terminer et que vous ne voulez pas entendre le chien du voisin. Ce n’est pas du coworking, mais une chambre isolée et sûre d’un point de vue sanitaire, avec également l’accès aux autres services de l’hôtel. »

Face à la désertion de ses suites, l’hôtellerie haut de gamme s’adapte également. Le Bristol, à Paris, a transformé des chambres en salles de fitness privées, et plusieurs palaces n’imposent plus d’heure d’entrée ni de sortie. A Londres, The Stafford propose ses suites en espace de travail et de rendez-vous, avec un déjeuner servi en chambre.

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Pourquoi créer un nouveau statut pour les travailleurs des plates-formes ?

Tribune. C’est l’une des priorités de la rentrée : le gouvernement prévoit de se pencher sur l’ubérisation du marché de l’emploi en France et annonce vouloir créer un nouveau modèle social pour les travailleurs des plates-formes numériques (telles que Uber Eats, Clic and Walk, Deliveroo ou StaffMe, etc.).

L’objectif annoncé est de mieux protéger les autoentrepreneurs du numérique, souvent jeunes, en leur garantissant notamment une couverture sociale plus importante. Mais alors que les différentes natures juridiques de contrats de travail sont déjà nombreuses, difficiles et coûteuses à gérer, est-il bien raisonnable d’ajouter encore de la complexité à la complexité ?

Certes, la situation s’est elle-même complexifiée. Avec l’arrivée des plates-formes, des travailleurs, et notamment des étudiants, préfèrent l’autoentrepreneuriat à l’intérim ou au contrat à durée déterminée (CDD), car ils pensent être ainsi mieux rémunérés. Elevés dans une société où le contrat à durée indéterminée (CDI) était roi, ils semblent avoir trouvé dans leur relation avec les plates-formes une forme de liberté et de flexibilité auxquelles ils aspirent.

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Rappelons le sondage d’OpinionWay, publié en janvier 2019 (« Quelles attentes de la Gen Z pour l’entreprise de demain ? »), selon lequel les 15-24 ans sont encore plus nombreux que leurs aînés à souhaiter que « les entreprises de demain » leur proposent de travailler en tant qu’indépendants (57 % contre 51 %). Selon la même source, ils sont aussi 73 % à rêver d’un libre choix de leurs horaires de travail.

Distorsions de concurrence

De leur côté, ces plates-formes profitent de ces évolutions et privilégient le contrat de prestation qui leur permet certes le maximum de souplesse mais, surtout, des économies importantes sur les cotisations sociales et aucune contrainte sur les durées et périodes de contrat. Leur modèle économique est notamment basé sur cette flexibilité maximale des travailleurs et sur la faiblesse des cotisations sociales.

Mais ces évolutions heurtent de front notre modèle social et notre cadre juridique car, en réalité, ces contrats de prestations ont, dans de très nombreux cas, toutes les caractéristiques d’un prêt de main-d’œuvre illicite, comme le confirment les condamnations récentes d’Uber ou de Clic and Walk. C’est pourquoi les syndicats les dénoncent.

Elles font également du tort aux agences de travail temporaire, dont la vocation est justement de pourvoir ce type de besoin dans un cadre réglementaire précis et contraignant. C’est pourquoi elles dénoncent un détournement du statut d’autoentrepreneur.

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Les revenus issus du covoiturage sont-ils imposables ?

Le covoiturage n’est pas imposable, sous certaines conditions...

Question à un expert

Les revenus que je perçois lorsque je fais du covoiturage sont-ils imposables ?

L’économie collaborative repose sur le partage ou l’échange entre particuliers de biens (outils, voitures), de services (covoiturage, bricolage), ou de connaissances (cours de soutien), par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique de mise en relation. En principe, le contribuable est imposable sur l’ensemble des revenus ou gains, même non professionnels, qu’il tire d’une activité ou de la gestion de son patrimoine privé.

Par exception, certains revenus issus de la « co-consommation » ne sont pas imposables. C’est le cas du covoiturage. Sous réserve de respecter trois conditions. L’activité doit être réalisée pour son propre compte, son propre déplacement ; la somme demandée ne doit pas excéder les frais engagés : frais de carburant, de péage… Le contribuable doit conserver à sa charge une partie des frais.

BIC ou micro-BIC

Si l’une des conditions n’est pas remplie, l’activité est alors assimilée à une activité professionnelle imposable au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

Les revenus peuvent également être soumis à la TVA, si les recettes sont supérieures à 34 400 euros hors taxes. Le contribuable relève alors du régime réel des BIC, si les recettes sont supérieures à 72 500 euros, sinon il relève du micro-BIC, avec un abattement fiscal de 50 % sur les recettes, ou, enfin, il peut privilégier le statut d’autoentrepreneur, avec un versement forfaitaire libératoire.

