Archive dans avril 2020

Ludovic Tézier : « Si l’on n’y prend garde, le virus aura la peau du spectacle vivant, et particulièrement de l’art lyrique »

Tribune. La misère rode autour des lendemains de tous ceux qui, de tréteaux en tréteaux, réconfortent le cœur de notre peuple.

Si l’on n’y prend garde, le virus aura la peau du spectacle vivant, et particulièrement de l’art lyrique. Souvent chahuté et sempiternel victime expiatoire des mauvaises consciences budgétaires de notre République, il attire pourtant un nombre considérable de nos concitoyens, parmi lesquels nombre de nos magnifiques médecins, qui trouvent dans nos salles l’évasion que leur vie de labeur leur alloue parcimonieusement.

Je parle au nom des troubadours et saltimbanques qui vont par les routes, souvent loin des leurs, et dont l’unique possibilité de construire leur vie repose sur l’intangibilité du prochain contrat. Il y a bien peu de nantis dans ce petit monde laborieux, bien peu dont le calendrier aille outre les dix prochains mois. La vie des artistes est un combat quotidien sans aucune certitude qu’une signature au bas d’un papier.

Fatalité assombrie

Aujourd’hui ces papiers sont déchirés, sans nulle autre préoccupation que celle, louable à certains égards, qu’ont nos théâtres de préserver leur propre survie. On les comprend, leur budget annuel est calculé avec un prévisionnel quant aux revenus de la billetterie !…

Donnez aux théâtres les moyens qu’ils méritent, donnez à tous nos employeurs la capacité vitale d’honorer nos contrats

Si l’Etat ne comble pas incessamment la perte totale de ces revenus évaporés, indispensables à nos théâtres, c’est bien nous, les artistes indépendants, qui feront par ricochet les frais de ce choix.

Nous le savons, la mesure de confinement durera ; personne ici ne peut envisager les choses autrement. Et plus cela durera, plus l’impact sera ravageur dans tous les domaines de l’économie. Nous sommes une partie non négligeable de cette économie, entre l’activité générée durant nos saisons et celle des festivals d’été. Qui plus est, cette fatalité, pour nous, est encore assombrie par la menace d’un éventuel retard « sanitaire » à la réouverture des salles de plus de 1 000 places. Six mois.

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Six mois, cela nous mène à septembre 2020. Six mois, car le reste de la saison en cours est, à l’évidence, totalement oblitéré et qu’il est, chaque jour, plus à craindre que l’été des festivals soit blanc.

Vous savez la valeur de l’art dans une vie

Qui de nous, la constellation des professions artistiques, peut tenir sans une puissante aide les six prochains mois ? On parle beaucoup de la survie des entreprises et elle est indispensable ! Artistes, nous sommes notre propre entreprise, et notre survie, avec celles de nos proches, est directement menacée.

Face à la perte d’emplois aidés, le public a recruté des contractuels

« Les effectifs de la fonction publique hospitalière ont connu pour la première fois en 2018 une baisse de 2 200 salariés » (hôpital Delafontaine de Saint-Denis, lors de la crise de Covid 19, le 3 avril).
« Les effectifs de la fonction publique hospitalière ont connu pour la première fois en 2018 une baisse de 2 200 salariés » (hôpital Delafontaine de Saint-Denis, lors de la crise de Covid 19, le 3 avril). BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »

« Coûteux » et « inefficace », selon les mots d’Edouard Philippe en 2017, le dispositif des emplois aidés a connu un sérieux coup de rabot sous la présidence Macron. Une note de l’Insee parue le 8 avril révèle que les employeurs du public ont remplacé une partie des contrats aidés perdus par des contractuels.

La dégringolade des emplois aidés a été massive dans le secteur public, qui dénombrait environ 200 000 de ce type de contrat fin 2015. En 2017, les acteurs du monde associatif et les collectivités, gros consommateurs de ces contrats subventionnés par l’Etat, s’étaient émus de la baisse annoncée : de fait, leur nombre a été divisé par deux entre 2016 et 2018. Cette année-là, le secteur public ne comptait plus que 80 000 emplois aidés environ, soit 60 000 en moins par rapport à l’année précédente. Une baisse de 50 400 (- 26,6 %) avait déjà été enregistrée en 2017.

