Archive dans 2019

L’organisation du travail et les failles du management

Fotosearch / Photononstop

Aux urgences des hôpitaux les conditions de travail donneraient envie à un mourant de rester chez lui : sous-effectifs soumis à un rythme infernal, manque de lits, des gants qui se déchirent quand l’infirmière s’en saisit, etc. De manière générale, à l’hôpital comme dans tous les secteurs professionnels tant du public que du privé, l’intensité du travail est très élevée. L’enquête que vient de publier le ministère du travail sur l’évolution de l’exposition des travailleurs aux risques professionnels, révèle que 32 % des salariés du privé sont « en tension ». Et « la pression ressentie par les salariés augmente », a ajouté le médecin du travail Nicolas Sandret en présentant cet état des lieux à la direction générale du travail le 9 septembre.

Mais dorénavant aux urgentistes, « les salariés se plaignent moins de manquer de moyens matériels pour faire correctement leur travail que de la perte d’autonomie dans l’organisation de leur travail », déclare la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Un déclin confirmé par le baromètre Malakoff Médéric Humanis sur la santé et la qualité de vie au travail publié mercredi 18 septembre. Seul 25 % des travailleurs y déclarent avoir la possibilité de prendre des décisions. Une déficience qui devrait alerter les DRH.

Car la dégradation du pouvoir d’agir des travailleurs sur les situations et sur eux-mêmes crée « des déséquilibres dommageables à la qualité du travail comme à la santé des travailleurs », explique Philippe Zawieja, chercheur en santé au travail à l’université de Sherbrooke (Canada) et co-auteur du Dictionnaire des risques psychosociaux (Seuil, 2014). La situation critique dans les hôpitaux aujourd’hui, comme à France Télécom hier, nous en rappellent cruellement les enjeux.

Le changement de la nature du travail

Après des années d’analyse sur les dégâts des « normes » le travail est donc à nouveau « empêché » par l’organisation du travail et les failles du management, qui a pourtant su bonifier l’ambiance au travail, ces dernières années, en diminuant significativement les comportements hostiles qui ne touchent plus que 15 % des salariés, contre 22 % en 2010, note la Dares. Le Baromètre Malakoff Médéric confirme que les entreprises s’occupent de plus en plus du bien-être de leurs salariés. Mais l’accroisseement du rythme de travail augmente la difficulté. Les transformations digitales sont passées par là.

Les nouvelles limites du travail

« Le travail en mouvement » aborde des nouvelles pratiques productives et formes d’arrangement du travail ainsi que des implications pour les modes de reconnaissance au travail, du travail et par le travail.

« Le Travail en mouvement », sous la direction d’Emilie Bourdu, Michel Lallement, Pierre Veltz et Thierry Weil. Presse des Mines, 432 pages, 29 euros.
« Le Travail en mouvement », sous la direction d’Emilie Bourdu, Michel Lallement, Pierre Veltz et Thierry Weil. Presse des Mines, 432 pages, 29 euros. DR

Révolution numérique, nouvelles tendance de gestion des activités productives : les indices d’une vaste recomposition du travail ne cessent de se multiplier. « A l’image des transformations qui affectent les lieux comme les temps des pratiques professionnelles, ce sont les frontières mêmes du travail qui sont aujourd’hui en train de bouger », estiment Emilie Bourdu, Michel Lallement, Pierre Veltz et Thierry Weil. L’ouvrage qu’ils dirigent, Le Travail en mouvement (Presse des Mines), « a pour ambition d’entrer dans le vif des débats et des pratiques, de repérer des constantes et des innovations, de porter attention à des expérimentations locales comme aux enjeux mondiaux. »

Quelles nouvelles pratiques productives et quelles nouvelles formes d’organisation du travail observe-t-on actuellement? Comment se transforment les frontières du travail ? Quelles sont les implications pour les modes de reconnaissance au travail, du travail et par le travail ? Ces trois axes principaux structurent l’ensemble des contributions recueillies dans l’ouvrage.

