Archive dans avril 2020

Coronavirus : déjà 11 milliards de pertes de revenus pour les ménages en France

Gilberto d’Annunzio devant son épicerie-restaurant La Bottega, fermé à cause du confinement, à Lille, le 15 avril 2020.
Gilberto d’Annunzio devant son épicerie-restaurant La Bottega, fermé à cause du confinement, à Lille, le 15 avril 2020. AIMEE THIRION POUR LE MONDE

Si la crise économique liée à l’épidémie de coronavirus est d’une ampleur inégalée, elle ne pèse encore que peu, en France, sur les ménages. Les 120 milliards d’euros perdus depuis le début du confinement, le 17 mars dernier, n’ont affecté les particuliers qu’à hauteur de 11 milliards d’euros, selon les scénarios établis par les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Soit 7 % du total. Les entreprises, elles, « perdent » environ 35 % du total, tandis que l’Etat essuiera, via le déficit public, le reste de l’ardoise.

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« Pour les ménages, cela représente une perte de pouvoir d’achat d’environ 50 euros par semaines, soit 400 euros sur la totalité de la période de confinement », précise Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE. Un chiffre moyen, qui recouvre une grande hétérogénéité de situations : les salariés au smic bénéficient dans le dispositif du chômage partiel du maintien intégral de leur salaire, ceux au-dessus du smic touchent 85 % de leur rémunération.

Une « cassure »

Les indépendants, à eux seuls, qui se rémunèrent directement avec leur activité, participent pour 2 milliards d’euros à cette baisse des revenus. Les salariés en fin de contrat court, ou en fin de mission d’intérim, et dont la mission n’a pas été renouvelée du fait de la crise voient eux leur revenu pris en charge par l’assurance-chômage – dans la mesure où les droits leur sont ouverts, et pour une durée variable.

« Nous estimons que 460 000 personnes vont se retrouver sans emploi à l’issue du confinement, précise Bruno Ducoudré, économiste à l’OFCE. Parmi elles, environ 180 000 personnes en contrat court, et 288 000 personnes qui étaient en période d’essai, par exemple, ou qui sont licenciées – éventuellement pour d’autres raisons que le Covid-19. » Enfin, une dernière catégorie de personnes subit une amputation significative de leurs revenus – ce sont celles qui subsistaient en partie grâce à « l’économie grise », comme le dit Xavier Timbeau, c’est-à-dire ce qui est à la frontière de la légalité et dont le nombre est par nature difficile à évaluer.

« Seul le recul de l’inflation (importée notamment) permet d’amortir le choc et de redonner un peu d’oxygène à la dépense des ménages », estime l’institut Xerfi.

Toutefois, pour les ménages français, ce recul relativement faible du pouvoir d’achat risque de n’être que temporaire. En sortie de crise, l’arrêt des mesures de soutien aux entreprises, et notamment du chômage partiel, peut donner un coup d’accélérateur à la dégradation des revenus, notamment avec l’arrivée des premières défaillances d’entreprises ou des plans de licenciement. L’institut Xerfi fait l’hypothèse d’une « forte cassure de la dynamique du pouvoir d’achat des ménages » sur l’année 2020. « En 2019, le gain de pouvoir d’achat avait été de 1,9 % en moyenne », rappelle-t-il. « En 2020, le pouvoir d’achat devrait reculer de près de 1 %. On observe donc un ralentissement de 2,5 à 3 points du pouvoir d’achat entre 2019 et 2020. Ce dernier pourrait stagner encore en 2021. »

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Les jeunes sont les premiers et les plus touchés par les effets de la récession

Hassan, étudiant confiné dans sa chambre de la residence Evariste Galois, à Villeneuve d'Ascq (Nord), le 18 avril 2020.
Hassan, étudiant confiné dans sa chambre de la residence Evariste Galois, à Villeneuve d’Ascq (Nord), le 18 avril 2020. Sarah Alcalay pour Le Monde

Si les jeunes sont les moins touchés par la pandémie, ils sont en première ligne de la crise économique. Ils sont particulièrement employés par les entreprises qui ont dû fermer à cause du confinement : restaurants, commerces, centres de loisirs… Au Royaume-Uni, par exemple, 30 % des employés de moins de 25 ans travaillent dans ces secteurs, contre seulement 13 % des plus de 25 ans, selon l’Institute for Fiscal Studies (IFS), un centre d’études économiques. En France, la situation est similaire.