Néanmoins, « les contrats aidés sont en grande partie remplacés par des emplois de contractuels », défend la note de l’Insee. Pour preuve, l’institut de statistiques relève que 33 100 bénéficiaires d’un contrat aidé dans le public fin 2017 ont été recrutés comme contractuels en 2018.

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Les agents employés sous le statut de contractuel ont continué à progresser : ils étaient 52 800 de plus en 2018, soit en hausse de + 5,2 % par rapport à 2017. Une augmentation venue, selon l’Insee, « en partie (…) compenser la baisse du nombre de contrats aidés ». Cette hausse ne date pas d’hier : près d’un tiers des agents publics ne sont pas fonctionnaires et cette part est restée stable en 2018. Il y a désormais un fonctionnaire recruté pour quatre contractuels.

Fléchissement global

La baisse des contrats aidés n’a toutefois pas été totalement compensée par le recrutement de contractuels : la fonction publique a employé 21 800 salariés de moins en 2018 (- 0,4 % par rapport à 2017).

Un reflux dû à la baisse des emplois aidés, mais aussi au recul du nombre de fonctionnaires : ils étaient 11 700 de moins en 2018 (- 0,3 %). Au total, 5,6 millions de salariés travaillaient dans la fonction publique en France cette année-là. Cette tendance baissière n’est pas nouvelle : après avoir enregistré une croissance continue depuis plusieurs années, les effectifs avaient déjà marqué le pas en 2017.

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Bien que l’ampleur diffère selon les trois versants de la fonction publique, tous sont concernés par ce fléchissement. C’est dans la fonction publique territoriale (FPT) que le recul se fait le plus sentir. Ils étaient 1,954 million de salariés de la FPT en 2018, contre 1,97 million l’année précédente ; 29 200 contrats aidés ont disparu en 2018 (- 43 %).

Coronavirus : ces groupes allemands qui veulent payer des dividendes, malgré le chômage partiel

Le siège du constructeur automobile allemand BMW, à Munich, le 18 mars.
Le siège du constructeur automobile allemand BMW, à Munich, le 18 mars. CHRISTOF STACHE / AFP

Est-il normal que de grandes entreprises distribuent des milliards d’euros à leurs actionnaires, tout en percevant des aides de l’Etat ? C’est la question qui agite les milieux économiques et financiers en Allemagne, à l’approche de la saison des assemblées générales annuelles, prélude au paiement de dividendes.

En quelques semaines, la pandémie due au coronavirus a bouleversé l’activité outre-Rhin. Un chiffre laisse entrevoir l’ampleur du cataclysme qui s’est abattu sur la première puissance économique européenne : au 31 mars, 470 000 entreprises allemandes avaient déposé une demande de chômage partiel auprès de l’Agence fédérale pour l’emploi, selon son directeur, Detlef Scheele. Ce chiffre dépasse largement le précédent record atteint pendant la crise financière. Au plus fort des turbulences de 2008-2009, près de 55 000 entreprises allemandes avaient eu recours à l’activité réduite, affectant 1,4 million de salariés.

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Le secteur de l’automobile est aux premières loges de la crise actuelle. Fin mars, BMW mettait 20 000 salariés allemands au chômage partiel, deux semaines après avoir suspendu la production dans tous ses sites d’Europe. L’activité n’y redémarrera pas avant la fin du mois d’avril. Cependant, malgré ces difficultés, le constructeur bavarois ne remet pas en question le versement d’un dividende. Lundi 6 avril, le groupe envoyait les invitations à l’assemblée générale annuelle qui se tiendra le 14 mai par visioconférence. Lors de la réunion virtuelle, le directoire de BMW proposera un dividende de 2,50 euros par action, soit un total de 1,6 milliard d’euros à distribuer aux actionnaires.

Cette décision fait grincer des dents, étant donné que le constructeur bénéficie indirectement d’aides publiques. En effet, l’Agence fédérale pour l’emploi prendra en charge jusqu’à 67 % de la perte de salaire subie par les milliers de salariés que BMW aura mis au chômage durant tout le mois d’avril.