L’accent est mis sur les changements contemporaines du travail, « en organisant des va-et-vient constants entre enjeux analytiques et prise en compte d’expérimentations pratiques ».
Statistiques, bilans d’expériences dans les ateliers comme sur les territoires, représentation imagée que nous offrent la littérature et le cinéma, régulations sociales et normalisation des normes juridiques… Les entrées thématiques sont diversifiées, tout comme les approches disciplinaires et les expertises professionnelles, de façon à appréhender le travail « d’une manière peu coutumière mais particulièrement heuristique ».

Défis et incertitudes

Les effets pathologiques, non uniquement de l’intensification du travail mais aussi de son envahissement progressif dans tous les temps et les sphères de la vie personnelle, sont au cœur de plusieurs romans récents, comme le montre la contribution de Laurence Decréau, agrégée de lettres classiques.

Les frontières entre types d’activité et statuts professionnels sont à tels points chahutées que la norme semble dans la suite être celle de l’entre-deux : statut de salarié et d’indépendant, d’actif et d’inactif… Le débat sur l’opportunité d’instaurer, ou non, un revenu universel mérite alors attention. Les réponses faitepar Yannick Vanderborght, professeur de sciences politiques à l’université Saint-Louis-Bruxelles, et Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances honoraire, divergent radicalement. Une même préoccupation émerge néanmoins, et concerne directement le statut du travail. Est-ce un quasi-invariant anthropologique qui appelle une contrepartie monétaire en lien direct avec l’activité effectuée ? Ou doit-on jouer la carte de la solidarité au risque de brouiller les frontières entre travail et non-travail ?

Les paradoxes du travail étudiant

Tremplin vers le marché de l’emploi, rite de passage, ou source de surmenage et de décrochage : travailler pendant ses études a un impact très variable sur les trajectoires des élèves. De nouvelles manières d’assurer cet équilibre précaire émergent.

Nathalie Lees

Il peint des murs, cire des parquets, pose des meubles,  donne quelques cours de yoga et travaille parfois comme agent d’accueil. Autant de petits boulots qui, ajoutées à une aide familiale de 150 euros par mois, permettent à Marius, 24 ans, de financer ses études d’économie à la Sorbonne. Chaque semaine, l’étudiant travaille environ 25 heures mais, ne pouvant attester d’un contrat long, il n’a pas pu solliciter d’aménagement d’emploi du temps à son université. « Cela a un fort impact sur ma vie et mes études. L’année dernière, j’étais pris dans une spirale de stress, entre les révisions, les cours, le boulot et les temps de trajet considérables », regrette-t-il. Sa licence, Marius l’a finalement terminée en quatre ans, après une année de redoublement. « La fatigue m’a labouré, parfois même terrassé. »

Comme Marius, près d’un étudiant sur deux a eu une activité compensée au cours de son année universitaire, selon l’enquête 2016 de l’Observatoire national de la vie étudiante. A Paris, où le coût de la vie est plus élevé, ils sont même 57 %. Au-delà de la nécessité financière – la majorité de ceux qui œuvrent  jugent leur activité « indispensable » pour vivre –, les raisons avancées par les étudiants sont multiples : acquérir une expérience professionnelle, gagner un peu d’indépendance vis-à-vis de sa famille, améliorer son quotidien… « Le job étudiant est l’un des passages vers la vie adulte », assure le démographe Philippe Cordazzo, qui a dirigé la publication Parcours d’étudiants (Ined, 220 p., 21 €).

« Au-delà de 12 heures par semaine, on risque de basculer du statut d’étudiant salarié à celui de salarié étudiant, avec toute une série de conséquences. Cela peut entraîner le décrochage. » Jean-François Giret, professeur de sciences de l’éducation

Un passage, mais aussi un entre-deux périlleux. Ces jobs parallèles ne sont pas sans répercutions sur les études : 18 % des étudiants qui travaillent considèrent que cela a un impact négatif sur leurs résultats, 33 % que leur activité est source de stress ou de tensions nerveuses. Un impact qui varie considérablement selon le type de travail et le volume horaire qui y est consacré. « On considère que le travail étudiant devient néfaste et affecte la réussite de l’étudiant au-delà du seuil de 12 heures par semaine », déclare Jean-François Giret, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne.