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« Contrairement à la crise de 2008, qui a aussi touché la finance ou les services professionnels, l’effet est cette fois-ci plus concentré sur les moins qualifiés, les bas salaires et les plus jeunes », explique Xiaowei Xu, auteure de l’étude de l’IFS.

Non-renouvellement des CDD

Le deuxième effet négatif pour les jeunes est qu’ils vont entrer sur le marché du travail au pire moment. Les quelque 700 000 personnes qui vont sortir cette année de formation en France seront les premières victimes de la hausse inévitable du chômage, et leur carrière professionnelle va être durablement affectée. « Lorsque l’entreprise fait face à des chocs, elle essaie de conserver les salariés qualifiés et arrête d’embaucher », rappelle Camille Landais, professeur à la London School of Economics.

« La première forme de régulation de l’entreprise en période de crise est le non-renouvellement des CDD et des contrats d’intérim : or, les jeunes sont massivement représentés sur ces postes ». Cet effet s’était fait durement ressentir lors de la crise financière de 2008-2009, lorsque le taux de chômage des 15-24 ans avait augmenté de moitié, atteignant un niveau record de 26,2 % fin 2012.

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Les études au long cours montrent également que démarrer sa vie professionnelle sur fond de crise est pénalisant sur le long terme. Les enquêtes « Génération » menées par le Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) à partir d’un échantillon représentatif de jeunes quittant le système éducatif à tout niveau de formation permettent de suivre leur trajectoire sur le marché du travail jusqu’à sept ans. Leurs conclusions sont sans appel. « On assiste à un ralentissement de la dynamique professionnelle, plus de temps passé au chômage et une trajectoire de stabilisation plus lente vers un CDI », résume Florence Lefresne, directrice générale du Céreq et docteure en économie du travail.

Baisse des salaires médians

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Les employés des entrepôts d’Amazon appellent à faire grève aux Etats-Unis

Un entrepôt d’Amazon à Robbinsville, dans le New Jersey, le 2 décembre 2019.
Un entrepôt d’Amazon à Robbinsville, dans le New Jersey, le 2 décembre 2019. LUCAS JACKSON / REUTERS

Les grèves se suivent et se ressemblent chez Amazon. Plus de 300 salariés du groupe aux Etats-Unis se sont engagés à ne pas se rendre sur leur lieu de travail à partir de mardi 21 avril, pour demander une amélioration des conditions sanitaires face au Covid-19 dans les entrepôts. Il s’agit de « la plus grande action de masse des travailleurs à ce jour, alors que les frustrations montent autour de la défaillance de l’entreprise à protéger les travailleurs et la santé publique face à l’épidémie due au coronavirus », souligne l’Alliance Athena (Alliance nationale des sciences humaines et sociales), un regroupement d’associations, dans un communiqué publié lundi.

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Ce mouvement est lancé à trois jours d’une grève en ligne de codeurs et d’ingénieurs du groupe.

Le groupe américain spécialiste du commerce en ligne est accusé depuis le début de la pandémie de Covid-19 de ne pas suffisamment protéger ses employés, mais aussi d’avoir, aux Etats-Unis, licencié des salariés qui avaient mené des mouvements de protestation.

« Depuis des semaines, les travailleurs d’Amazon (…) tirent la sonnette d’alarme sur les conditions dangereuses dans les entrepôts », souligne l’Alliance Athena dans ce communiqué, faisant état de 130 entrepôts où les travailleurs ont contracté le Covid-19, dont certains « avec plus de 30 cas confirmés ».

Des mesures promises et pas toujours respectées

« Nous devons chaque jour faire un choix impossible : nous rendre sur un lieu de travail qui n’est pas sûr ou risquer de perdre un chèque de salaire en plein cœur d’une récession mondiale », a expliqué Jaylen Camp, employé de la plate-forme Amazon de Romulus, dans le Michigan, cité dans le communiqué.