« Visage hideux du capitalisme »

« L’indemnité de chômage partiel est une subvention. Quand on reçoit des aides de l’Etat, on ne distribue pas en même temps ses profits aux actionnaires », a objecté Carsten Schneider, l’un des chefs de file du groupe parlementaire du Parti social-démocrate (SPD) au Bundestag (la Chambre basse du Parlement allemand). « C’est le visage hideux du capitalisme. Je suis pour un moratoire sur le paiement de dividendes lorsque c’est le cas », a poursuivi le député.

Coronavirus : le quotidien sous tension des employés des pompes funèbres

Au cimetière de Chateauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), le 3 avril.
Au cimetière de Chateauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), le 3 avril. CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

« On ne sera jamais vu comme des héros même si on prend des risques et qu’on est en première ligne. » Entre deux mises en bière, Baptiste Santilly ne camoufle guère le ressentiment que partage largement sa profession, submergée par l’épidémie de Covid-19 dans plusieurs régions. Opérateur funéraire à Pantin (Seine-Saint-Denis), dans l’un des départements les plus touchés par la crise sanitaire, le jeune homme reconnaît être « sur les rotules ». « A dix ou douze heures de travail par jour, il ne faudrait pas que ça dure deux mois », assure M. Santilly alors que les pompes funèbres de la Seine-Saint-Denis sont saturées.

A Mulhouse (Haut-Rhin), l’un des principaux foyers épidémiques, un « transporteur » abonde, sous le couvert de l’anonymat en raison de son statut d’intermittent :

« C’est de l’abattage. Tout est chamboulé. Les délais d’inhumation peuvent atteindre quinze jours dans des salons mal réfrigérés. On pousse les murs. »

Au-delà des problèmes de stockage et de conservation des corps, la crise a profondément bouleversé les pratiques des opérateurs funéraires. Ils sont désormais contraints de mettre les proches des défunts à distance et de limiter le nombre de participants aux cérémonies, notamment dans les cimetières.

« Ce travail à la chaîne et cette mise à distance sont aux antipodes de notre métier fondé sur l’empathie à l’égard des familles », dit avec regret Richard Feret, directeur général délégué de la Confédération des pompes funèbres et de la marbrerie, premier syndicat patronal du secteur. A l’accélération des cadences dans les funérariums s’est ajoutée la « trouille », comme l’admet M. Feret, de la « contamination ». « Nos gars vont au travail avec la peur au ventre », dit Philippe Martineau, responsable du réseau coopératif Le Choix funéraire.

Des erreurs de diagnostic

Sous la pression des fédérations syndicales du secteur, le gouvernement a encadré plus drastiquement les pratiques funéraires (interdiction des toilettes mortuaires sur les corps atteints ou probablement atteints du Covid-19, ainsi que des soins de conservation) et imposé la mise en bière immédiate des défunts contaminés ou suspectés de l’être, par un décret du 2 avril. Mais les opérateurs appréhendent souvent « la zone grise », ces situations où l’incertitude plane sur la cause d’un décès, notamment dans les Ehpad et à domicile, ou sur la santé des proches.

En Russie, le coronavirus place le secteur privé au bord du gouffre

A Moscou, le 7 avril.
A Moscou, le 7 avril. DIMITAR DILKOFF / AFP

Une tempête attend-elle l’économie russe ? Avant même l’arrivée du pic épidémique dans le pays, les mesures de confinement prises pour enrayer la diffusion du Covid-19 font peser de lourdes incertitudes sur la survie de nombreuses entreprises. En termes macroéconomiques, le tableau, sombre, est néanmoins encore difficile à dresser. Les économistes évoquent une récession à deux chiffres pour 2020. A la mise en pause de pans entiers de l’économie au printemps s’ajoutent les effets d’une impitoyable guerre des tarifs dans le secteur pétrolier, qui a fait plonger les prix du baril à des niveaux inédits depuis plus de vingt ans.

La situation des finances russes, avec une dette faible et d’importantes réserves, permet de voir venir, mais, dans le secteur privé, c’est l’urgence qui domine. Lorsqu’il a annoncé, début avril, la prolongation de la période « chômée » jusqu’à la fin du mois, Vladimir Poutine a réaffirmé que les salaires seraient maintenus.