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N’oubliez pas que les plates-formes numériques ont l’obligation de transmettre, chaque année, à l’administration fiscale les informations sur les recettes réalisées par les contribuables au-delà de 3 000 euros de recettes ou vingt transactions pour le covoiturage !

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Négociations sur le télétravail : la CFDT hausse le ton et met la pression sur le patronat

Une femme télétravaille à Vertou (Loire-Atlantique), le 14 mai.

La concertation entre partenaires sociaux sur le télétravail finira-t-elle en eau de boudin ? Mardi 22 septembre, syndicats et patronat doivent se rencontrer pour finaliser un « diagnostic paritaire » sur cette forme d’activité, en forte expansion depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Ce nouveau rendez-vous a été pris dans un contexte de profondes divergences : les organisations de salariés, qui aimeraient aller plus loin qu’un simple état des lieux, réclament l’ouverture d’une négociation, débouchant sur un nouvel accord national interprofessionnel applicable à l’ensemble des entreprises. Les mouvements d’employeurs ne veulent pas, à ce stade, en entendre parler.

Vendredi, lors d’une conférence de presse, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a mis un peu plus la pression, prévenant que sa confédération « ne signera pas » ce diagnostic – un document sans valeur juridique contraignante – si le Medef, la CPME et l’U2P continuent à camper sur leurs positions. « On n’a pas de temps à perdre à faire des figures de style, a critiqué le responsable cédétiste. (…) Si le patronat ne veut pas ce qui est incompréhensible parce qu’il laisse un certain nombre d’entreprises dans une espèce de no man’s land –, le gouvernement doit prendre ses responsabilités. »

Le 11 septembre, la CFTC avait déjà manifesté son mécontentement en annonçant qu’elle quittait les discussions, tant que celles-ci « n’auront pas pour objet affiché la renégociation » d’un accord national interprofessionnel. « On nous mène en bateau, il faut arrêter la plaisanterie, confie Eric Courpotin, chargé du dossier pour la centrale chrétienne. Nous avons d’autres choses à faire que de poursuivre des échanges stériles. » A ses yeux, le « diagnostic paritaire » proposé par le patronat « contient peu d’éléments », même s’il tente de tirer les enseignements du recours au télétravail durant la crise sanitaire. « Ce n’était vraiment pas la peine de faire tout ce cinéma pour un tel résultat », conclut-il. Dès lors, la CFTC ne participera pas à la réunion de mardi.

« Il y a besoin d’un cadre national »

La CGT sera présente, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle paraphera le document incriminé. « Il y a besoin d’un cadre national, c’est un sujet de société », explique Jérôme Vivenza, le représentant de la confédération de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Il trouve, par exemple, que le remboursement des frais engagés par le salarié en télétravail repose, à l’heure actuelle, sur des dispositions trop floues. Si les règles aujourd’hui en vigueur ne sont pas revisitées « on va au-devant de gros soucis », pronostique-t-il.

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Dominique Méda : « Territoire zéro chômeur : pour la généralisation d’un dispositif d’utilité sociale »

Chronique. Pendant que des milliards se déversent sur les entreprises sans exigence de contreparties sociales, environnementales ou d’utilité sociale, l’association Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) se bat depuis des mois pour que le Parlement, qui en débat actuellement, étende l’expérimentation lancée il y a quatre ans.

La loi du 29 février 2016, adoptée à l’unanimité, a en effet autorisé l’expérimentation sur dix territoires d’un projet consistant à utiliser l’ensemble des sommes jusque-là mobilisées pour indemniser, soutenir ou prendre en charge la privation d’emploi de longue durée pour faire vivre des entreprises à but d’emploi (EBE), qui recrutent en CDI des personnes sans emploi. Les EBE ont pour mission de partir des aspirations et compétences de ces personnes pour leur faire développer sur le territoire des activités visant à satisfaire des besoins non couverts par le secteur public ou le secteur privé. Environ 1 000 personnes ont ainsi retrouvé un emploi depuis la mise en œuvre de ce projet.