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« Plutôt que de prendre de vraies mesures pour protéger notre santé, Amazon préfère esquiver, mentir et licencier les personnes qui s’expriment. Nous ne serons pas intimidés. Notre santé et celle de tous sont trop importantes. »

Il y a deux semaines Amazon a annoncé la distribution de millions de masques et la mise en place de contrôles de température sur tous ses sites américains et européens. Mais, selon l’organisation, la mise en œuvre de ces mesures « a été remise en question à plusieurs reprises par les travailleurs sur le terrain ».

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Les entrepôts et les centres logistiques sont très sollicités à cause des mesures de confinement destinées à enrayer la propagation du virus. Les besoins sont tels qu’Amazon a entrepris de recruter 175 000 personnes aux Etats-Unis.

Le Monde avec AFP

Coronavirus : Teleperformance accusée de mauvaises conditions de travail

Des bureaux de Teleperformance, à Manille, aux Philippines, en 2013.
Des bureaux de Teleperformance, à Manille, aux Philippines, en 2013. Erik de Castro / REUTERS

Teleperformance (TP), le numéro un mondial des centres d’appels, est de nouveau accusé de mauvaises conditions de travail pour ses salariés face au Covid-19, mais cette fois l’alerte se situe au niveau international. La fédération syndicale mondiale UNI Global Union a déposé, jeudi 17 avril, avec les syndicats CGT, CFDT et FO, une plainte contre TP auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment pour violation des droits des salariés à travailler en sécurité pendant la pandémie, à se syndiquer, etc. Et cela, dans 10 pays, dont la France. Le groupe TP, qui emploie 330 000 salariés dans 80 pays, nie l’ensemble des accusations. « Nous respectons les réglementations et directives locales et gouvernementales de chacun des pays » où TP est présent, indique le groupe.

Déjà sollicitée en mars pour dialoguer sur ce sujet par l’UNI, TP avait refusé le dialogue. « Nous travaillons avec les syndicats locaux ou des ONG, au plus près du terrain », justifie Olivier Rigaudy, directeur général délégué du groupe. Problème : selon l’UNI, dans beaucoup de pays où TP exerce, il n’y a pas de syndicats, ou alors TP ne les reconnaît pas. « Même s’il n’y a pas d’organisations, TP doit respecter les droits et protéger la santé des travailleurs », reproche Christy Hoffman, secrétaire générale d’UNI.

Aux Philippines, par exemple, confinés depuis le 16 mars, où TP emploie 48 000 personnes, les salariés qui ne peuvent pas aller de leur logement à leur centre d’appel dorment par terre dans les bureaux. « Et pas seulement chez TP », précise Mylene Cabalona, présidente de l’association BIEN (BPO Industry Employees Network) des travailleurs philippins des services externalisés.

30 % de l’effectif dort au bureau

Car, s’ils restent chez eux, ils ne sont pas payés. « Pour les collaborateurs qui le souhaitent, nous proposons un hébergement sur place en lien avec les autorités locales », admet-on chez TP. Cet « hébergement offre toutes les conditions de confort, de sécurité et d’hygiène : lits futons, repas, nettoyage des lieux », etc. Dans l’équipe de Jay (prénom modifié), jeune téléconseiller chez TP à Manille, environ 30 % de l’effectif dort sur place. « L’entreprise nous a dit de respecter la distanciation sociale, sinon on est renvoyé. Mais entre les collègues qui dorment par terre, ce n’est que depuis peu que 1 mètre les sépare. Avant, il y avait l’espace de la paume de la main. » Jay a « peur » de travailler dans le centre, car il a des problèmes pulmonaires. « On ne sait pas le nombre de cas de Covid19. Il n’y a pas de programme de tests, et la direction ne communique pas sur le sujet. »

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Coronavirus : Toyota redémarre progressivement sa production dans le Nord

L’usine Toyota d’Onnaing, près de Valenciennes, rouvre ses portes progressivement et dans un environnement particulier à partir du lundi 20 avril. L’entreprise nordiste de 4 500 salariés est la première usine automobile française à redémarrer après cinq semaines d’arrêt lié au coronavirus et au confinement imposé par l’Etat.