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Pendant que les autorités demandent aux chefs d’entreprise de remplir leur « rôle social », selon le mot du maire de Moscou, Sergueï Sobianine, ou menacent de contrôles et autres désagréments ceux qui ne s’y résoudraient pas, les rapports alarmistes se multiplient. Les prévisions de la Chambre de commerce et d’industrie estiment que 3 millions d’entreprises sont menacées par la faillite, et le nombre de chômeurs pourrait augmenter de 10 millions à 15 millions, selon les calculs et selon l’ampleur des mesures de soutien qui seront annoncées par les autorités.

Certaines entreprises se disent au bord de la faillite

Un sondage mené dès la fin mars auprès de chefs d’entreprise par le Centre de recherches stratégiques indique que 29 % d’entre eux ont déjà mis une partie de leurs salariés en congés sans solde et que 22 % s’apprêtent à faire de même ; 28 % se disent au bord de la faillite, quand bien même la part relativement basse des services dans l’économie russe permet de limiter les dégâts.

« Pour avril, je n’ai pas assez de trésorerie, et j’ai prévu de verser seulement 10 000 roubles [120 euros] à chacun sur mes économies personnelles », témoigne Denis Roud, le chef d’une entreprise de lavage de voitures

« Dès le mois de mars, l’activité a commencé à diminuer, mais j’ai continué à payer mes quatre employés, témoigne Denis Roud, le chef d’une entreprise de lavage de voitures à Blagovechtchensk, dans la région orientale de l’Amour. Mais, pour avril, je n’ai pas assez de trésorerie, et j’ai prévu de verser seulement 10 000 roubles [120 euros] à chacun sur mes économies personnelles. C’est quatre fois moins que d’ordinaire et légalement pas très carré, mais je n’ai pas le choix. Et encore, j’ai la chance que mon propriétaire ait accepté de reporter le paiement du loyer. »

Coronavirus : l’économie des musées touchée de plein fouet

Le Rijksmuseum, à Amsterdam, le 26 mars 2020.
Le Rijksmuseum, à Amsterdam, le 26 mars 2020. LEX VAN LIESHOUT / AFP

Expositions reportées, extensions suspendues, privatisations annulées… la propagation du coronavirus frappe de plein fouet l’économie des musées. Nemo, une association regroupant quelque 30 000 musées européens, mène une vaste étude sur le sujet. Et les premiers résultats recueillis auprès de 650 musées sont alarmants : ceux implantés dans les capitales touristiques accusent des pertes de 75 % à 80 %. 1 % des musées interrogés perdent chaque semaine jusqu’à 30 000 euros, et 5 % affichent un trou hebdomadaire de 50 000 euros.

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Le manque à gagner est abyssal pour les poids lourds comme le Rijksmuseum et le Stedelijk, tous deux à Amsterdam, ainsi que pour le Kunsthistorisches Museum de Vienne, dont les pertes s’échelonnent entre 100 000 et 600 000 euros par semaine. Nemo ne le précise pas, mais, en Espagne, le Reina Sofia, qui fête son trentième anniversaire cette année, a vu ses recettes en billetterie fondre de 440 000 euros en mars. A Vienne, l’Albertina, qui devait inaugurer, le 12 mars, son extension moderne de 2 000 m2, subit une perte quotidienne de 70 000 euros. Quant au Centre Pompidou, à Paris, le manque à gagner mensuel de la billetterie se chiffre à 1,2 million d’euros.

Présence en ligne

Pour ne pas perdre le lien avec leurs visiteurs, 60 % des musées interrogés par Nemo ont renforcé leur présence en ligne. Mais, le plus souvent, en recyclant les contenus existants : seulement 13,4 % ont augmenté leur budget pour les activités numériques. Seule bonne nouvelle, la majorité des musées ne prévoit – pas encore – de licenciements, 70 % d’entre eux ayant affecté leurs collaborateurs à de nouvelles tâches en temps de confinement.

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Si les musées européens, subventionnés pour partie, peuvent faire le dos rond, tel n’est pas le cas de leurs homologues américains, tributaires des fonds privés. Laura Lott, présidente de l’American Alliance of Museums, chiffre les pertes de ses 35 000 membres à quelque 33 millions de dollars (30 millions d’euros) par jour de fermeture. Le Metropolitan Museum of Art, qui ne prévoit pas de réouverture avant juillet, évalue le coût de l’épidémie à 100 millions de dollars au bas mot. Et malgré sa dotation de 3,6 milliards de dollars, la vénérable institution de la Ve Avenue n’exclut pas un plan social.