Le personnel du service psychiatrie de l’hôpital du Rouvray une autre fois en grève

Il y a un an, sept salariés de l’établissement avaient mené une grève de la faim très médiatisée pour dénoncer le manque d’effectifs et les conditions d’accueil des patients.

Manifestation à l’hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), en mai 2018.

Manifestation à l’hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), en mai 2018. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Telle une tumeur latente, le malaise continue au centre hospitalier du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen. Les banderoles de mécontentement surgissent une autre fois sur les grilles du principal hôpital psychiatrique de Seine-Maritime. Avec un message clair : « Quinze mois après, le compte n’y est pas », aux yeux de l’intersyndicale CGT, SUD et CFDT. Elle vient de lancer un nouvel appel à la grève illimitée à partir du jeudi 19 septembre à minuit.

Tous ont encore en tête l’âpre conflit social et la grève de la faim très médiatisée effectuée par 7 salariés de l’hôpital, en juin 2018. Ils dénonçaient les conditions d’accueil des patients, le manque d’effectifs et la suroccupation chronique des lits. Certains des grévistes ont tenu dix-huit jours.

Une sortie de crise a finalement été obtenue, aux forceps, sous la forme d’un protocole d’accord effectué entre direction et syndicats, et validé par l’Agence régionale de santé (ARS) de Normandie. Il prévoyait surtout l’ouverture de trente postes d’infirmiers et d’aides-soignants et faisait de la création d’une unité dédiée aux adolescents « une priorité absolue ».

Mais la fièvre n’est pas retombée. « La situation n’a pas changé, elle est même pire. Le taux d’occupation dépasse les 109 %, soit plus d’une trentaine de lits supplémentaires au quotidien », déclare actuellement l’infirmier Jean-Yves Herment, délégué CFDT et lui-même gréviste de la faim l’an dernier.

« On bricole en installant des patients sur des lits pliants dans les couloirs ou à l’écart dans des bureaux sans sanitaire », s’indigne Sébastien Ascoet, cadre de santé et élu CGT. Son confrère et infirmier René Navarette (CGT), lui, pointe la « dramatique situation d’adolescents de 14 ans qui, par manque de place dans l’unité ados saturée en permanence, sont accueillis dans les services adultes. Avec les problèmes d’attouchements ou de drogues que cela engendre… »

Bataille des chiffres

Arrivé fin janvier, Lucien Vicenzutti, le nouveau directeur du centre hospitalier (où l’autorisation de réaliser un reportage ne nous a pas été accordée), a répondu par mail aux questions du Monde. S’il reconnaît que la suroccupation entraîne l’ouverture de lits « dans des conditions inacceptables pour les patients », il déclare, à rebours des syndicats, que cette pression relève davantage « d’un problème d’organisation de l’offre de soins territoriale » que « d’un renforcement des effectifs ».

La réalité virtuelle entre en force dans l’enseignement supérieur

Les technologies immersives se développent rapidement à l’université, dans les formations techniques et les grandes écoles.

ANNA WANDA GOGUSEY

Dans l’académie de Toulouse, les professeurs en lycée professionnel et en BTS se sont passé le mot : « Si tu as un problème, appelle Bernard Durante, à Castres » Dans le secteur de la formation, la réalité virtuelle est encore affaire de bouche-à-oreille et d’huile de coude, même si le taux de développement du marché pourrait atteindre près de 200 % d’ici à 2023, selon les prévisions du cabinet de conseil IDC.