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Comme le rappelle Laurent Grandguillaume, le président de l’association TZCLD, « aucun projet n’a été soumis à autant d’évaluations ». Si la plupart sont très nuancées, certaines prises de position sont critiques : parmi ces dernières, celle portée sans relâche par l’économiste Pierre Cahuc est la plus sévère. Il reproche en effet au projet d’être « un gouffre financier » et dénonce le fait que la « neutralité budgétaire » prévue ne serait pas respectée. Il suggère en effet que le coût du chômage de longue durée pour la puissance publique serait en réalité bien moins élevé, et que le coût net du dispositif TZCLD serait donc « faramineux ».

Certes, l’expérimentation a permis de mettre en évidence – ce qui faisait partie de ses objectifs – que les coûts d’installation (trouver un lieu), d’animation (recruter des personnes pour organiser le travail et développer les activités) et de formation n’avaient pas été tous pris en compte, d’une part, et que, dans les cas où les demandeurs d’emploi n’accédaient auparavant à aucune aide ou au contraire avaient une petite activité, leur embauche constituait bien, d’autre part, un surcoût net pour les finances publiques.

Bénéfices individuels et collectifs

Ces critiques doivent être très fortement relativisées : en effet, une étude très détaillée réalisée par le département d’économie de l’Université libre de Bruxelles vient de confirmer l’ampleur du coût de la privation d’emploi. Mais surtout, un tel raisonnement est terriblement insuffisant.

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Territoire zéro chômeur : « Procéder à une extension prudente de l’expérimentation à un nombre limité de territoires préparés »

Tribune. L’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », lancée début 2017, a pour objectif de créer sur les dix territoires retenus initialement des entreprises à but d’emploi (EBE), dont la finalité est de recruter en CDI à temps choisi l’ensemble des personnes durablement privées d’emploi (objectif d’exhaustivité), pour qu’elles s’engagent dans les activités qu’elles souhaitent, sans qu’elles ne puissent entrer en concurrence avec des activités déjà présentes.

Le modèle économique de l’expérimentation repose pour partie sur une logique d’activation des dépenses passives (les allocations-chômage et les prestations sociales permettent de couvrir en partie le coût des CDI), et pour partie sur le chiffre d’affaires généré par les EBE. Au lancement de l’expérimentation, le ministère du travail a mis en place un comité scientifique d’évaluation composé pour moitié de chercheurs et pour moitié de représentants des institutions, dont j’ai assuré la présidence.

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L’évaluation s’est organisée autour de trois axes complémentaires : le premier axe a consisté à mener une enquête auprès de personnes des dix territoires de l’expérimentation ainsi que de territoires témoins, les plus proches possible sur tout un ensemble de caractéristiques. Un deuxième axe a consisté à mener un travail approfondi de terrain, sur quatre des dix territoires d’expérimentation. Le troisième axe s’est concentré sur le modèle économique de l’expérimentation.

Impact très positif sur les bénéficiaires

Au moment où l’Assemblée nationale et le Sénat examinent une proposition de loi d’extension de l’expérimentation, il me semble important de faire part des premières conclusions de ce comité, dont certaines ont été livrées il y a un peu moins d’un an dans un rapport intermédiaire remis à la ministre, et d’autres vont être diffusées en octobre-novembre dans le rapport final (le travail de terrain est en effet en cours d’actualisation, pour analyser notamment les effets de la pandémie sur les territoires).

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Le premier résultat important de l’évaluation est l’impact très positif sur les bénéficiaires, sur le plan professionnel comme sur le plan personnel. S’agissant des impacts hors travail, l’exploitation en cours de la deuxième vague d’enquête montre notamment que, par rapport à des personnes comparables des territoires témoins, les bénéficiaires ont, un an après leur entrée dans l’expérimentation, moins de problèmes pour financer leur logement ou leur transport, renoncent moins souvent à des dépenses de santé, et ont un sentiment de bien-être significativement supérieur.

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« Faut-il sauver chaque entreprise à tout prix ou considérer que la disparition de certaines d’entre elles fait partie du cycle économique ? »

Tribune. La crise sanitaire et son impact économique ont conduit le gouvernement à déployer une impressionnante batterie de mesures pour aider les entreprises : diminution des coûts de fonctionnement par le chômage partiel, report des échéances fiscales, interruption du recouvrement des loyers impayés, rééchelonnement des dettes, prêts rebond…

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Ces mesures, qui représentent au total plus de 110 milliards d’euros, semblent avoir porté leurs fruits : au troisième trimestre, l’Insee nous apprend que l’activité est revenue à 95 % de son niveau d’avant-crise.

Cette apparente bonne nouvelle cache en réalité d’importantes disparités. Certains secteurs restent sinistrés : l’hôtellerie-restauration est encore lourdement affectée (78 % de son niveau d’avant-crise), tout comme le transport (80 %) et la fabrication de matériels de transport (83 %). Le redressement global de notre économie, portée par des secteurs en pleine expansion comme le numérique, ne doit pas occulter le risque de faillite de secteurs entiers, aujourd’hui à la peine.