Licenciements massifs

Jour après jour, les grands musées américains annoncent, en effet, des licenciements massifs. Le Musée des beaux-arts de Boston, dont les pertes ont grimpé à 1,4 million de dollars depuis la mi-mars, selon le site Wbur.org, se sépare de près de la moitié de ses 750 employés. Le New Museum of Contemporary Art de New York a congédié un tiers de son personnel, tandis que le Musée d’art contemporain du Massachusetts (Mass MoCA) va remercier 120 employés, soit 72 % de ses effectifs.

Combien de temps ces établissements pourront-ils tenir, d’autant que les difficultés financières devraient se prolonger au-delà de la période de confinement ? Selon Laura Lott, près d’un tiers des musées américains pourraient disparaître. La première victime est tombée le 3 avril : l’Indianapolis Contemporary, qui avait pourtant recruté en janvier sa nouvelle directrice, a mis la clé sous la porte après dix-neuf ans d’activité.

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Les réunions en télétravail sont plus productives malgré les enfants, mais les codes changent

« Les réunions en visio peuvent lui servir à percevoir des indices qui témoignent de difficultés autant que de traiter du fond des dossiers. »
« Les réunions en visio peuvent lui servir à percevoir des indices qui témoignent de difficultés autant que de traiter du fond des dossiers. » Robert Hanson/Ikon Images / Photononstop

« Depuis que le confinement a commencé, j’ai doublé mon temps de réunion », raconte Guillaume, un cadre de la fonction publique, les yeux marqués par une nuit difficile. En plus des rendez-vous qui doivent se poursuivre, les réunions d’équipes se sont multipliées, tout comme les points avec ses chefs et des moments informels avec ses collègues pour se donner des nouvelles. Le tout, depuis son ordinateur, sur sa table de cuisine, grâce à des outils de visioconférence.

Il a suivi les injonctions de l’exécutif qui considère qu’un métier sur trois peut se poursuivre à distance. Le 13 mars sur franceinfo, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, en appelait « à tous les employeurs, à toutes les entreprises, à toutes les associations : tout ce qui peut se faire en télétravail doit être fait en télétravail. Il faut s’organiser pour cela ». Si, selon l’Insee, 11 % des cadres pratiquaient déjà une dose de travail à distance avant la mise en place du confinement, sa généralisation a provoqué des bouleversements majeurs dans les organisations.

Premières concernées, les réunions ont connu une petite révolution : les visioconférences qui étaient minoritaires dans les agendas, se sont imposées comme un outil majeur pour assurer la continuité de l’activité. Mais il ne faut pas s’y tromper, une réunion en ligne ne transpose pas chez soi une réunion physique et ses codes sont profondément transformés.

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La communication non verbale pâtit de la digitalisation, notamment quand la qualité d’image est mauvaise. « Quand j’anime une réunion en ligne et que je dis une bêtise, je ne vois plus les regards interloqués que se lancent mes collaborateurs. Désormais, ils s’envoient un message privé par chat et je ne suis pas alerté », souffle Quentin Guilly, patron trentenaire d’Andjaro, une entreprise qui fournit des logiciels de gestion des salariés. Résultat, il doit être d’autant plus attentif aux signaux faibles.

Café par webcam

« Lorsque quelqu’un rallume son micro, c’est qu’il a besoin de parler. Le rôle du manager, c’est de le percevoir et de donner la parole même s’il est timide », conseille Sylvestre Ledru, responsable du bureau français de Mozilla dont les équipes sont éparpillées à travers le monde.