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Après la mise en place d’un protocole de mesures sanitaires par la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), une large majorité des élus de Toyota Motor Manufacturing France (TMMF – 22 pour, 4 contre) réunis lors d’un CSE extraordinaire ont approuvé, le 15 avril, l’organisation de démarrage. A savoir une reprise en douceur avec un objectif de 50 véhicules par jour contre les 1 100 en temps normal. Une cadence bien éloignée de la production habituelle d’un véhicule toutes les 57 secondes. « Le vrai enjeu est de rassurer, explique au Monde Luciano Biondo, le président de TMMF. Certains appréhendent le retour au travail, donc il n’était pas question de lancer une reprise classique, comme on le fait après les trois semaines de fermeture estivale. »

Une seule équipe au lieu de trois

Les syndicats confirment qu’une partie des salariés angoissent à l’idée d’être contaminés par le Covid-19. « Ils savent aussi que rester à la maison payés au chômage partiel, ce ne sera pas ad vitam aeternam », explique Benoît Chambon, vice-président production et président de la CSSCT. Si près de 95 % du personnel a été mis en chômage partiel, environ 250 personnes ont continué à assurer la maintenance sur le site valenciennois depuis le début du confinement. « On sait que l’activité doit être relancée, estime Fabrice Cambier, délégué FO, convaincu par les mesures adoptées. Personnellement, je me sens plus rassuré en allant au travail que lorsque je fais mes courses dans un magasin. »

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Près de 85 % des salariés ont répondu présent, mais pas question pour TMMF de faire reprendre tout le personnel d’un coup. Une seule équipe travaillera de 7 heures à 15 heures au lieu des trois équipes échelonnées du matin au soir, ce qui a nécessité une adaptation de l’outil industriel. Les plus motivés sont donc attendus les premiers. Lundi, ils seront 47, mardi 160 et jeudi un millier. En plus de la présence d’un médecin et d’un infectiologue sur le site, chacun va se voir remettre un kit de reprise comprenant, notamment, un guide de conseils, du gel hydroalcoolique, de l’eau, ou encore un cendrier de poche. Deux masques, dont le port est obligatoire, seront remis chaque jour pour être changés toutes les quatre heures. Sur les lignes de production, certains salariés contraints de se tenir à 1 mètre de distance de leurs collègues porteront des visières, fabriquées sur place par des imprimantes 3D.

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L’Europe veut protéger ses fleurons des prédateurs étrangers

Cela ne fait que commencer. Jeudi 16 avril, la rumeur qu’une offre hostile se préparait sur Nokia a fait flamber le cours de l’équipementier télécom finlandais. Passée la sidération, la crise du Covid-19, qui a provoqué une plongée des cours de Bourse, promet de susciter des tentations.

Selon le Financial Times, des investisseurs du Moyen-Orient réunissent des capitaux pour chasser les bonnes affaires. Le fonds souverain saoudien a déjà pris des parts dans le croisiériste Carnival, des groupes pétroliers européens – dont Total –, et s’apprête à racheter, avec d’autres, le club de foot de Newcastle.

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A travers l’Europe, les responsables politiques prennent très au sérieux la menace de prédateurs étrangers – chinois en particulier – profitant de la crise pour s’emparer d’actifs et de technologies stratégiques, notamment dans l’industrie médicale. « Il y a un vrai risque que des entreprises vulnérables soient la cible d’offres publiques », a indiqué au Financial Times la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager.

Le 25 mars, la Commission à Bruxelles a enjoint les Etats membres à ériger des barbelés autour de leurs fleurons, comme elle l’avait déjà fait un an plus tôt : quatorze pays seulement sur les vingt-sept disposent de moyens réglementaires pour filtrer les investissements étrangers. Ces dernières semaines, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont musclé leur arsenal législatif.

Ligne Maginot des affaires

De son côté, la France n’a pas prévu de solidifier sa ligne Maginot des affaires. « On vient de le faire », rappelle-t-on à Bercy. Avec le décret entré en vigueur le 1er avril 2020, « la France dispose désormais d’une des réglementations en Europe les plus strictes et les plus abouties en matière de contrôle des investissements étrangers », estime Guillaume Nataf, associé du cabinet d’avocats Baker McKenzie.