Alors on l’appelle, Bernard Durante, à Castres. enseignant de génie civil au lycée professionnel Le Sidobre, il élabore des scénarios virtuels en 3D pour ses élèves à Castres. Sur son temps libre – soirées, week-ends et vacances y passent. « Pour l’heure, c’est l’autoformation qui prime !, déclare-t-il. On est au début de quelque chose, comme dans les années 1980 lorsque la micro-informatique est arrivée. Cela demande de l’investissement. »

Le professeur a développé avec l’entreprise Mimbus, installée dans la banlieue toulousaine, un scénario de montage d’échafaudage. Monter, vérifier, utiliser : muni d’un casque de réalité virtuelle, l’étudiant en BTP expérimente des situations courantes et extrêmes, découvrant ainsi jusqu’où il est capable d’aller. « J’ajoute l’univers du chantier avec des bruits, des orages qui menacent, des pluies qui s’abattent, d’autres corps de métier qui travaillent… A dix mètres de hauteur, certains élèves ont le vertige, ce qu’ils ignoraient jusqu’ici. Lors de leurs stages, ils ne pourraient pas se confronter à une telle diversité de situations », déclare Bernard Durante.

Apprendre à souder avec un simulateur

Grâce aux technologies immersives – réalité virtuelle, réalité augmentée et réalité mixte –, les élèves répètent des opérations complexes à l’infini, à moindre coût et sans risque, jusqu’à atteindre la maîtrise parfaite du geste. « Ils peuvent faire des erreurs sans que leur sécurité soit mise en cause, reconfigurer l’environnement, modéliser des terrains d’entraînement inaccessibles, réaliser des scénarios impossibles à reproduire dans la réalité, des accidents, simuler des conditions rares, des incidents techniques », ajoute Richard Ngu Leubou, professeur en informatique aux universités de Limoges et de Strasbourg. « La réalité virtuelle sert aussi à former à des gestes techniques, comme nettoyer le fond du moule d’une cuve en aluminium, étape indispensable avant de mettre de la matière en fusion, mentionne Indira Thouvenin, professeure de réalité virtuelle à l’université de technologie de Compiègne et vice-présidente du bureau de l’Association française de réalité virtuelle. Elle prépare les étudiants à l’usine du futur. »

Egalité salariale: « Il y a un travail énorme à accomplir »

A peine 3,5 % des entreprises de plus de 250 personnes vivent dans une égalité réelle, selon Muriel Pénicaud. La ministre du travail devait préseter un bilan, mardi 17 septembre, de la mise en marche de l’index de l’égalité professionnelle.

.

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, le 5 septembre, à Beaulieu-sur-Layon (Maine-et-Loire).
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, le 5 septembre, à Beaulieu-sur-Layon (Maine-et-Loire). STEPHANE MAHE / REUTERS

Un déclic s’est produit dans les entreprises pour diminuer les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, mais il leur reste encore beaucoup de chemin à parcourir. C’est, en substance, le message délivré par Muriel Pénicaud, la ministre du travail, qui devait faire le point, mardi 17 septembre, sur la mise en application de l’index de l’égalité professionnelle.

Établie par la loi « avenir professionnel » du 5 septembre 2018, ce dispositif permet de comparer, au se in d’une même société, les situations en fonction du sexe des salariés. Il se présente sous la forme d’une note sur 100, élaborer à partir de cinq critères (écarts de rémunération, répartition des augmentations individuelles, etc.).

Premier enseignement : « la part des entreprises de plus de 250 personnes qui assurent une égalité réelle, attestée par une note de 99 ou de 100 sur 100, est faible, ajoute Mme Pénicaud. On en dénombre 167 sur les 4 772 qui ont publié leurs résultats. » Soit à peine 3,5 %. Parmi les sociétés cotées au CAC 40 et au SBF 120, aucune n’a obtenu les notes maximales « sur l’ensemble de leur périmètre ». « Il y a un travail énorme à accomplir », déclare Mme Pénicaud.

Les entreprises en « alerte rouge » (c’est-à-dire dont la note est inférieure à 75 sur 100) sont minoritaires : 18 % chez celles qui emploient plus de 1 000 personnes et 16 % pour celles qui ont entre 251 et 1 000 salariés. Elles doivent faire des « mesures correctrices » pour atteindre au moins la barre de 75 d’ici trois ans au maximum, faute de quoi des pénalités financières leur seront infligées.