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De plus, les PME ont particulièrement souffert : 43 % de la perte globale de volume d’activité a été subie par des entreprises de moins de 20 salariés, 45 % par les entreprises de 20 à 249 salariés. Le risque est grand que les PME, qui représentent 59 % des salariés concernés par le chômage partiel, peinent à redémarrer et soient contraintes de mettre la clé sous la porte. La confiance, élément central de la reprise, ne semble pas non plus être au rendez-vous, puisque 91 % des dirigeants de PME anticipent une baisse importante de leur chiffre d’affaires.

Alors que faire ? Faut-il sauver chaque entreprise à tout prix ou considérer, au contraire, que la disparition de certaines d’entre elles fait partie du cycle économique, en vertu du principe bien connu de la destruction créatrice ? La bonne réponse est, comme souvent, dans un entre-deux.

Gare aux mesures contre-productives

L’Etat doit assumer ses responsabilités. Parce que la situation économique actuelle est aussi la conséquence de sa gestion de la crise, le gouvernement doit soutenir fermement les entreprises en difficulté et les aider à reprendre leurs investissements – ce qui est la meilleure façon de générer des profits et de l’emploi. Pour cela, il faut garantir le maintien des mesures d’amortissement le plus longtemps possible, de manière d’abord large puis en se restreignant aux secteurs les plus en difficulté. Bien sûr, il n’est pas question de maintenir éternellement notre économie sous perfusion : ces mesures ont vocation à cesser, une fois que les entreprises auront recouvré un certain niveau d’activité.

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« Le maintien de l’activité des plus petites entreprises est devenu brutalement un enjeu central pour les politiques publiques »

Tribune. A la différence des grandes crises qui ont secoué l’économie mondiale au cours des dernières décennies, celle liée à la pandémie de Covid-19 éclaire d’un jour nouveau le rôle vital des très petites et des petites et moyennes entreprises (TPE et PME), qui pouvaient passer jusqu’ici, à l’heure de la « start-up nation », de la « révolution numérique » et du grand jeu de la « compétitivité mondiale », pour un poids mort.

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Les crises précédentes – crises asiatiques ou sud-américaines des années 2000, des subprimes en 2008, de la dette en 2010 – se sont surtout déployées dans le noyau dur du capitalisme financier : il s’agissait, pour reprendre la célèbre tripartition de l’économie inventée jadis par l’historien Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Armand Colin, 1979), d’un « phénomène d’altitude », touchant les relations commerciales « au loin ». En revanche, la crise présente, déclenchée par des mesures sans précédent de confinement des populations, a affecté en priorité les deux autres étages « braudéliens » de l’économie. D’une part, celui des « structures du quotidien », de « la vie matérielle » des populations qui tentent de satisfaire leurs besoins élémentaires (vie domestique, alimentation, santé…) ; d’autre part, celui des « échanges marchands de voisinage » et de « l’économie d’usage », domaine de la petite production artisanale, commerciale et servicielle.

Mesures prosaïques

Dès lors, le maintien de l’activité des plus petites entreprises, souvent les moins visibles et considérées comme les moins productives, est devenu brutalement un enjeu central pour les politiques publiques, habituées jusqu’alors à favoriser la compétitivité des entreprises considérées comme les mieux armées pour s’inscrire dans les chaînes de valeur mondialisées, ou offrant le plus fort potentiel de développement, d’innovation et de création d’emplois – les championnes de la French Tech, les PME insérées dans les « pôles de compétitivité », les « champions nationaux »…

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A l’inverse des traditionnelles politiques publiques de soutien à la compétitivité ou à l’innovation, promptes à livrer les canards boiteux aux forces impitoyables du marché, il a fallu adopter un train de mesures plus prosaïques, frapper fort et tous azimuts. D’où le recours à des aides individualisées – là où les mesures de soutien étaient plutôt conditionnées à la capacité de se constituer en réseau, à des interventions à plusieurs niveaux – local, territorial, sectoriel et national –, quand les politiques antérieures prétendaient « cibler » des objectifs macroéconomiques, et enfin au resserrement des « critères d’éligibilité », auparavant complexes et illisibles, sur la sécurisation de la trésorerie à court terme (subventions salariales par l’activité partielle, reports de charges, d’impôts et de cotisations, prêts garantis par l’Etat, fonds de solidarité, etc.).

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