Depuis le 1er avril, le seuil de détention par un investisseur non européen imposant le dépôt d’une demande préalable est passé à 25 %, au lieu de 33 %

C’était loin d’être le cas en 2014, lorsque l’américain General Electric a entrepris d’acquérir la branche énergie d’Alstom. A l’époque, seuls les rachats d’actifs dans la défense et la sécurité imposaient une autorisation préalable du ministre de l’économie. Le « décret Montebourg », en mai 2014, avait élargi cette obligation à l’énergie, l’eau, les transports, les communications électroniques et la santé publique. Fin 2018, le numérique a été inclus dans la liste des secteurs labellisés stratégiques.

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« Il faut se serrer un peu plus la ceinture » : quand chômage partiel rime avec fiche de paie amputée

Un chantier interrompu par le confinement imposé pour lutter contre la propagation du Covid-19, à Lillle, le 7 avril.
Un chantier interrompu par le confinement imposé pour lutter contre la propagation du Covid-19, à Lillle, le 7 avril. Michel Spingler / AP

Thierry a beau s’y être préparé, le manque à gagner qu’il vient de subir lui a causé une petite émotion. Cadre dans un restaurant de la région parisienne, il ne travaille presque plus depuis la mi-mars, l’établissement qui l’emploie ayant dû fermer ses portes, comme tous les « lieux, recevant du public, non indispensables à la vie du pays ». Thierry a, du même coup, basculé en « activité partielle », dispositif plus connu sous le nom de chômage partiel ou chômage technique. Un changement de situation synonyme de salaire amputé : pour le mois de mars, « l’écart est de 340 euros net », affirme-t-il, soit environ « 10 % » de sa rémunération habituelle. Thierry ne se lamente pas, conscient du fait qu’il se situe en haut de l’échelle des revenus. Mais il va essuyer une perte financière plus importante sur avril, puisque cette période-là sera intégralement chômée. « Je suis locataire et n’ai donc pas de crédit immobilier à rembourser, confie cet homme, encarté à Force ouvrière (FO). Mais si mes ressources sont diminuées pendant trois ou quatre mois, je vais commencer à rencontrer des difficultés. »

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Aujourd’hui, ils sont près de 9 millions à relever, comme Thierry, de l’activité partielle, soit près d’un salarié du privé sur deux. Une situation sans précédent, en France. Le gouvernement a voulu faire jouer ce mécanisme au maximum, afin que les patrons conservent, autant que possible, leur main-d’œuvre durant la récession déclenchée par la pandémie due au coronavirus. Dans cette optique, les règles ont été revues en profondeur, le but étant de bâtir le système « le plus protecteur » d’Europe, selon la formule de la ministre du travail, Muriel Pénicaud. Grâce à ce dispositif, cofinancé par l’Etat et par le régime d’assurance-chômage (Unédic), les salariés perçoivent une indemnité correspondant, en moyenne, à 84 % de leur salaire net. L’employeur peut, s’il le souhaite, mettre la main à la poche pour compenser la différence et assurer, ainsi, le maintien de la paye.

Un filet de sécurité, mais des limites

Si le filet de sécurité dressé par l’exécutif préserve une large part du pouvoir d’achat des personnes concernées, il comporte des limites. Ainsi, certaines composantes de la rémunération du salarié ne sont pas prises en considération pour fixer le montant de l’indemnité d’activité partielle : parmi elles, il y a l’intéressement, la participation et les « primes ou indemnités ayant le caractère de remboursement de frais professionnels » – par exemple, la prime de panier, précise Patrick Bordas, vice-président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.

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« A partir de fin avril, je n’ai plus de trésorerie » : les commerçants français face à la crise

Vincent Solignac - gérant de Les Sardignac - bar à vins, dans le 9ème arrondissement de Paris, le 15 avril 2020. Vincent revint souvent au bar pour aérer et pour s'occuper des stock, suite à la fermeture des bars et restaurants par le gouvernement.

RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

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Publié aujourd’hui à 08h00

Cela fait plus d’un mois maintenant que 250 000 hôtels, cafés, restaurants, et 136 000 commerces de détail non alimentaires ont baissé le rideau en France, à la suite du confinement de la population. Entre les démarches administratives pour obtenir des aides ou placer leurs salariés au chômage partiel, la gestion des fournisseurs, les relations avec les banques ou les propriétaires des murs de leurs boutiques, les commerçants racontent un quotidien empreint d’inquiétude pour l’avenir.

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  • « Je ne sais pas comment je vais redémarrer »

Gilberto d’Annunzio, restaurateur à Lille

La Bottega, In Bocca al Lupo, L’Ultimo, Via Ristorante, Il Bastione ou encore Prima Fila, le petit dernier ouvert à l’été 2019. Gilberto d’Annunzio est à la tête de plusieurs restaurants à Lille et Valenciennes. Aujourd’hui tous fermés depuis le confinement. Ce fils de paysan italien parti de rien est avec sa sœur à la tête d’une belle affaire, un « sympathique monstre », qu’il ne souhaite pas que ces trois enfants reprennent. Surtout avec la crise actuelle.

Gilberto d’Annunzio pose devant son restaurant-épicerie La Bottega, à Lille, mercredi 15 avril.
Gilberto d’Annunzio pose devant son restaurant-épicerie La Bottega, à Lille, mercredi 15 avril. AIMEE THIRION POUR « LE MONDE »

Alors que les rayons de pâtes sont pris d’assaut dans les grandes surfaces, M. d’Annunzio tente de rassurer au téléphone ses fournisseurs italiens, des petits artisans, qui travaillent habituellement avec les restaurateurs. « L’artisanat est particulièrement touché tandis que Barilla n’a jamais autant produit ! »

Il poursuit l’activité de son épicerie fine italienne en livrant ses clients avec toutes les précautions d’usage. Ses 140 salariés sont, eux, au chômage partiel. Les salaires de mars ont été payés par la trésorerie qui devrait permettre de tenir trois ou quatre mois. Les loyers d’avril ont été suspendus. Et le restaurateur a sollicité un prêt de 25 000 euros à 0,25 % garanti par l’Etat. « Tout ça peut tenir quelques mois si l’Etat tient ses promesses, mais je ne sais pas comment je vais redémarrer. »

Le restaurateur lillois a toujours mené le combat des petits producteurs face aux grands groupes. Il aimerait que le confinement soit l’occasion de réfléchir : « On produit nos pâtes fraîches avec des produits bio, raisonnés, qui coûtent plus cher à faire soi-même qu’en passant par l’agroalimentaire. Pendant ce temps-là, les écoles de commerce apprennent aux jeunes comment acheter des tomates moins chères en Chine. » Usé par la gestion d’un quotidien parfois absurde autour des normes de production européennes alimentaires, de la gestion des terrasses, ou des poubelles, Gilberto d’Annunzio espère que ce virus permettra de « simplifier le bordel » et de revenir à des fonctionnements plus simples. Plus justes. Plus humains.

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Covid-19 : Il faut « revaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine »

Tribune. Si tous les soirs nous applaudissons le travail du personnel soignant et de toutes les personnes qui continuent à occuper leurs emplois et assurent ainsi la continuité de nos vies quotidiennes, n’oublions pas que la majorité de ces emplois sont très féminisés. Ce sont les soignantes, infirmières (87 % de femmes) et aides-soignantes (91 % de femmes), mais aussi des aides à domicile et des aides ménagères (97 % de femmes), des agentes d’entretien (73 % de femmes), des caissières et des vendeuses (76 % de femmes), ce sont aussi des enseignantes (71 % de femmes).

Ces métiers sont différents. Ils exigent des niveaux de qualification et des diplômes différents, existent pour certains dans les secteurs privés et publics, mais ils sont tous marqués par cette féminisation, ce sont des « métiers de femmes », implicitement pour les femmes. Il s’agit d’éduquer, soigner, assister, nettoyer, conseiller, écouter, coordonner… bref, de faire appel à des « compétences présumées innées », si « naturelles » quand on est femme… Cette dévalorisation est l’un des facteurs expliquant les 26 % d’écarts salariaux entre les femmes et les hommes (« Comparer les emplois entre les femmes et les hommes. De nouvelles pistes vers l’égalité salariale », de Séverine Lemière et Rachel Silvera, La Documentation française, 2010).