« Le plafond de verre »

L’un des principaux réserves relevés porte sur le rattrapage salarial dont les femmes doivent bénéficier à leur retour de congé maternité si leurs collègues ont été augmentés durant leur absence. Une loi de 2006 prévoit, en la matière, des obligations extrêmement précises, mais « un tiers des entreprises de plus de 1 000 personnes ne les respectent pas », rapporte la ministre (un cinquième dans la catégorie des 251-1 000 salariés). Autre gros point noir : « le plafond de verre, qui empêche les femmes d’accéder aux postes de direction », ajoute Mme Pénicaud. La part de grands groupes où il y a au moins deux femmes parmi les dix collaborateurs les mieux rémunérés n’est que de 50 %. Les performances sont un peu meilleures dans les entreprises de 251 à un millier de salariés : chez 60 % d’entre elles, au moins deux femmes sont dans le Top 10 des plus gros salaires.

Aux yeux de la ministre du travail, la création de l’index de l’égalité professionnelle a initié une « dynamique ». « Beaucoup de chefs d’entreprise me disent – de bonne foi, la plupart du temps – qu’ils n’avaient pas pris la mesure de la situation et qu’ils sont désormais résolus à agir. Ils savent que c’est important, pour leur réputation et leur capacité à attirer des talents », mentionne Mme Pénicaud.

Presque la totalité des sociétés de plus de 1 000 personnes ont désormais publié leur index – ce qu’elles étaient tenues de faire depuis le 1er mars. Il subsiste tout de même des retardataires : dix-huit ont été mises en demeure de communiquer leurs résultats – avec, dans un cas, « une procédure de pénalité engagée » qui a porté ses fruits, puisque le patron concerné a finalement livré les données en question. Quant aux sociétés de 251 à 1 000 personnes, elles avaient jusqu’à 1er septembre pour calculer et diffuser leur index : 68 % d’entre elles sont dans les clous, les autres s’exposant à des relances de l’administration.

Une salle d’hôpital numérique pour préparer les étudiants

L’école des Mines et le CHU de Saint-Etienne ont développé la « jumelle » d’une salle d’urgence qui permet à des étudiants, munis de casques de réalité virtuelle, de comprendre la gestion des flux.

Par centaines, les blessés affluent. L’attentat a eu lieu il y a moins d’une heure et le service des urgences du CHU de Saint-Etienne est totalement saturé. A cet instant, la gestion des flux est difficile pour prendre en charge au plus vite toutes les victimes.

Derrière son casque de réalité virtuelle, Jémil tente de saisir au mieux ce qui se passe. Heureusement, cet attentat n’est qu’une simulation. En ce jour de rentrée à l’école des Mines de Saint-Etienne (Loire), les élèves de deuxième année spécialité ingénierie biomédicale s’essaient à une nouvelle pratique pédagogique, sous la houlette de leur professeur en ingénierie des systèmes de santé, Vincent Augusto.

En 2017, celui-ci a entrepris avec le CHU de Saint-Etienne un programme de réalité virtuelle dont les élèves vont s’emparer pour la première fois cette année : le « jumeau digital » de l’hôpital, qui combine simulation et suivi en temps réel du service des urgences. Objectif : savoir diagnostiquer une situation, la retranscrire, la modéliser et proposer des solutions d’optimisation des ressources. Grâce aux indicateurs réels fournis par le CHU, les étudiants ingénieurs savent parfaitement le nombre de patients en attente, leur heure d’arrivée, l’état de surcharge de tel ou tel médecin…

Avec la médecine, les technologies de réalité virtuelle semblent avoir trouvé un solide point d’entrée dans l’enseignement supérieur.