Epurées des bavardages et souvent mieux préparées, les réunions en télétravail sont souvent plus productives, même si, depuis la maison, un enfant peut s’inviter de manière impromptue. Etre devant son ordinateur requiert d’être plus concentré pour entendre notre interlocuteur et une personne distraite est vite repérée. « Les réunions filmées ont l’avantage de fixer le regard sur quelque chose : que ce soit la personne qui parle ou un écran partagé pour montrer une présentation », insiste Valentine Ferreol, directrice de programme chez Publicis Sapient, qui conseille les entreprises en transformation numérique. Elle encourage d’utiliser un document partagé comme compte rendu de réunion que les collaborateurs peuvent commenter pour réduire les incompréhensions et interprétations. Surtout, un résumé efficace permet d’éviter la « réunionite » et de s’abstenir de participer lorsqu’on ne prend pas la parole.

« Nous avons besoin de mesures ciblées pour les travailleurs les plus vulnérables, à mi-temps, en intérim ou indépendants »

Tribune. Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le plan humain vont bien au-delà de la réponse déterminante à apporter sur le plan médical. C’est notre avenir dans sa globalité qui est aussi en jeu, au niveau économique, social et en matière de développement. Notre réponse doit être urgente, coordonnée et à l’échelle mondiale et nous devons venir en aide immédiatement à celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Quel que soit le lieu de travail, quelle que soit l’entreprise, que ce soit au niveau de l’économie nationale ou internationale, toute action efficace doit être fondée sur le dialogue social entre les gouvernements et ceux qui sont en première ligne : les employeurs et les travailleurs. Ceci afin que les années 2020 ne ressemblent pas aux années 1930.

L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que jusqu’à 25 millions de personnes pourraient se retrouver au chômage et prévoit une baisse du revenu des travailleurs allant jusqu’à 3 400 milliards de dollars (3 126 milliards d’euros). Cependant, il apparaît déjà clairement que ces chiffres pourraient sous-estimer la force de l’impact.

Le cycle des inégalités amplifié

Cette pandémie met en évidence de manière impitoyable les failles profondes au sein du marché du travail. Les entreprises de toutes tailles ont déjà cessé de produire, en réduisant les horaires de travail et en licenciant du personnel. Beaucoup d’entre elles vacillent et menacent de s’effondrer au fur et à mesure que les magasins et les restaurants ferment leurs portes, que les vols et les réservations d’hôtels sont annulés et que les entreprises passent au télétravail. Souvent, les premiers à perdre leur emploi sont ceux dont le travail était déjà précaire comme les vendeurs, les serveurs, le personnel de cuisine, les bagagistes et les employés des services de nettoyage.

Dans un monde dans lequel seule une personne sur cinq peut bénéficier d’indemnités de chômage, les licenciements constituent une véritable catastrophe pour des millions de familles. Comme peu de personnes ont droit à des congés pour maladie rémunérés, les soignants et le personnel assurant les livraisons – sur lesquels nous comptons désormais tous – sont souvent contraints de continuer à travailler, même lorsqu’ils sont malades.

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De même, dans les pays en développement, celles et ceux qui travaillent à la pièce, les travailleurs journaliers et les commerçants du secteur informel font souvent face à une pression identique simplement pour gagner de quoi se nourrir. Or, nous serons tous victimes de cet état de fait. En effet, non seulement cela aggravera la diffusion du virus mais, à plus long terme, cela amplifiera de manière grave le cycle de la pauvreté et des inégalités.

Des agents de sécurité bien peu protégés face au Covid-19

Un agent de sécurité de la Gare du Nord, à Paris, le 1er avril 2020.
Un agent de sécurité de la Gare du Nord, à Paris, le 1er avril 2020. FRANCK FIFE / AFP

« Il aimait son travail, il n’avait pas peur d’y aller, même s’il savait, sans me l’avoir dit, que ses conditions de travail ne le protégeaient pas du Coronavirus. Il n’imaginait pas que ça irait jusque-là. » Jusqu’à sa mort. Astrid a perdu son père, Satia, dimanche 5 avril, atteint du Covid-19. Agé de 58 ans, il était agent de sûreté du groupe Samsic à l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle, en région parisienne.

Il s’occupait du contrôle des personnels navigants. Il laisse une épouse et trois enfants, qui vivaient avec lui. Tous ont été contaminés et s’en sont sortis en quelques jours. « C’est inadmissible que sur ce poste à risque, où mon père voyait passer énormément de gens venant de partout dans le monde, il n’ait pas été protégé. Il avait deux paires de gants par jour, c’est tout », dénonce sa fille. Les employeurs « mettent en danger leurs salariés mais aussi leur famille, insiste-t-elle. Ma mère est cardiaque et asthmatique. Je suis en colère ».