Revaloriser les salaires des emplois féminisés est au cœur de travaux de chercheuses et chercheurs en sciences sociales et de revendications féministes et syndicales depuis plusieurs années ; nombre de rapports et guides ont été publiés (comme celui du Défenseur des droits ou du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle). Ces travaux s’appuient sur le principe de l’égalité de salaire entre femmes et hommes pour un travail de valeur égale, posé la première fois par l’Organisation internationale du travail (OIT) lors de sa création, en 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, comme un des principes fondamentaux pour assurer la paix : « Une paix durable et universelle ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. »

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Ce principe existe en France depuis plus de quarante ans : l’égalité salariale s’applique, certes, à travail égal, mais également pour un travail de valeur égale. Et la nuance est ici capitale. La loi sur l’égalité professionnelle de 1983 définit la notion de valeur égale et précise que « sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ». Elle permet ainsi d’appliquer l’égalité salariale entre emplois différents mais considérés de même valeur. Et donc de comparer la valeur des emplois très féminisés avec celle d’autres emplois à prédominance masculine.

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Bercy et les banques négocient âprement le sauvetage des grands groupes

Le directeur général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, à Paris, le 5 février.
Le directeur général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, à Paris, le 5 février. ERIC PIERMONT / AFP

Contrairement à une idée reçue, les marchés financiers sont ouverts. La plupart des grandes entreprises françaises, d’Airbus à Total en passant par Bouygues, n’ont pas eu besoin de la garantie de l’Etat pour se financer, soit à travers des émissions obligataires, soit par le biais de lignes de crédit obtenues auprès des banques, voire les deux.

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Ces derniers jours, les multinationales européennes ont ainsi levé des sommes record. Airbus a obtenu auprès de ses banques un crédit syndiqué de 15 milliards d’euros. Le 3 avril, le site espagnol de réservation de voyages Amadeus a même annoncé avoir émis pour 1,5 milliard d’euros d’actions et d’obligations convertibles.

Cependant, aussi bien les marchés que les banques se montrent sélectifs : les entreprises qui sont mal notées par les agences de rating – dans le jargon, qui ne sont pas « investment grade » – ne bénéficient pas de ces accès. Même si le spécialiste de la sécurité suédois Verisure a rouvert, jeudi 16 avril, le marché européen des « junk bonds » (celui des emprunteurs à haut risque, inactif depuis près de deux mois), un prêt bancaire assorti d’une garantie de l’Etat peut se révéler nécessaire pour certains groupes. « Cela concerne environ 15-20 acteurs, à comparer aux 287 grandes entreprises répertoriées en France », souligne un dirigeant d’une banque française.

Depuis quelques semaines, Air France, Renault, Fnac-Darty, Europcar ou encore Conforama négocient avec leurs banques l’octroi de nouvelles lignes de crédit, sous condition de ce soutien public. Mais les discussions patinent.

Engagement « irrévocable et inconditionnel » de l’Etat

Toutefois, selon nos informations, un premier point de blocage vient d’être levé. Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, a signé, jeudi, un arrêté qui précise l’engagement « irrévocable et inconditionnel » de l’Etat à honorer sa garantie sous 90 jours en cas d’incident de paiement. C’était un point technique essentiel pour les banques, car il a une incidence sur le niveau de leurs fonds propres, une ressource rare et chère.

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Quand elles consentent un crédit à une entreprise, les banques inscrivent un engagement à leur bilan. En langage prudentiel, plus elles portent de risques, plus elles ont besoin de capital. En théorie, quand l’Etat garantit 90 % de ce crédit, les BNP Paribas, Crédit agricole ou Société générale ne devraient supporter que 10 % du risque.

Les banques font valoir que le prêt garanti par l’Etat ne devrait pas s’appliquer de la même manière pour une pizzeria ou une multinationale

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