« C’est vraiment très réaliste, je reconnais tout à fait les lieux », commente tout haut Jémil qui, inscrit dans un double cursus Ecole des Mines/fac de médecine, a passé deux mois en stage comme aide-soignant aux urgences. « Il serait intéressant de connaître la raison de la venue des patients. On pourrait évaluer la durée d’attente en fonction des affections déclarées », observe-t-il. « Pour l’instant on ne s’occupe que de la gestion des flux, déclare Vincent Augusto. Mais dans un second temps, nous demanderons l’autorisation à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) d’enrichir nos simulations avec les données médicales. »

Avec la médecine, les technologies de réalité virtuelle semblent avoir trouvé une forte point d’entrée dans l’enseignement supérieur. Pour Maxime Ros, neurochirurgien et président de la start-up de réalité virtuelle Revinax, les étudiants y ont tout à gagner. « Tous les supports pédagogiques s’approchent de la réalité mais pas suffisamment pour permettre de reproduire parfaitement une procédure, explique-t-il. En neurochirurgie pédiatrique par exemple, les experts sont très peu nombreux. Pour apprendre de nouvelles techniques, on s’appuie surtout sur du compagnonnage, de l’artisanat. Et lorsqu’on a soi-même à réaliser une opération peu de temps après, il est difficile de compter sur sa seule mémoire, notre cerveau ayant perçu les gestes de manière biaisée. » Le cerveau commettrait ainsi jusqu’à 50 % d’erreurs quand il reproduit une procédure observée auparavant. Transmettre une technique, hors réalité virtuelle, n’est donc pas simple, malgré le temps que passent les étudiants auprès de leurs enseignants. En revanche, « le message transmis par la réalité virtuelle présente un atout énorme : il est constant. Tout le monde le perçoit et est en mesure de le restituer de la même façon, ce qui homogénéise la compréhension et les pratiques », déclare Maxime Ros.

« Les plates-formes du numérique n’ont pas pu s’objecter à l’action de fond actuel pour une meilleure répartition »

En Californie, une loi oblige les entreprises de requalifier comme employés leurs travailleurs payés à la tâche et de leur octroyer des prestations sociales.

La représentante démocrate de Californie Lorena Gonzalez défend sa proposition de loi à San Diego (Californie), le 28 août 2019.
La représentante démocrate de Californie Lorena Gonzalez défend sa proposition de loi à San Diego (Californie), le 28 août 2019. Rich Pedroncelli / AP

La Californie a été le berceau de l’économie de partage et de l’emploi à la demande. Le laboratoire où se dessine l’avenir du travail ou ce qu’il en restera (selon les Cassandre) quand les robots auront fini de s’emparer de secteurs d’activité entiers. Elle est actuellement à l’avant-garde des efforts des pouvoirs publics pour remettre le génie dans la bouteille, à un moment où le débat politique – dans le camp démocrate – est centré sur les moyens de corriger les inégalités.

Le 13 septembre, les parlementaires californiens, aux deux tiers démocrates, ont envoyé pour proclamation au gouverneur, Gavin Newsom, une loi qui modifie profondément le code du travail dans l’Etat. Elle impose aux entreprises de qulifier une comme employés leurs travailleurs contractuels payés à la tâche. A partir du 1er janvier 2020, des centaines de milliers de travailleurs précaires – jusqu’à 1 million de personnes, selon les sources – devraient avoir droit à des prestations sociales : salaire minimum, congé maladie, assurance chômage. Ils pourront même se syndiquer.

La loi vise au premier chef les forçats de l’économie numérique : les chauffeurs des compagnies de VTC, Uber et Lyft, ou du service Amazon Flex ; les livreurs de DoorDash, Uber Eats, Instacart, Postmates, dont le paiement est soumis à la loi de l’offre et la demande, selon des modalités algorithmiques qui leur échappent le plus souvent. Les plates-formes l’ont combattue bec et ongles. Mais elles n’ont pas pu s’opposer au mouvement de fond actuel pour une meilleure redistribution, illustré à merveille par les livreurs de DoorDash. Le 5 septembre, ceux-ci sont venus déposer des sacs de cacahuètes devant le siège de la compagnie à San Francisco pour montrer ce que représente leur salaire : « Peanuts. »