En contact direct

« J’éprouve une grande tristesse, confie Julien (prénom modifié), un des collègues de Satia. C’était un homme très bon, serviable. » Contactée, la direction générale de Samsic Sécurité ne souhaite pas s’exprimer. C’est le deuxième décès dans le groupe Samsic, après celui d’Alain, le responsable de la sécurité du centre commercial O’Parinor, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), survenu le 20 mars. Et le 7e dans le secteur de la sécurité/sûreté, selon la CGT. Un 8e est survenu depuis ce décompte, le mardi 7 avril, celui d’un agent de sécurité du CHU d’Amiens.

Agents de sécurité, de sûreté… ils sont 50 000 à être bien souvent en contact direct avec la population, dans les aéroports, devant les commerces, les hôpitaux, les bâtiments publics… Or, la plupart du temps, leurs équipements de protection individuels (EPI) ne comprennent pas de masque, ceux-ci allant prioritairement au personnel soignant.

« Il y a énormément de salariés en arrêt maladie, dont sûrement beaucoup sont contaminés. On a tous peur de l’être. » Julien, agent de sécurité

Dans les aéroports, les agents de sûreté peuvent fouiller les bagages, palper les voyageurs, passer autour des corps leur détecteur d’explosifs. Et pourtant malgré ce contact rapproché « Au début, on avait du gel hydroalcoolique et des gants, mais pas de masque, raconte Julien. On en a réclamé. La direction nous a toujours répondu que ce n’était pas une obligation. » Selon ce père de famille, « il y a énormément de salariés en arrêt maladie, dont sûrement beaucoup sont contaminés. On a tous peur de l’être. »

Coronavirus : une association d’aide à domicile sommée de mieux protéger ses salariés

Coup de tonnerre dans le monde de l’aide à domicile. L’un des plus gros opérateurs du secteur dans les Hauts-de-France vient d’être condamné par la justice à la suite de manquements dans la protection de ses salariés contre le Covid-19. Rendue en référé le 3 avril, la décision suscite de l’incompréhension parmi les employeurs. Ils ont interpellé le ministère du travail, ainsi que celui des solidarités et de la santé par le biais d’une de leur fédération (Adédom).

L’affaire concerne l’ADAR Flandre Métropole, une association à but non lucratif implantée dans la banlieue lilloise qui épaule 4 000 personnes en perte d’autonomie ou, dans une moindre mesure, atteintes d’un handicap. Elle compte environ 900 salariés, chargés d’accomplir des tâches diverses : aide au lever et au coucher, entretien du logement, achat de produits alimentaires, etc.

Une douzaine de mesures en trois jours

Au cours du mois de mars, une membre du personnel, déléguée de la CGT, a saisi l’inspection du travail au motif qu’elle et ses collègues n’étaient pas assez bien équipés face au risque de contracter le coronavirus pendant leurs multiples interventions à domicile. L’ADAR a, du même coup, été contactée par une fonctionnaire de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) pour fournir des explications. Après plusieurs échanges, au téléphone et par courriel, l’inspectrice du travail a considéré que l’association avait manqué à ses devoirs et elle l’a donc assignée en référé devant le tribunal judiciaire de Lille, en demandant que des dispositions soient prises afin de remédier à cette situation d’urgence.

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Sa démarche a été entendue. L’ADAR est, en effet, sommée de mettre en œuvre, dans un délai de trois jours, une douzaine de mesures. Si ses « clients (…) présentent un symptôme ou ont (…) été diagnostiqués positifs », indique l’ordonnance de référé, ils devront porter un masque lorsque le salarié se rendra chez eux ; ce dernier, dans un tel cas de figure, devra, pour sa part, être équipé en conséquence (gants, charlotte, blouse, masque, etc.). L’ADAR est également tenue de « définir par écrit » les critères pour poursuivre ou aménager ses « prestations », puis elle aura à dresser « la liste des interventions supprimées et (…) maintenues » : autrement dit, le tribunal l’exhorte à faire le tri dans son activité, pour se recentrer sur celle qui est indispensable.