Des livreurs de journaux sous-payés

La loi est évalué comme une victoire pour le mouvement syndical, que la « gig economy » (celle du travail à la tâche) croyait avoir réduit à l’obsolescence dans la nouvelle économie. Son auteure, la représentante démocrate Lorena Gonzalez, ancienne responsable de l’AFL-CIO (regroupement syndical) de San Diego, a balayé l’argument de liberté et de flexibilité des horaires mis en avant par les entreprises – et souvent les contractuels eux-mêmes – pour défendre leur modèle. « Ce n’est pas de la flexibilité, a accusé l’élue, fille d’un ouvrier agricole et diplômée de Stanford. C’est du féodalisme. » Les élus ont chiffré à 30 % du coût du travail les économies effectuées par les plates-formes en recrutant des contractuels indépendants plutôt que de les salarier.

Le temps de travail dans les collectivités locales

Selon une analyse, trois collectivités sur quatre adapte déjà le régime légal ou s’apprêtent à le faire.

Sous la contrainte budgétaire, les collectivités territoriales alignent progressivement le temps de travail de leurs salariés sur celui du privé. Selon le baromètre annuel ressources humaines annoncé le 16 septembre par le pôle public du groupe Randstad, en partenariat avec Villes de France et l’Assemblée des communautés de France, trois collectivités sur quatre appliquent déjà le régime légal des 1 607 heures ou s’apprêtent à le faire, alors que la loi de transformation de la fonction publique du 6 août prévoit la suppression des régimes dérogatoires à la durée légale du travail en 2022 au plus tard.

Cette étude innovante– l’entrée sur le temps de travail ne figurait pas dans les précédentes enquêtes – montre que les collectivités, pour une part significative d’entre elles, ont anticipé les dispositions législatives pour mettre fin aux régimes dérogatoires. « L’alignement du temps de travail des agents de la fonction publique locale est un chantier que les villes de taille intermédiaire ont entamé depuis 2014, en particulier en raison de l’attrition de leurs ressources du fait de la réduction de la dotation globale de fonctionnement », déclare la maire de Beauvais, Caroline Cayeux, présidente de Villes de France.

La règle des 1 607 heures s’applique dans la fonction publique territoriale depuis 2001. Le paradoxe, toutefois, est qu’à l’époque les collectivités ont été encouragées à baisser leur volume horaire de travail pour favoriser les recrutements. Depuis, de nombreux rapports, qu’ils émanent de la Cour des comptes ou de parlementaires, n’ont cessé de fustiger l’« explosion » de la masse salariale dans les collectivités et la « dérive » des finances locales. En émettant son projet de loi, le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, voulait que la persistance de régimes spécifiques représenterait un surplus de 35 000 agents dans la fonction publique territoriale.

Le mouvement d’arrangement sur la durée légale s’est en fait accéléré depuis 2014, début du mandat en cours qui s’achèvera en 2020. Avant cette date, 41 % des collectivités appliquaient déjà les 1 607 heures ; 16 % se sont alignées au cours du mandat actuel et 18 % ont engagé un processus de mise en unanimité. Seules 25 % utilisent un régime inférieur aux 1 607 heures et ne considère pas d’évolution.

Une grande mobilisation contre la réforme des retraites

Après la RATP, les avocats, médecins, personnels navigants du transport aérien, infirmières ou kinésithérapeutes manifestent lundi à Paris.

La vague de mécontentement contre la réforme des retraites continue de déferler. Trois jours après la grève – inédite en douze ans – des agents de la RATP, d’autres catégories d’actifs manifestaient, lundi 16 septembre à Paris, entre Opéra et Nation, pour s’opposer à ce chantier majeur du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il s’agit d’une mobilisation sans précédent, orchestrée par le collectif SOS Retraites dans lequel on retrouve des corporations qui n’avaient jusqu’à présent jamais défilé ensemble : avocats, personnels navigants du transport aérien, médecins, infirmières, kinésithérapeutes… Leurs inquiétudes restent entières, malgré l’intervention du premier ministre, Edouard Philippe, qui avait affiché, le 12 septembre, sa volonté de dialogue.

Dans la journée d’action organisée lundi, les avocats ont joué un rôle décisif, par le truchement du Conseil national des barreaux (CNB). Cette instance a, en effet, exhorté toute la profession à battre le pavé, dans la capitale, et à faire la grève des audiences. Un appel qui s’annonce très suivi, au point que le fonctionnement des juridictions pourrait être perturbé. Le CNB a également donné une impulsion très forte pour agréger autour de lui d’autres groupes sociaux et former un cartel dont la composition surprend, de prime abord. « Le point commun, c’est que chacun d’entre nous dispose de régimes autonomes », explique Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière (CI). Des régimes qui seront appelés à se fondre, à terme, dans le système universel promis par M. Macron.

Crainte d’une « spoliation »

Ce scénario, MChristiane Féral-Schuhl, la présidente du CNB, le rejette, avec l’ensemble des membres de SOS Retraites, car il serait synonyme de « captation des réserves » accumulées par les différentes caisses concernées. Chez les avocats, les sommes en jeu s’élèvent à deux milliards d’euros. S’agissant de la Carpimko – la caisse des orthophonistes, infirmières, orthoptistes, etc. –, les montants atteignent 3,4 milliards, d’après Mme Sicre : « Nous ne voulons pas qu’un hold-up ait lieu », affirme la présidente de CI. Le discours est identique chez les navigants du monde de l’aérien : « Notre caisse de retraite complémentaire existe depuis le début des années 1950 et n’a rien coûté à la collectivité, confie Yves Deshayes, le numéro un du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Nous ne voulons pas qu’elle disparaisse. »

La crainte d’une « spoliation » est d’autant plus vive que la collecte des cotisations sera, à terme, entièrement confiée aux Urssaf, une « administration » à la main de l’Etat, relève Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France (FMF). A ses yeux, toutes les conditions seront alors réunies pour détourner les réserves des régimes autonomes vers le pot commun du système universel.

D’autres facteurs, plus spécifiques, alimentent la colère. Plusieurs professions redoutent d’être assujetties à des prélèvements majorés avec la réforme – telle qu’elle a été esquissée dans le rapport remis en juillet par Jean-Paul Delevoye, le haut commissaire en charge du projet. Chez les avocats, le taux de cotisation va doubler, voire un peu plus (sur les revenus inférieurs à 40 000 euros). La hausse va être difficile à encaisser, notamment pour ceux qui débutent ou dont l’activité repose, en grande partie, sur des dossiers rémunérés par l’aide juridictionnelle, affirme MFéral-Schuhl.

« Plus de ponctions pour moins de pensions »

L’appréhension est identique parmi les organisations impliquées dans SOS Retraites qui représentent le paramédical. « Les cotisations vont augmenter de quatorze points, ce qui va porter notre taux de charges à 60 %, déclare Mme Sicre. Au final, il y aura plus de ponctions pour moins de pensions. »

Dans d’autres métiers, en revanche, le taux de contributions pour l’assurance-vieillesse est susceptible de reculer, ce qui est favorable au pouvoir d’achat des actifs, mais réduit aussi leurs droits à la retraite : « La baisse des cotisations sera de 20 % mais les pensions, elles, diminueront davantage, de l’ordre de 38 % », indique M. Hamon. Autrement dit, les intéressés y perdront, au final. Le problème pourrait, éventuellement, être résolu, en recourant à l’épargne-retraite supplémentaire, mais de tels produits, proposés par les assureurs et les banquiers, offrent des rendements beaucoup moins intéressants, rapporte M. Deshayes. En outre, ajoute-t-il, rien ne garantit que de tels dispositifs seront mis en place dans toutes les compagnies aériennes.

« Le mouvement va être long et aller crescendo », prophétise Mme Sicre. « C’est l’avenir de notre profession que nous défendons », renchérit MFéral-Schuhl. D’autres organisations s’apprêtent à emboîter le pas de SOS Retraites : FO, le 21 septembre ; la CGT, trois jours après. L’exécutif n’est pas au bout de ses peines.